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Un sourire d’enfer 11

février 19, 2023

         Un sourire d’enfer 11

                                        Chapitre 2



Mon travail me forçait à prendre conscience d’une autre réalité, moins angélique celle-là, la plupart des gens sont exploités, prisonniers d’une structure qui nous condamne à lutter entre nous, les uns contre les autres, comme dans une jungle.

Heureusement, les Vauxcouleurs (Estrie) sont une des plus belles régions que j’ai connues et mon travail me forçait à la visiter, à apprendre que la terre est parsemée de gens très bons. 
 
La Tribune de Sherbrooke m’avait affecté à la couverture des événements régionaux, c’est-à-dire tout ce qui se passe en dehors de Sherbrooke.  Elle avait mis une auto à ma disposition pour me déplacer dans la région.

La nature et une certaine liberté dans mon travail commençaient à me permettre de rêver à un monde dans lequel le bonheur, la sincérité, la franchise étaient des éléments de base.  J’étais aussi naïf qu’à mes douze ans. 

Il me semblait impossible qu’il puisse exister des gens pour qui la fortune, la gloire, le pouvoir, l’argent puissent être plus importants que la vie humaine.  Sans le savoir, j’étais profondément chrétien, malgré mon amourajoie. C’était normal avec l’enfance que j’avais vécue. On n’envoie pas Dieu promener quand on l’a vécu très profondément dans sa chair. Je rêvais et j’apprenais petit à petit que ce monde idéal n’existe que dans ma tête.

Puis, comme l’avait prédit le poète Gaston Gouin, il se mit à faire mauvais sur tout ce territoire.


Lors d’une visite à Québec, j’ai appris que Mme Gosselin avait juste quelques mois à vivre.  Elle était atteinte du cancer. Mme Gosselin m’appris la nouvelle avec tant de douceur que j’ai cru qu’il s’agissait d’une farce.  L’humour était chez elle un trait de caractère qu’elle employait parfois pour nous sonder ou pour nous faire confronter les réalités de la vie.  Je ne l’ai pas crue. Cela me semblait beaucoup trop injuste.  Elle était trop bonne pour mourir aussi jeune.  Maintenant qu’elle était heureuse, elle mourait.

Je n’ai rien retenu de cette nouvelle qui me semblait invraisemblable puisque Mme Gosselin semblait encore en pleine santé, malgré sa dernière opération.
 
Je m’interrogeais aussi sur l’amour.  Aimer son prochain, est-ce se battre comme journaliste pour le bien de la région ?  Est-ce plutôt s’attacher à un individu en particulier comme j’aimais Réjean?  Est-ce manquer de charité que de combattre les politiciens qui nous semblent malhonnêtes ?

Ma conception du christianisme avait émergé avec ma première visite en prison.  J’étais devenu plus croyant, mais aussi plus conscient que ce que l’on nous demandait sur le plan sexuel était carrément contre nature.  Il faut toujours se vaincre. Pourquoi ?  Ça apporte quoi aux autres ? En quoi la chasteté nous rend-elle meilleur ou plus pur ?

Je croyais que la plus grande des prières est la joie de connaître Dieu dans tout ce qu’il a de plus beau. 

Par conséquent, l’amourajoie était ma réalisation la plus sublime quand je l’acceptais et que je cherchais à la vivre honnêtement.  Est-ce erroné ?  Qu’est-ce que la vie ?  Pourquoi un Dieu, qui se dit amour, laisse-t-il souffrir et mourir de misère autant de monde?


Ma grande peur était, comme je l’entendais partout, de blesser, de nuire aux autres.  J’étais à ce sujet extrêmement scrupuleux.  Je croyais possible que les jeunes soient sans défense et facilement brisables, influençables comme on le prétendait, même si toutes mes aventures me prouvaient le contraire.  Sans violence, un jeune ne fait que ce qui lui plaît.

J’ai pris des années à découvrir que les adultes perçoivent la réalité sexuelle des jeunes à travers leur propre peur, née de leur éducation.  En imposant leur morale, ils se fichent bien de briser la curiosité sensitive des jeunes.  Une curiosité toute normale, tout aussi essentielle pour garder une attitude positive devant la vie.  Ils leur apprennent à haïr leur corps, comme ils le font pour eux-mêmes. 

