Un sourire d’enfer 29
Un sourire d’enfer 29
Mon voyage dans l’Ouest, ce fut Darryl. Darryl. Une rencontre fortuite. Une surprise. Un cadeau de Dieu. Un arc-en-ciel dans ma vie. Darryl, comme tous les autres que j’ai aimés était le symbole parfait de mon idéal de vie. Ma vie n’aurait pas eu de sens sans cette profonde fascination, cet envoûtement pour leur beauté. Ce besoin d’eux est aussi vital qu’une source d’eau fraîche dans le désert. Ce n’est pas qu’un attrait sexuel, quoique ce le soit aussi.
Une nuit dans le lit, près l’un de l’autre, suffit à apprécier Dieu et sa création.
L’amourajoie est un échange de vitalité, presqu’une adoration de la vie à travers leurs jeux, leur beauté. L’amourajoie, c’est vivre intérieurement en petit gars, malgré l’âge adulte. C’est un échange émotif. L’osmose de l’adoration avec la beauté. Une vibration sur une même harmonie.
Darryl savait fort bien qu’il me fascinait beaucoup trop pour que je puisse être le moindrement dangereux. Je me suis ruiné pour qu’il ne gèle pas la nuit
À mon retour, j’ai été consterné d’apprendre qu’après la censure à La Tribune et à L’R du Q, je faisais face à une nouvelle forme de «tais-toi».
Il était une fois dans les Cantons de l’Est n’avait pas été distribué. Le responsable de la distribution, toujours mon bon ami Jean, avait décidé que le livre n’était pas assez intellectuel, trop contre-culture pour plaire à la population. Pourtant, ce livre a été exposé au salon du livre de Paris pour son originalité et comme pamphlet de contre-culture politique d’avant-garde. Il s’est vendu comme des pains chauds.
J’avais le feu au cul. Ni le Parti Québécois, ni la CSN n’étaient intéressés à en faire la promotion. Pour les péquistes, je ne prônais pas assez clairement l’indépendance, mais ce n’était pas le but du livre. Quant à la CSN, je ne l’ai jamais su. En fait, avec le temps, je m’aperçois que je rêvais beaucoup plus de la révolution que de l’indépendance.
L’indépendance, c’est le moyen, le chemin à suivre pour permettre la révolution, c’est-à-dire changer les choses en profondeur.
À mon sens si, avec un tel livre, les gens ne savaient pas trouver la solution, c’est qu’ils étaient trop masochistes pour s’ouvrir les yeux et méritaient leur sort. Tu ne peux quand même pas les aider, malgré eux. Si les gens sont trop bêtes pour comprendre qu’Ottawa écrase toujours et depuis toujours les Québécois, que veux-tu faire ? Rien de plus sourd qu’un sourd qui ne veut rien entendre.
À Sherbrooke, déjà ma popularité s’était estompée. Presque plus personne ne savait qui j’étais.
Dans les milieux militants, les dirigeants me trouvaient trop radical, trop « show off ». Je n’étais pas mieux accepté. J’étais haï à mort par les libéraux et repoussé comme un lépreux par les indépendantistes.
C’était ma récompense de m’être battu, malgré ma peur peut-être paranoïaque (comme si une peur maladive est moins épeurante) de me faire battre ou descendre à tout bout de champ. C’était déjà arrivé ailleurs, donc, ça pouvait se répéter.
Je me demandais pourquoi autant de froideur à mon égard. J’aurais peut-être même été plus considéré si j’avais été un agent de la Gendarmerie Royale. On aurait eu au moins une raison de m’écarter.
Cela mettait fin à une grande ambition. Comme tout le monde, j’avais rêvé à la postérité. Je trouvais mon message tellement essentiel et clair qu’il m’apparaissait absurde de susciter autant d’indifférence.
L’essentiel, le message avait été publié à 5,000 copies et la vente se faisait extrêmement bien, partout, où le livre était disponible.
Quant aux critiques, elles étaient excellentes. On encensait Il était une fois les Cantons de l’Est dans bien des journaux.
Une jeune fille du journal « Contact« , duquel j’avais pourtant été écarté, m’a touché en écrivant : « Il est allé au bout de ce qu’il lui était possible de faire. Il ne nous reste qu’à en faire autant.» J’ai bien apprécié ce geste de reconnaissance.
J’ai difficilement avalé ces moments d’indifférence à cause de mon orgueil démesuré. Une telle indifférence permettait au moins d’éliminer mes peurs.
Quant à la gloire, quand tu n’es pas mort, ça ne donne pas grand-chose. Pire la gloire, c’est un paquet d’emmerdements. C’est ne plus avoir de vie privée, ne plus pouvoir créer. Tu dois répondre à la demande et non plus vivre selon ton rythme. La gloire, c’est la misère. Je l’apprenais lentement, mais sûrement.
Il suffisait d’examiner la jalousie qui existe entre les artistes et les auteurs pour vouloir se passer de la gloire. Elle a pourtant des avantages : plus besoin de t’inquiéter pour faire accepter tes textes, des droits d’auteur, etc.
