Un sourire d’enfer 17
Un sourire d’enfer 17
Chapitre 3
Ennemi no un des libéraux, je devais m’attendre à être sauvagement combattu.
J’ai eu « l’honneur » d’être le seul journaliste à devoir produire par écrit, le matin, une liste de toutes les occupations de la journée et de fournir à la fin de la soirée un rapport écrit, encore une fois, de ce que j’avais fait. J’étais le seul journaliste qui devait produire de tels rapports écrits de son emploi du temps et du genre de nouvelles qui seraient touchées.
Dès qu’on sentait qu’un texte pouvait se transformer en informations politiques, il était mis de côté pour être étudié et souvent rejeté.
Ma tâche consistait à ramasser les nouvelles partout en Estrie. Le journal me fournissait une auto. On aurait dit qu’on avait peur que mes textes se transforment automatiquement en pamphlet politique. J’étais fanatique, c’est vrai. Je me prenais un peu pour le «superman» de la région. J’inventais projet de développement par-dessus projet de développement et je trouvais une personne en autorité pour en faire la promotion.
Ceux qui se croient inférieurs se pensent aussitôt supérieurs dès qu’ils attrapent un peu de pouvoir. Le mien était dans ma plume.
Ma première réaction fut de contester ce privilège en m’absentant du travail, mais ça ne donnait rien.
J’allongeais, sur la liste, le temps prévu pour les assignations. Je passais les minutes gagnées dans une taverne ou à courir les urinoirs, à la quête d’une aventure. Cela ne changeait pas grand-chose, je demeurais malgré ces changements un des journalistes les plus productifs.
Ma conception de l’information était non seulement rentable pour la population, mais aussi pour le journal. À long terme, La Tribune aurait été gagnante de mieux défendre les intérêts de la population.
J’aurais aimé voir le journal prendre plus au sérieux son rôle social.
Par conséquent, je trouvais nécessaire d’impliquer les journalistes dans la recherche d’une meilleure couverture des événements, et, grâce à un comité rédactionnel, de mieux faire ressortir les besoins et les solutions préconisées dans la vie du milieu. La Tribune ne voulait rien savoir. J’étais à leur avis, selon ce que M. Dubé me dit, dix ans en avant de mon temps en ce qui a trait à l’information. C’était peut-être un autre moyen de m’enfler la tête.
Quand je dépassais le mot à mot de ce que les gens déclaraient, on disait que je faisais de l’éditorialisme. Je n’avais pas le droit de chercher un lien entre les événements. Tout ce que je faisais, je remettais ce qui était dit dans son contexte, ce qui faisait que certains politiciens se contredisaient dans leurs affirmations. Je n’étais pas capable de vivre sans développer chez-moi et les autres un esprit critique.
Comme me le disait le président, M. Yvon Dubé, il y a deux versions dans toutes les situations.
J’ai dénoncé cette nouvelle obligation au syndicat. Je voyais dans ces tactiques, une nouvelle méthode pour contrôler le contenu de l’information. Le président du syndicat a abondé dans le sens des patrons à l’effet que c’était son droit rédactionnel. Il préférait les avantages d’être dirigeant syndical à se battre pour la liberté de presse.
Au journal, très peu de journalistes m’appuyaient. Tout le monde, sauf quelques journalistes engagés comme moi, me trouvaient excessif. J’étais pour eux à la fois fanatique et paranoïaque. Les rédacteurs sportifs me croyaient tout simplement fou. Pour eux, j’étais un «trouble maker».
La façon de travailler, la nomination d’un nouveau patron dont la responsabilité première semblait être de m’empêcher de toucher à toutes nouvelles susceptibles de devenir politiques, rendaient évidentes les raisons de ce soudain intérêt des patrons à mon endroit. Il fallait m’écarter de tout ce qui pouvait chatouiller les politiciens. C’était la guerre ouverte.
