Un sourire d’enfer 27
Un sourire d’enfer 27
Le soir, j’ai trouvé une auberge de jeunesse et j’ai cherché à me refaire des forces. Pratiquement fauché, les auberges de jeunesse ou du gouvernement m’ont permis de m’en sortir. Je n’avais qu’à voyager de 200 à 300 milles par jour. Ce fut toujours facile, sauf, une fois en Ontario. Un bonhomme m’avait attendu pour m’amener avec lui. Il a passé droit à la route indiquée pour que je débarque et m’a demandé 12 milles plus loin où je devais coucher. J’ai été trop cave pour comprendre l’invitation et j’ai dû marcher les 12 milles pour souper et dormir.
Ce n’était pas que j’étais scrupuleux, mais parfois je n’y pensais même pas.
Les scrupuleux manquent d’ouverture d’esprit, ce sont des paranoïaques qui s’imaginent que leur petit zizi est source de tous les maux s’il est partagé. S’ils ouvraient leur braguette, ils découvriraient que ce petit morceau de chair ne peut que nous révéler bien des plaisirs.
Bien des auberges acceptaient que l’on fasse le ménage comme mode de paiement. Le moins qu’on puisse dire : dans l’Ouest les auberges de jeunesse sont mieux organisées pour les jeunes que dans l’Est. Au Québec, elles coûtent beaucoup plus cher et si tu n’as pas d’argent tu couches dehors. Dans l’Ouest, de nombreuses auberges se font rembourser les repas que nous ne pouvons pas payer par le gouvernement local ou fédéral.
À Vancouver, j’ai volé pour la première et seule fois. J’avais des timbres et je n’avais pas de carte postale. Après de longs moments d’hésitation, j’ai décidé d’employer ce seul moyen à ma disposition. Pour quelqu’un qui a le vol en horreur, c’est un événement très important. Pas à cause des sous, mais le danger de prendre ce mauvais pli. C’est une solution peut-être plus dangereuse, mais définitivement plus facile. Avec un mauvais pli : t’es mal pris, tu voles pour t’en sortir.
À Vancouver, j’ai voulu visiter une amie que j’avais quelque fois rencontrée au Québec. J’étais fier de mon exploit et je voulais lui faire partager. Je fus surpris d’y apprendre son absence et son mari me donna 10$. J’étais ravi de visiter l’île.
Je compris plus tard que cette générosité imprévue était seulement un moyen de se débarrasser de moi. À mon retour de l’île, il a prétendu que mon amie était partie pour longtemps, ce qui m’a déplu ; car, celui qui m’en reparla, en visite chez ce monsieur, mentait trop mal pour que je ne m’en aperçoive pas. Monsieur n’aimait pas mes cheveux longs… il aurait pu me le dire tout de suite.
La femme avec qui j’avais fait le voyage avec l’ex- soldat habitait Nanaimo. Je me suis rendu prendre un café chez elle. Elle m’indiqua les endroits intéressants à visiter sur l’île dont un sentier de huit milles dans les bois du Pacifique.
J’ai trouvé cette île si belle qu’elle a renforcé par mille mon goût du voyage. J’étais fasciné par les fleurs de la petite ville. Plus tard, dans le sentier «Rain Forest Trail», j’avais l’impression de m’être trompé de planète. Le vert était si tendre, il avait l’air plus vivant. J’étais fasciné. La beauté de la nature est certainement une des expressions employées par Dieu pour nous le faire découvrir. Dieu est une extase. Une explosion de beauté intérieure, ressentie comme un parfum qui nous habite soudainement, de l’intérieur.
N’ayant plus d’argent, je devais retourner à Vancouver, car, les auberges sur l’île nous nourrissaient très mal. Je n’avais pas assez d’argent pour visiter un parc de fleurs et j’en étais bien peiné. Fauché, on ne peut pas tout voir.
Je pouçais, près de Victoria, quand un bonhomme chauve m’offrit de faire un bout de chemin. J’ai vite compris son intérêt à le voir essayer de m’effleurer la cuisse du bout des doigts quand il changeait de vitesse.
