Un sourire d’enfer 67
Un sourire d’enfer 67
À Montréal, on fermait les yeux sur le fait que des gais étaient tués ou blessés dans les parcs. La police était aveugle quand il s’agissait d’un cas impliquant un homosexuel battu.
Il suffisait aussi qu’un jeune prétende que sa victime avait été tuée parce qu’elle lui avait fait des avances sexuelles non seulement pour faire pardonner son meurtre, mais convertir son geste dégueulasse en bravoure et convertir le meurtrier en héros.
Après des siècles de lavage de cerveau, c’est impossible de contrer le discours de l’autorité, même s’il est basé sur des mensonges et des interprétations farfelues de la vie.
Notre très sainte nation a besoin qu’on la purifie de ses membres trop libertins. On peut tuer, blesser, c’est moins pire qu’un attouchement sexuel.
Je me rappelle pourtant que dans mon enfance, quand les autres me touchaient, je ne me mettais pas à brailler. J’aimais ça.
Deux gais sont des adultes et leur fornication ne changera pas grand-chose dans les statistiques des naissances. S’ils prennent leur condom, il en sera de même du côté de la santé.
D’ailleurs, quand on s’est aperçu que la vie de gais permettait à plusieurs d’être plus riches et de dépenser plus, on modifia les règles pour obéir aux besoins économiques. On créa le Village, à Montréal. Un ghetto pour gais. Et, on reconnut le droit aux femmes de faire carrière plutôt que d’être mère. Un droit tout à fait légitime, mais les salaires inférieurs justifiaient cette nouvelle reconnaissance.
Quand on se rendra compte que la pédérastie peut-être un facteur positif pour devenir un bon prof, on commencera à comprendre que tuer la tendresse pour obéir à une paranoïa nationale est le meilleur moyen d’augmenter le décrochage chez les gars et un manque de professeurs mâles. Notre système d’éducation, notre culture sont de plus en plus une exclusivité féminine.
Cet incident ne m’a pas arrêté de travailler à la SAQ. J’ai dit à mes confrères que j’avais mis les doigts à la mauvaise place. L’incident fut clos. J’avais ce que je méritais, selon eux, et j’avais couru après, selon moi.
J’aimais mon travail et tout le monde s’accordait bien avec moi. J’étais d’ailleurs le seul à pouvoir dire tout ce que je pensais au gérant sans qu’il s’emporte, car je m’amusais à imiter Trudeau quand je parlais. J’étais une espèce de clown, bien travaillant.
J’ai toujours aimé travailler, même si je suis bon en rien. J’étais parfois un peu chialeur sur les bords. On ne peut pas être parfait.
Un matin, sans avertissement, j’ai reçu l’ordre de changer de magasin. C’était le transfert ou la porte.
Je me suis rendu aux désirs des patrons la première journée ; mais j’ai laissé l’emploi quand on a voulu m’envoyer travailler dans un magasin de la SAQ dans Verdun. J’habitais complètement dans l’est de Montréal, avec Roland, mon frère aîné. Accepté ce transfert signifiait que j’aurais dorénavant à payer davantage pour me loger.
Arrangé ainsi, avec les nouvelles dépenses, ça me donnait absolument rien de travailler. Je devais me lever à des heures de fou pour me rendre à ce nouveau boulot. Je devais passer presqu’autant de temps dans le métro et en autobus qu’à l’ouvrage. Les autorités de la SAQ ne voulaient rien savoir. C’était ça ou rien.
J’ai porté plainte au Ministère du Travail qui, après enquête, me donna raison.
La grève était éminente. J’ai retardé à poser à nouveau ma candidature pour un autre poste afin de ne pas passer pour un «briseur de grève». Quand j’ai voulu faire appliquer le verdict du Ministère du Travail, la direction de la SAQ m’a envoyé promener. Selon eux, j’avais trop attendu.
Cette fois, je n’y voyais pas de raison politique, même si ce transfert coïncida au fait que je recommençais à discuter politique avec les autres employés.
C’était moins évident qu’au moment où j’avais, à Sherbrooke, été viré d’un cours de cuisine, car je manifestais trop de plaisir à remettre sur le nez des libéraux qui m’enseignaient, la série d’articles de Pierre Vallières sur la mort de Pierre Laporte. Laporte a été une victime du système qui l’a sacrifié à l’unité nationale canadienne puisqu’on en a fait un instrument pour combattre le Parti Québécois.
Est-il vrai que Pierre Laporte a été tué quand un sergent, pris de panique à l’idée que l’auto des felquistes puisse être piégée, a tiré dans la serrure, atteignant un Pierre Laporte moribond à l’intérieur du coffre de la voiture ? La rumeur alors lancé par les médias électroniques à l’effet que Laporte aurait été attaqué par des maniaques sexuels viendrait de la blessure de cette décharge de fusil. Ce point a été vite démenti à la radio, mais il a quand même existé dans les informations pour démolir la réputation du FLQ.
