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Un sourire d’enfer 26

mars 6, 2023

Un sourire d’enfer   26À Montréal, j’ai passé la première soirée dans un club gai.  Au Lincoln, les jeunes sont rares.  Tu es plus facilement remarqué par les plus âgés, car il n’y a pas de compétition.  J’avais choisi cet endroit, car, je gardais un mauvais souvenir des autres clubs, où même si les jeunes y étaient rarissimes, on ne m’apercevait même pas. Je sortais ordinairement de ces clubs encore plus frustrés.   J’avais l’impression que ces gars sont tellement à la recherche d’une queue à dévorer qu’ils ne pouvaient pas tenir compte du fait que l’on soit beau ou non, ce qui est tout à fait le contraire du désir chez les amourajeux. Ordinairement, je ne poignais pas, mais cette fois, je me suis trouvé un endroit où aller coucher sans frais.  La dernière année à Sherbrooke, la scrupuleuse, m’avait permis de connaître quelques belles expériences avec des plus vieux que moi et de cesser de m’imaginer, comme mon éducation le prétendait, que j’allais automatiquement, en allant avec un partenaire plus âgé, être coupé en petits morceaux. Les nouvelles à caractère sexuel servent à faire peur aux enfants et parfois chez nous, on lisait Allo Police, ce qui me rendait méfiant envers tous les étrangers. C’est à partir de cette expérience que j’ai toujours trouvé profondément paranoïaque les annonces demandant aux enfants de toujours avoir peur des étrangers. Une vraie maladie ! Le lendemain matin, j’étais sur le bord de la route pour Toronto.  C’était à la fois épeurant et extraordinairement excitant.  Comment survivre avec si peu d’argent ?  Une des pires peurs de mon adolescence : j’étais convaincu que je n’arriverais jamais à m’en tirer dans la vie, car en plus d’être « faiblesse », je ne savais rien faire de mes dix doigts. J’étais devenu journaliste par accident. Seul, c’est un vrai charme de voyager sur le pouce.  Les gens ont rarement peur de toi et tu te sens vite en terrain ami avec ceux qui t’embarquent.  C’est ainsi que dès le premier soir, j’ai couché dans une auberge de jeunesse à Toronto. J’ai particulièrement aimé cette soirée puisqu’un magnifique petit bonhomme d’environ 15 ans est venu prendre sa douche avec moi.  J’aurais bien vécu le reste de ma vie à Toronto, mais mes avoirs ne me le permettaient pas et, de toute façon, ce premier petit compagnon de rêve prenait le lendemain une autre route que la mienne.  Le dimanche, j’ai visité un peu la ville.  J’ai commencé à chercher les indications quant à la route à suivre pour continuer mon voyage.  Ce n’est pas facile quand tu es en terrain étranger. Le lendemain, j’ai connu mon premier incident.  J’étais allé chercher de l’eau dans un garage et m’informer à savoir quelles routes prendre.  Tout allait bien, quand près de la clôture, j’ai aperçu un immense chien qui me courait après.  J’ai grimpé le plus vite possible et j’ai échappé de justesse aux crocs du chien, mais pas aux barbelés. J’étais étonné qu’un bonhomme qui m’avait paru si gentil envoie ensuite son chien après moi.  Quel raciste !  Je me suis retrouvé sur une autoroute où un cortège de motos est passé à toute allure.  Un des pilotes a ralenti pour m’engueuler.  Je me suis cru dans un endroit défendu.  J’ai vite appris que mes craintes étaient fondées. Je fus embarqué par un groupe de jeunes qui, m’ont appris, que ces motos étaient l’escorte de la reine en visite dans le coin. C’était à mourir de rire : je venais de faire du pouce à la reine d’Angleterre.  À Sault-Ste-Marie, j’ai rencontré un jeune garçon de 14 ans environ, blond, beau comme un dieu.  Il se rendait sur le pouce à Winnipeg.  Il était là avec deux autres jeunes de son âge. Quel cadeau du bon dieu ! Nous avons fait du pouce ensemble toute la journée sans succès.  