Un sourire d’enfer 28
Un sourire d’enfer 28
Chez mon nouvel ami, à Edmonton, j’ai reparlé politique pour la première fois depuis départ. Un séparatiste en terre canadienne, cela a de quoi attirer l’attention.
Un groupe de jeunes avaient décidé de me passer un savon et mieux me faire apprécier les beautés « canadians ». Ils m’ont amené prendre une bière pour me persuader de mon péché contre ce beau et grand pays qu’est le Canada. Mais, aucun n’avait encore visité ce beau et grand pays. J’aurais été plus intéressé à courir les jeux forains avec les jeunes, mais j’étais invité et je devais me prêter au jeu.
La soirée ne s’est pas déroulée comme ils l’avaient prévue : après quelques heures de discussion je les avais persuadé que l’indépendance n’était pas bonne que pour le Québec, mais souhaitable et réalisable pour l’Ouest canadien également.
Nous avons passé le reste de la nuit à courir les stripteases et à boire.
Le retour au Québec s’amorçait. Je voyais le Canada très différemment. J’étais surpris que la majorité des gens loin d’être racistes fût très sympathique. Ils étaient malheureusement mal informés et influencés par leurs journaux, monopolisés en grande partie entre les mains de propriétaires américains.
Je n’étais plus certain d’avoir raison en étant séparatiste. Je ne les voyais plus comme nos ennemis. D’autant plus que les artistes francophones rencontrés étaient exceptionnellement sympathiques. Même les écrivains anglophones se plaignaient de la concentration culturelle à Toronto, d’où les artistes des Prairies crèvent de faim. Par contre, on ne me cacha pas que le public de l’Ouest est encore plus conservateur qu’au Québec.
Pour survivre, je suis arrêté au Manitoba travailler au journal La Liberté.
Pour la première fois, j’ai été confronté au vrai sort des francophones hors-Québec. L’assimilation se faisait à un rythme effarant. St-Boniface n’était plus une ville française, mais un quartier de Winnipeg.
Pourquoi dans toutes les auberges de jeunesse, les responsables étaient-ils presque toujours bilingues ? Comment cette situation pouvait-elle être compatible avec la réalité?
J’ai travaillé à un seul reportage : la francisation dans la fonction publique. Il m’a suffi de cet exemple pour comprendre à jamais que le bilinguisme à Trudeau, c’est du tape-à-l’œil. Malgré leur bonne volonté ou le goût d’augmenter leur salaire, certains anglophones, après avoir buché comme des fous pour apprendre le français, le perdent vite, faute de ne pas pouvoir le pratiquer.
Il faut aussi comprendre la population francophone. Pour se faire servir en français, il faut faire venir le fonctionnaire qui connait le français. Ça prend beaucoup de temps avant que leurs confrères les trouvent. On fait payer ainsi le coût du bilinguisme.
Les gens sont fatigués de devoir ainsi attendre pour être servis dans leur langue. Ils savent aussi que de parler français c’est de s’assurer de ne pas avoir d’avancement ou du moins ça le rend terriblement difficile. Ils finissent par lâcher. C’est moins d’efforts.
J’étais aussi révolté du fait que l’Église catholique venait de mener une campagne contre le seul ministre francophone du Manitoba, à cause de son appartenance au Nouveau Parti Démocratique (NPD). Il fallait combattre le socialisme aux dépends des francophones. Partout dans l’Ouest, on pouvait voir un virage à droite.
Le christianisme servait à faire oublier que le les capitalistes et les communistes font crever des millions de gens pour conserver leur suprématie monétaire. Une belle vacherie qui montre le jeu des religions en politique ! Pour se déculpabiliser, il suffit de se dire chrétien, continuer de regarder en silence ces systèmes tuer pour garder le pouvoir et faire de l’argent. Pourvu que le sang paie, l’Église ferme les yeux.
Cette nouvelle vague était facile à comprendre : le Vatican aimerait bien élargir son empire en Amérique du Nord, d’où l’œcuménisme, alors que la CIA veut faire sauter la Russie.
Pour arriver à leurs fins les deux se sont réunis dans une nouvelle croisade : les mouvements charismatiques. Les pro-américains, comme Ryan, sont poussés au pouvoir. Il faut sauver l’homme du communisme et permettre l’exploitation capitaliste.
Avec mes nouveaux avoirs financiers, j’ai décidé de faire un pèlerinage à un héros francophones de l’Ouest : Louis Riel.
Je me suis rendu à Batoche. J’ai été conduit aux lieux historiques par des Indiens qui s’efforçaient de me dire quelques mots en français. J’ai visité la classe où Riel a enseigné. À ma surprise, j’ai découvert mes initiales «JS» sur un des bancs de cette école. Cela m’a bouleversé.
