UN SOURIRE D’ENFER 9
Un sourire d’enfer 9
Ma guerre avec La Tribune commença, non seulement parce que j’étais devenu fanatique; mais parce que j’y vis une forme de censure.
On me dit que Bourassa et Marchand demandaient ma tête presqu’à toutes les semaines. Plus tard, M. Dubé m’a affirmé qu’il n’y a jamais eu de telles pressions politiques à mon endroit, mais que les instances régionales étaient fatiguées de voir l’intérêt que la Tribune portait au projet d’aéroport international. C’était simplement la survie économique de notre région qui était en jeu ; mais l’appartenance aux libéraux était plus importante que le bien de la population.
Quoiqu’il en soit, je suis depuis absolument indépendantiste et chaque jour m’apporte une raison nouvelle de nous séparer du Canada.
La décision du gouvernement fédéral quant à l’aéroport international est ce qui venait compléter les raisons pour être à jamais séparatiste.
C’était évident que les décisions se prennent toujours en fonction des intérêts du Canada anglais. D’ailleurs, si on lit l’histoire du Québec, on s’aperçoit que si notre peuple a toujours été vaillant, il a toujours été dirigé par une bande de moumounes quant au besoin de s’émanciper.
Nous sommes dirigés par des politiciens qui se prétendent les voix du peuple, des menteurs prédicateurs au service des intérêts anglophones plutôt que ce celui du vrai peuple francophone.
Avec l’Église, nous sommes habitués à écouter les ordres venues de Dieu et de ses représentants.
La décision fédéraste était prise par Trudeau et Marchand. Ils savaient que c’était contraire aux besoins du Québec, mais ils s’en fichaient. Je les ai classés, Trudeau, Marchand et Cie, à titre de vendus. Au lieu de s’améliorer, leurs pareils ont toujours été juste un peu plus dégueulasses, comme les Lalonde et Jean Chrétien.
Le Québec vivait des moments difficiles et ce projet aurait transformé le visage économique du Québec. Ils nous auraient donné une raison d’espérer ; mais non, Toronto avait le dernier mot.
Quand le fédéral a ordonné une étude, c’était juste pour justifier le choix qui avait déjà était fait : Ste-Scholastique.
Smiley Pépin, qui était ministre fédéral à Drummondville, ne connaissait même pas l’impact qu’avait ce projet sur sa région. Ce qui prouve bien que ce n’est pas d’avoir des ministres dans un cabinet qui change quoi que ce soit pour une région. Même le projet de St-Jean-sur Richelieu ne fut pas retenu.
C’était évident pour moi qu’économiquement le Canada ne s’arrête même pas une seconde aux besoins du Québec. La vache à lait de la fédération. La crème qui permet au Canada d’avoir un tel train de vie… Furieux, n’est pas le mot pour dire ce que je ressentais. Et dire qu’aujourd’hui, on est assez fou pour appeler Dorval, l’aéroport Trudeau. Quelle bande de masochistes ! Célébrer une trahison de l’histoire.
Pour oublier un peu mon désarroi, je me suis remis à l’écriture. J’ai recommencé à crier dans mes poèmes mon amour amourajeux. La fascination qu’exerce leur corps sur moi et mon désir de vivre pour eux et d’eux seulement.
Vauxcouleurs, c’était eux.
Toute la passion que j’avais pour Réjean se fondait dans cet amour impersonnel que représente le combat pour l’amélioration de la situation socio-économique des gens. Vauxcouleurs, c’était Réjean en désir.
Bizarrement, la décision fédérale quant à Mirabel a coïncidé avec les premiers refroidissements entre moi et Réjean.
Après une année, Réjean tournait les yeux vers un autre. Cette situation m’asphyxiait la vie. Pour lui dire, j’ai écrit une longue lettre d’amour que les Auteurs Réunis décidèrent de publier. Ce fut Re-jean, un petit récit.
Je remis cette longue lettre d’amour au Réjean concerné sous forme de livre, le livre était encore la seule forme de cri que je pouvais lui adresser. Pourtant, ma poésie était rejetée partout.
