Un sourire d’enfer 36
Un sourire d’enfer 36
Avec les religions, rien n’est bon ici-bas, tout est fonction de l’autre bord, de l’après mort. Et pourtant, personne ne sait ce qui se passe de l’autre bord. Il n’y a peut-être rien. C’est aussi possible que le jugement dernier, même plus plausible.
Scientifiquement, il semble invraisemblable qu’il puisse y avoir conscience après la mort. Comment pourrait-on ressentir notre réalité si nous n’avons pas un corps pour nous transmettre nos perceptions ? On ne fait que commencer à comprendre la conscience, une force reliée directement à la vie et rendue possible grâce à notre corps. Pas de corps, pas de cerveau, pas de conscience.
La conscience est un système de comparaisons entre les éléments perçus par notre corps. La mémoire nous permet de comparer notre savoir.
Par instinct, on s’accroche à la vie. Mais toutes ces interprétations ne sont que de la spéculation. Une seule chose est certaine : chaque individu devra mourir et la vie continuera sans nous. Qu’est-ce que la vie ? Des forces qui s’épuisent, se transforment ? Puisque c’est un cycle, reviendrons-nous ? Continuerons-nous à avoir une conscience, même si elle doit être différente ? Avons-nous vraiment une âme ? Qu’est-elle ?
La morale a été inventée en fonction de la vie pour la mort. Elle doit avoir la capacité d’annihiler la peur, de maintenir l’ordre.
Les religions sont de vastes fraudes intellectuelles et émotives auxquelles la jeunesse ne peut pas échapper, n’ayant aucune alternative à présenter. On ne réfléchit sur la mort, qu’au moment où elle commence à nous appeler. On découvre la vie à travers les années.
Notre philosophie de la vie est toujours pensée d’avance et très souvent instinctive. Les religions, elles, sont négatives, car plutôt que de porter sur la vie, elles cherchent à dominer en exploitant notre instabilité, à imposer leur point de vue comme si personne ne pouvait avoir raison en pensant autrement. Comme si un curé était déjà ressuscité et qu’il avait confirmé leurs hypothèses.
Depuis des millénaires, malgré les découvertes de la science, rien n’a jamais été remis en question dans ce domaine qui guide pourtant notre quotidien. N’est-il pas temps que l’on commence à s’y ré intéresser ? La religion est un mensonge.
Si le Christ est Dieu, c’est qu’il a ressuscité.
Est-ce qu’un homme peut faire autant qu’un Dieu ? La religion est une interprétation, une incantation, comme chez les païens des siècles derniers, pour subjuguer la mort, d’où à chaque fois que ces valeurs sont remises en question, il y a un retour vers le conservatisme : la peur nous gèle dans notre passé, dans une pseudo-sécurité en appartenant à la majorité. Freud ne nous a-t-il pas appris que la régression est un mécanisme de défense ?
Cela n’enlève rien à la valeur du Christ. Sa force et sa philosophie sont axées sur l’amour et la tolérance. Les livres saints sont des livres de réflexion. La Bible et la Charia nous offrent le contraire des valeurs de notre société actuelle. Elles prônent la vengeance et la haine. C’est pourquoi le christianisme est novateur. Il prêche la tolérance.
Jésus fut le chef d’une rébellion qui mérite encore toute notre admiration, car, son mouvement a renversé l’empire romain. Sans sa tolérance, son appel au bonheur, le christianisme ne vaut rien de plus que les religions païennes d’où il a tiré son inspiration spirituelle.
Il est même moins intéressant à certains égards. Il est en net recul par rapport à certains éléments de la philosophie de la Grèce antique.
Il faut avoir au moins l’humilité de reconnaître que devant la mort et le sens de la vie nous sommes encore des ignorants. Les curés sont aussi ignares autant que les autres, puisqu’en aucun temps aucun d’eux n’est revenu de l’autre bord pour nous dire ce qui s’y passe.
Les journées se ressemblaient toutes, sauf quand je me rendais à Prince George.
J’y retrouve ma seule raison de vivre : l’amourajoie.
Le soir, je me rends à la piscine ou dans les toilettes du terminus, car j’y rencontre souvent un petit Indien de quatorze ou quinze ans, qui fait tout pour m’aiguiser. Ou encore, je partage la chambre avec des petits gars de passage. Ils m’arrivent comme sur un plateau. On dirait que le directeur connait mes goûts et m’envoie les jeunes qui se présentent.
J’ai vécu ainsi une aventure d’une semaine avec un jeune albertain d’au moins seize ans. Francophone, il avait été assimilé à cent pourcent. Il ne savait plus un mot de français. Nous partagions la même chambre, aussi n’avais-je pas hésité à lui tenir la conversation, glissant à quelques reprises ma fascination pour sa beauté.
Il était très scrupuleux, très attentif à tout ce que les autres pensaient de lui. Quand il s’est déshabillé, il semblait mal à l’aise comme s’il aurait pu être vu par toute la ville.
— Sois sans crainte, les fenêtres sont trop hautes. Personne ne peut te voir ici.
— T’en es sûr ?
J’écrivais une lettre dans laquelle j’exprimais mon vif désir pour ce petit blondin et le désappointement de demeurer sur ma faim. Plus je le regardais, plus je le trouvais beau. Je ne pouvais pas m’empêcher de le toucher. Comment faire? Je discutais avec lui, tout en le mangeant des yeux.