De retour sur la route, j’ai été embarqué par une dame qui voyageait en compagnie de deux parents. Son chauffeur était un militaire. Cette dame se disait la cousine de la reine Élizabeth. Je n’en croyais rien au début, mais j’ai dû convenir que c’était possible. Celle-ci parlait un peu le français et voulait que je lui apprenne quelques mots.
— Votre cousine n’est pas très gentille. Je faisais du pouce près de Toronto et elle m’a passé au nez sans s’arrêter, dis-je, en riant. Elle me dit qu’Élisabeth n’est pas toujours souriante.
La dame m’a questionné sur la vie politique du Canada. Le militaire essayait à chaque fois de faire valoir le beau côté des choses alors qu’au contraire, je tentais de lui faire comprendre l’injustice du racisme anglo-saxon. La dame me parla de l’homosexualité de Trudeau qui, selon le soldat, avait cessé d’être le sujet de discussions des gens du pays depuis son mariage. Je ne pouvais pas en parler, car je n’ai jamais couché avec Trudeau.
Je ne sais pas ce qu’elle a pensé de mes opinions, mais pour elle, j’étais définitivement un petit nègre blanc d’Amérique fort sympathique.
Je me suis arrêté dans une auberge de jeunesse dans le nord de l’Ontario. Pour la deuxième fois, il était évident que l’on avait essayé de m’écraser. Alors que je pouçais, une auto m’a foncé dessus. Les Indiens étaient alors en guerre contre les Blancs, dans ce coin du pays. Sur le pouce, il est difficile de faire savoir au chauffeur que t’es québécois, car, les Indiens respectent les francophones.
Tous les humains sont égaux et on s’en aperçoit très vite. Il fonçait sur un Blanc avec les cheveux longs. À cause des luttes raciales en cours, cela était très compréhensible. Je n’en ai gardé aucune animosité. Je n’étais pas visé comme individu, mais comme Blanc.
C’était la deuxième fois que ça se produisait. C’était arrivé une autre fois dans l’Ouest. Un camion s’est tassé sur moi alors qu’une pipe dépassait à l’arrière. Celle-ci m’a heurté la main. Il n’y avait rien de surprenant dans ce comportement.
Dans l’Ouest et aux États-Unis particulièrement, il était fréquent que des voyageurs seuls mangent une raclée ou soient tirés à bout portant par des gens dont le conservatisme rend cinglé. Rien n’est plus stupide et borné qu’un individu qui juge les autres.
À l’auberge de jeunesse, une jeune fille me proposa de l’accompagner jusqu’au Québec. Cela ne m’intéressait pas particulièrement. J’ai donc refilé l’invitation à un jeune chanteur qui semblait aimer mieux la présence des femmes que moi. Il les aimait assez (avec ses mains, j’imagine) que je l’ai aperçu un peu plus loin sur le bord du chemin. Les femmes aiment rencontrer des gars qui ne pensent pas qu’au sexe. C’est d’ailleurs ce qui les rend intéressantes.
Quant à moi, j’ai entrepris le voyage en compagnie d’un petit bonhomme de 15 ans environ. Il venait visiter le Québec. On n’est pas tous paralysé de peur d’être abordé sexuellement…on laisse ça aux femmes.
Nous avons eu toutes les misères à nous trouver une «ride». Nous sommes arrivés à Thunder Bay, morts de fatigue.
Malgré nos efforts, pas moyen de dénicher l’auberge de jeunesse. Si les informations fournies étaient claires pour elle, celles-ci ne l’étaient pas pour nous. C’était un vrai casse-tête. Découragés, enragés, nous avons décidé de coucher dans le champ, si dans les dix minutes nous n’avions pas découvert un gîte.
À ma stupéfaction, le jeune lançait des roches, avec succès, dans les feux de circulation. J’étais trop conforme au respect de la propriété privée et publique pour accepter sans rouspéter un tel comportement. C’était la fatigue, aie-je pensé pour l’excuser.
Quelques secondes plus tard, une auto-patrouille fit son apparition.
Papiers ! Papia !, comme dit Léo Ferré, dans une de ces chansons.
La police a pris beaucoup de temps à vérifier mon identification. Il y avait, selon elle, un autre Jean Simoneau qui, lors de son passage avant moi, avait la malencontreuse habitude de faire des hold-up.
À ma surprise, la police embarqua le jeune, me laissant pour seule explication qu’ils avaient eu une dépêche de Vancouver les informant de la fuite de mon compagnon. Il était recherché à la demande de ses parents.