Quand Réjean lut mon récit, il se contenta d’y critiquer ma dernière phrase dans laquelle je disais : « Petit prince, je t’adore». Il était visiblement fier d’avoir été la muse de ce texte écrit pour lui spécifiquement, mais il était aussi tellement religieux qu’il ne pouvait pas accepter mon cri d’amour. « On adore que Dieu», avait-il tranché.
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Gaston Gouin était le seul à trouver une certaine originalité à mes poèmes. J’étais refusé partout. Aussi, quand Gouin organisa sa nuit de poésie au cégep de Sherbrooke, il ne manqua pas de m’inviter. Je faisais face à un public pour la première fois. J’étais convaincu d’être mal reçu puisque je terminais mon récital en proclamant de toute évidence et sans cachette, ma pédérastie.
Pourquoi pas toi ?
Si tu le veux dès demain
tous les deux nous irons
au banquet chez Satan
des amants favoris du feu.
Je boirai sur et par ton corps
le sang blanc de ta jeunesse
dans le mot, j’immortaliserai ce rite.
Abandonne-moi tes lèvres
laisse sur ton corps sous ma main
t’introduire à l’extase.
Ne dit pas non trop vite
le bonheur est le plaisir
le plaisir serait
mes mains, mes lèvres
sur ta courte verge.
Ma poésie se cueille
sur les lèvres d’un garçon.
L’assistance sidérée écouta en silence parfait. Elle était tout à fait muette, ce qui me faisait de plus en plus peur, jusqu’à ce que j’entende crier dans un coin un petit mot : Bravo !
Cette soirée et la publication de Re-jean m’embarquaient de plein pied dans la vie littéraire de la région.
À cette époque, j’étais encore boudé par le groupe de Gaétan Dostie qui réclamait une poésie plus substantielle. Pour nous, les Gaston Gouin, Gaétan Dostie et Jocelyn Fournier étaient les grands maîtres. Il était naturel qu’ils ne m’accordent pas leur attention. Il suffisait d’être écouté pour être complètement flatté.
Contrairement, à ce que j’avais cru, ce sont les femmes qui acceptèrent le mieux mon ouverture et ma sincérité. Ce qui donna lieu à des discussions à n’en plus finir et des amitiés tout aussi longues.
La publication de Re-jean fut bien accueillie partout au début. On ignorait que c’était une lettre d’amour pour un vrai Réjean.
Toutes les copies furent vendues et le texte a même servi dans quelques classes de littérature de la région. Mais, j’ai dû quitter bientôt les Auteurs réunis.
Presque personne n’avait pris connaissance du contenu, faisant confiance à Jean-Pierre Labbé, qui était au centre des publications. Alors, quand on découvrit que le texte pouvait être interprété autrement que selon la morale, on ne tarda pas à vouloir ma peau.
Comment expliquer aux autorités du petit séminaire qu’un texte amourajeux ait été retenu, aussi poétique fut-il ? Mais, il fallait l’avoir lu attentivement pour déceler cette réalité amourajeuse. Il n’y avait qu’une solution : se dissocier immédiatement de la racine de ce scandale, c’est -à-dire de moi. Et, c’est ainsi, que de loin, j’ai peut-être hanté les dortoirs et les toilettes du petit séminaire alors que de belles petites brebis, songeant à autant de tendresse et d’amour, branlaient l’arbre à la racine pour y laisser se perdre la semence pour laquelle j’aurais bien sacrifié une partie de ma vie.
Je n’étais pas du genre à désespérer. Avec d’autres membres et poètes, j’ai commencé à mettre sur pied des soirées de poésie au parc Jacques Cartier.
Plus tard nous nous rendions dans les villes de la région, donner des récitals de poésie. Aie-je eu espoir qu’un jour ces poèmes me permettent de vivre une aventure avec un des petits auditeurs ? Sûrement. Je ne suis pas si fou. Par ailleurs, ceux qui venaient nous écouter étaient tous des adultes, aimant la littérature. Très rare sont lesjeunes qui courent les récitals de poésie.
Donc, ceux qui à un moment donné se sont excités et ont réclamé ma tête, souffraient d’un manque absolu de respect du droit d’être ce que tu es, s’il n’y a pas de violence.