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Un sourire d’enfer 31

mars 13, 2023

Un sourire d’enfer  31

Je ne rêvais pas comme les autres, aux mêmes choses, je m’intéressais surtout à la justice sociale, à la violence dans le monde, à l’immoralité de ceux qui nous prêchaient, mais qui nous disaient de faire le contraire de ce qu’ils prêchaient.  Tout ça, simplement pour oublier ou compenser le fait que j’étais amourajeux.  D’ailleurs, tous les scrupuleux et scrupuleuses sont habituellement des gens qui combattent le vice pour échapper à leur profonde perversité. 

L’incompréhension de mon amourajoie me rendait très malheureux.  La réaction de mes parents me peinait énormément, même si je croyais comprendre.  J’acceptais comme normal leur condamnation. Et, si on les en blâmait, je les défendais.

Moi et mon père, on a convenu d’une solution au cours d’une brosse. Il m’avait dit, les larmes aux yeux :

 » Si tu es pour toucher les jeunes d’ici ; j’aime autant que tu ne viennes pas nous voir. » 

Et, j’ai décidé pour ne pas leur faire cette peine de partir et ne pas revenir. Je suis parti pour un petit bout de temps.

Nous nous respections trop profondément pour rester sur ces positions. Il n’y avait que ma pédérastie qui clochait dans ma vie.  À mon avis, mon père ne pouvait pas me comprendre parce qu’il aimait les femmes. 

Mon père aurait même dit à une de mes sœurs :

       » Si au moins, il était homosexuel (le mot gai n’avait pas encore été inventé), mais aimer les enfants… »

Dans le fond, il était comme les autres à qui les curés ont essayé de refiler leur mystique de haine du plaisir et de la chair.  Il croyait qu’aimer voir et sentir les jeunes découvrir la jouissance, c’est les profaner.  Comme si ceux-ci ne ressentaient pas de la complicité dans ces relations.  On refuse de voir la réalité, le mal ne peut pas être un plaisir.  La morale sexuelle est une idiotie.  Elle est le fruit de la peur de la communication des maladies chez les bourgeois.   Elle est devenue avec le temps une obsession de classe sociale. 

Je comprenais ce que mes parents pouvaient ressentir.  Je pouvais peut-être être tellement perverti que je n’arrivais pu à voir le mal où il est. 

Pourquoi le sexe est-il mal ? Je ne voyais rien qui pouvait le justifier. 

De retrouver mon père fut très salutaire. Contrairement, à bien d’autres, je n’ai jamais détesté mes parents.  Ils agissaient comme c’était normal d’agir, avec l’ignorance que l’on avait de la sexualité à cette époque. 

Quand je suis parti, j’aimais encore plus mon père et je ne pouvais même pas imaginer que mes parents ne m’aimaient pas.  Ils n’aimaient pas ma pédérastie, mais ils savaient que j’étais aussi quelque chose d’autre.  Ils n’étaient pas bornés. J’ai toujours été très fier de mes parents.  J’aurais voulu faire quelque chose pour leur témoigner, mais je ne savais pas quoi. 

Ma relation avec Dieu était toute aussi houleuse, car je ne comprenais pas pourquoi il m’avait créé ainsi.  C’était dégueulasse de sa part, mais encore là, je voyais ça comme une épreuve à surmonter.

J’avais la certitude que mes parents et moi, nous nous comprenions, nous nous aimions, malgré nos différences de point de vue.  Pour eux, le sexe était mal ; pour moi, le sexe est la preuve la plus profonde de la grandeur du Créateur, s’il y en a eu un.

Je devais apprendre à transcender mes désirs de nature physique avec les jeunes et de ce fait m’investir davantage dans l’amélioration de la vie de tous. 

Si W. Reich m’avait connu, je crois qu’il se serait servi de moi pour faire comprendre le besoin de se pardonner d’être ce que l’on est.  Il faut vieillir avant de comprendre la stupidité de la perception de la sexualité de nos sociétés. 

On refuse de comprendre l’évolution parce qu’avec les dernières découvertes, on s’aperçoit du ridicule de l’approche que l’on a de la sexualité.  Le diable avait pris la place des hormones.  Il est temps qu’on s’aperçoive que nos interprétations sont le fruit d’une imagination pas mal perturbée.

La fraternité et la tendresse entre mon père et moi ne s’étaient jamais exprimées avec autant d’éloquence.  Je savais qu’il était malade, mais je ne le croyais pas aussi atteint.  Je ne serais jamais parti.  

