Un sourire d’enfer 34
Un sourire d’enfer 34
Dans quel enfer nous étions-nous embarqués ? Nous regrettions tous les deux de nous être rendus aussi loin, dans un milieu aussi hostile. Seul un miracle pouvait nous y faire rester.
En me promenant, j’ai remarqué le sourire d’un petit cireur de souliers. J’étais pâmé, conquis, comme les petits Mexicains sont beaux ! Ils sont même plus beaux que les fleurs. Plus attirant que les pentes de la Sierra. Ils éclatent comme des comètes entre les eaux sur les bords de la plage du Pacifique.
Je lui ai donné des sous pour mieux ressentir mon effusion de joie à contempler autant de beauté. Quelques minutes plus tard, il est arrivé avec un petit compagnon encore plus beau. Mais, plutôt que de sourire, celui-ci me montra un poignard. Ça annonçait bien.
Nous avons parcouru le pays en autobus à toute vitesse. Ce peuple me fascinait. J’aurais couru dans les montagnes où sans l’image de la Madone, tu respires pour la dernière fois. J’étais aussi étonné de l’aridité du sol. De la pauvreté des petites villes, mais aussi par leur beauté, leur originalité. Hasard? Des dames et leurs petites filles tentaient de nous faire la conversation.
Dans les terminus, alors qu’on nous demandait le double du prix quand on voulait acheter des produits, des gens du pays intervenaient pour les faire descendre. Pour eux, nous n’étions pas des Américains.
À notre arrivée à Mexico, deux jeunes Mexicains nous ont servi de guides. L’un d’eux était de toute beauté. Le plus vieux avait déjà saisi mes attraits, car à un moment donné, il m’a fait remarquer que son petit compagnon avait un très joli derrière. Quoi de plus clair ? Nous nous sommes installés dans un hôtel de la rue des Enfants perdus. J’ai été surpris du degré de pollution à Mexico. Je croyais que les pays que l’on disait pauvres avaient au moins échappé au cancer de l’automobile.
Nous nous sommes rendus aux pyramides. Sur la pyramide du Soleil, j’ai fait des incantations. Les pyramides expliquent bien comment la religion a toujours joué un rôle politique. Lorsque les Indiens avaient assez de prisonniers, ils devaient être offerts au Soleil. Le peuple était rassemblé. Il y avait une fête et l’on fumait des drogues légères. Les prisonniers étaient alors montés sur le sommet de la pyramide pour y être sacrifiés. Les Mexicains nient l’existence de ces sacrifices humains.
Les premières marches se montent facilement. Plus tu montes, plus l’escalier est étroit et plus la pyramide est difficile à escalader. Quand tu redescends, tu dois te tenir pour ne pas piquer du nez. Cela permettait aux prêtres de prouver que près du Soleil, personne ne peut demeurer debout. C’est grâce à ces pyramides que les religieux avaient autant de pouvoir. Les marches étaient telles que, souvent en descendant, des prêtres tombaient en bas et se tuaient.
Lors de notre retour des pyramides à Mexico, nous avons rencontré un blanc qui prétendait venir d’Australie et qui voulait assurer notre protection. Il nous disait trop jeunes pour voyager seul. Ce fut le seul personnage qui, je crois, en a voulu à nos portefeuilles.
Nous parcourions des distances effarantes en autobus. Jimmy ne voulait plus se rendre dans les forêts, il voulait à peine sortir de la chambre d’hôtel. Il expliquait sa peur sous le prétexte de ne pas parler la langue du pays. À cause de cela, je n’ai presque rien vu du Mexique, du moins, à mon goût. J’y ai trouvé des jeunes extrêmement sympathiques. Le Mexique est dix fois plus vivant que l’Ouest canadien.
Un midi, je me suis garroché à l’eau pour suivre un petit gars et j’ai découvert que l’eau du Pacifique est chaude, à Puerto Vallarta.
J’étais tellement heureux, j’ai oublié d’enlever la ceinture dans laquelle je gardais tous mes papiers d’identité et mes chèques de voyage.
J’étais fasciné par les petits qui se baignaient nus et un des leurs qui portaient une belle petite culotte par laquelle je pouvais me rendre témoin à savoir que les petits Mexicains ne sont pas circoncis, ce qui ajoute à leur charme. J’ai suivi ce garçon. Il me regardait, me souriait. Je l’adorais davantage. Il me conduisit directement à sa famille. J’ai pu y boire de la téquila et manger des huîtres que les adultes allaient directement pêcher à la mer. Tout ce que je savais dire en espagnol de manière à me faire comprendre : « je n’ai plus d’argent. Je ne suis pas Américain. Je suis français du Québec. Vive la révolution ! » Ce fut un après-midi extraordinaire. Je me sentais comme un touriste plus que bienvenu. Pratiquement un frère en visite.
Le retour obligatoire m’a enlevé la joie de pousser plus loin ma curiosité quant aux usages de ce peuple. Voyager, ce n’est pas toujours aussi simple que ça parait. J’ai dû faire des milliers de milles sans rien voir de particulier. Ce fut presque le cas pour le reste du voyage.
J’ai, dans la mesure où j’ai pu m’en faire une idée, trouvé le peuple mexicain extraordinairement vivant et beau. Il est vrai qu’à cette époque, en voyage, je n’avais d’yeux que pour les petits gars. Chez les Mexicains, je n’étais pas un gros cochon, un monstre, mais un gars très sympathique. Je suis certain que les parents avaient très bien compris mon centre d’intérêt, car, ils invitaient les jeunes à se tenir avec moi. Je me sentais un ami qui essaye de parler espagnol et qui manifestement aime les petits gars. Un voyageur mexicain, m’a ensuite appris qu’au Mexique aimer les enfants, c’est rendre le plus grand hommage possible aux habitants, car, les enfants, c’est leur fierté. On n’est loin de la paranoïa québécoise qui voit des prédateurs sexuels partout, comme si on sautait automatiquement sur tous les jeunes que l’on rencontre.