C’était la première fois que j’en entendais parler. J’avais chaud. Je me voyais déjà arrêté pour détournement de mineur. Comment pouvais-je prouver que je n’en savais rien ? J’hésitais. Peut-être le jeune leur dira-t-il que nous venons à peine de nous rencontrer ? Crevé de fatigue devais-je trouver l’auberge ou fuir avant que la police revienne encore m’emmerder. ? De toute façon, je ne pouvais rien faire pour lui. Quand tu as les cheveux longs, t’es coupable automatiquement. C’est encore pire si tu es trop jeune.
Mort de peur, j’ai décidé de continuer ma route. Un camion m’a embarqué et j’ai fait quelque 200 milles avant de m’arrêter. J’étais peiné d’avoir été obligé d’abandonner un aussi beau petit protégé.
J’ai passé la journée étendu sur le bord du chemin pendant qu’un nommé Trudeau faisait du pouce avec moi. Je ne me rappelle pas son prénom. Il m’a bien fait rire, en me racontant tous les tours joués à la police, en disant simplement qu’il était de la famille du premier ministre Trudeau.
Il n’avait que Trudeau comme nom répercutant. Rien à voir avec le célèbre Pierre, même qu’il était séparatiste à 110%.
» Je suis sûr de frapper », lui aie-je dit, car il fallait bien expliquer mon comportement bizarre, soit de me coucher sur le bord de la route. Aussi bien dire adieu à toutes les chances qui pouvaient se présenter.
La faim a commencé à nous jouer dans les tripes. Je m’étais acheté un macaroni Kraft, sans songer qu’il pourrait y avoir des problèmes pour le faire cuire. Pas très brillant. J’ai cherché autant comme autant à découvrir un endroit assez charitable pour nous donner l’eau nécessaire et nous le laisser cuire. Inutile.
À la fin de l’après -midi, nous nous en allions à l’auberge de jeunesse quand nous avons aperçu deux personnes travaillant à réparer une petite Volsk, bourrée de marchandises.
— Allons les aider, aie-je proposé.
Trudeau refusa sous prétexte que nous aurions jamais la chance d’embarquer dans un char aussi bourré de victuailles et que nous devrions, au contraire, voir à nous percher pour la nuit. J’ai insisté pour qu’on les aide, non pour s’attirer leurs faveurs, mais par pure amabilité entre voyageurs.
Nous avons travaillé plus d’une heure. Trudeau était en beau joual vert. Le soir venait et nous avions passé la journée sur le bord de la route pour rien. Nous n’avions même pas été capables de dénicher un endroit où faire cuire nos nouilles. Je commençais aussi à être révolté. « L’Ontario est le paradis des racistes. », dis-je., mais dans le fonds c’était à moi d’être assez intelligent pour acheter quelque chose qui ne nous place pas à la merci des autres. Je me fiais sur les auberges pour obtenir les produits pour le faire cuire.
À l’auberge de jeunesse, les dirigeants refusèrent à leur tour de nous laisser préparer notre petit repas. Ils riaient de nous. J’avais le feu au cul.
— On défait la baraque, criais-je à Trudeau, en m’emparant d’un bon gourdin.
Le jeune anglais qui nous répondait a pris peur. Il nous a demandé de patienter un peu. Songeant probablement à ses os plus qu’à notre misère, il nous revint avec quelques sandwichs pour nous aider à patienter jusqu’au repas.
Nous étions à notre sieste quand les voyageurs que nous avions aidés réapparurent. Ils avaient tout rangé et libéré le siège arrière. Ce fut un tour jusqu’à Toronto, plusieurs centaines de milles plus loin. Ces jeunes étaient des amis d’Angela Davis, ce qui ne fut pas sans provoquer mon admiration.
J’étais ravi de les écouter m’apprendre dans quel sens les jeunes américains bougeaient. Je me sentais devenu citoyen du monde. Ça me rappelait tout ce que j’avais vécu avec Darryl. L’amour est une fiction même dans la mémoire. Elle est encore plus belle que la réalité.
Le reste du voyage s’est déroulé sans incident. Tout était beau, intéressant.
Les frontières entre les jeunes, c’est une aberration. Ça n’existe pas. Les problèmes sont les mêmes partout : l’abus de pouvoir, l’impérialisme, la violence. Les vrais responsables sont toujours intouchables.
La crise canadienne est imaginée aux États-Unis et pour les intérêts des multinationales américaines. Ils ont les moyens de s’installer et les politiciens vont chercher dans les poches des contribuables l’argent qui manque.