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Un sourire d’enfer 8

février 16, 2023

Un sourire d’enfer 8

Le hasard fit que pendant mes vacances, j’ai été appelé à remplacer un journaliste à Drummondville.  Selon les patrons, j’étais celui qui pouvait s’adapter le plus vite à une telle situation. 

J’ai poussé là aussi l’idée d’un gouvernement régional.  Et, petit à petit, j’ai connu un projet qui fut la plaque tournante de mon travail : construire un nouvel aéroport international devant remplacer Dorval, à Drummondville. 

Je me suis fait le propagandiste de ce projet puisque sa réalisation devait entraîner la création d’au moins 100,000 nouveaux emplois dans les Vauxcouleurs (Estrie). 

J’ai mis toutes mes énergies, toutes mes capacités à faire valoir le bien-fondé de cette solution. 

J’ai même rédigé un mémoire plutôt niaiseux qui insistait sur l’unité canadienne. Je préconisais de faire de ce projet le symbole de l’unité nationale. 

L’argumentation reposait sur des notions de psychologies plutôt mal assimilées.  Je croyais en jouant le trémolo de l’unité nationale donner plus de chance de succès au projet de Drummondville, celui-ci étant du ressort fédéral.

À cette époque, je croyais encore dans le Canada et j’étais convaincu qu’on y avait notre place. Je ne pouvais même pas penser que le fédéral boude le Québec  pour plaire à Toronto.

J’ai profité du Carnaval de Québec auquel Pet Trudeau devait assister pour lui remettre mon mémoire en main propre.

Je suis arrivé en retard à l’ouverture, ce qui me priva de mon macaron de journaliste.  En arrivant à l’hôtel de ville, j’ai présenté ma lettre de créance.  Les responsables, sans hésiter, m’ont aussitôt fait passer à la salle de réception.  Ces derniers m’avaient probablement confondu à un invité. 

J’avais l’air stupide avec mes bottes sur le beau tapis de l’hôtel de ville.

Trudeau était là avec une meute de femmes.  J’ai dû attendre que les femmes cessent de lui parler, lui frapper sur l’épaule pour attirer son attention, avant de pouvoir lui remettre mon document.  Trudeau se contenta de me dire en riant :            » Vous ne voulez tout de même pas que je vous lise tout ça en fin de semaine?  Est-ce du Platon ? « 

Jean Marchand se trouvait plus loin, je lui ai aussi remis une copie.  Il tâta l’enveloppe et me demanda :  » Ce n’est pas une bombe toujours ? »

Le samedi, je me suis rendu au Patro Roc Amadour poursuivre les entrevues que le journal se hâtait de publier.  Les journalistes de la Tribune me disaient fou ; les patrons disaient que j’avais eu au moins l’audace de m’essayer.

Infiltré dans le cordon de protection de M. Trudeau, j’ai réquisitionné les ministres pour avoir mes entrevues.  Ainsi, pour la deuxième fois, je démentais les organisateurs du festival qui avaient insisté sur le fait que je ne pouvais pas approcher le premier ministre à plus de 30 pieds. 

Le samedi soir, c’était la parade et le bal de la reine du Carnaval.  J’ai convenu avec Réjean de me rendre seul au bal, mais de regarder la parade avec lui.  Je ne voulais pas que Réjean soit pris seul dans une manifestation anti-Trudeau, comme cela était annoncé dans les journaux.

Au Château Frontenac, j’ai rencontré une femme qui se disait étudiante en journalisme et qui voulait voir Trudeau de près.  Nous nous sommes installés près des marches au bas de l’escalier et quand Trudeau passa, j’y suis allé d’une nouvelle question. Trudeau s’arrêta et répondit à moitié.  Insatisfait, j’ai passé sous le cordon de sécurité, entraînant l’étudiante par la main, et nous sommes allés nous installer à l’entrée de la salle de bal. 

Quand Trudeau y arriva, j’ai repris ma question.  Trudeau s’arrêta, laissa sa reine, s’approcha de moi et me dit :  » Ne vous en faites pas, votre mémoire, je le lirai. » 

J’étais fou de joie.  Aussi, j’ai flanqué une claque sur l’épaule du premier ministre avec un éclatant  » Merci Monsieur Trudeau ». C’était le délire.  Les policiers de la Gendarmerie royale se précipitèrent inquiets.  J’ai eu droit à un sermon genre :

 » T’es complètement fou. Nous aurions pu croire qu’il s’agissait là d’un attentat et te descendre.  » Je m’en fichais, j’avais réussi.  

J’avais parfaitement accompli ma mission et comme journaliste j’avais eu beaucoup d’entrevues concernant le projet d’aéroport international à Drummondville.  

Il me fallait maintenant me débarrasser de l’étudiante afin d’aller rejoindre Réjean.  Comment lui dire :  » C’est mon amant, je l’adore, et je ne veux pas passer cette soirée sans être à ses côtés. »  L’homosexualité était encore honnie.  La guerre étant la guerre, j’ai menti, je lui fis croire que Réjean était mon fils et qu’il m’attendait comme il l’avait été convenu ensemble. 

