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Un sourire d’enfer 5

février 13, 2023

Un sourire d’enfer 5

Vers la fin de l’année, j’ai publié deux autres textes dans Le Garnier, soit le journal des étudiants des Jésuites. Le premier affirmait que les enfants ne doivent rien à leurs parents puisque l’Amour est gratuit. 

Ce fut au tour des professeurs de morale et de philosophie de faire l’apologie de ma folie dans leurs classes. 

Dans l’autre texte, je dénonçais la prison, tout en faisant connaître mon amour des garçons.  Les Jésuites n’ont pas tenu le coup.  J’eus le choix entre payer tout de suite ou ne pas pouvoir me présenter aux examens de fin d’année.  Une façon de me renvoyer, car ils savaient très bien que je n’avais pas d’argent…  C’était un noble moyen pour me forcer à débarrasser le plancher.  Et, une bonne justification, si je devais tenter une nouvelle action, susceptible d’intéresser les journaux.   

Mon professeur de sociologie me reprocha d’avoir abandonné la lutte : « un type de ton intelligence n’a pas le droit de laisser tomber.»

Le professeur venait de découvrir les événements de mai 1968, en France, et le souffle de la nouvelle révolution sexuelle annoncée en Californie.  Puisque j’avais exprimé ces idées quelques mois auparavant, que l’Homo-vicièr  en parlait du début à la fin, j’étais devenu pour les étudiants un héros ou tout au moins un prophète.  C’était trop tard.  Ma décision était prise.  Je me servirais de ma bourse d’études pour publier mon premier livre.
 
J’ai travaillé à la publication d’Hymne à l’amour, le vice et la révolte.  Tout au long de l’année, j’ai pondu L’homo-vicièr.

À ce point de vue, ma rencontre avec Micheline a été très profitable. 

Une fois, par semaine, nous nous rendions danser, mettre notre émotivité en danger… Nous cherchions tous les moyens pour entrer en transe et dès que nous le pouvions, nous nous faisions part de nos découvertes, en vue de s’en servir dans nos écrits.  Malgré nos chicanes, ces soirées étaient consacrées au rire et à l’ironie.  Elle était très intelligente et mon admiration pour elle me la rendait vraiment très attachante.  Pourquoi quand nous sommes jeunes ne nous apprend-on pas qu’il est normal d’avoir la libido forte ? On préfère la censure et l’hypocrisie… une société de moutons… On oublie que ceux qui ont créé les règles de la civilisation actuelle vivaient dans un tout autre contexte.  Mais, c’est plus facile de ne pas les remettre en cause. 


Une année plus tard, je rêvais encore à Daniel.  Aussi, avais-je pensé qu’en publiant Hymne à l’amour, le vice et la révolte la police ferait enquête afin de me condamner.  Au moins au procès, je pourrais le voir ne serait-ce que quelques minutes, le temps qu’il témoigne contre moi.  J’étais prêt à faire cinq ans de prison pour le revoir une minute.  La folie ne porte pas qu’à tuer.  L’amour est un besoin tellement essentiel.  En être privé peut nous déranger les méninges…

Mon livre de poésie ne connut pas le succès escompté.  Tous les critiques littéraires étaient unanimes « je n’ai pas de talent».

« Plus équivoque et pas très prometteur s’annonce le recueil difficile à nommer et à décrire de Jean Simoneau … Enfin, Jean Simoneau nous promet une œuvre fort abondante et nous prie, sur un feuillet publicitaire, de commander vivement car  » le nombre est restreint ».  Comme M. Simoneau est étudiant, il s’agit peut-être d’une farce, après tout ! » (Livres et auteurs canadiens 1968, p.114). 


Villon faisait aussi des farces et il fut pendu. Dans lejournal Le Devoir, Jean-Ethier Blais affirma que même si je n’ai pas de talent, je devais être un étudiant agréable à rencontrer à la taverne. Je sais maintenant pourquoi, ce n’était pas pour mon talent d’écrivain, mais mon apostrophe entre les deux jambes.

Dans le milieu littéraire de Québec, ce livre m’a valu toutes les foudres possibles.  Personne ne voulait plus me parler.  Scandalisé par son contenu amourajeux, on digérait encore moins mes dédicaces.  On les interprétait tout de travers, comme si j’avais couché avec tous ceux à qui je dédiais un texte. Le Québec niaiseux s’agitait. 

Écrire un livre t’immortalise, car, tu laisses une trace après ta mort.  Aussi, pour moi, une dédicace c’était la plus grande preuve d’amour, c’était offrir mon cœur et mon âme pour rendre cette personne immortelle à travers moi.  Mon livre en était parsemé.  Chez moi, on me fit remarquer un oubli terrible.  J’avais oublié d’en dédicacer un à mon frère Serge.   Cela me peinait beaucoup. Comment peut-on faire un oubli aussi stupide ?

