Un sourire d’enfer 16
Un sourire d’enfer 16
Nous avons entendu dire que la Commission sur la Constitution canadienne, présidée par le sénateur Molgat, viendrait siéger à Sherbrooke. Tous les médias devaient assister à cet événement, créé exprès chez nous pour prouver la bonne entente français-anglais.
Je me suis aussitôt mis à la rédaction d’un manifeste qu’on appela : Le manifeste du royaume des amorphes.
Pour donner plus de poids sur le plan provincial à cet écrit, il fut décidé d’avoir recours à un groupe d’étudiants, dont mon ami Jean, pour en faire la distribution, lors de la première d’un film. Cet exploit ne manqua pas d’éclat. Le manifeste avait bon ton et se terminait par » avec ou sans vous, nous vaincrons ». Les étudiants portaient des foulards aux couleurs des patriotes et, à notre surprise, le matin, la radio parlait d’un communiqué du FLQ. La chose fut démentie le plus tôt possible. Cela n’avait rien à voir avec le FLQ.
Au cours d’une assemblée des gars de la construction de la CSN, le manifeste avait été accepté par les travailleurs et il avait été décidé de le remettre aux membres de la Commission Molgat.
Certains dans le groupe espéraient, au contraire, que l’on ne se serve pas de ce document puisque j’en avais fait seul la rédaction quoique les sujets abordés dans le texte venaient de nos ateliers de travail en vue d’une plus grande sensibilisation de ces futurs leaders aux problèmes des Vauxcouleurs.
On voulait aussi faire connaître par cette publication les problèmes de la région à l’extérieur, but qui devait être très bien atteint pour nous donner du poids auprès des gouvernements. Quant aux moyens de pression, ils furent d’une efficacité indéniable. J’avais exhorté les travailleurs à ne jamais utiliser la violence sous toutes ses formes. Souvent le système se sert de casseurs pour détourner l’information. On parle de la casse et non du pourquoi des manifestations.
La non-violence a toujours été une condition préalable à toutes les actions auxquelles j’ai participé.
Malgré cette demande, certains me pointaient, en me surnommant le Paul Rose de la région. J’avais une telle admiration pour le FLQ que j’ai vu là un des plus beaux compliments de ma vie. Puisque je ne suis pas orgueilleux, j’ai accepté volontiers de passer pour un coq. Plus j’avais peur, je pense, plus je me prenais pour un dur. Je croyais me défendre.
La soirée ne se déroula pas comme prévue. Au début, les travailleurs ont remis le Manifeste à tous les commissaires.
Les délibérations ont commencé, et plutôt que de nous respecter, les sénateurs parlaient seulement anglais.
Sans se consulter, une toux se propagea à la majorité des poitrines. Ce fut un fouillis général, malgré les appels à la discipline du maire et du député de Sherbrooke. Cette toux resurgissait aussitôt que les commissaires s’exprimaient en anglais devant une assistance à 98% francophone.
Dans l’enthousiasme, j’ai décidé de faire connaître aussi mon opinion. De toute évidence, les commissaires ne voulaient rien savoir. Ce n’était pas le message que les média devaient passer.
Quand je me suis présenté, M. Molgat m’a demandé à au moins trois reprises de répéter mon nom sous prétexte qu’il prétendait ne pas comprendre. Je lui ai alors répondu : » John Simonez », prononcé à l’anglais. Ce qui marqua le début de la contestation.
J’ai invité les travailleurs à me suivre à l’extérieur. J’ai quitté la salle le poing fermé levé comme dans tous les gestes de révolution.
Le député fédéral de Sherbrooke, M. Paul Gervais, en profita pour demander au journal de manifester de façon concrète sa désapprobation aux propos que j’avais tenus. « Il vient enfin de faire connaître son vrai visage», de dire le député.
Nous sommes allés à l’extérieur chercher des pancartes en chantant. Certains ont essayé, en notre absence, d’obtenir des excuses du député, excuses qui ne vinrent jamais. Mes patrons de la Tribune étaient présents. En aucun moment, il n’y eut de violence.
- Le lendemain le journal mentait en faisant croire que le député de Sherbrooke, M. Gervais, avait été menacé. Il me semble cependant que certains travailleurs avaient dit à » mes boss » que si j’étais congédié comme le demandait le député Gervais, c’était pour La Tribune, le baril de poudre et le six pouces de mèche. »
J’ai été étonné d’autant de solidarité. Je n’ai donc pas été surpris quand les gars ont décidé d’occuper le journal si le manifeste n’était pas publié intégralement. Pour eux, la Tribune publierait pour une fois la vérité si le manifeste s’y retrouvait.
