Un sourire d’enfer 3
Un sourire d’enfer 3
Cette fois, seuls, les Jésuites m’acceptaient, mais il fallait payer des frais de scolarité énormes. Pour y arriver, je devais obtenir une bourse d’études.
J’ai ré entrepris les démarches, sans succès, auprès du Ministère de l’Éducation. Révolté, avec le chapeau de M. Gosselin et un communiqué de presse, je me suis rendu au bureau du ministre, M. Gérin-Lajoie, passer le chapeau. Je n’ai récolté que quelques sous, mais l’intérêt soulevé par la presse incita le ministère à bouger. Première réaction : il me fit passer pour fou.
Il fut aussitôt décrété que je devais passer un examen psychiatrique avant d’avoir une bourse, car, on devait savoir en qui on investissait avec l’argent des contribuables. Cet examen suscita la colère des mouvements étudiants qui se battaient pour l’enseignement gratuit. Ceux-ci invitèrent les autorités à passer le même test. Manque de peau, l’examen révéla seulement une certaine tendance à éparpiller mes énergies (c’est ce que j’imagine, on appela névrose), mais on insistait sur ma capacité définitive de pouvoir poursuivre des études universitaires et bien au-delà. Ce bien au-delà m’a toujours tracassé.
En politique, j’étais toujours persuadé de la nécessité de se débarrasser du système du patronage. J’ai entrepris la lutte dans une section de la Société Saint-Jean-Baptiste, à Québec.
La lutte au patronage m’était apparue plusieurs années plus tôt comme un élément essentiel pour répondre à Gordon, cette espèce de chien en culotte du Pacifique Canadien, qui prétendait que les francophones étaient trop idiots pour occuper un poste de commande.
À mon avis, il fallait nettoyer notre vie politique de sa réputation et de ses sangsues. Par la suite, si les Anglais continuaient à nous traiter injustement, il n’y aurait qu’une solution : la révolution pour l’Indépendance du Québec.
Si j’acceptais cette voie, je refusais celle qui montait à Montréal : le FLQ. J’avais peur, depuis mon premier emprisonnement et mes lectures du Reader Digest, de la guerre civile et des communistes. Par contre, j’étais un chaud partisan de René Lévesque. J’avais même conseillé au secrétaire de Lesage, Raymond Garneau, la tenue d’un congrès à la direction des libéraux où Lévesque serait appelé à remplacer Jean Lesage.
Je cherchais toutes sortes de solutions qui auraient fait du Québec, une province riche et heureuse. Je m’étais penché sur le rôle des députés et j’avais essayé de vendre l’idée d’une espèce de régime présidentiel où les mouvements de base joueraient un rôle indispensable. À cette époque, je voyais l’indépendance du Québec comme une bombe atomique, apte à permettre aux Québécois d’être traités avec égalité par les anglophones.
La SSJB-Québec ne voulait rien entendre sous prétexte qu’elle se voulait apolitique. J’ai été forcé de laisser ce mouvement. J’étais en larmes. J’affirmai que si un jour le FLQ grossissait, ce serait la faute de tous ces irresponsables qui refusent de faire face à la musique et optent pour le statut quo alors que l’injustice est flagrante.
J’ai à nouveau joint les rangs des libéraux. Je voulais cette réforme à tout prix : un gouvernement du peuple, un gouvernement honnête. Pour ce faire, fallait bien que je fasse de la politique.
Je me suis réembarqué assez vite dans ma nouvelle mission. J’écrivais aux députés, aux ex-ministres libéraux qui étaient alors dans l’opposition.
À mon avis, la politique était tout comme le journalisme, la tâche la plus noble qui soit, puisque comme le disait l’Éthique à Nicomaque, elle consiste à travailler au mieux-être de ses concitoyens. La politique est donc le summum normal de l’amour. J’ai vite déchanté.
