Un sourire d’enfer 33
Un sourire d’enfer 33 Grâce au responsable de l’Hostel, j’ai trouvé un emploi à la piste de ski. C’était surtout de la pelle, mais le travail ne m’a jamais fait peur. Nous avons aménagé la piste. Jimmy fut ajouté à l’équipe de travail.Notre patron immédiat était d’abord un homme charmant avec une moustache blanche comme la neige. Il faisait montre de beaucoup de gentillesse, particulièrement à mon égard. Il aimait me faire raconter le Québec et rêver de voyages. Grâce à lui, j’ai pu dès que la piste fut prête, recevoir les jeunes et les moins jeunes au haut de la piste pour les aider à débarquer du monte-pente. Je devais arrêter cet appareil dès que je croyais qu’il y avait un danger, maître de la sécurité. J’étais heureux, je chantais, je dansais. Je donnais des chips aux enfants en passant. Les jeunes et leurs parents me le rendaient bien. Pour Jimmy, la vie était moins facile. Son grand patron était une espèce de raciste, un Anglais qui avait quitté le Québec avec octobre 1970. Il lui donnait toujours les pires corvées. Un après-midi, après une tempête, il fit courir Jimmy devant son Bombardier pour qu’il écarte les «T» plus vite. Plus Jimmy courait, plus le patron faisait grimper la vitesse. Je n’en revenais pas. Je n’avais jamais voulu croire Jimmy quand il me parlait de discrimination. Je le pensais plutôt trop paresseux. Jimmy était à bout de souffle, près du Bombardier. » J’aurais voulu avoir un revolver et le tirer », de dire Jimmy. Notre amitié m’attira les mêmes ennuis. Plus question de travailler avec mon moustachu que j’avais surnommé Papa. Il le regrettait bien, mais il ne voulait pas perdre son emploi, car il était moins élevé dans l’échelle hiérarchique du patronat, par rapport à celui qui s’occupait de Jimmy. J’ai été muté à la pelle, puis, à laver les toilettes. Je m’en fichais, c’était de l’argent pour notre voyage au Mexique. Le grand patron a doublé d’ardeur. Il cherchait par tous les moyens à m’humilier, même si j’étais moins bien servi que Jimmy quant à ce qu’il fallait endurer. Peut-être était-ce aussi parce que Jimmy en plus d’être francophone ressemblait comme deux gouttes d’eau à un autochtone. Les jeunes manquaient leur Alouette. Après leurs démarches en ma faveur, j’ai été réinstallé dans mes fonctions en haut de la piste. Cette fois le grand patron se mit dans la tête que j’arrête à la main… tous les «T» à leur arrivée. J’ai obéi. Ce n’était pas assez dangereux, il exigea que je les arrête plus loin. J’ai refusé, je risquais à chaque fois d’être blessé. Pour m’assurer que je lui obéisse, il a nommé son petit favori pour m’observer. Peu de temps après, j’avais un nouveau patron. Le jeune riait de nous faire exécuter toutes les sales besognes. À tout moment, il nous lançait des bêtises parce que nous étions francophones. J’ai écrit une lettre de protestation au conseil municipal de la ville. Le lendemain, le jeune y allait plus fort que jamais. Je me suis emporté et en anglais je lui ai dit : « Tu es jeune. T’es très beau. Tu es en bonne santé. Si tu veux le rester, fiche le camp tout de suite, sinon je te casse les deux jambes. » Le jeune s’est mis à rire de son frog. Je n’ai pas perdu une seconde et je suis parti après lui, la pelle dans les airs, prêts à lui faire avaler ses sarcasmes. Il a eu peur en maudit. Il s’est rendu pleurnicher à son cher grand patron. Ce dernier n’en revenait pas, non seulement je maintenais mes menaces, mais je l’informais d’avoir déposé une plainte au conseil municipal ; plainte que j’avais aussi fait parvenir au journal local. ———–Entre temps, la semaine suivante, j’ai reçu une lettre qui m’a profondément bouleversé. Jeff Brown et son épouse, d’Edmonton, m’annonçaient avoir perdu leur emploi. J’étais consterné. Je me sentais coupable, car si je n’étais pas passé à Edmonton, cela ne serait jamais arrivé. Mme Brown avait décidé de publier intégralement ma lettre ouverte dénonçant la francophonie de l’Ouest comme artificielle et bénéficiant qu’à une petite bourgeoisie, appuyée principalement sur le clergé. Même si Mme Brown travaillait depuis neuf mois au Franco-Albertain, qu’elle était bien correcte avant, elle avait accepté de publier ma lettre, ce qui la rendait incompétente. Quelle liberté d’expression ! Son mari qui travaillait à la station de radio a démissionné pour appuyer son épouse. Il a lu entièrement sa lettre de démission sur les ondes. Ce sentiment de culpabilité m’était presque inconnu. Je me rappelai qu’un attaché de presse de la John’s Manville avait perdu son emploi pour avoir été franc avec moi alors que j’étais journaliste. Il m’avait donné des informations qu’il ne devait pas livrées. La