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Un sourire d’enfer 14

février 22, 2023

Un sourire d’enfer 14

Grâce à Gaétan Dostie, j’ai fait connaissance avec une foule d’écrivains québécois qui me fascinaient toujours plus les uns que les autres.  Je me sentais bien inférieur, mais j’espérais qu’un jour ma plume soit aussi riche. 

J’attachais beaucoup d’importance à ce que j’écrivais puisque je voulais m’en servir, si un jour je devenais assez populaire, pour indiquer aux jeunes que le talent est quelque chose qui se cultive.  Il ne faut pas espérer dès le premier vers être plus grand que Rimbaud.  Les génies sont extrêmement rares.  

Sur un plan régional, j’étais déjà devenu un poète écouté et attendu, ce qui était déjà beaucoup.


Un soir, à Sherbrooke, alors que je n’y croyais plus, ma poésie triompha. 

Après avoir chanté dans mes poèmes mes amours avec Coco, je vis en descendant de scène un jeune, assis seul, qui semblait me sourire.  J’ai été immédiatement saisi par sa beauté, l’élément fondamental de l’amourajoie, comme au temps de la Grèce antique. Sa raison d’exister. L’amourajoie  est semblable à l’extase et le besoin de toucher, comme ce que l’on ressent devant une œuvre d’art.

Évidemment, plusieurs se scandalisent quand on raconte ainsi comment un jeune peut traduire dans son corps un appel que même bien des adultes ont oublié.  Ce n’est pourtant que la stricte vérité.  C’est facile à comprendre : tous les jeunes ne meurent de peur en entendant le mot péché.  Ils aiment aussi le plaisir.

Dans notre société, le sexe est devenu quelque chose d’effroyablement important parce qu’on essaie de l’interdire aux jeunes qui le découvrent.  On ne voulait même pas en parler.  On fait abstraction totale de notre propre expérience pour mieux se faire croire qu’être innocent, c’est être chaste.

Je n’ai jamais été et je ne serai jamais seul à ne pas comprendre une telle folie de la part de la société.  Probablement, parce qu’on est trop borné pour constater qu’il n’y a pas que la procréation dans la sexualité. Pourquoi un pénis est-il plus important qu’un autre organe de notre corps, sinon parce qu’on est ignorant et qu’on s’est fait laver le cerveau.

J’étais moins scrupuleux, plus heureux.  Je voulais vivre mon amourajoie et la défendre, même si je savais que presque tout le monde est contre de telles relations sexuelles parce qu’on s’imagine que l’autre est profané comme s’il ne vivait pas sa propre sexualité, à son propre rythme. Une réalité qui a été fortement démontrée par la science.
 
En fait, cet interdit donne le droit aux adultes de contrôler la vie sexuelle des jeunes. On a peur que si un jeune a une relation gaie, il le deviendra automatiquement.  Pourtant, mon expérience me prouve que c’est absolument faux.   

La religion a créé cette répression et l’interdiction aux jeunes de disposer de leur corps ; mais cette surprotection maladive est née, selon Foucault,  avec la bourgeoisie et est l’œuvre de la médecine.
 
Cette nouvelle façon d’affirmer mon droit de partager avec ceux qui le désirent les joies sexuelles n’était pas sans me créer différents problèmes.  Ceux qui ne me connaissaient pas pouvaient facilement me prendre pour un maniaque.  Par contre, dans mon entourage, on se montrait tolérant envers moi parce qu’on reconnaissait que je cultivais un tel culte, une telle vénération pour la jeunesse  qu’il m’était impossible de mettre qui que ce soit en danger. Cependant, je ne me sentais pas totalement accepté comme j’étais.  Étais-je paranoïaque ? Sûrement !

Politiquement, certains m’admiraient ; mais cela tournait toujours contre moi, dès qu’on apprenait que je suis amourajeux, comme si mon orientation sexuelle avait strictement rapport avec mon goût pour un Québec indépendant. C’est vrai que j’ai toujours pensé que le Québec est plus tolérant que les autres pays d’Amérique du Nord , protestants, et qu’il serait peut-être  ainsi plus facile d’essayer de faire comprendre mon point de vue à la majorité.

D’autres mettaient en doute ma loyauté envers mon engagement, du fait que je n’étais pas sans cesse achalé par la police.  Une nouvelle peur s’installa : qu’est-ce qu’on pense de moi ?