Quelques mois plus tard, un photographe de la Tribune qui avait rencontré cette même étudiante à Québec, m’a demandé combien de petits bâtards j’avais ainsi semé à travers le Québec.  À ses yeux, je n’étais plus complètement le vieux garçon qui ignore à quoi sert cette bibitte entre les deux jambes…

Ces rencontres furtives avec Trudeau m’avaient marqué.  Il m’avait littéralement fasciné.  J’ai continué au téléphone de m’occuper du projet à partir de la salle de rédaction à Sherbrooke.  Je me suis ainsi fait des contacts.

Fort de mon premier succès, à Québec, j’ai obtenu du journal la permission de me rendre à Ottawa rencontrer les ministres concernés par le projet d’aéroport international.  

Le président du journal, M. Yvon Dubé, m’avait auparavant demandé à son bureau, voulant s’assurer que je refuserais un poste dans les six chiffres, si on m’offrait un emploi.

M. Dubé est une des personnes que je respecte le plus dans le monde journalistique.  Il a essayé de m’apprendre qu’un bon journaliste cherche toujours à trouver la vérité, à comprendre les deux côtés de la médaille quand il se produit un évènement. 

Je ne crois pas dans l’impartialité, car nous sommes tous gérés par notre inconscient qui, lui, ne ment pas. Nous sommes tous animés par des sentiments ; mais la conception de M. Dubé demeure à mon sens le but premier du journalisme : la recherche de la vérité dans le respect de ses lecteurs.

Je n’étais toujours pas achetable.  Personne ne pouvait en douter. J’aimais trop les Vauxcouleurs (Estrie) pour y préférer mes intérêts personnels.

J’ai quitté le parlement d’Ottawa avec en poche une promesse d’entrevue avec Trudeau au cours des quelques mois qui suivaient.

C’est une belle expérience que de représenter un journal sur la Colline parlementaire.  Ça te donne un accès privilégié aux différents ministres.

Le ministre responsable des transports, M. Hellyer, refusait toutes les entrevues et s’organisaient pour les rendre impossible. Ce qu’il ne savait pas, j’entretenais une relation avec son secrétaire particulier depuis des mois afin de savoir exactement où en était le projet de l’aéroport international.  

Vu son importance celui-ci était devenu l’élément qui me ferait pencher, en faveur ou contre, notre appartenance au Canada. 

En travaillant sur les problèmes économiques, je me suis vite rendu compte que les intérêts du Québec sont incompatibles avec ceux du Canada.  

Je rêvais d’un gouvernement régional,  car j’y voyais là le seul moyen de répondre efficacement à nos problèmes régionaux à cause de l’ignorance d’Ottawa quant à notre existence même.  Ottawa se fiche du Québec.          

N’avons-nous pas assez d’un gouvernement du Québec?  Pourquoi en ajouter un qui contredit les décisions prises par l’Assemblée nationale?    C’est exactement la même lutte pour un gouvernement responsable qu’ont mené les Patriotes de 1837.

Je croyais encore que le Canada voulait de nous à l’intérieur de la fédération canadienne. L’aéroport devait être la preuve que le Canada se soucie de nous, car un tel projet mettait fin à la misère de économique dans l’Estrie. C’était plus d’un milliard d’investissements et plus de 100,000 emplois.

Évidemment, Trudeau et compagnies ont engagé une firme d’ingénieurs pour prétendre que ce projet devait se réaliser à Ste-Scholastique pour des raisons économiques.  Un aéroport qui détruisait les meilleures fermes du Québec.  Ce rapport permettait simplement à Toronto de garder la main haute sur le trafic aérien avec l’Europe. 

La décision de ne pas choisir Drummondville était d’empêcher le Québec de réclamer cet aéroport advenant son indépendance.

Malgré l’appui des trois quarts des municipalités du Québec au projet de Drummondville, Ottawa annonça son choix : Ste- Scholastique. 

Cet endroit permettait, parce que les avions passaient au-dessus du Canada, de ne pas devenir un enjeu si l’indépendance se faisait.   Il serait automatiquement, à cause de cet élément, une propriété fédérale alors qu’à Drummondville, l’aéroport devenait propriété du Québec, advenant l’indépendance.

J’étais furieux.  Je comparai Jean Marchand au  traitre des Plaines d’Abraham. Et je refusai l’entrevue personnelle avec Trudeau, même si c’était le premier ministre du Canada.  Évidemment, je fus retiré du dossier. 

Ce n’était pas une pure coïncidence que toutes les décisions étaient prises à l’encontre des intérêts du Québec.  C’était une réalité historique.  Ottawa est la marionnette de l’Ontario, son double testicule économique.

Après le coup des textiles, c’était maintenant celui de l’aéroport international.  Le Québec ne serait pas le port d’entrée aérien de l’Europe en Amérique parce que Toronto n’acceptait pas le projet de Drummondville. La concurrence était trop forte.
 
Ma fascination pour Trudeau se muta en haine d’Ottawa. J’ai alors décidé que dorénavant je serais membre du Parti Québécois, comme je l’avais dit au secrétaire particulier du ministre des transports.    

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