liberté de presse existe seulement pour les patrons. Mon ami Jean en avait profité pour me discréditer à la CSN, comme si j’en avais été responsable. J’ai protesté dans les journaux tant de l’Ouest que du Québec, contre ce congédiement dégueulasse, mais personne n’en a parlé. J’ai écrit au Secrétariat d’État et au bureau de M. Spicer, ça n’a rien donné. Je commençais à apprendre pourquoi au Canada les deux peuples fondateurs n’ont jamais su se comprendre. Les francophones bourgeois censurent tout ce qui ne leur convient pas comme le faisait l’Église quand il était question de sexe. ————————– Après discussions, nous avons décidé de quitter l’emploi à Prince George, malgré nos démarches pour nous faire respecter ; nous ne voulions pas nous occuper de politique. Notre but était d’avoir des sous pour voyager. Avant de partir, nous avons appris qu’il y avait eu sabotage à la Baie James. La nouvelle a eu l’éclat d’un retour en force du FLQ. Je ne sais pas si la nouvelle a été aussi fracassante quand il a été prouvé que le principal accusé était libéral. Le sabotage de la Baie James a-t-il été pensé dans les officines du parti libéral pour faire croire qu’il s’agissait de l’œuvre de péquistes, seul groupe officiellement opposé au projet, car il préférait le nucléaire ? À Vancouver, nous nous sommes installés dans un nouvel hostel du gouvernement. Au cours de ces journées, j’ai pu constater que le bilinguisme n’existe à toute fin pratique qu’à l’été. Ainsi, les jeunes pensent vivre dans un vrai pays bilingue. Certains travaux temporaires étaient permis sans nous enlever le droit de recevoir le bien-être. Les francophones étaient toujours les derniers servis. Nous avons contesté cette situation, ce qui nous a valu d’être menacé d’expulsion. Fort heureusement, j’ai passé une journée seul à l’auberge ce qui a permis au dirigeant de mieux me connaître. J’ai appris à mieux tirer mes épingles du jeu, en sachant dorénavant qu’il était gai et que je lui avais tombé dans l’œil. Quelques jours plus tard, je travaillais avec Jimmy dans une espèce de marché de fourrures. Notre patron était un Juif de Montréal. Il parlait français et il était extrêmement gentil avec nous. Il nous expliqua tout ce que nous voulions savoir, ce qui le paya bien d’ailleurs. Nous devancions ainsi les expertises pour lui indiquer les plus belles peaux, ce qui lui permettait de précéder tous les autres acheteurs. En voyageant sans argent, tu apprends à être moins puritain. Mes petites tendances à l’alcoolisme avaient trouvé moyen d’être assouvies, sans que nous ayons à travailler ou se servir de ce que nous avions amassé. Nous quêtions le premier 0.25$ nécessaire à payer la première chope de bière et nous nous rendions dans une taverne gaie. Nous nous faisions ensuite payer la traite pour le reste de la journée et de la soirée. Ça ne manquait jamais. Les propositions étaient très nombreuses. Nous étions bien accueillis et bien aimés. Il m’est arrivé deux fois de tomber sur des racistes. Chaque fois, la conclusion était la même. Je m’emportais. Un petit exemple. J’ai été racolé aux pissotières du terminus par un bonhomme d’une cinquantaine d’années. Il m’amena chez lui dans un magnifique appartement surplombant Vancouver. Le bonhomme me fit boire et nous avons commencé à nous caresser sur le tapis du salon. Le bonhomme voulait que j’aille avec lui partager un plus petit logement dont j’aurais évidemment payé une partie des dépenses. Nous avons bu et le bonhomme m’a à nouveau sucé. Jeune, tu fais vite le plein. Nous avons continué de boire. À un moment donné quand je bois trop, je pette les plombs. Il s’est mis à parler contre les francophones. Nous étions malpropres, mal élevés, sans élégance. Savait-il que j’en étais un ? À cette époque, je parlais anglais sans trop d’accents. Je lui ai fait savoir. Il sembla très surpris, mais trop orgueilleux, il a continué à gueuler contre les miens, tout en me disant bien évidemment très différent. Il comparaît les francophones à des maringouins, sans âme, ni tête. Je me lève, je me dirige vers lui. Je devais avoir l’air de ce que je ressentais. — Qu’est-ce que t’as ? — Je savais que je ne ferais rien, car je ne suis pas violent ; mais je voulais qu’il réalise, en ayant un peu peur, la stupidité de ce qu’il disait. — Je vais te tuer. Je suis aussi bien de le faire tout de suite. Je ne peux pas être accusé, je suis un insecte irresponsable. Le pauvre s’est mis à blanchir. Il m’a invité à continuer à boire avec lui disant que nous ferions à nouveau l’amour. Il m’a raconté avoir été danseur, tout en me donnant une démonstration. Puis, il m’a invité au restaurant où il a profité de ne plus être seul