Pourquoi plus de femmes souffrent de névrose que d’hommes, sinon parce que la perception du corps de la femme est dans notre éducation la fin, la tentation sexuelle de tout individu, le mal ? Qu’elles doivent répondre à tous les critères inventés par une société de mâles qui profitent de leur soit disant besoin d’intimité. Les femmes sont esclaves de leur besoin de bien paraître.  L’Église les condamne, ce qui les place dans un perpétuel état d’infériorité par rapport à l’homme.  Ainsi, plus de femmes ne savent pas vivre dans la joie d’avoir un corps.  Comment accepter que la société continue à entretenir une telle imbécilité ?   
 
Je ne pouvais pas nuire à Réjean en l’aimant, en lui prouvant l’intérêt que je lui portais. 

D’autre part, à Sherbrooke, Hélène m’attirait toujours  quoique nos relations fussent de plus en plus espacées.  Nos passions avaient été parfois très éblouissantes, avant que Réjean ne fasse partie du décor.  Il a tout changé quand je l’ai rencontré.  J’étais devenu follement amoureux de lui.  Je travaillais et je m’ennuyais de lui.  À Sherbrooke, Hélène partageait ma ferveur grandissante pour la cause du peuple, mon besoin de révolution dans le sens d’un changement profond.   Hélène m’entraînait dans la poésie.  Nous étions heureux.  J’aimais cette ambiguïté sécuritaire, même si c’était de bien moindre importance que mon besoin d’authenticité.   

Comment un amourajeux peut-il aimer vraiment une femme ?  Un amourajeux  (un terme que j’avais inventé pour titre d’un de mes livres de poésie) est-il nécessairement et uniquement gai ?  Est-ce que l’âge entre amoureux a réellement de l’importance ?   Aussi, comment ne pas sertir la joie des autres qui t’estiment maintenant sur la « voie de la guérison » ? 

J’étais encore assez niaiseux pour croire qu’il est mal d’être amourajeux, de croire qu’être amourajeux est anormal. J’adorais Réjean et, plus il le savait, plus il s’en servait pour me manipuler.   Son petit copain de quelques années plus vieux que moi ne servait qu’à me le rendre encore plus indispensable. Mes hésitations à monter à Québec tenaient d’une chose que je ne connaissais pas avant : la jalousie.

 Quant aux Vauxcouleurs (Estrie), la flamme politique se faisait plus rare et toute autre forme de vie m’ennuyait.

J’avais complètement perdu foi dans la députation.  Nos représentants ne connaissaient rien à nos problèmes et nous en avions à revendre. Tout ce qui les intéressait, c’était leur maudit pouvoir, être réélus.

Aucun secteur économique ne se portait bien et dans chaque cas, le fédéral était toujours le principal responsable. Les deux paliers de gouvernement se garochaient les problèmes, ce qui permettait de rien solutionner.

J’attachais autant d’importance au sort de la région qu’à mes propres amours.

 Les gens réagiront.  Ils finiront bien par comprendre.  Ils ne peuvent pas se faire emplir tout le temps, sans finir par identifier les menteurs et les profiteurs, pensais-je.

Mais on aurait dit que la majorité était  totalement aveuglée par les discours des politiciens  ou plutôt qu’elle était trop paresseuse pour chercher à bien s’informer.  Les gens croyaient tellement dans les gouvernements qu’ils ne pouvaient accepter les changements globaux qui leur permettraient de s’en tirer.

J’attachais une importance sans limite à la vérité. Une vraie croisade.  Du journalisme d’information, j’étais passé au journalisme de combat.  J’exigeais de faire des liens entre les événements et de les resituer dans leur vraie perspective, ce que les patrons appelaient de l’éditorialisme. 