Selon ce que l’on m’a dit alors, Robert Bourassa et Jean Marchand exigeaient mon départ. Cette nouvelle a été plus tard démentie par M. Dubé, qui était alors président du journal. J’ai été heureux de reparler avec lui bien plus tard, car je comprends que pour des patrons, je n’étais pas une sinécure.
Selon M. Dubé, ce sont les gens de Sherbrooke qui ne cessaient de se plaindre parce que La Tribune parlait trop du projet d’aéroport international à Drummondville. Il m’a affirmé que jamais un politicien ne fit pression pour avoir ma tête. J’étais probablement plus paranoïaque que je le pensais.
Pour faire contrepoids à cette censure, je suis devenu un fidèle de la bouteille. J’étais devenu une espèce d’alcoolique avec tous les délires que cela suppose. La frustration apporte des écarts de caractère souvent inimaginables. Puisque je jouais toujours au terroriste, je faisais verbalement tout sauter dès que j’étais saoul.
Par contre, j’avais peur qu’il y ait du vrai dès que j’étais à jeun. Juste avoir une pensée violente était pour moi un cas de conscience, car un bon chrétien ne peut même pas accepter la violence en pensée. Je buvais pour oublier et ainsi être certain de ne jamais dénoncer qui que ce soit par accident. Pour moi, un stool, c’est la charogne la plus dégueulasse qui existe.
J’ai toujours pensé que de boire ainsi est une forme de suicide trop lâche pour se nommer.
C’était totalement fou, car je n’avais rien à voir avec le FLQ. C’était débile, je l’admets ; mais quand tu te sens combattu de partout, tu ne peux demeurer complètement intact. Et, je n’ai jamais manqué d’imagination. J’avais aussi peur de me raconter des histoires.
J’avais déjà de tels changements d’humeur et de comportements que certains me croyaient devenu menteur. Pour un gars, prêt à crever pour la Vérité, c’était quand même effrayant comme problème moral.
Je n’aurais pas voulu, même verbalement préconiser la violence ; mais dès que j’étais saoul, je ne faisais qu’exprimer la révolte que je ressentais face à la pourriture politique que je devais combattre à tous les jours.
La situation était rendue d’autant plus invivable qu’ayant décidé de faire valoir mon droit à être amourajeux, personne ne pouvait être de mon bord, même pas mes parents. Je n’étais pas assez imbécile pour ne pas voir la vérité en face et essayer de la comprendre. Qui avait raison : moi ou le système, la société ? Je ne pouvais pas être seul à posséder la vérité.
Je ne vivais plus dans le beau nid de l’appartement partagé avec Gaétan Dostie. Avant, même si rien n’était luxueux, l’atmosphère était très saine. Tout était axé sur la création et la connaissance du milieu des arts. Sans qu’il y ait de relations sexuelles entre nous, Gaétan acceptait que je sois amourajeux, car à son avis, j’étais tout simplement demeuré un enfant. Ce qui me comblait d’orgueil.
Dans ma nouvelle demeure, il n’en était plus de même. Je vivais dans une chambre où je n’avais même pas défait mes bagages, une espèce de trou que l’on appelait la vie en commune.
Mon amourajoie radicalisait ma perception de la vie. Je me sentais encore plus rejeté. Plus différent. J’évoluais entre l’extase et la culpabilité. La réalité était bien inférieure à l’idéal que je m’étais fixé. J’avais un surmoi plus grand que la panse.
Cette passion, cette adoration avait depuis longtemps dépassé la fixation des pénis quoiqu’elle y ait pris naissance. Qu’est-ce qui m’avait si totalement inconsciemment envoûté quand j’étais encore enfant ? Pourquoi cela est-il devenu une forme d’obsession par la suite? Qu’est-ce qui faisait que j’étais ainsi? Ça modifiait toute ma vie.
C’était une approche, une conception globale de l’homme qui en était transformée. D’où venait ce besoin, cette curiosité ? C’était plus facile de comprendre ma colère que se savoir d’où venaient mes obsessions sexuelles.