Mon français était mauvais et en regardant les autres, je me sentais un bien piètre écrivain. Que veux-tu ? La réalité, c’est la réalité. Fuck la gloire !
À Sherbrooke, j’ai à nouveau rencontré Gérald, le béret blanc, pédéraste ou amourajeux, selon le choix. Il y avait au moins une personne sincèrement heureuse de me revoir.
À ma consternation, Gérald s’était passagèrement converti. Persuadé d’être responsable de ma damnation, il avait brûlé toutes les revues pornographiques que je lui avais achetées et laissées à mon départ. Une valeur de plus de 100$. Il avait été l’intermédiaire des achats et se sentait responsable. Pourquoi faut-il toujours brûler ce qui nous semble sale ? Une « relance » d’Inquisition ? Pourquoi les autres doivent-ils toujours décider ce qui est bien ou mal pour moi ?
Nous avons vite recommencé à faire la noce. Il m’écoutait religieusement raconter mes aventures de voyage et vanter la beauté de Darryl.
Les libéraux ont déclenché des élections.
Ma participation fut très modeste. J’étais persuadé que le vent de droite identifié dans l’Ouest canadien soufflerait aussi au Québec.
Je n’avais plus le feu sacré d’antan.
Les peintres de Vauxcouleurs avaient organisé une exposition pas mal politisée pour un centre d’achats. Réginald Dupuis y participait et m’invita à la visiter. J’étais fier de nos artistes.
Nous sommes repartis prendre une bière et discuter un peu. Aucun incident. Beaucoup de satisfaction.
À notre grande surprise, une rumeur commença à circuler à l’effet que j’étais été mêlé au vol mystérieux de ces peintures. Nous n’y comprenions rien. Une autre tentative libérale de me faire passer pour un petit bandit.
Un peu plus tard, l’enquête policière a éclairci les faits. La police a retrouvé les peintures dans un local du parti libéral. C’était toute une leçon à recevoir quant à l’honnêteté des libéraux. Étaient pris qui voulaient prendre. Mais, ça n’avait plus d’importance, les élections étaient passées et cette rumeur me rendait inapte à agir pendant la campagne électorale.
Quant aux résultats des élections, ils ne m’ont pas surpris. Presque tous les comtés étaient passés au parti libéral.
La visite surprise des chars d’assaut dans la Vieille Capitale et tous les shows libéraux avaient encore une fois roulé la bonne foi des Québécois.
Au moins, le Parti Québécois devenait l’Opposition officielle. Ainsi, il prendrait le pouvoir la prochaine fois puisque les libéraux ne pourront pas voler les élections aussi facilement. Dans certains comtés, le vol était manifeste. Les libéraux avaient emporté les élections par 100 ou 500 voix. J’ai rencontré un bonhomme qui me raconta avoir voté 17 fois à $20 chaque fois contre René Lévesque.
Je ne pouvais pas changer les résultats des élections. Le monde aime se faire fourrer. Plus Trudeau botte le cul des francophones, plus il reçoit un appui inconditionnel. Plus Bourassa mentait et plus ses libéraux empochaient, plus les gens votaient pour eux.
Il a suffi à Claude Ryan de mêler la religion à la politique pour faire une entrée fracassante. Pendant que Ryan dénonçait le patronage par ses voix parlementaires, je me suis laissé dire que dans le ministère de l’Agriculture, un sous-ministre libéral gardait sous clé, pendant deux mois, les chèques d’allocation des cultivateurs pour les travaux de drainage dans les comtés qui avaient trop voté en faveur du Parti Québécois. Il espérait ainsi que les agriculteurs rejetteraient encore plus le Parti Québécois.
Pendant que ses amis sortaient le prétendu scandale du divorce de René Lévesque, Ryan se pavanait avec sa famille pour mieux faire ressortir ses qualités chrétiennes. L’hypocrisie, ça paye, surtout en politique. Ça pogne. Les gens aiment se faire charrier par de tels artifices.
J’ai été parfois surpris des pensées de Gérald.
Béret blanc, d’une secte religieuse fanatique, il était pourtant comme moi contre les Big boss. Selon lui, le Vatican a trahi le christianisme depuis belle lurette.
Politiquement, nous étions évidemment à l’opposée : sa politique combat le communisme en faveur du capitalisme alors que je considère essentiel d’éliminer toutes formes d’impérialisme et de dictature, bénévole ou pas, de gauche autant que de droite. Le capitalisme est aussi impérialiste, dictatorial et sûrement aussi corrompu que le communisme. Les deux régimes sont aussi sanguinaires l’un que l’autre. Tout ce qui compte c’est le pouvoir et le profit.
Nous ne parlions que très rarement de nos options religieuses ou politiques, la beauté des jeunes avait trop d’importance pour être salie par ces mesquineries.