Nous avons filé dès que nous avons reçu notre bien-être social.

Notre première visite fut pour Darryl, à Winnipeg. Il est venu me rencontrer à l’auto, devant chez lui, où nous avons pris quelques photos.  Elles ont été malheureusement égarées par hasard dans la poste.  Darryl n’a pas voulu me suivre, comme je le savais déjà. Il y a toute une différence entre ce que l’on dit pour épater la galerie et la réalité. 

Gérald lui a raconté mes menaces de le kidnapper, s’il ne voulait pas venir.  Darryl s’est contenté de rire. Il me connaissait assez pour savoir que je ne lui imposerais jamais rien, surtout ce qu’il ne voudrait pas.  Gérald jouait tellement au protecteur qu’on se demandait si on devait en rire.  Il avait même songé avertir la police.  Darryl m’a informé qu’il voulait joindre l’armée.
 
 — Pas contre les Québécois ? lui demanda un Gérald taquin, car on savait que des escouades spéciales d’intervention militaire se pratiquaient dans l’Ouest canadien pour intervenir si le Québec se déclarait indépendant.

 — Ça jamais, de rétorquer Darryl.

Le petit se promenait en bedaine comme pour me rappeler sa beauté, une beauté qui m’envoûtait. 

À cette époque, on ne songeait même pas au mariage gai. Je me fichais qu’il soit de langue ou de race différente.  L’amourajoie est une forme de fascination qui déborde toutes ces limites idiotes.  Un humain, c’est un humain, un être sacré. Chaque être a son « diapason », sa tonalité, son énergie, sa force de communication.

J’ai vu dans ses yeux, la façon qu’il me regardait, qu’il me considérait comme un véritable ami.  Quand il a répliqué à Gérald, j’ai compris qu’il n’était pas gai, mais qu’il me respectait profondément.  J’avais réussi à lui laisser une bonne impression des Québécois, malgré ma pédérastie. 

En Saskatchewan, nos portefeuilles étaient déjà crevés.  Nous avons obtenu l’aide gouvernementale.  À cette époque, l’Ouest canadien était alors plus à gauche et plus généreux que le Québec quant à son aide sociale.   Cela nous a permis de continuer notre chemin.  

À Saskatoon, nous avons dû nous rendre à un comptoir familial.  Puisque nous étions partis pour le soleil du Mexique, nous n’avions pas prévu les rigueurs de l’hiver avant de descendre dans le Sud.  J’ai reçu un manteau que, cinq ans plus tard, je porte encore avec fierté. 

L’absence des petits gars, une réminiscence de mon passage angélique au paradis, et l’insécurité d’être ainsi à la merci de l’aventure a modifié complètement mes rapports avec Gérald.

Gelé comme un bœuf, Gérald tombait amoureux de moi, même s’il reconnaissait le caractère compensatoire de la situation.   J’étais trop aux aguets de nouvelles aventures à découvrir pour comprendre ce qu’il ressentait.  J’étais sa sécurité. 

La tension était trop grande quand nous sommes arrivés à Edmonton.  Faute de place, j’ai dû aller coucher dans une auberge de jeunesse « un hostel du gouvernement », comme on disait, assez crasseuse.  

Quelques jours après, j’avais des rougeurs aux bras et aux mains.  Je croyais que je m’étais empoisonné, cela ne faisait aucun doute.  J’ai aussitôt couru pour une consultation médicale.  Le diagnostic fut une surprise, une honte comme je n’en avais jamais eu : j’étais bourré de puces.  Lavages. Rires. Gêne. L’enfer.

Nous étions installés dans un hostel du gouvernement, un endroit où l’on est nourri, logé, jusqu’à ce qu’on trouve un emploi.  Jimmy et moi ne faisions pas de grands efforts.  Nous passions nos journées à lire des livres québécois à la bibliothèque municipale. 

J’en profitais aussi pour écrire.  Deux nouvelles littéraires furent expédiées à Hélène, à Sherbrooke, pour qu’elle me les garde.  J’écrivais aussi mes impressions à Gaétan Dostie et je lui envoyais les découpures d’articles de journaux que je croyais intéressants. 

Au moins mon exil servait à faire savoir aux Québécois ce qui se passe réellement dans l’Ouest, les politiciens ayant toujours un double langage : un pour les francophones, l’autre, pour les anglophones. 

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