Je m’étais fait la réputation d’un gars du centre-gauche. Pour moi, le Québec devait développer le Nord, accentuer la participation des travailleurs à la gestion des entreprises. Le Québec devait assurer universellement les droits fondamentaux pour chaque individu que sont la nourriture, le logement, la santé, le travail et l’éducation. L’état ne devait pas remplacer l’individu, mais garantir qu’il aurait au moins accès au minimum de ces moyens pour se réaliser personnellement et socialement. Les moyens de s’en sortir…
Toujours coupable d’être pédéraste (amourajeux), je me suis présenté en clinique pour me faire traiter. J’avais inutilement demandé au député Vaillancourt de m’aider à obtenir les services pour défrayer le coût d’un tel traitement. Après une semaine d’observation à la clinique Roy-Rousseau, j’ai été renvoyé sous prétexte que je peux m’en sortir seul. Le médecin m’avoua n’avoir rien contre la pédérastie (l’amourajoie) telle que je la vis ; mais que je risquais à nouveau la prison, ce que je ne saurais pas supporter. Il me conseilla, comme si cela était possible, que je devienne gai et de cesser d’écrire aux députés puisque mes lettres et mes documents se retrouvaient sûrement au panier.
J’avais trouvé ce verdict très pertinent. Une semaine plus tard, pourtant, je recevais un appel du ministre Éric Kierans qui m’offrait de le rencontrer. Je me suis rendu à son bureau et à ma grande surprise, j’ai été présenté à Jean Lesage. Les politiciens discutèrent avec moi et finirent par m’offrir d’apprendre le métier de politicien avec Jean Lesage. J’aurais eu un salaire de 100$ par semaine. J’ai refusé, croyant qu’ainsi je préserverais mieux ma liberté et que je n’aurais pas besoin de devenir un singe pour faire mon chemin en politique. Kierans venait de donner tort à mon psychiatre.
Mon année scolaire s’est très bien terminée. J’ai facilement réussi. Je ne pouvais pas être distrait, je n’avais que 0.50$ pour mes dépenses, autres que ma pension.
Je me suis rendu à Montréal pour travailler durant l’été afin de payer les frais de la prochaine année scolaire. Tout ce que j’ai su dénicher : éclairagiste dans un club pseudo-arabe, puis, dans un club à gogo, comme desserveur de tables. Cette dernière expérience me marqua davantage puisqu’on m’appelait « le petit gars » et que je fus confronté pour la première fois de ma vie à la réalité gaie.
Ma première rencontre fut celle d’un noir. Il s’organisait toujours pour m’attirer à sa table. Il a même inventé de renverser sa bière. Il me tapait sur les nerfs. À la fin de la soirée. il me fit part de ses ennuis : il ne savait pas où aller. Je lui ai conseillé un endroit en lui indiquant bêtement que je m’y rendais toujours après le travail. Il m’a aussitôt fait part de son intention de m’y retrouver. Ce soir-là, j’ai sorti plus tard qu’à l’habitude. Je n’étais pas naïf, j’étais niaiseux.
J’aimais bien ce travail. Le milieu insolite. La demande des filles du club arabe de leur envoyer des petits vieux, quand j’ai commencé à travailler au club de gogos-femmes. En retour, j’avais droit à une commission payée en nature. Salaire que je n’ai jamais eu, même si j’ai envoyé bien des intéressés. Cependant, l’honnêteté n’était pas toujours de rigueur dans ces clubs.
J’ai passé pour le roi des imbéciles un après-midi parce que j’ai défendu un client qui avait oublié un appareil photo et qu’une des serveuses voulait la garder pour elle. Ce qu’elle fit, malgré mes protestations. Je n’aimais pas non plus qu’on fasse les poches des clients quand ils étaient trop saouls à la fin de la soirée, avant de les mettre dehors.
Ma jeunesse me valait des avantages. Une des serveuses me fit une crise de jalousie parce que souvent j’avais de bons pourboires pour rien ou encore des clients qui me payaient volontiers un verre. Je ne comprenais pas pourquoi tant de générosité jusqu’à ce qu’une serveuse me dise : » T’as qu’à regarder ces messieurs te convoiter l’arrière-train pour saisir ce qui se passe. «
Plus tard, les patrons s’amusèrent à m’envoyer chercher de la glace dans un club gai de la rue Stanley. Ils prétendaient que je serais un jour un des futurs clients de ce bar.
C’était toute une découverte : je voyais pour la première fois de ma vie, dans ma vingtaine, deux hommes danser ensemble. Un seul spectacle a su me distraire autant : le club des lesbiennes. Je les ai vues un soir sortir un bonhomme qui s’était probablement trompé d’adresse… il toucha très peu aux marches. Les femmes sont parfois aussi très fortes…
Montréal me semblait propice à une expérience pédéraste (amourajeuse). Il était impossible qu’avec autant de petits gars, je ne finisse pas par en rencontrer un qui soit intéressé. En attendant, je travaillais et j’écrivais de la poésie. Parfois, je me permettais de partir à la recherche de l’âme sœur.
