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Un sourire d’enfer 68

avril 19, 2023

Un sourire d’enfer  68

J’étais fier de cette découverte : une radio libre à Montréal.


J’ai immédiatement organisé une émission de poésie en collaboration avec Janou St-Denis. Ce fut un succès.

Le groupe de poètes invités s’est ensuite rendu au restaurant où il fut décidé de créer un mouvement littéraire pour aider Janou dans ses revendications à l’effet que les poètes aient un coin sur la montagne à l’occasion de la Saint-Jean. 

Ce groupe fut nommé le Comité d’action poétique.  Ce mouvement de jeunespoètes a été mis surpiedà la Place aux poètes, animée toutes les semaines par Janou St-Denis.

Nous avons décidé de tenir une manifestation contre la Société Saint-Jean-Baptiste qui décidait qui participait aux fêtes de la Saint-Jean.  De plus, Jean-Marc Castilloux avait déniché un permis de la police.  Le CAP était un regroupement bizarre.  Il comprenait des membres de l’Atelier des Idées nouvelles, le baron Philippe, toujours habillé en femme et se battant pour les féministes, et bien d’autres.

Cet événement fut spectaculaire non par le nombre de participants, mais parce que pour la première fois à ma connaissance, des poètes prenaient la rue pour protester.

La poésie perdait son caractère pédant.  Nous distribuions des poèmes à tout le monde, même aux flics qui en lisaient probablement pour la première fois dans leur vie.  Les poètes ont dû même pousser la moto d’un flic tombée en panne.

La poésie prenait droit de cité. Elle vivait enfin.  Plusieurs personnes étaient ravies d’une telle initiative. «Gauvreau ne se taira plus, les poètes non plus.», disait-on avec foi.

La victoire symbolique de la parole nous entraîna par hasard dans une nouvelle aventure.

Adrien Vilandré, un ami de Québec, nous demanda de participer à une soirée de poésie, cédulée comme par hasard, le soir même de l’arrivée de la reine Élizabeth, à Montréal.

Le récital a été organisé, malgré les protestations de la police.  Elle ne pouvait rien faire contre nous, car tout se déroulait sur un terrain privé, soit au séminaire de Montréal, dans l’ouest, sous le signe de l’orignac épormydable, de Gauvreau. Il s’agissait d’une soirée de la jeune poésie et une fête populaire de la chanson amérindienne.  Chanter les Indiens, avant des poèmes sur les signes avant-coureurs de l’indépendance, en souvenir autant de Gauvreau que de Louis Riel, le soir de l’arrivée de la reine ne troubla personne.

Ce fut une très belle soirée. Récital à l’extérieur.  Tout était survolté.  Avant le récital la police nous avait nargués, empruntant un chemin près de notre scène pour aller se stationner en haut de la butte qui nous servait de remontoir pour réciter nos textes devant la foule à nos pieds.  Nous étions examinés comme si nous avions été de vulgaires bandits.

Par contre, pour couronner notre entreprise poétique, nous avions la visite du Consul américain ainsi que du chef de l’Opposition, M. Jacques-Yvan Morin.  J’étais fier d’y réciter un seul poème, mais très provocateur, une espèce de slam avant le temps.

Je n’aurais jamais cru qu’un jour un de mes textes fassent un tel tabac. Ce n’est pas qu’on le trouvait baveux, mais plutôt drôle. On ne voyait pas encore dans la poésie une tournure d’esprit qui se permet de rire des événements.

Je m’appelle Élisabeth
I am the queen du mois de juillet
j’ai été choisi pour mes deux fleurs
deux gerbes de poil près du pénis.

J’aime autant que Philippe
les belles fesses rondes de nos athlètes
et quoiqu’en dise le maire Drapeau
le stade ne vaudra jamais
la beauté de nos olympistes.

Vive le Québec !
Au moins icitte
on tripe en Christ…

Laissez laissez venir
à moi les petits gars
laissez
je m’en occuperai
de mille et une façons
qu’ils aimeront.

Bourassa
j’ai le cul plus vierge
que tes promesses
La vie aussi poignée
que tes lois
je ne veux rien
sinon ma dignité
ma liberté.

Vasez, vasez
vos gens durant ce temps
jasent jasent
et paient leurs taxes.
    
 Je me promenais depuis la première manifestation avec une pancarte sur laquelle était écrit : Qu’osse ça veut dire : Le PD à Bourassa, l.d ! 

Je promettais de révéler bientôt le sens de ces lettres et j’invitais Bourassa à tenir des élections. C’était aussi le fruit d’une gageure avec un ami.  Une vengeance de la prison.

En fait, le PD à Bourassa : l.d. : voulait simplement dire : Qu’osse ça veut dire : LE PEUPLE DEMANDE à Bourassa, Lève-toi debout. Je m’en étais aussi servi dans une manifestation que l’on avait tenue sur la rue Saint-Denis où j’avais d’ailleurs récité un texte intitulé : L’archange Foin, Foin. 


Un texte dans lequel je prétendais annoncer la fin prochaine de tout ce qui était libéral tant au Québec qu’au fédéral. 

Je me promenais alors avec de grandes ailes pour faire un peu plus archange. Une parade plus qu’une manifestation.

Le Cap voulait réunir tous les arts dans le même panier.  Avec la poésie, on peut faire des tableaux et des pancartes, on peut accompagner le tout de musique. Être un artiste, c’est aussi être un poète. Le rire fait aussi partie de la beauté et des bonnes choses de la vie.