Il me fit voir de nouveaux paysages, puis, m’offrit de visiter le secteur des millionnaires. Il s’arrêtait devant les plus belles maisons et m’expliquait l’originalité de chacune, tout en essayant, en se penchant sur moi, de me tâter un peu. Certain que je ne prendrais pas le mors aux dents, car, je trouvais ça plutôt comique de le voir se donner tout ce mal, il m’entraîna dans une de ces maisons qu’il habitait. Le reste est facile à deviner.
Il vint me reconduire, tout en me donnant les sous nécessaires pour me permettre de visiter le jardin que je souhaitais tant voir. Malheureusement, si le jardin était splendide, à mon avis, il manquait l’aspect sauvage qui m’avait tant plu à Nanaimo.
De retour à Vancouver, j’ai été amené à une plage publique naturiste, derrière l’université, dans les bancs de sable. Ce fut pour moi, toute une révélation. Nu, les rapports avec les gens semblent plus faciles, plus vrais. Tu en viens même à oublier ta nudité et celle des autres. Les cochons sont ceux qui se baladent habillés, les yeux plus grands que la panse pour ne rien manquer.
J’ai longuement joué avec deux petits gars dans un trou d’eau qu’ils avaient aménagé en lac, l’eau de l’océan étant trop froide pour s’y baigner à l’aise. C’était merveilleux ! Leurs rires se perdaient dans le chant des vagues. Nous construisions un château. Leur mère nous souriait entre deux regards. Quelle image !
Je me rappellerai toujours : en gros plan un magnifique petit bonhomme de onze ans environ, nu, riant comme le petit prince à son étoile ; la mer à perte de vue qui caquasse pire qu’une vieille pie, le soleil qui te brûle comme un coq sur une brochette, et devant, comme toile de fond, comme si les vagues en surgissaient, une montagne blanche avec ses neiges éternelles. Si Dieu a créé mieux, il l’a gardé pour lui.
J’ai passé tellement de temps dans ce décor, j’en suis reparti brûlé par le soleil (mon vitiligo aujourd’hui), la peau rose comme une truite saumonées, et, marchant comme un pingouin, tant j’avais les cuisses brûlées à l’intérieur. Je m’étais endormi.
Au cours de ce voyage, je revivais une valeur qui m’a toujours paru essentielle dans le développement humain : la solidarité.
J’attachais beaucoup d’importance aux rencontres des voyageurs comme moi. Ce sont des jeunes qui cherchent non seulement souvent à découvrir des paysages, mais à comprendre la vie. Je croyais plus que jamais dans cette nouvelle génération. J’ai été d’autant plus scandalisé le jour où dans une auberge un jeune en vola un autre. Comment peut-on se voler entre pauvres ?
Tous les soirs où l’occasion se présentait, je me rendais avec un jeune d’Edmonton assister à un coucher de soleil sur le Pacifique. La merveille de ces couleurs nous éblouissait presque autant que le silence et la méditation. Ce nouveau camarade m’invita à lui rendre visite chez lui à Edmonton.
Le retour était déjà amorcé. Je suis embarqué avec un jeune Américain qui possédait un camion fortement équipé pour le voyage. Celui-ci était d’une gentillesse à te faire rêver de la Californie.
Dans les Rocheuses, à Banff, son camion est tombé en panne. Le jeune américain nous a offert de poursuivre notre chemin afin d’éviter les retards. La majorité des jeunes ont gagné le bord de la route. Nous n’étions plus que deux avec lui. Nous voulions l’aider puisqu’il avait eu l’amabilité de nous amener.
L’Américain n’en revenait pas. Il nous dit n’avoir jamais connu un tel geste dans toute sa vie. Nous l’avons assisté jusqu’à ce que son problème soit réglé et que sa route ne concorde plus avec la nôtre. J’ai fait seul le voyage de Calgary à Edmonton.
Les Rocheuses m’ont paru de plus en plus belles dans ce deuxième voyage dans les montagnes, car, je ne cherchais plus la surprise, la hauteur, mais à mieux profiter de la vue générale.