J’allais voir Coco persuadé que certains étaient assez fous pour croire qu’il s’agissait là d’un moyen employé par le système pour me récompenser ou essayer de me posséder.  J’en suis venu à croire que j’y jouais une fois de plus ma vie.  Braver la mort en valait la chandelle.  Mes amours n’en étaient que plus sublimes ;  mais probablement moins équilibrés parce qu’ils prenaient une dimension qui n’existe pas dans la réalité.  Ma vie politique se mariait très mal avec ma vie sexuelle délinquante.   ¨


Pourtant, c’est humiliant en maudit de risquer — vraiment ou en imagination– sa vie pour une population qui pouvait du jour au lendemain te « lyncher » parce que tu n’acceptes pas toutes ses règles.  Comment les assurer que tu ne te fais pas acheter par la police ?   Je n’étais quand même pas pour courir après les policiers pour leur demander de me tapocher, juste pour éliminer tous les soupçons. Je savais qu’un jour ou l’autre, ça arriverait et que dès lors mourront d’eux-mêmes tous les soupçons.  Je ne pouvais rien d’autre.

Je travaillais de toutes mes forces pour les Vauxcouleurs, en songeant que je le faisais indirectement pour l’avenir des jeunes.  L’interdit rend toujours un peu fou.

Mon amour était cosmique : la nature était plus belle que jamais.  J’étais un peu moins frustré et jamais la guerre ne me répugnait autant,  car je songeais aux enfants qui y sont tués.  J’étais devenu grâce à ma liberté, un adorateur de la Vie.

J’ai entrepris, en me sentant aussi bon que les autres malgré mon amourajoie, luttes sur luttes pour le bien-être de l’Estrie, les Vauxcouleurs…

Je m’engageais surtout dans ce qui me semblait une question de justice.   Journaliste, j’avais un pouvoir réel. Je pouvais facilement entrer en communication avec ceux qui nous représentent.  On oublie trop facilement qu’ils sont élus pour nous servir.

J’étais bien conscient que pour une bonne partie des humains,  je n’étais qu’une charogne dès qu’on découvrait ma tendance à la liberté sexuelle.  Être amourajeux , pour la majorité des gens, c’est pire que tuer… c’est stupide, mais c’est ainsi. 

Je considérais qu’il était important de dire que je suis amourajeux , ne serait-ce que pour être honnête avec les gens qui m’entourent, mais en parler, c’est t’assurer d’être crucifié.   Qu’est-ce que tu fais dans ce temps-là ?

Je suis persuadé que la plus grande sécurité pour les jeunes serait que l’on puisse en parler ouvertement, de manière à ce que le sujet puisse être abordé sans devenir fou.  Ainsi, le jeune serait aussi libre de se confier sans gêne et sans peur à ses parents ou un prof ami, s’il en a besoin. On essaie de nous faire croire qu’on est libre, mais qu’on a seulement le droit de dire non.

Pour moi, la cause des Vauxcouleurs, c’était la même que celle de mes amours, de ma sincérité, de mon honnêteté.  Dans un cas comme dans l’autre, j’étais décidé à crever, s’il le fallait, pour aider la région à se sortir de sa situation financière difficile.

Ainsi,  durant quatre ans, sans pouvoir le contrôler, à plusieurs reprises, j’ai revécu ces pénibles moments au cours desquels j’avais la certitude de me faire tuer.  Était-ce l’effet des deux accidents qui devinrent une raison de croire que c’était possible d’être tué par le système, sans compter que de nombreuses personnes étaient tuées ailleurs pour des raisons politiques ou sexuelles comme cela s’est produit en Italie, par exemple.  La droite religieuse s’imagine faire ainsi l’œuvre de Dieu en tuant ceux qui ne partageant pas leurs croyances… J’étais fier de moi.  Je bravais la mort par amour.

Si mon amourajoie permettait sans traumatisme quelques petites expériences génitales ; par ci par là, elle me portait à croire dans un très haut degré de sacralisation de l’enfant, de ses droits et de ses besoins.   Aucune peur ne pouvait m’empêcher d’agir comme il me semblait bon de le faire.  Mes amours, c’était ma révolution : le besoin de rendre la vie plus humaine, plus tolérante, plus fascinante.

Mon fan club augmentait.  Quand on me parlait de révolution, on discutait aussi d’amourajoie.  Si je n’ai pas dû révolutionnairement justifier mes amours presque tous les soirs, je n’en ai jamais parlé.  C’était un autre poids à porter. Plusieurs essayaient  de semer le doute en moi parce que je suis différent.

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