Un après-midi, dans le métro, en me rendant au travail, j’aperçus un magnifique petit bonhomme. Il était blond et semblait avoir environ 14 ans. Je lui fis des clins d’œil, il me sourit , je lui montrai deux dollars, tout en lui faisant signe de me suivre, ce qu’il fit sans hésitation. J’étais au ciel. Je croyais rêver. Je me suis rendu avec lui dans une toilette d’un restaurant où il accepta, après des caresses préliminaires, à se rendre chez moi. J’étais fou de joie. Je n’aurais jamais cru qu’une telle chose était possible. Je remerciais le bon Dieu d’avoir créé Montréal.
Je m’absentais du travail pour la première fois. J’ai passé l’après-midi avec lui.
Je le revois nu dans mon lit alors que ma langue voyageait encore moins vite sur son corps que le plaisir qui courait dans ma tête. Pour la première fois, je sentais que le plaisir était complètement partagé.
Son sourire, les gestes de son corps prouvaient qu’il goûtait tout aussi bien la situation que moi. Daniel était divin. Il avait en plus un drôle de façon de réagir à nos baisers. À chaque fois, il branlait le nez. Nous avons parlé assez longtemps pour que je le connaisse assez bien. Son père était dans l’armée et sa mère vivait, à Montréal, avec lui. La séparation de ses parents l’affectait beaucoup. Son grand rêve était de s’acheter une bicyclette.
Peu à peu, les remords m’ont envahi, car je me sentais encore coupable d’être pédéraste. Je l’aimais trop pour le rendre à jamais malheureux. J’avais peur que mes goûts se transmettent et je ne voulais pas lui rendre la vie aussi malheureuse que la mienne.
J’ai supplié Daniel de me pardonner. J’ai voulu lui faire peur en lui disant qu’une telle dégénérescence conduit à la prison. Daniel se contenta de s’approcher de moi et me dire que lui aussi avait déjà eu des problèmes avec la police. Et, il m’embrassa avec passion. Que pouvais-je dire de plus ?
Après que Daniel m’eut laissé, la vie n’était plus pareille. J’étais follement amoureux de lui. Daniel m’avait promis de revenir bientôt et de me présenter sa petite amie. Il ne le fit jamais et je me suis mis à le rechercher.
Daniel, c’était tout ce qui comptait dorénavant. Je vivais dans l’anxiété de le revoir. J’ai tenté de le rejoindre au téléphone, épuisant le répertoire de toutes les familles qui répondaient à son nom. Le soir quand j’arrêtais une seconde de travailler, je me rendais près de la porte où je scrutais les passants. Viendra-t-il enfin ?
Pour le graver davantage dans ma mémoire, je griffonnais cet amour sur un bout de papier. Je me fichais bien maintenant que ma mère ait hésité à me livrer à la police puisque le dimanche précédent, elle et mon père, m’avaient surpris la main dans le pantalon d’un autre petit garçon qui aimait bien se faire tâter le moineau. La faim justifie les imprudences…
Peut-être que mes parents n’auraient jamais osé mettre leur menace à exécution ; mais je savais être, encore une fois, une raison pour eux d’être malheureux de m’avoir comme fils. Ça m’affligeait beaucoup, c’était même une raison de plus pour m’haïr.
J’étais quasiment fou de visions. Je voulais revoir Daniel par tous les moyens. Chaque endroit où j’avais vécu quelques secondes avec lui étaient devenus de véritables lieux de pèlerinage et le sont demeurés plus de dix ans…
Ce fut comme si les patrons auraient compris qu’il se passait quelque chose de nouveau en moi. Ils multipliaient mes missions dans le club gai. Ce travail a eu un avantage extraordinaire : il enleva à jamais ma peur des gais. Si j’en étais un d’une certaine façon, j’avais conservé toutes les peurs que mon éducation avait créées. Loin d’être dangereux, comme on me l’avait appris, ces messieurs étaient tout égard, toute tendresse. Je me sentais de plus en plus valorisé quand un homme me regardait avec avidité. Moi, qui m’était toujours cru si laid, je découvrais que pour certains je pouvais même leur paraître très beau. Ce n’est pas une petite découverte, ce fut extrêmement important pour moi.
Petit à petit, j’ai commencé à fréquenter les pissotières. Le travail s’en trouva valorisé d’autant.