Une seule chose m’a royalement déplu : la saleté des toilettes publiques. C’était carrément dégueulasse.
Retour à Los Angelès. Nous décidons d’entrer dans les terres pour y dénicher un travail et pouvoir retourner au Mexique et si possible, en Amérique du Sud, dès qu’on aura assez d’argent.
Par contre, la chicane est de plus en plus vive entre moi et Jimmy. Je lui pardonnais mal sa peur maladive des Mexicains alors qu’il avait toujours joué au brave, à l’exploiteur en herbe.
Le travail est rare et la rémunération est très faible. Nous nous sommes embarqués dans un bateau qui prenait l’eau : travailler en voyageant. C’est plus facile à dire qu’à faire. Les Chicanos sont surexploités, c’est connu de tout le monde. Et, nous sommes avec eux à chercher le même soutien économique.
Dans une petite ville, le soir, nous décidons d’aller coucher dans un Jesus Save. Nos finances sont trop basses pour se payer une chambre.
Nous avons dû attendre plus d’une heure avant d’entrer dans le Jesus Save, à San Francisco. Les dirigeants nous mangeaient au nez un succulent repas.
Pour avoir droit à la nourriture, il fallait nécessairement assister au sermon. Nous attendions impatiemment.
À l’église, un gros bonhomme me sourit à pleines dents. Il vint s’asseoir près de moi. Après le sermon, il commence à me tâter les mains, me priant de me rendre avec lui à la confession. Je n’étais pas d’humeur à me laisser charrier dans leur folie religieuse.
À la salle à manger, nous avons droit à un petit bouillon de poulet, probablement extrait de ceux que nous les avions vu manger par les dirigeants.
Un des responsables s’installa devant moi et commença à me sermonner.
«J’aurais dû aller à la confession. Je suis trop jeune pour voyager. Mon pays a besoin de toutes nos énergies. Je devrais cesser de voyager et me faire couper les cheveux.», me disait-il. Je l’ai laissé aller jusqu’à ce qu’il me tape trop sur les nerfs.
— Je voudrais, Monsieur, que vous me fichiez la paix. Je ne suis pas Américain et je ne veux rien savoir de religions subventionnées par la CIA.
— Tu ne crois pas à la Bible ?
— La Bible est un bien beau livre. C’est l’histoire de la résistance, de la délivrance d’un peuple. Le peuple Juif. Ce sont les enseignements que les chefs tiraient des événements et qu’ils expliquaient dans des fables. Vous le savez comme moi.
— Vous ne croyez pas en Jésus ?
— Écoutez ! Je sais que votre mission est subventionnée par la CIA. C’est un moyen d’essayer de récupérer les jeunes qui une fois écrasés dans leur misère essaient d’y échapper, en faisant semblant, le pire en y croyant parfois, que Jésus vint les sauver.
Quand t’as rien à manger, tu peux croire n’importe quoi pour bouffer. Vous savez, comme moi, que la religion est une institution carrément politique.
On en a inventé de toutes les sortes pour diviser les hommes, car les guerres, c’est ce qui paye le plus. Les gens sont simplement trop bêtes pour se rendre compte que l’ensemble de l’humanité est dans la misère pour engraisser les trafiquants d’armes, les producteurs d’idéologies, de peurs et de tabous.
Les vieux m’écoutaient, malgré mon mauvais anglais. Le curé rougit. Il ne sait plus trop quoi dire. Il ne s’attendait pas à se faire répondre ainsi.
Aux États-Unis, plusieurs sectes religieuses ont été formées par la CIA. Elles devaient essayer de récupérer les jeunes drogués. C’est pourquoi les voyageurs devaient assister à des séances religieuses pour avoir droit de manger.
D’autres ont été une réponse à la répression. Les mouvements de gauche devant la persécution, l’assassinat par centaines de Black Panthers, ont essayé de se sauver en s’impliquant dans une nouvelle forme de révolution sociale : la Bible. Ce livre est un des meilleurs exemples de communisme.
Certains ont conservé cette illusion, plusieurs ont pris cette recherche au sérieux.
Les plus affectés par la persécution de la police américaine ont démesurément poussé leur paranoïa. Sous cet angle, le suicide de Guyane de plus de 900 personnes se comprend plus facilement. Il sert à discréditer les sectes. Leur rôle ayant échappé à la police.
D’autre part, un peu partout des gens avides de profits vite acquis ont sauté sur la religion, le moyen par excellence d’exploiter la naïveté humaine, surtout les pauvres.
Le curé m’a laissé tranquille. Nous devions attendre avant de pouvoir nous coucher.
Un des responsables nous a avertis qu’il fallait obligatoirement prendre une douche pour avoir un lit.
Tout m’a paru bien normal jusqu’à ce que je m’aperçoive de l’intérêt du gardien quand je me suis déshabillé. J’ai dès lors compris l’intérêt spirituel des dirigeants qui passaient par un regard qui valait bien mieux qu’une confession.
Si le surveillant avait pu me faire fondre la queue du regard, j’en aurais pu depuis longtemps. Je n’ai jamais autant fasciné quelqu’un. Ça flattait mon égo, mais en même temps, j’étais vexé à cause de l’hypocrisie.
Je savais qu’en Californie être gai est chose courante. Pourquoi ne pas le dire carrément plutôt que de trouver mille artifices pour te faire descendre le pantalon? C’est tellement mieux quand on est tous d’accord.
Je demeure malgré tout un gars profondément prude.