De guerre lasse, je suis retourné à Barnston.  J’en ai profité pour descendre de la Vieille Capitale avec le député libéral Georges Vaillancourt, car, de toute façon, il se rendait à Coaticook.  M. Vaillancourt me conseilla de me présenter à La Tribune de Sherbrooke, où l’on cherchait un bon journaliste.  J’ai été vite réengagé, les patrons ayant déjà entrepris des démarches afin de me localiser et m’embaucher.

Sur le plan politique, je n’avais pas évolué, sauf, dans le sens, de l’écœurement total.

D’abord, dans une assemblée libérale, un ex-ministre était venu promettre qu’en reprenant le pouvoir les libéraux créeraient un ministère fantoche dont le patronage serait la fonction véritable.  Un autre nous informa de la guerre Lesage-Lévesque.

J’avais rien compris avant le congrès des jeunesses libérales où j’ai été informé du projet d’Indépendance du Québec de René Lévesque.  J’étais plus préoccupé par mon projet visant à nettoyer les mœurs politiques.

J’ai pris position pour une espèce de troisième voie, présentée par M. Paul Gérin-Lajoie, projet qui m’apparaît encore aujourd’hui comme étant très autonomiste, sans en porter le nom.

J’étais délégué au congrès des adultes, mais je n’avais pas les sous nécessaires pour y participer.  L’équipe de Jean Lesage m’offrit de payer à la condition de voter contre René Lévesque.  J’ai refusé.  Je me suis présenté au clan de Lévesque afin d’avoir le financement nécessaire, tout en leur disant que j’avais déjà voté contre le projet de leur chef et que je ne changerais probablement pas d’idée par ce simple soutien financier.  Malgré ma franchise, ils acceptèrent.

Le congrès était complètement paqueté.  Les libéraux avaient sorti tous les petits vieux des hospices pour venir battre le communiste Lévesque.

Le projet que j’appuyais fut rejeté.  Nous n’avions plus que le choix entre le statut quo et l’option indépendantiste.  Quand je me suis présenté au micro, tout le monde écoutait.  J’étais jeune et, venant de Limoilou, je ne pouvais être que du bon bord.

« Entre le statut quo, qui ne va pas assez loin dans les réformes souhaitées et une option qui m’apparaît comme allant trop loin, je ne peux que choisir d’aller le plus loin possible, dans l’intérêt du Québec.  Pour cette raison, je voterai en faveur du projet de René Lévesque.»
 
Les protestations fusèrent de partout.  Les délégués de comté m’ont aussi vite désigné comme « un traitre».  Ils prétendaient même que j’avais infiltré le parti pour appuyer l’Indépendance.   Ce qui était absolument faux et débile. 

J’étais très désappointé du peu de démocratie à l’intérieur de ce congrès.  Chose certaine, je n’étais pas genre à appuyer les propositions visant à augmenter le patronage.  Je suis allé manger seul, réfléchissant à ce que je devais faire.  Lévesque s’était déjà exclus du parti. Ses supporteurs avaient quitté la salle.

De retour au congrès, je suis allé dire à peu près ceci à l’assistance : « Il est évident que j’ai perdu toute crédibilité.  Je ne crois plus représenter dorénavant les vœux des membres de mon comté et, par conséquent, je démissionne de la présidence des Jeunes libéraux de Limoilou.  Cependant, je considère qu’il est urgent, comme le disait M. Lesage, de s’occuper du pain et du beurre et à ce chapitre, je crois, qu’il me sera possible de mieux servir le Québec en demeurant dans le parti.  Il faut s’unir et reprendre le pouvoir.»

Espèce de cave !  J’espérais toujours que mon projet, référé à un comité d’étude, puisse un jour aboutir à des actions concrètes.

J’ai eu droit au seul  » standing ovation » de ma vie.  Les gens me tendaient la main de chaque côté des rangs comme si j’avais été le chef de ce parti.  Kierans et Lévesque me donnèrent l’accolade.

Je savais pourtant au fond de moi-même qu’il n’était plus question pour moi de continuer dans la politique active : la foi venait de tomber pour très longtemps.  La blessure était profonde.  Je ne croyais plus dans la démocratie. 

J’ai écouté les discours.  J’ai eu presque mal au cœur d’entendre Pierre Laporte et cies vanter le fédéral.  C’était à se demander ce qu’il faisait au Québec.
 Aussi, suis-je entré une troisième fois à La Tribune. 

Je n’avais surtout pas l’intention de m’occuper de politique à nouveau. C’était, à mon avis, bien trop sale !

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