Un sourire d’enfer 25
Un sourire d’enfer 25
La vie était alors assez intéressante. Je rencontrais Lynn, qui continuait à venir me voir à la cachette. Je lisais beaucoup. Le soir, quand les moyens nous le permettaient, nous sortions participer à un jam ou encore prendre un verre quelque part à Sherbrooke.
Mes discussions avec Pierre, comme avec tout le monde d’ailleurs, se gâtaient avec le nombre de verres. Faire un livre en quelques mois, c’est pénible, à cause de la concentration demandée. Aussi avec le temps, entre deux Léo Ferré, les voix s’élevaient. Pierre n’était pas encore habitué à mes crises de paranoïa. Je n’en parlais à personne, de peur de faire rire de moi.
À chaque fois que je me mettais à la dactylo, j’avais la certitude de recevoir une balle dans le cabochon. Je croyais braver la mort pour le triomphe de la Vérité. Rien de moins. Du vrai théâtre antique dans lequel j’avais hâte de finir de jouer. Cette peur resurgissait avec le bruit des frappes de la dactylo, peut-être parce que je me mettais à écrire après quelques bons joints.
J’étais tout à fait changé quand je fumais. Je trippais plus fort. Je parlais de moins en moins. Je divaguais mentalement. Pierre était persuadé que gelé, j’étais parfaitement schizophrène. Il s’amusait à se moquer de moi.
Une seule personne, un visiteur, a compris ce qui se passait. Il avait appris dans le lit à mieux me connaître. Stone, je m’amusais trop pour vouloir me défendre si je me sentais attaqué. Tout était bizarre, drôle. Je visualisais parfois jusqu’à trois degré de réalité, en même temps.
Quand j’étais saoul, c’était le contraire, Pierre se ramassait avec des engueulades à n’en plus finir. Il ne comprenait pas les raisons de mes colères. Quant à Francine, elle ne manquait pas une occasion de me rappeler mon manifeste de la non-violence, même verbale. C’était mon testament écrit à un moment où j’étais certain de me faire descendre parce que j’entrais un peu trop dans le nez de l’establishment. Il faut vraiment se prendre pour un autre pour en arriver à croire ça.
Par contre, la plupart du temps, nous vivions des moments fort chaleureux et heureux… à jeun.
Depuis plusieurs mois, je connaissais un béret blanc (un groupe religieux fanatique) amourajeux comme moi. Il me fit vite partager ses goûts pour les revues pornographiques américaines. Nous partions souvent ensemble à la chasse autant à la bière ainsi qu’aux aventures. C’était la folie au pluriel : La chanson de Diane Dufresne multipliée par dix.
Le pauvre «stock up» fut aussi amené à goûter au pot. Sa réaction fut très étrange. Il se mit à faire des signes de croix, croyant que nous étions des diables, avant de se précipiter à l’hôpital, certain que nous avions tenté de l’empoisonner. C’est ce qui arrive quand tu ne peux pas comprendre le changement de réalité que t’apporte la drogue.
Le fait de se sentir étrange t’apparaît comme le début de ton agonie jusqu’à ce que la musique te fasse péter les plombs de joie. C’était mon cas.
Malgré ces moments, la poésie reprenait place dans ma vie et notre travail avançait à grande vitesse.
Gérald, mon ami béret blanc, me rendait de plus en plus souvent visite. Nous partions ensemble à la recherche des moments d’admiration. La beauté nous propulsait dans des cieux de plus en plus beaux.
Malheureusement, nous finissions saouls la plupart du temps, faute de candidats à vanter les beautés au-delà des paroles et de l’imagination. Les amourajeux passent presque toute leur vie à se rappeler la rare fois où ils furent séduits et en amour par-dessus la tête.
Une vie de peur qui se pare de la beauté pour ne pas voir la méchanceté humaine, celle de ceux qui prétendent défendre les jeunes.
Lors d’une de ces excursions, un matin de printemps, j’ai vu le soleil comme un nuage vital s’incruster partout, même dans la pierre.
Nous avions assez bu et fumé pour halluciner. J’étais près de l’auto et j’arrêtais les petits gars en vantant leur beauté. Les flos repartaient le sourire aux lèvres et bombant le torse.
J’ai essayé de décrire cette vision extraordinaire des éléments de la nature dans un poème que j’ai inclus dans mon livre Il était une fois les Cantons de l’Est.
La fiesta ne peut pas durer éternellement.
Un fonctionnaire décida, sous le faux prétexte que j’allais encore en classe, de me faire perdre mes allocations du bien-être. Toutes mes tentatives pour faire valoir mes droits et ressortir la vérité furent inutiles.
Il ne me restait que l’exil pour survivre.
Je ne pouvais plus retourner au journalisme. J’étais devenu trop paranoïaque et je n’avais pas assez d’argent pour me permettre de chercher un emploi.
Malgré mes dettes, je suis parti en voyage.
Je me disais : «Le système m’a mis à la porte, je rembourserai le système quand il m’aura rendu un emploi que j’aime et qui paie autant qu’à l’époque où j’étais journaliste. En attendant, vous n’aurez pas une crisse de cenne !»
Partie 2
L’EXIL
Chu tanné d’être préadolescent
me faire piéger, espionner, humilier.
J’en ai assez de passer pour un bum
je ne veux rien casser
je veux sacrer le camp
je veux tout aimer
voir le désert, nager dans la mer,
caresser un petit gars
ressusciter encore plus jeune
sentir dans chaque fibre de mon corps
un concerto d’hallucinations
de lunes-nombrils, de visages-soleils
je veux mourir en terre inculte
être enterré sous un érable
être un printemps en plein hiver.
Je n’avais plus qu’un espoir : vivre comme tout le monde. J’ai quitté Sherbrooke avec 35$ en poche. Il est difficile de survivre bien des années avec une telle somme.