avec moi pour filer à l’anglaise. Dommage, il me plaisait vraiment au début. Maudite boisson! Maudit racisme ! Non seulement, j’étais moins puritain quant à me laisser payer la bière, J’avais l’entrejambe en offre permanente. Je ne demandais jamais un sou, c’est contre ma vision de la sexualité ; mais j’acceptais de profiter du bien-être que ça me procurait. Quant au bien-être, payé par le gouvernement, on poussait même la légalité au pied du mur. — Il en coûte 500 millions $ par année au Québec pour être citoyen du Canada, n’est-il pas normal et juste que nous en profitions un peu ? Après avoir reçu le bien-être social, nous prenions, Jimmy et moi, notre billet d’autobus pour la Californie. Jimmy avait l’intention d’aller vivre dans les tribus primitives. J’en faisais presque dans mes culottes, juste à y penser. Pour moi, le Mexique signifiait encore plus de petits gars, en autant que le portefeuille s’ouvre facilement et fraternellement. C’était la réputation de ce pays. San Francisco. Un arrêt d’une heure ou deux. Los Angelès, nous choisissons un hôtel à prix modique. Je suis ravi. Quelques pensionnaires ont tourné de l’oeil en m’apercevant. Ce sont tous des vieux. J’aurais voulu rencontrer un ami californien, tiré de mon enfance et que j’ai toujours appelé mon oncle Rosaire. Il demeurait à Barnston, quand j’étais petit. Il m’a fait don d’une paire de jumelles parce que jeune j’adorais regarder les étoiles. Je lui vouais encore, malgré les années, une vénération surprenante. Ces jumelles m’avaient permis de regarder la constellation des Pléiades, d’où je croyais être issu. Je me rappellerai toujours de lui comme d’un homme souriant et tendre. Quand j’aurais pu le voir, je n’avais pas son adresse ; plus tard, je n’avais plus d’argent pour m’y rendre. Maintenant, c’est trop tard, il est mort. On dirait que la vie a sa petite destinée. On ne rencontre que ceux que l’on doit rencontrer. ——————————— À Los Angelès, j’ai appris que mon père était très sérieusement malade. Même si j’avais voulu, je n’aurais pas eu les fonds pour retourner assez vite, si le pire était survenu. J’ai alors regretté d’être parti. Étais-je une des raisons de sa maladie ? J’étais responsable de la souffrance de mes parents avec ma maudite amourajoie. Je lui ai écrit une lettre dont l’essentiel portait sur le fait qu’un jour, si je parvenais à lui faire honneur, ce serait grâce à ce qui l’avait tant fait souffrir : mon amourajoie. L’inquiétude et les remords m’ont fait comprendre une fois de plus comment il est important d’aimer ses parents quand ils sont toujours vivants. C’est dans l’anxiété la plus complète que j’ai appris qu’il se portait mieux. San Diego. Tous les journaux étaient de vrais romans d’espionnage. Il avait tous une histoire d’infiltration communiste. C’était une vraie maladie mentale. Une semence de guerre civile. Il fallait bien justifier les envies de Nixon d’entrer en guerre avec la Russie, de quoi rendre furieux, car les guerres sèment la mort. Entre Los Angelès et San Diego, nous avons visité Disneyland, un autre rêve de mon enfance avec ses personnages et ses sciences fiction. J’étais un mordu des émissions, surtout scientifiques, de Disney. J’ai eu droit à deux petites prises de bec. J’ai discuté avec un universitaire qui a été insulté d’apprendre qu’il est impossible de voyager en bateau entre le Québec et la Californie. — Si vous êtes aussi forts en d’autres sciences qu’en géographie, je comprends que vous vivez dans un monde à l’envers où la haine est plus adulée que l’Amour. Dans le deuxième cas, il s’agissait d’un soldat. Il affichait ses médailles victorieusement remportées dans des escarmouches au Vietnam, fier comme s’il était un gamin de quatre ans. Aussi, a-t-il cru à l’effondrement prochain des États-Unis quand je lui ai dit ce que je pensais : — Chez nous, pour avoir des médailles nous n’avons pas besoin d’aller tuer tout le monde. Nous les cueillons dans les boîtes de Crake Jack.Mes valeurs ont changé avec l’âge; mais je suis toujours contre la guerre. San Diego est une ville splendide à cause de son jardin. Elle fait cependant mieux ressortir le contraste avec Tijuana, la ville frontière du Mexique. Comment peut-on passer d’un tel luxe à une telle misère dans un instant ? Nous nous n’étions jamais doutés d’une telle misère, d’une pauvreté aussi grande. On aurait dit qu’à Tijuana, tout était pour tomber en lambeaux. Les hommes nous regardaient comme des ennemis. Ils étaient tous les uns plus gros que les autres ou plutôt plus terrifiants. Jimmy, malgré ses protestations, a dû payer deux fois son repas. Une peur qui lui collera à la peau tout au long de notre voyage au Mexique.