Un sourire d’enfer 35
Un sourire d’enfer 35
Le lendemain matin, Jimmy était gravement malade. Il faisait une fièvre de cheval. J’ai demandé au responsable que Jimmy reste au lit jusqu’à ce qu’il soit passablement rétabli. Ce fut refusé. Toute la charité chrétienne ressortait avec son vrai visage.
Nous nous sommes rendus à l’hôpital où nous où nous avons bénéficié du service de l’assurance-santé du Québec à l’étranger. C’est quand même assez extraordinaire. Le médecin nous a fait savoir que les voyageurs attrapent facilement cette maladie en se rendant au Mexique. C’est la vengeance des Dieux contre les Blancs qui ont presque exterminé tout le monde au nom de leur foi et de l’or.
J’ai ensuite attrapé la même maladie. Une fièvre à te faire fondre, accompagnée par de soudains maux de ventre et une envie de chier immédiate. C’était plutôt déplaisant.
À San Francisco, le premier soir, je m’installe chez les Krishna. J’ai cru mourir en rampant dans les escaliers vers les toilettes.
Je suis dans le quartier noir. J’aime bien la ville, quoique je la trouve trop violente. Partout, tu sens une grande tension. C’est la visite des parcs. La parade du Jour de l’an chinois, le jour de ma fête.
Je recommence à vivre un peu plus libre. Je demande à un noir ma direction, il me renvoie à un blanc quand je lui dis que chez nous le racisme n’existe pas. Il est étonné. Peut-il exister un pays où les Blancs ne sont pas racistes ?
Nous discutons et je continue avec toutes les informations nécessaires. Il vient d’apprendre l’existence du Québec, un pays dont il rêve déjà.
Avant de partir, je me rends à la gare avec Jimmy. Je décide de passer la prochaine et dernière soirée en m’offrant un service d’accueil gai. Jimmy ne veut rien savoir, il est hétéro. Nous nous chicanons, car il ne veut pas qu’on se sépare, mais nous décidons de respecter, comme convenu, notre autonomie individuelle.
Le soir, j’aboutis dans les draps d’un directeur de journal qui n’en revient pas d’être enfin couché avec un Québécois, car, nous avons une sur-réputation.
C’est ensuite le retour à Vancouver. Je retrouve Jimmy qui m’explique avoir couché avec un noir. Je suis épaté. Jimmy est bourré de poignons. Est-ce vrai ou encore une de ces inventions ? Une chose certaine, ça payé.
J’avais appris beaucoup quant à la solidarité internationale.
Je croyais possible une intervention politique des pays riches comme le Québec en faveur des pays sous-développés. Je m’étais trompé.
D’abord parce que les gouvernements riches protègent toujours les multinationales. Dans les pays faibles, la syndicalisation n’a pas encore assez de force pour que soit créé mondialement une échelle minimale des salaires et de conditions de travail.
Presque tous les pays pauvres sont soumis à des exploiteurs bourgeois ou une dictature. Les seules interventions possibles sont une meilleure circulation de l’information internationale ; l’organisation à l’échelle planétaire du boycottage des produits des multinationales qui ne respectent pas les peuples.
Il faut forcer les pays riches à ne pouvoir aider les pays pauvres qu’en versant directement des allocations familiales pour garantir que l’aide se rende vraiment au peuple. C’est le seul moyen de s’assurer que les argents ne sont pas toujours récupérés par une petite clique.
Chose certaine, le communisme est pour de nombreux peuples le seul moyen de s’en tirer sur un plan économique, mais ils sont malheureusement les esclaves du communisme idéologique, qui n’a aucun respect pour l’individu. La liberté n’est pas au rendez-vous.
Quant au capitalisme, s’il veut survivre, il n’a qu’un moyen de combattre efficacement le communisme : fournir une qualité de vie qui ne sera jamais atteinte par le communisme. Le capitalisme doit aussi dompter ses multinationales pour qu’elles apprennent que la vie humaine est plus importante que les profits.
Quant à la domination armée, il semble évident qu’elle ne sera bientôt plus possible à une échelle planétaire.
C’était de bien grandes considérations pour des personnes aussi peu importantes que moi et Jimmy.
Les dix mois suivants ont été presque sans histoire. Je travaillais quasi quotidiennement à la rédaction d’un nouveau roman : La fin d’un état.
De temps en temps, j’écrivais des lettres ouvertes ou je faisais parvenir au Québec des découpures importantes de journaux politiques. Parfois, j’envoyais des découpures de MAD au gouvernement du Québec. Question de rappeler mon existence à Bourassa et de remettre mon petit grain de sel dans le combat.
J’étais tombé dans le piège de la monotonie. Non seulement les journées se ressemblaient, mais leur platitude compétitionait avec les gouttes d’eau, car, il pleut tout le temps, à Vancouver.
À Vancouver, l’hiver, c’est de la pluie, de la pluie et de la pluie. La pluie, c’est suicidaire.
Les jours de soleil nous passions des heures à examiner les pigeons se fasciner avant de copuler ou les chauve-souris étendre les ailes, au Stanley Park.
Je me tenais avec les Québécois. Nous discutions du pays sous toutes ses coutures. Jamais je ne me suis autant ennuyé de la culture du Québec.
Les discussions étaient souvent plus détendues.