Ce soir-là, les poètes étaient en révolte et exigeaient la défaite prochaine du gouvernement Bourassa.

Si Janou refusait toute ingérence de la politique dans la poésie ; moi, avec ma pancarte, je revivais le parti Rhinocéros en poèmes. 

Manifester était devenu une grande fête intérieure.

Je me suis présentéau Solstice de la poésie, à l’occasion des Jeux Olympiques, à Montréal, avec ma pancarte. Je savais que les organisateurs y tournaient une vidéo qui devait être distribué un peu partout, surtout dans les écoles afin de faire connaître la poésie à la jeunesse.

Avec ma pancarte, je savais très bien que ce n’était pas tout le monde qui y voyait le sens que je lui prêtais.  Je voulais créer une pression de plus sur Bourassa et le forcer à démissionner. Je n’avais rien à perdre : ou je me faisais descendre pour avoir eu cette audace ou je risquais de passer le reste de ma vie en prison.  Je me défendais avec ce qui me semblait lui faire le plus peur.

J’ai profité de ma présentation pour donner un véritable réquisitoire en faveur des prisonniers politiques à la suite de la lecture d’un dossier que j’avais préparé sur le sujet.  Malheureusement, presque toute ma participation à la vidéo a été ratée. Le message n’a pas débordé le cap d’un tout petit auditoire d’une centaine de personnes.

À la suite de cette soirée, j’étais fier de moi.  Janou St- Denis me dit que de tous les révolutionnaires qui avait paradé sur le théâtre, j’étais le seul qu’elle aurait vu aux barricades. J’étais authentique à en être un peu fou.

Par contre, j’étais triste de la façon que Paul Chamberland m’avait perçu : « t’avais l’air d’un vrai bum », me dit-il. C’était une claque, car j’adorais Chamberland. Je ne voulais pas être un bum, mais un vrai révolutionnaire.

J’ai été consolé plus tard quand Francoeur a sorti sa chanson  » Beau bummage ».

La poésie, c’est une espèce de drogue effervescente.  Une rivière intérieure de grand printemps. La Chaudière en pleine débâcle. Aucun barrage ou dynamitage ne peut en venir à bout.

L’Atelier des idées nouvelles qui venaient d’ouvrir ses portes dans le quartier chinois de Montréal décida d’organise avec le Comité d’Action poétique une manifestation poétique.

Le Comité d’action poétique a été élargi à tous les artistes en vue d’un regroupement général. Le nouveau nom fut le « Mouvement d’Action Poétique, le MAP.

La prochaine manifestation devait s’appeler : « D’l’aut’bord du.chassis ». Ce titre un peu trop joual a créé quelques dissensions mineures. Pour organiser cet événement, nous avons tenu une conférence de presse.  Tous les journaux importants sont venus, tous y déléguèrent un photographe, sauf Le Devoir, qui obtint les détails par téléphone.

Aucun des journaux ne publia les résultats de cette conférence de presse, car à chaque fois que je me présentais avec ma pancarte Le P.D. à Bourassa l.d. tout le monde paniquait.  On trouvait que j’aillais trop loin.  Aujourd’hui, je dirais qu’on avait raison. Exaltation d’avoir été en-dedans ne justifiait pas ma manière de contester. Je n’avais pas à m’en prendre à Bourassa, mais plutôt au système judiciaire qui exagère le mal des relations sexuelles entre adultes et jeunes au point de ressembler à l’Inquisition. Mais, la rage était là, bien humaine.

Radio-Canada n’en parlait pas, nous y avons tenu une manifestation, devant les studios lors de l’émission « Ce soir ».


Je n’ai pas eu besoin de me faire reprocher de ne pas avoir caché ma pancarte de malheur, trop politique pour être poétique. J’ai plongé seul dans les remords de conscience.  Pourquoi ne pas avoir eu l’intelligence d’oublier ma lutte personnelle pour le bien de toute la communauté artistique ?  Publicisé ou pas, la parade fut tout un succès.  Même Armand Vaillancourt, le sculpteur, y présenta une œuvre originale.

Je me promenais déguisé en archange, enceinte d’une bonne nouvelle.  Deux pénis siégeaient sur mes ailes larges de deux pieds, chaque côté de moi.

Je n’étais pas tellement reconnaissable.  J’étais bien heureux de défiler quand j’ai passé devant les deux flics qui m’avaient arrêté dans le métro. Cependant, n’ayant ni fait les trois jours de prison ou payé l’amende dans les délais pour crier ma non-culpabilité, j’étais en quelque sorte apte à être arrêté n’importe quand.  J’avais la chienne.

C’était un spectacle nouveau à Montréal.

Un camion, muni d’un haut-parleur, ouvrait la parade en scandant : 

« Le temps de se taire, de se faire fermer la gueule est révolu.  Face à la répression culturelle qui sévit au Québec avec CORRIDART, les poètes sur la montagne, les Gens de l’air et le Jour (les libéraux refusaient d’y annoncer, consacrant la faillite du journal) ne peut y avoir qu’une réplique.  Nous, artistes de toutes les disciplines et de partout, nous nous élevons dans une lutte à mort pour la libération de toutes formes d’expression.  Nous sortons du châssis, écrasant toute frontière, toute classe sociale, tout vedettariat, toute limite morale, sociale, formelle qui nous étreint.  Nous prenons la rue.  Nous la fêtons.  Nous la gardons.»

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