Pour moi, ce n’était qu’éclairé l’événement pour que les gens comprennent. J »étais un chevalier sans cheval, ni armure.  Un Don Quichotte. J’étais très vulnérable.  J’étais amourajeux, un défaut que personne ne saurait me pardonner parce qu’au Québec on s’imagine encore que la sexualité sans violence, c’est pire que de prendre de la cocaïne ou de tuer.  On n’évolue pas très vite parce qu’on a peur d’être mal jugé par les autres. 


Je suis retourné à Québec. Je ne pouvais pas être plus longtemps sans Réjean, ça me faisait trop souffrir.  Cette fin de semaine, non seulement mes amours avec Réjean ont ré ouvert une plaie ; mais voir Mme Gosselin littéralement fondre me bouleversa.

Elle me dit avoir apprécié Re-jean, le dernier livre qu’elle lut.  Elle affirma y avoir trouvé la franchise et la sincérité qui me caractérisent et qu’elle admirait en moi.  Cependant, elle doutait à savoir si c’était bon.  À mon départ, Mme Gosselin fondit en larmes et me dit en guise d’adieu « Mon pauvre Jean ».

Plus que jamais j’ai ressenti mon incapacité à supporter autant de souffrance.  Je ne pouvais plus me rendre à Québec. C’était trop dur… trop d’émotions.

Peu de temps après, un autre événement néfaste se produisit. 

Gaston Gouin eut un accident en motocyclette.  L’accident fut vite considéré par ses amis comme un meurtre. Plusieurs faits demeuraient énigmatiques.  Est-ce que le trou dans son gant était vraiment un trou de balle de revolver ? Comme plusieurs, j’ai cru que la GRC ou les services secrets canadiens venait d’assassiner un des nôtres, le poète en noir.

J’étais révolté.  Si j’avais toujours été radicalement opposé à la violence, je commençais à comprendre que d’autres ne le soient pas et qu’il faut parfois y avoir recours pour se défendre. Pour des millions de dollars l’establishment hésiterait-il à tuer, à truquer des procès ?

Quand un ami est tué par la police ou que du moins tu le crois, tu réfléchis sur la valeur démocratique de ta société.  Il est impossible de ne pas se radicaliser. Ce que je fis.

Dorénavant, si j’étais toujours contre la violence, j’étais pour le droit de se défendre.  Si Gouin avait été tué, qui serait le prochain ?  Non seulement les fédérastes étaient des menteurs, mais aussi des assassins. 

J’ai commencé à envisager la révolution non plus comme un acte condamnable, mais une juste guerre.  C’était la justice ou la vengeance.  Je croyais les felquistes tellement purs qu’il m’était impossible d’entrevoir qu’ils puissent mentir.

Je n’avais pas oublié la mort de Gouin quand j’ai rencontré un ami d’enfance qui organisait un festival de la peinture à Scotstown avec Frédéric.  Réginald m’y invita.  J’ai passé plusieurs jours en compagnie des peintres qui participaient à ce festival.


Quoiqu’il en soit, à la fin de ce festival à Scotstown, Claude, mon copain d’enfance partit en voyage afin de se reposer.  Il apportait sans doute avec lui les pincements au cœur qui nous avaient effrayés quand les membres d’une jeune troupe s’étaient effondrés avec le plancher, au cours d’une représentation théâtrale intitulée «  Oliver Twist ».

Le festival avait été un succès, nous en étions tous fiers. 

Deux jours plus tard, les patrons me demandaient de préparer un papier sur sa mort.  J’ai noté, comme tout bon journaliste, tous les détails de son accident d’auto.  Je vivais comme dans un nuage, tant ce malheur me secouait.  Cela me semblait impossible.  Je croyais dans un coup monté.  J’écrivais la nouvelle entre deux larmes.  C’était une partie de moi qui venait de partir, de beaux souvenirs d’enfance.  Les patrons ne m’auraient peut-être jamais laissé travailler sur cette nouvelle s’ils avaient su que Claude était un ami d’enfance.

J’étais encore sous le choc quand j’appris la mort de Mme Gosselin.  Cette période me ma vie fut tellement douloureuse, à cause de toutes ces morts, que je ne suis plus certain de l’ordre chronologique du déroulement des événements.

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