Le gouvernement de Robert Bourassa a-t-il versé la somme de un million de dollars demandée par la pègre pour retrouver Laporte ?
Est-il vrai que le FLQ était tellement bien infiltré qu’à chaque minute le gouvernement fédéral était informé de la santé des deux kidnappés (Cross-Laporte) ?
Pourquoi Paul Rose a-t-il été reconnu coupable du meurtre de Pierre Laporte alors qu’il n’était même pas présent sur la rue Armstrong quand Pierre Laporte aurait été tué ? Pourquoi n’a-t-on pas tenu un nouveau procès quand on apprit ce fait essentiel? La Justice en temps de crise cesse-t-elle d’exister ? Je n’y connais rien, mais je crois que ce sont des questions très pertinentes pour comprendre ce qui s’est vraiment passé.
À Sherbrooke, j’avais remis le cas de mon renvoi entre les mains d’un avocat de l’aide juridique. Le moins que l’on puisse dire, ce ne sont pas des avocats qui battent leurs œufs longtemps et fermement.
De plus, j’ai été assez naïf pour croire un conseil des responsables des cours de cuisine, pris pour me trouver un métier me permettant de ne pas vivre au crochet de la société. Selon eux, si j’en faisais la demande, je serais admis à l’école de Montréal. Je me suis fait avoir encore une fois. Suis-je fou pour être aussi naïf.
J’ai recommencé à boire. J’enfilais la bière et le vin à une allure vertigineuse.
Saoul, je me suis ramassé, sans que j’en aie conscience, dans un voyage, chez des gens de Montréal, identifiés à la direction de la grosse pègre. Ils voulaient que je collabore avec eux. Ils me feraient entrer comme journaliste au Journal de Montréal et je n’aurais que de temps en temps à avoir à passer de petits messages pour ceux qui sont en prison. C’était normal si on m’avait remarqué en prison, sauf que les personnages étaient les dirigeants de la pègre. Je ne me rappelle presque rien de cet entretien. J’ai décliné cette invitation, car je ne suis pas collaborateur de police ou de la pègre. Je suis un homme libre. Je leur fis valoir que je ne pouvais pas leur être utile puisque j’étais un journaliste en chômage et pour longtemps, car personne ne voudra de moi. Je suis retourné chez moi comme j’étais venu, sans même me rappeler si j’étais en auto ou en avion. J’ai pensé avoir été drogué.
Si je gueulais contre la visite de la reine quand j’étais saoul, sur le plan politique, je ne faisais plus rien. Je ne croyais plus. J’avais perdu mes illusions. Non seulement Bourassa se vantait, m’avait-on dit, que j’étais son pire ennemi, les péquistes me boudaient. Par contre, je faisais des critiques de livres parus dans le quotidien Le Jour.
Encore chômeur, j’ai douté de ma compétence au point d’essayer d’être accepté dans un cours de communication à l’UQAM ; mais on me refusa pour «expérience pertinente». Je n’ai jamais su ce qu’ils voulaient dire dans ce verdict.
À force de réfléchir à la question, j’ai convenu qu’il soit possible que je sois complètement incompétent, trop paranoïaque et trop radical, pour pouvoir faire une bon journaliste.
Encore une fois, je ne savais pas quoi faire de ma vie. J’apprenais à m’en ficher royalement. Tout ce qui comptait, c’était le moment présent, pas une seconde de plus. Survivre, c’était mon défi quotidien.
Quelques semaines avant les Olympiques, j’ai voulu me rendre chez Suzanne. J’avais une bonne heure à attendre. Le métro était rempli à craquer. J’ai décidé de m’y promener et y chercher une âme sœur.
Ma recherche n’a pas été vaine, j’en ai trouvé deux qui m’ont conduit au bureau de la police du métro. Ces policiers en civil m’avaient souvent vu passer à Berri. Ils avaient trouvé mon comportement suspect, après tout, la reine était pour bientôt être là. Et je suis classé parmi les dangereux de ce monde dans les fiches fédérastes. Évidemment, les policiers n’ont pas pu me retenir, car rien interdit de perdre son temps en se promenant dans le métro. Par contre, ils m’ont flanqué une charge de flânage avant de me laisser partir. Je leur avais dit que je suis journaliste, ce qui m’a probablement valu d’être emmerdé moins longtemps. Même si je n’avais pas été longtemps au bureau de la police, j’avais eu le temps d’apprendre que la police de Vancouver, une bande de royalistes, ne m’avait pas oublié.
— T’es mieux de ne pas remettre les pieds à Vancouver. On t’y attend depuis longtemps.
Un autre point : la police était surprise du nombre de livres que j’amenais avec moi, comme elle se disait agacée par la longueur de mes cheveux et mon allure de «petit voyou».