La réplique de l’establishment n’a pas tardé.
L’Association des cités et villes a organisé une assemblée spéciale, à Richmond, invitant contrairement à son habitude, tous les médias d’information.
Les maires de la région ont écouté le maire de Sherbrooke, M. Marc Bureau, récité un texte farfelu et plus qu’idiot, dans lequel celui-ci dénonçait les agissements d’une cellule FLQ-information, travaillant à Sherbrooke et reliée aux terroristes de Montréal.
Il n’y avait pas de doute, c’était de moi dont il s’agissait. Moi et qui ? Quel rapport avais-je avec Montréal ? Je collaborais avec l’Agence de presse libre (la même qui fut volée par la police fédérale) pour diffuser à l’extérieur les nouvelles que La Tribune refusait de rendre publique. Je coopérais aussi avec un mouvement qui combattait la construction de l’autoroute est-ouest. Le but de cette union visait à de faire valoir que les argents devant servir à construire cette autoroute que les Montréalais ne voulaient pas servent plutôt à la construction de la Transquébécoise que tout le monde voulait chez nous. La Transquébécoise était une autoroute reliant Sherbrooke au Lac St-Jean.
Autant que je sache, l’Agence de presse libre n’a jamais été reliée au FLQ, mais aux mouvements de la gauche montréalaise et le groupe contre l’autoroute est-ouest était fortement enraciné dans la population anglophone.
La GRC doubla ses effectifs à Sherbrooke. Devant les enquêtes qui s’annonçaient , nous n’avions rien à cacher, rien fait d’illégal ou de violent, aussi avons-nous invité la police à participer à nos délibérations. Malgré cela, j’ai reçu au journal la visite d’un officier de la Sûreté du Québec qui voulait m’entendre dire que j’avais rédigé le manifeste. Comme nous l’avions convenu en assemblée, j’ai refusé de répondre à ces questions. Le dire aurait été de l’orgueil mal placé.
Plus tard, certains me l’ont reproché disant que j’avais ainsi fait rejaillir la responsabilité sur tout le monde et fait que l’enquête se poursuive. J’avais simplement fait ce qui avait été décidé en réunion. L’agent est reparti, en claquant sur mon pupitre avec son bâton, et en me criant que l’on n’attendrait pas que je sois un second Charbonneau, un felquiste de la cellule Libération, avant d’agir. Il ne savait pas que je ne connaissais pas les felquistes, car tout ce que je connaissais du FLQ je le lisais dans les journaux comme tout le monde.
Certains m’ont alors reproché de jouer la vedette, mais je réagissais comme je le pouvais à une tempête pour laquelle je n’avais pas été formé.
Le responsable du syndicat à la Tribune me fit part du désir des policiers municipaux de Sherbrooke. Ils voulaient que je sois aussi leur animateur. J’aurais à leur faire connaître, eux aussi, les problèmes de la région, à l’occasion des négociations pour leur convention collective. J’ai accepté, même si cela pouvait être un piège à ours, en me disant que si les policiers voyaient comment on se fait « crosser» par nos députés, peut-être seraient-ils favorables aux manifestants dans les luttes futures.
J’étais un journaliste de plus en plus encombrant. Puisque je n’étais pas violent, il était impossible de me coffrer. M’accrocher parce que je suis amourajeux était tout aussi improbable : il faut des plaintes.
Partout, je parlais de ces amours insolites dès que je m’embarquais dans une lutte de manière à ce que personne n’ait de mauvaises surprises.
Tout le monde savait que, sauf les aventures racontées dans ce livre, que mes amours étaient plus souvent platoniques que physiques, tout se passait dans ma tête et dans mes poèmes. Pour eux, mon amourajoie n’était pas dangereuse et surtout ça « nous » regardait.
C’est une obsession étrange que d’aimer les adolescents comme dans la Grèce antique. Elle correspond à une vision, une façon de sentir le monde. Quand j’ai appris la culture de la Grèce antique chez les Jésuites, je me suis rendu compte que je me suis trompé de siècle et de pays. Je dois être une réincarnation d’une âme de cette époque. Qu’est-ce qui fait que tu sois amourajeux ? Ce n’est pas un choix.
Le carcan se fit de plus en plus lourd à la Tribune. On avait décidé de toute évidence de me mettre à la porte. De me faire taire par tous les moyens, comme si l’on ne comprenait pas que plus on essayait de m’étouffer, plus je me débattais.