Un sourire d’enfer 10
Un sourire d’enfer 10
Re-jean m’apporta une lueur d’espoir. Peu de critiques de mon ouvrage furent négatives, certaines étaient même fortement encourageantes. J’étais, selon un docteur en lettres à l’université de Washington, que m’avais présenté Antoine Naaman, le premier écrivain depuis Rimbaud chez qui elle trouvait autant de souffle.
Pour sa part, Roger Peyrefitte que j’admirais pour Les amitiés particulières, me félicita, tout en me faisant savoir qu’il avait des correspondants à Sherbrooke.
À cette période poétique de ma vie, je fis connaissance avec Réginald Dupuis, un peintre qui, pour gagner sa croûte, travaillait dans la décoration intérieure. Réginald était un pur hétérosexuel, nullement intéressé à changer de gibier. Il devint mon meilleur ami.
À chaque fin de semaine, je me rendais dans sa famille (qui habitait juste au-dessus de chez ma tante où je logeais) où nous avions des discussions sur toutes sortes de sujets. La poésie était à l’honneur et nous faisions ensemble de la peinture. Son épouse Denise était non seulement très gentille, mais elle était très intelligente. Elle avait une noblesse d »âme que j’admirais beaucoup.
Réginald devait souvent parler de moi puisqu’un jour il m’apprit qu’une poétesse voulait faire ma connaissance. Fort de mes mésaventures, j’étais quelque peu misogyne. Cette rencontre retarda jusqu’à ce qu’elle s’impose d’elle-même.
À mon arrivée, j’ai été ébloui par la beauté de cette femme, sa jeunesse et son ouverture d’esprit. Elle avait un air égyptien, exotique.
La conversation porta évidemment sur mes écrits et mon amourajoie. Elle faisait preuve d’une très grande érudition. Elle m’arracha un aveu : Réginald m’avait vanté son intelligence, mais il m’avait caché sa beauté. Je l’ai regardé avec fascination.
L’amitié souda les deux groupes.
Cette rencontre cristallisa toutes mes émotions autour de la poésie, de sa signification, et petit à petit, je devins moins sauvage avec la belle qui se découvrait aussi folle que moi dans sa recherche de la beauté, de la jeunesse et de la joie.
Ensemble, nous étions comme deux enfants, deux amants de la nature. Nous vivions des moments de joie si intenses que j’en oubliai ma misogynie. Alors que je récitais publiquement mon adoration amourajeuse, je vivais une aventure presque sublime avec une femme.
Quel changement ! Nous avions ensemble la passion poétique et Réginald nous introduisait lentement à l’amour des couleurs, de la peinture. Tout était art dans notre vie. J’étais tellement souvent chez Réginald que je me suis souvent demandé si je n’abusais pas.
La vie de groupe s’élargit à d’autres poètes et peintres des deux sexes, un véritable petit cénacle. On parlait de plus en plus d’école littéraire de Sherbrooke. Notre réputation atteignait même Montréal. Ma petite amie m’apprivoisait petit à petit.
Au fond, elle aurait bien voulu me guérir de ce qui lui semblait » ma maladie ». Tout au moins aurait-elle aimé que je puisse écrire, un jour pour une femme, une aussi belle lettre d’amour que celle que je venais de publier pour Réjean.
Je prévenais ceux avec qui je travaillais de mes « vrais attraits amourajeux » afin de m’assurer que jamais il ne soit possible de m’accuser d’avoir trahi leur confiance. Un échec dans la maîtrise de la petite nature était toujours possible…
Un souci d’honnêteté que l’on me reprocha très souvent. Certains pensaient que c’était de la provocation alors que c’était simplement un désir de respect pour les gens qui ne partageaient pas ma perception de la morale sexuelle.
Cette époque fut très importante à bien des points de vue. J’apprenais qu’il est possible d’avoir des amis, même si toute ton âme est dirigée par l’amourajoie.
Mes relations étaient franches et ne souffraient pas l’hypocrisie vomie dans l’Homo-vicièr. Tout était poésie, peinture, musique Un fleuve d’énergies vitales, d’amour, de rire et de beauté.
Ainsi, savoir que je suis amourajeux permettait de parler franchement. Elles pouvaient en parler sans déclencher de drame. Elles pouvaient leur faire part de leur morale, tout en les laissant libres de juger par eux-mêmes. C’était beaucoup mieux ainsi. La vérité est préférable au silence de la censure.
Personne ne paniquait ou ne paranoïait à cause de ma réalité. Elles me disaient franchement ne pas partager mon point de vue, mais que de le savoir permettait d’avoir la vérité sut tout ce qui se passait. En fait, le seul danger qui puisse exister dans une telle relation, c’est qu’une personne soit violente.
Dans notre société, les jeunes n’existaient pas, les parents décidaient tout pour eux. Ils n’avaient pas droit au chapitre, même si c’était leur vie.
Puis, j’ai connu la marijuana. Fumer était presqu’un rite sacré.
J’adorais cette nouvelle dimension. Ce miroir qui révèle un aspect de la vie qui demeure inconnu sans cet artifice. Petit à petit, le pot devint un instrument pour mieux saisir la musicalité de la poésie, la richesse des structures et des images.
La mari eut des retombées d’abord très positives. Elle transforma, grâce aux contacts de meilleurs poètes que moi, toute ma perception poétique. Gelé, j’étais méditatif ou rieur.
Contrairement à ce que m’avait dit mon psychiatre, je n’ai jamais cherché à dépasser le stade de haschisch. J’avais peur. Je me trouvais assez fou pour ne pas risquer de le devenir plus. J’avais assez de mon besoin compulsif de sexe que j’identifiais à l’amour. Trop fumer me rendait encore plus paranoïaque. Je ne voulais pas me brûler le cerveau comme des milliers de jeunes l’ont fait depuis.
Mon expérience avec l’école libre m’aidait aussi . La base de l’école libre était de donner une place aux jeunes dans la société, de les considérer comme des humains à part entière. C’est le contraire d’une société qui élève ses enfants en exigeant l’obéissance aveugle, sous prétexte que les adultes connaissent tout.