Plusieurs jeunes Américains étaient convaincus que la fin du monde était pour bientôt. Cela correspond bien à leur peur du Péril jaune, du péril communiste, du péril économique, du péril d’être descendu en faisant du pouce, des périls de toutes sortes, inventés par le système pour conserver de bonnes raisons de maintenir un arsenal de premier ordre, tout en laissant poiroter ceux qui n’ont pas la chance d’être riches.
Presque tous les jeunes Américains attendaient un messie. J’avais fait la connaissance de ce phénomène en Europe, en 1972. Plusieurs jeunes étaient convaincus de la renaissance prochaine du Christ.
Cela peut plaire aux curés, mais c’est plus un danger qu’un élan vers la sagesse. Espérer un messie, c’est exprimer le désespoir qu’engendre notre civilisation.
Pire, le désespoir d’y jamais voir une solution à moins d’une intervention extérieure, au-delà des forces humaines.
La religion avait pris des proportions inquiétantes. Ces nouveaux disciples du scrupule, les puritains modernes, étaient radicaux comme les Blancs à leur arrivée en Amérique. Ceux-ci tuaient au nom du Dieu de l’Amour. Hors de la foi en Jésus pas de salut !
C’était à l’inverse, d’un noir que j’ai rencontré à San Francisco, il s’exerçait à tous les jours en vue du grand jour où les Noirs balanceraient les Blancs dans l’éternité.
Tous ces jeunes étaient désespérés, perdus, le disant de différentes façons.
Le désespoir, c’est de cesser de croire dans la société et encore pire, en l’Homme. C’est la solitude, l’échec de sa sensibilité.
Pour tenir conversation et mieux connaître ces jeunes, j’ai aussi raconté mes rêves à caractère religieux. Deux les excitaient particulièrement. Le premier se résumait comme suit :
» Je descendais l’escalier avec un autre garçon. Soudain, des bruits à l’étage supérieur. Nous comprenons tout d’un coup. Nous sommes les deux seuls survivants de l’humanité. Nous courons sachant très bien qu’il faut assurer la survie de la race humaine alors que l’on veut attenter à nos vies. Comment procréer, il n’y a plus de femmes. Nous réfléchissons. Des images s’accélèrent dans ma tête. En cinq minutes, je visualise et ressens l’histoire de l’humanité. Plus cette vision s’accélère, plus je suis impressionné, plus je me sens heureux. À la fin de cette vision, je comprends le principe de la création du monde. Dieu a créé le monde en se masturbant. Je ressens une douleur dans la nuque et je m’effondre. »
Le second rêve était beaucoup plus messianique :
» Je suis soudainement englouti dans une tempête. Le vent. La pluie. La grêle. Un tremblement de terre. Le mont Orford, devant moi, se dé souffle comme un ballon libéré de son air. Je suis près d’un poteau et d’une auto. Les éclairs surgissent de partout. Je suis touché. Je sens l’électricité me mordre et se propager dans tout mon corps. Un autre éclair frappe un buisson devant moi. Il brûle, mais ne se consume pas. Je comprends tout à coup la fascination exercée par ce phénomène. C’est le Dieu de la Bible. Enragé, je lui reproche les guerres et la violence. Soudain, je ressens à l’intérieur de moi, la réponse. Je revis la création et l’évolution du monde. J’admets mon orgueil. Chaque étape de la vie défile devant moi avec ses changements. Je suis émerveillé par la Sagesse de Dieu. Je me lève et je perçois de l’extérieur un prophète aux cheveux et barbe totalement blancs. Il est comme Moïse, il va avec son bâton. C’est moi. «
À cause de ces rêves, je pouvais difficilement reprocher aux jeunes de s’aventurer dans les sentiers émotifs vilement exploités par les gouvernements. J’en connaissais leur force d’attraction. J’ai toujours été très profondément religieux, même si j’écris contre les religions.
Cette fièvre religieuse chez les jeunes laisse présager beaucoup plus de violence, de folie que d’amour. C’est le lien entre le désespoir et la révolte. Les balbutiements de la négation de la foi par la foi, car cet élan de conscience, de mysticisme, ce cri de culpabilité entraîne impitoyablement une autre révélation encore plus dure à prendre : la corruption de toutes les religions.
La religion servait anciennement de code criminel, civil et moral. Les prêtres veillaient à maintenir le ciment de l’autorité, autorité qu’ils partageaient avec grands bénéfices. Ils étaient les guides, les médecins, les juges. C’étaient eux, en vertu du pouvoir religieux, qui conféraient la divinité au pouvoir civil, au roi.
Les prêtres se sont petit à petit enfermés dans leur caste, continuant à régir et à interpréter la vie, selon leurs visions et les connaissances de leur temps. Ils ont essayé d’imposer leur chasteté pour des raisons militaires et économiques. On croyait qu’un soldat sans relation sexuelle était plus enragé, donc, plus efficace. La femme était reléguée au second rang. Elle était la mère. Tout leur enseignement a dévié, ne servant plus à explorer, mais à dominer.
Leurs recherches, étant inscrites comme vérité avant même de connaître les résultats, ont donné lieu à des règles morales et sont devenues les grands réservoirs d’hystéries et de névroses.
Peu d’intelligence peut sortir des religions, car, elles rejettent la réalité : le corps et la matière. Tout le reste découle de cette folie. La peur de la mort en est le summum et l’aboutissement de cette erreur de point de vue.
La religion se nourrit de la peur, engendre l’hypocrisie et la violence, car, en partant elle nie notre réalité, la valeur de notre existence.