Effectivement, grâce à Gaétan Dostie, je faisais des critiques payées pour le journal indépendantiste le JOUR. C’est peut-être niaiseux, mais cela me revalorisait énormément, car j’avais un pied dans le journalisme. Il y avait au moins une personne sur terre, Gaétan Dostie, qui croyait que je pouvais faire quelque chose de bien dans la vie. Comme le dit si bien Félix Leclerc : » Si vous voulez tuer quelqu’un, empêchez-le de travailler. » Sans Gaétan Dostie, c’est probablement ce qui serait arrivé, car je me sentais de plus en plus un idiot. Je me demandais si je n’étais pas fou puisque personne ne voulait me prendre au sérieux.
J’avais payé mon billet pour me promener dans le métro. Cette expérience m’a pourtant bien servi pour réaliser la critique d’un livre sur le caractère cumulatif de la violence psychologique des gens dans la foule qui attendent les services communautaires. Finalement, j’ai été condamné à l’amende ou trois jours de prison, malgré mes explications.
J’ai interprété cette arrestation comme une tactique préventive pour me coffrer illico si jamais il arrivait quelque chose à Sa Majesté durant les Olympiques.
Trois jours, c’était juste le temps nécessaire pour me garder à l’ombre, grâce à nos taxes, et permettre à Trudeau de mépriser les Québécois encore une fois, un peu plus. J’ai de par cette injustice, été réveillé de ma longue léthargie post-prison. J’étais encore une fois en guerre avec la police des libéraux.
Je ne savais pas comment répliquer à ces méthodes anti-démocratiques préventives. L’occasion s’est présentée avec la littérature.
Gaétan Dostie organisaitdes soirées de poésie à l’occasion des Olympiques. J’ai été inscrit comme poète dans la soirée des « intervenants », en pleine go-gauche, avec les marxistes-léninistes et les féministes. Puisque je me croyais un très mauvais poète, cela me suffisait amplement. J’étais dorénavant à l’abri des arrestations arbitraires.
Je ne me tairais plus. J’étais d’autant plus révolté que le fédéral s’apprêtait à déposer une loi contre les armes, visant particulièrement le Québec. Avec le temps, je suis devenu un partisan de l’enregistrement des armes à feu, car je pense qu’au Québec, rien ne justifie le moindrement la possession d’une arme à feu.
Il y avait aussi une autre loi permettant d’emprisonner à deux ans indéfinis tout délinquant sexuel récidiviste. Cela veut dire que pour un petit attouchement, une petite masturbation ou fellation, tu peux passer le reste de ta vie en prison parce que cela s’est produit avec un mineur qui a probablement adoré l’expérience jusqu’à ce qu’il se fasse prendre. C’est pire que la prison à perpétuité, car alors tu es à la merci de tes juges et des entreprises de recherche comme du temps de la Gestapo pour le reste de ta vie. Ta vie devient un réservoir sans fond d’incertitude.
Pour moi, puisqu’on se servait de mes goûts sexuels pour m’écraser politiquement, cela signifiait être assuré très bientôt de finir mes jours en prison. Je n’avais plus rien à perdre. Je crèverais en prison, si je me faisais reprendre. Notre seul droit était de croire ce que le système veut que l’on croit, rien d’autre.
La liberté sexuelle existe seulement pour ceux et celles qui n’en ont pas besoin, car ils vivent comme le système veut qu’ils vivent. C’était payé cher de petites masturbations en couple ou des 34 et demi, car souvent les jeunes aiment seulement être sucés. La réciproque ne les intéresse pas
En participant aux activités du COJO, il devenait impossible que je sois arrêté, séquestré arbitrairement, sans que l’alarme ne soit donnée. En fait, j’ai passé ma vie à me battre pour la liberté sexuelle alors que le fait de combattre pour cet idéal me condamnait à ne pas pouvoir vivre cette même liberté pour laquelle je combats. Je pouvais à nouveau agir librement.
J’ai d’abord écrit un texte ridiculisant la bagarre qui devrait exister sur la valeur inestimable des crottes de la reine, jetée dans le Saint-Laurent, lors du passage de son bateau. Je disais qu’il faudrait les récupérer et les exposer en permanence au stade olympique, comme on le fait pour le cœur du frère André, à l’Oratoire Saint-Joseph. J’y préconisais aussi un plan de location de maisons de loyalistes le long du fleuve. Je terminais en me moquant de la venue des cadets de l’armée en disant que je ne m’y opposerais pas, bien au contraire, je serais le premier à les faire «venir».
Ce texte jugé scandaleux fut refusé dans tous les journaux, même dans Hobo-Québec. Peut-être n’aimait-on pas le passage où je disais en riant que le prince Philippe serait le juge de nos athlètes, faisant ainsi allusion à sa présumée homosexualité ?
Je me suis présenté à La Place aux poètes organisée par Janou Saint-Denis. Ce retour à la poésie m’entraîna à Radio Centreville, une radio communautaire FM, diffusant au centre de Montréal.
J’étais fier de cette découverte : une radio libre à Montréal.