Le soir, à l’auberge de jeunesse, nous avons couché tous les quatre ensembles. Je n’aurais jamais cru que mon petit blond exigerait de changer de place avec les autres afin d’être encore plus collé à moi. Une chance inouïe ! Et, la vie est si courte qu’il ne faut pas la manquer. Ça valait mieux que le bonhomme venu me conduire à un ou deux milles en dehors de la ville, m’examinant sans cesse entre les deux jambes, à un point tel que je n’avais plus à me demander ce qu’il cherchait.  Par contre, le bonhomme avait trop peur pour s’aventurer plus loin et je ne me suis pas offert.  Il m’a donc laissé choir. Sur le bord du chemin, j’avais cru ce soir-là devoir marcher les quatre autres milles, mais heureusement, les dirigeants de l’auberge avaient eu le génie d’organiser un système de vannes qui paradaient les parages afin de récupérer ceux qui n’avaient pas eu de chance et qui était restés sur le bord de la route.   Il est souvent difficile de décoller à Sault-Ste-Marie et c’est encore pire si tu restes pris à Wawa, endroit légendaire.  Certains y sont demeurés assez longtemps qu’un pouceux a même eu le temps d’y rencontrer sa pouceuse et de la marier sur place.   À ma surprise, le lendemain matin, les jeunes avaient décidé de se séparer et de laisser le jeune blond poursuivre la route avec moi.  Ce que j’ai accepté sans rouspéter, bien évidemment.  Cela permettrait à ses compagnons d’avoir plus de chance sur le bord de la route.   C’était plus que je ne pouvais en espérer. Mes palpitations cardiaques ont augmenté du même coup.  La liberté a un charme que je n’avais jamais même soupçonné. J’étais déjà follement amoureux.  Darryl était superbe.  Il avait un sourire aussi éclatant que le soleil qui nous rôtissait sur le bord de la route. C’était plus que je pouvais espérer de la vie.  Nous avons été chanceux et nous avons réussi à faire quelque deux cents milles dans l’arrière d’une camionnette.  Mais, le soir, nous étions mal pris.  Il était impensable d’avoir une nouvelle «ride» et la température était à la fois trop humide et trop froide pour que nous couchions dehors.  L’idée que mon petit privilégié puisse avoir des embêtements me fit vite délasser les cordons de ma bourse, quitte à avoir plus de problèmes plus tard.  Nous nous sommes installés dans une chambre d’hôtel à Marathon. Avant de me coucher, j’ai pris une douche avec Darryl.  Jamais je n’avais été aussi séduit par la beauté des rondeurs des fesses d’un petit bonhomme comme lui. J’étais là, comme un imbécile, sans dire un mot, à le contempler se laver.  J’avais plein les yeux de la Grèce antique.  Comment est-il possible d’être aussi beau ?  L’amourajoie est envahie par la beauté des garçons.  C’est son moteur principal. Un amourajeux jouit juste à voir un garçon qui lui plaît. Partager ses jeux, ses rires, c’est un voyage divin. Malheureusement, j’étais encore trop scrupuleux pour en profiter sans remords.  J’ai avoué à Darryl que je suis amourajeux.  J’avais honte d’être aussi profondément charmé.  Le petit n’a pas été long à comprendre qu’il pouvait tirer parti de la situation : qu’est-ce que de se laisser embrasser pour s’assurer un maximum de confort et de sécurité ?  Darryl me regardait comme une bête rare.  Comme Daniel, il ne semblait pas comprendre pourquoi j’étais soudainement aussi scrupuleux.  Il devait rire intérieurement de moi et se demander comme il est possible d’être aussi stupide.  Le scrupule est une forme d’attardement émotif, une peur de la beauté de l’autre ou son incapacité à régir ses désirs. J’étais fou de lui, disponible à ses moindres désirs, même à ne plus le retoucher, s’il le voulait, ce qu’il ne tarda pas à comprendre et à me demander. Winnipeg vint trop vite.  Cet ange n’avait été qu’un espoir.  Si Darryl avait été le Canada anglais, je l’aurais vite accepté.  J’aurais eu une brèche en plein coeur de mon nationalisme. Darryl savait comme tous les petits gars qui ont du flair, comment instinctivement me mener par le bout du nez afin d’obtenir tout ce qu’il désirait.  