Un sourire d’enfer 20
Un sourire d’enfer 20 13 Un soir, à Sherbrooke, comme à l’habitude, la bière avait remplacé la poésie. Quand je bois, je deviens le contraire de ce que je suis à jeun. Je suis aussi baveux saoul que je suis paranoïaque quand je ne bois pas. C’est probablement parce que la tension finit par faire sauter les plombs, ce qui se manifeste dès que je n’ai plus le contrôle sur moi, En sortant de la taverne, je « zigzaguais » sur le trottoir, criant contre mes fantômes intérieurs, quand un policier m’a sommé de le rejoindre. J’ai refusé. Rien ne lui permettait de se mêler de mes affaires. Je gueulais, mais je venais de comprendre qu’il fallait que je me la ferme. Celui-ci me prit par un bras et me tira. J’ai résisté en m’accrochant à un parcomètre. Le policier a commencé à me frapper à coups de poing. Puisque j’étais contre la violence, mais que je ne suis pas masochiste, j’ai couru dans la rue pour me protéger. J’ai été rattrapé par le policier et un autre groupe de policiers venus le rejoindre. Les policiers me frappaient de plus belle. J’ai décidé d’assouvir ma colère en frappant sur une automobile devant moi puisque je ne voulais pas frapper un humain. Le propriétaire de la voiture n’a pas tardé d’arriver, demandant aux policiers de m’assommer. J’ai cessé de me débattre, car je le reconnaissais comme le propriétaire du restaurant devant lequel on se trouvait. Je me suis relevé et le regardant, je lui demandai : — Pourquoi prends-tu pour eux ? Ce sont eux qui me frappent, pas moi qui les frappe. Étant donné sa réputation, j’ai ajouté pour l’intervenant : Depuis quand la pègre appuie-t-elle la police ? J’ai recommencé à me débattre. Puis, ce fut le noir total. Tout ce que je me rappelle, j’étais couché dans le fond d’une cellule à Sherbrooke, seul, et un pied m’arrivait sur le corps. Les policiers m’ont abandonné. Ils sont revenus plus tard avec un autre qu’ils ont enfermé dans la cellule voisine. J’avais un témoin, donc, ils ne pouvaient pas recommencer à me frapper. J’ai commencé à gueuler, à exiger la présence de mon avocat, à scander les noms de deux avocats. Rien. — Vous devez être comme Saulnier. Vous avez des problèmes de tv. (Saulnier, chef de police, si je me rappelle, venait de se faire prendre en ayant accepté une télévision en cadeau). Je me suis foutu à poil et j’ai crié de plus belle. Soudain, un groupe de flics est arrivé. Je connaissais un des policiers, il demeurait comme moi au Parthénon, avant de devenir policier. Le gros qui m’avait frappé me regardait et fessait à coups de pied dans le bas de la cellule, essayant de me rejoindre alors que je lui criais : — Prend ton gun, mon gros Christ de chien sale, et tire. Demain, c’est toi qui va les avoir les problèmes. J’étais journaliste et j’étais conscient du pouvoir que cela me conférait. Celui-ci s’est retourné et m’a demandé si je le trouvais beau. Je n’en revenais pas. Où était-il allé chercher ça ? — On sait que t’as deux serins à Sherbrooke. — T’es mieux que moi, j’en connais qu’un. — Laisse faire, mon Hostie, je vais te dompter. Tu ne toucheras jamais à mon gars. Un peu plus tard, les policiers sont venus me relâcher. Il faisait encore nuit. J’ai pensé qu’il s’agissait d’un moyen pour me rabattre à l’extérieur et ainsi pouvoir recommencer à me battre, puisqu’il était impossible de me battre à nouveau en dedans à cause des témoins. Je suis donc resté en prison jusqu’au matin. En sortant, un des policiers m’a remis mon foulard des Patriotes, en disant : — Tu peux être chanceux qu’on n’ait pas su avant que tu penses comme ça. T’en aurais mangé une bien meilleure. Le matin même, je devais passer en cour. Le juge était reconnu comme, par hasard, pour un fervent libéral. J’ai aussitôt averti le journaliste qui s’occupait du judiciaire à la Tribune et qui était aussi président de notre syndicat, de cette histoire. Il s’est présenté chez le juge et à la suite d’une conversation, il m’a informé qu’on me rendrait ma liberté à la condition que je ne fasse aucune pression auprès de la Tribune pour publiciser cet incident. J’ai accepté cette condition. En Cour, j’ai révélé au juge avoir été battu et celui-ci se contenta de me dire de porter plaintes au chef de police d’alors, reconnu comme un fervent de ces méthodes dures. En fin de semaine, Québec-Presse relatait les événements. Il n’avait été question que de La Tribune dans notre entente et non des journaux diffusant à l’échelle nationale. Comment porter plaintes ? Comment prouver qu’on a été battu ? Les policiers, souvent sous peine de perdre leur emploi, témoigneront que c’est faux. Les flics fascistes sont pires que la pègre. Les juges leur sont déjà acquis, comme si leurs paroles venaient de Dieu. Ce n’était pas d’abord politique, pensais-je, mais parce que j’étais paranoïaque et saoul comme une balle. Une semaine ou deux plus tard, je recevais un appel téléphonique me demandant si je voulais témoigner dans un accident. Je ne me rappelais pas d’un tel événement. À force de chercher, de questionner, même auprès de la police, de quel accident il s’agissait ; j’ai appris que le propriétaire de la voiture sur laquelle je me défrustrais exigeait 55$ en dommages. Lors de notre conversation, l’inspecteur de police ajouta : » Je te conseille fortement de payer, t’auras beaucoup moins de problèmes. » J’étais contre ce remboursement. » C’est la police qui frappait, j’étais en légitime défense. » Par contre, mes amis me rappelèrent que mon créancier était le chef de la petite pègre locale. J’ai pris rendez-vous avec lui. Je ne me rappelais pas exactement comment ça s’était passé. Je lui ai demandé de me le rappeler. Ce fut facile ensuite de replacer le moment, grâce aux brides que je gardais dans la tête. Je lui ai aussi demandé de manière à peine voilée depuis quand la pègre fonctionne avec la police. Quant à lui, ça n’avait rien à voir. Il ajouta : » si au moins tu n’étais pas séparatiste, nous serions peut-être plus compréhensif. » J’étais de plus en plus convaincu que tout était politique, une intuition que j’avais depuis le début. Ecœuré, j’ai fait parvenir les 55$ demandés sous forme de 55 chèques de un dollar par mois, soit jusqu’en 1978 environ. Je n’en n’ai pas réentendu parler avant mon congédiement. En apprenant mes problèmes financiers, mon créancier m’en a souhaité d’autres pour me faire réaliser la bêtise du choix de mon option politique. Il a fini en disant : » tu peux être chanceux, des gars comme toi, habituellement, nous leur faisons casser les jambes. » Il m’a raconté avoir bien ri quand il a reçu mes 55 chèques, car, à son avis, ça prenait bien du courage pour réagir ainsi ; mais, affirma-t-il, j’ai vite changé d’idée quand j’ai pensé qu’en agissant ainsi, tu riais de moi. » Durant mes trois semaines de pénalités à la Tribune, j’ai pratiquement écrit seul le premier numéro e L’R du Q, le journal étudiant du CÉGEP de Sherbrooke. Le titre a été choisi pour continuer le travail de Gaston Gouin qui voulait publier une revue littéraire ayant ce titre. Je suis retourné au travail plus certain que jamais de l’utilité de mon retour : je journal voulait me congédier à moins que je change radicalement. De ce côté, les espoirs étaient pratiquement inexistants.