Un moment donné, j’ai vaguement eu l’impression qu’il venait de comprendre mon intérêt. Non seulement il me tenait compagnie, mais il se mit à poser.
C’est invraisemblable ! Combien de jeunes se trouvent laids et sont étonnés que quelqu’un puisse, au contraire, en être fasciné. Dans ce cas, les jeunes trouvent beaucoup d’avantages à connaître l’amourajoie. Ils se sentent enfin revalorisés, voulus, aimés, adorés quand ils rencontrent un véritable amourajeux.
Seul un beau jeune homme comme lui me permet de connaître cet état d’esprit. C’est une espèce d’ensorcellement, d’envoûtement, une dégustation de l’âme dont la faim ne s’épuise jamais. Au lieu d’être coupable d’être amourajeux, je ressentais davantage le privilège relié à cette déformation de l’attrait sexuel. Une raison de remercier Dieu. L’amourajoie est une félicité indescriptible, le langage d’âme à âme. Une complicité. Un échange d’énergies vitales. Elle enveloppe la pédérastie qui elle est plus génitale.
Cette aventure passionnée avait des effets très positifs sur lui. En ma compagnie, il semblait moins gêné, plus capable de converser avec les autres, plus sûr de lui et plus fier de son corps. Sans qu’il n’en dise mot, je le savais auparavant un petit complexé. Il ne passait plus d’heures seul à se tourner les pouces et à brasser du noir. Depuis notre aventure, il nous accompagnait au restaurant, prenait part aux discussions.
Quand je l’ai quitté ce n’était plus le même petit gars. Il ne m’attachait plus d’importance. Il cherchait ailleurs pour savoir s’il pourrait revivre avec un autre ce qu’il venait de découvrir. Et, ça semblait très bon. Il avait enfin saisi le vrai sens de la vie : chercher le bonheur. Notre société ne nous apprend à nous mépriser si on a le malheur d’avoir la libido un peu forte.
Dans la Colombie britannique, les gens étaient généralement très gentils. C’était un charme d’y faire du pouce. Les vieux étaient particulièrement attachants.
L’un d’eux a déjà fait 200 milles de plus parce qu’il aimait discuter avec moi. Il prétendait être un ami du premier ministre du BC. Tout y est passé : l’éducation, la révolution, les problèmes du Québec, etc.
À la fin de la journée, il me laissa sur le bord de la route puisqu’il devait se trouver un endroit où passer la nuit. La pluie commence à tomber. Le vieux revient presque aussitôt parce qu’il ne veut pas que j’aie de la misère. Nous discutons à nouveau jusqu’à minuit et le lendemain, il fait un cent milles de plus pour nous donner le temps de finir nos argumentations.
Quand il m’a laissé, nous étions devenus de bons amis. Il m’a souhaité la meilleure chance possible et en me regardant du coin de l’oeil, il me dit : » Pas trop de FLQ ! »
Je n’avais à aucun moment parlé de violence. Peut-être m’avait-il perçu autrement que je le croyais. Ce vieux était formidable. Il a abandonné une haute situation pour s’acheter une ferme, vivre une dernière idylle avec sa maîtresse d’école et voyager. Il était bien plus jeune, malgré son âge, que bien des jeunes que je connais.
J’étais aussi très fasciné par les clochards. J’apprenais beaucoup de choses d’eux, même si plusieurs après quelques paragraphes se mettent à déparler. Comment peuvent-ils vivre dans un tel état de mendicité ? D’où tiraient-ils leur courage ? Souvent ce sont des gens qui ont eu une fortune ou de belles situations. Ce sont toujours des gens qui n’ont pas su surmonter leur difficulté. Ils ont décroché lors d’une trop grande épreuve qui les a marqués à jamais. Ils sont beaucoup plus à plaindre qu’à blâmer.
J’y voyais ma vocation. Un ami qui a fait ma carte du ciel m’a prédit que je mourrais dans la mendicité la plus absolue… il suffit d’une crise économique pour que sa prédiction se réalise, car je vis seulement avec ma pension de vieillesse.
Je me retrouvais en eux. Comme eux, j’étais banni. Politiquement catapulqué, socialement scandalisant.
Comment échapper à ce destin ? Je ne voulais plus endurer les jugements des supposés gens de bien. Je me voyais déjà un clochard. J’aime boire. Je suis un raté par excellence. Trop honnête pour être journaliste, trop vieux pour changer de métier, trop radical et politisé pour avoir un emploi stable.
Comme Samson, je tenais à mes cheveux et à ma langue. Vivre sans passions, sans amourajoie, autant crever.
Je ne pouvais pas avoir d’autre avenir que d’échouer. Après être exclus des journaux, je serai oublié dans la mer littéraire. On trouvera bien une raison pour m’empêcher de publier.
J’irai mourir dans une chambre de Bagota, poignardé par un inconnu. Je mourrai en l’embrassant ou en le suçant, en pleine éjaculation. Ce jour-là, le soleil sera heureux. Il aura récupérer quelques rayons perdus dans ma carcasse. Le seul moyen de bien mourir, c’est de bien vivre.
L’éternité est à l’image du moment de ta mort d’où faut-il bien vivre chaque instant pour ne pas être surpris au moment où tu es malheureux, car tu le serais à jamais, si éternité il y a.