Gérald était béret blanc à cause de sa famille. Il identifiait Gilberte-Côté Mercier à sa mère. C’était touchant de l’entendre parler de la douceur, de la compréhension de Madame Mercier. Il avait pour elle une très profonde admiration : c’était la martyre, celle qui a sacrifié sa richesse à sa foi.
Quant à moi, c’était une névrosée, une frustrée sexuelle. Gérald refusait d’admettre que les bérets blancs sont aussi riches que les autres sectes religieuses. Par contre, si je considérais leur approche de la sexualité comme parfaitement débile, j’admirais leur solidarité. Une solidarité digne d’un peuple libre et adulte.
Mes récits de voyage aidant, Gérald sentait jaillir en lui l’appel des grandes étendues. Le bruit de la liberté, le goût amourajeux qui en avait assez d’être écrasé. Gérald voulait fuir la maison paternelle en grimpant dans ses 34 ans.
Malgré nos âges, nous étions tous les deux, devant la grande route, la grande aventure, deux préadolescents qui voulaient être libres. Nous rêvions tous les deux aux fesses de Darryl, même si chacun de nous condamnait la sodomie.
Le flo, c’est l’harmonie, la beauté comme le modèle d’un peintre ou d’un sculpteur. Un moyen de rendre positive une obsession du pénis, obsession stupide qui ne disparaîtra qu’avec la mort. Nous étions des préadolescents qui ne se sentaient pas assez aimés chez eux.
Le voyage, c’était une symphonie. Les petits constructeurs de châteaux sur la plage de Vancouver. Les deux autres qui étaient venus me provoquer pour que je m’amuse avec eux dans le sable. C’était leur rire, leur peau bronzée, la main qui cherche l’attention. La surprise du moment où celle-ci se découvre. Les feux qui allumaient alors les yeux du furtif qui réagissait comme s’il ne savait pas que c’était nécessairement pour arriver. C’était la sensation de l’espace, de l’air à perte de narines. La fluidité des verts dans la forêt, près de Long Beach, sur l’île de Vancouver. L’éléphant d’un artiste, en Saskatchewan, sur le toit d’une école. Une impression folle à se rendre malade de vouloir vivre.
Ma fièvre se propageait. Darryl valait plus que nos saouleries, nos recherches, toujours infructueuses et dont le seul avantage était de nous épater mutuellement. Nous nous étions contentés de peu assez longtemps, il nous fallait prendre cette liberté coûte que coûte.
— Nous nous rendrons à Winnipeg et nous inviterons Darryl à nous suivre. Si ces parents s’objectent, je le kidnapperai. Si tu voyais comme il est beau. Il vaut bien quelques problèmes.
Autres paroles en l’air, entre deux bières. On a toujours l’art de se vanter parce qu’on a besoin de se croire un objet qui n’est pas inutile.
La vague a atteint un nouveau paroxysme en rencontrant Jimmy, un gars connu à Vancouver et que le souffle du voyage poussait de Montréal à Sherbrooke.
Jimmy était en rupture de ban avec sa famille. Ses parents étaient dirigeants d’une petite industrie québécoise. Comme tous ceux qui ont de l’argent, ils ne comprenaient pas que dans la vie ; il n’y a qu’une chose qui importe : aimé et être aimé, se sentir bien dans sa peau. La vie est une suite d’expériences.
Jimmy n’avait encore connu aucune expérience sexuelle et il avait été entendu que ce ne serait pas moi qui l’initierais. On se parlait franchement entre ceux qui faisaient du pouce. Nous, on ne se racontait pas de mensonges. Une loi de la vérité ou de la survie. Même s’il était trop vieux pour correspondre à mes désirs, le défi que représentait son impuissance sexuelle étant fort alléchant. Que décidera-t-il quand il saura ce qu’est le plaisir ? Le sexe se marie souvent avec les sentiments que l’on ressent l’un pour l’autre. C’est encore plus vrai chez un amourajeux.
Je me sentais un peu comme une «guidoune dans ses chaleurs» qui est encore membre assidu des Enfants de Marie. Je ne voulais plus faire de politique, tout en m’engageant un peu. Je voulais travailler, mais pas trop. Je n’avais pas d’emploi et aucune chance d’en trouver : je n’avais pas de métier, j’étais trop vieux ou trop dangereux ayant été journaliste trop longtemps. J’avais les cheveux trop longs ou je ne voulais pas être bilingue par fanatisme. Je voulais repartir en voyage, mais je ne voulais pas passer pour un lâche. Les braves s’attaquent au système plutôt que fuir.
La fièvre a fait sauter toutes les barrières. Nous partirions tous les trois pour l’Amérique du Sud. Gérald a laissé son travail ; Jimmy, ses études. Nous avons décidé de mettre nos chèques de bien-être en commun et de partir avec l’auto de Gérald.
La vraie révolution est celle qui ne croit pas dans le système, qui croit en rien pour chercher la vérité et qui rejette toutes formes de soumission aux règles débiles qui ont été créées pour mieux exploiter chaque individu.