J’étais le portefeuille ; un moyen d’échapper à la misère.  Darryl était mon bonheur.  Le pont de réconciliation politique.  Un pont que la nature a elle-même rendue infranchissable puisque nous devions bientôt nous quitter.  Nous sommes deux solitudes. Darryl avait bien compris qu’il ne devait pas, pour maintenir mes extases, être une proie trop facile.  Il avait droit à sa liberté. Malgré mes scrupules, j’ai vécu des moments inoubliables avec lui.  Il avait une vitalité extraordinaire.  Un regard de renard.  Les paysages se baignaient en lui. Il était un miroir magique. Winnipeg.  Sur le bord de la route, seul, je n’avais plus qu’un dollar en poche.  J’hésitais.  Devrais-je retourner au Québec ou poursuivre mon chemin ?   J’étais désespéré.  Il me fallait choisir. Crever de faim au Québec ou dans l’Ouest canadien ?  Quelle différence ? J’ai décidé de continuer et de ne pas abandonner par lâcheté. J’ai rencontré un bonhomme qui avait fait du pouce longtemps et qui me livra quelques secrets. À son avis, le seul moyen de voyager heureux, c’est comme dans la vie, de toujours se contenter des occasions qui se présentent, de toujours voir la vie de façon très positive.  Il prétendait que si tu es ouvert à la chance, celle-ci ne peut pas faire autrement que de te sourire.  Une vraie cure d’optimisme. Ce n’était pas loin de ma philosophie de vie, car, que je le veuille ou non, j’ai été marqué par la religion et ma foi dans la Divine Providence était inébranlable.  Rien ne pouvait m’arriver sans avoir une leçon à en tirer.   C’est bien beau à entendre ; mais c’est plus difficile à vivre, surtout sous un soleil qui te rôtit, l’estomac vide.  Un dollar pour survivre, à plus de 2,000 milles de chez toi, sans métier. Mais, j’y croyais. La récompense n’a pas tardé.  Quelques heures plus tard, un ex-soldat me prit à bord de son auto afin d’avoir quelqu’un à qui parler.  Quelque 200 milles plus loin, une femme fut ajoutée à l’équipage.  Je devenais un membre inutile.  Évidemment, les deux décidèrent de passer la nuit à l’hôtel.  — Nous te reprendrons demain, si tu n’as pas eu de chance avant. J’ai profité de l’occasion pour assister à un coucher du soleil dans les Prairies.  Ces spectacles sont supposés être les plus beaux de la terre.  J’en ai effectivement eu plein la vue, mais un coucher de soleil sur le lac St-Jean est aussi un spectacle hallucinant.  Découragé, je me suis blotti près de l’automobile abandonnée devant l’hôtel. Que veux-tu en voyage, il y a quatre genres de personnes qui t’embarquent : a) pour te rendre service, c’est un voyage silencieux b) pour tenir la conversation c) un gai à la recherche d’un jeune abandonné sur le bord de la route d) un hétéro ou une femme qui ont déjà fait du pouce et qui sont curieux de savoir ce que tu as dans le ventre ; car l’auto-stop est une école extrêmement riche. Si j’avais le coeur gros, j’ai commencé à ressentir l’appel de la route.  Aucune vie, aucun moment n’est comparable à celui qui marque le départ d’un long voyage sur le pouce.  C’est la grande aventure.  Tout est possible et plus souvent qu’autrement, la vie est très agréable.  Ça ne donne rien de s’apitoyer sur son sort. Il s’établit une communion entre le pouceux (auto-stoppeur) et la terre qu’il foule.   D’une part, tu as peur, t’es grugé d’insécurité, et d’autre part, la liberté te pénètre dans les cheveux et les narines comme une naissance ressortie dans chaque pore de ton corps.  Quant aux yeux, il est inutile de dire qu’ils font la fête sans avoir le temps de se reposer. Dès le lendemain, Vancouver est apparu avec le Pacifique.  La traversée pour Nanaimo m’a encore plus séduit que les Rocheuses.  J’avais tellement aperçu les Rocheuses sur des photos superbes qu’à première vue, elles étaient décevantes.  Les Madeleine sont encore plus belles. Elles sont imprévisibles.  Elles te précipitent dans le fleuve.

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