Un sourire d’enfer 2
Un sourire d’enfer 2
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Septembre. J’ai voulu continuer mes études à l’école Normale pour hommes à Sherbrooke. Je n’avais pas d’argent et le service d’aide aux étudiants refusaient mes demandes. C’était comme au secondaire ; pour avoir des sous il aurait fallu que j’affirme que mes parents, en êtres anormaux, m’avaient foutu dehors du bercail. Je tenais à la vérité, et par conséquent, à la bonne réputation de mes parents. La décision de mon père de ne pas me nourrir jusqu’à 75 ans était pleine de bon sens : il me forçait ainsi à apprendre à compter sur moi-même, à me déniaiser un peu.
Mes parents me remettaient parfois mes trois mois de prison sur le nez, mais qui ne l’aurait pas fait ? Puisque je comprenais leur attitude sans les blâmer, j’étais de l’avis d’un psychiatre, d’un masochisme maladif.
À cette époque, je me croyais vraiment un salaud d’être pédéraste (amourajeux). Je ne savais pas que cet interdit est le fruit d’une savante formule de répression pour mieux abuser des gens. Je n’avais pas encore de morale personnelle. Je croyais ce que dit le système.
Par hasard, j’ai appris que l’ancien président de la Commission scolaire de Victoriaville, un Monsieur Morissette, était devenu ministre adjoint à l’Éducation. J’avais travaillé souvent avec lui et ce dernier ne pouvait avoir qu’un bon souvenir de mon professionnalisme comme journaliste. Il n’en fallait pas plus pour que je frappe à sa porte. Il me prêta l’argent pour poursuivre mes études à Sherbrooke.
J’ai ainsi renoué connaissance avec les libéraux. Ils étaient au pouvoir et ma seule planche de salut. J’ai pensé que ce n’était peut-être pas vrai que les libéraux aient été les instigateurs de mon arrestation en 1963. Après tout, ces gens n’étaient que des organisateurs locaux.
Ce fut toute une expérience d’entrer à » l’École Normale de Sherbrooke », sous la protection du ministre adjoint à l’Éducation. Jamais tout n’avait été si bien préparé pour me recevoir ; jamais le prêt d’honneur n’avait été aussi rapide à m’accorder une bourse d’études.
Mes études furent complètement bouleversées par une nouvelle fièvre de poésie. J’ai essayé d’écrire. Personne ne croyait dans mon talent. Je faisais aussi des paroles pour les chansons de mes jeunes frères. Une version de No where man, des Beatles devint :
C’était un homme bohème
sans famille, sans patrie,
qui parcourait sans relâche
l’univers.
Par amour de la liberté
il n’apprit aucun métier
faisant mille petits travaux
par le monde.
Homme libre de la terre
ton pays est ta planète
et tous les hommes
ta famille.
Cette nouvelle dimension de la vie m’éblouissait, mais me traumatisait tout autant.
Tous les journaux, toutes les revues refusaient mes textes. Ceux-ci étaient pourtant de moins en moins religieux. Selon les auteurs-modèles qui m’avaient amené à la plume, Rimbaud, c’est un si joli garçon, et Jacques Prévert, dont la révolte m’obsédait, il était impossible que j’évolue autrement.
Je correspondais avec une poétesse de Québec, Madeleine Guimont. Elle était toute sensibilité et douceur. Malgré mes échecs, j’écrivais, j’écrivais, j’écrivais. J’adorais ce nouveau monde où tout est imagination, jeux de mots. Peut-être aujourd’hui dirais-je, je pleurais, je braillais. Poèmes et chansons étaient ma vie. Je me lamentais et je ne me pardonnais pas d’être amourajeux.
J’étais profondément vexé que les orchestres de mes frères ne connaissent pas autant le succès que je le voulais et qu’ils le méritaient. Leur premier orchestre fut les Stellairs, qui fut dissous et remplacé par les Pyramides et les Rembrandt, qui connurent un certain succès.
Cette création, baignant dans une atmosphère de révolte et de sensualité, fut la source de mes problèmes. Mes textes étaient de plus en plus révoltés et seul l’aumônier de l’école normale semblait y attacher de l’importance. Ce fut alors ma période de recherches ésotériques. J’étais obsédé par un nouveau thème : la mort. Par contre, j’étouffais ma peur et je commençais à décrire mes émois pédérastes (amourajeux). Les petits gars reprenaient du terrain. Mon texte La Mort du beau Pierrot devint le symbole de ma nouvelle façon d’embrasser la vie. Tout maintenant.
Les études n’avaient plus d’importance. J’allais boire avec un groupe d’amis étudiants et je cherchais ce qui pouvait arriver après la mort. J’avais l’obsession de l’au-delà.
Pour moi, tout devint clair. Puisque le cerveau est l’outil essentiel, le centre de la perception, à la mort, il n’y a rien qui puisse subsister, c’est le grand vide total éternel, mais l’énergie que nous sommes ne peut pas disparaître totalement. Avec la mort, nous devenons une énergie diffuse et inconsciente, car rien ne se perd et rien ne se crée. De l’énergie noire. La plus en abondance dans l’univers, mais dont on ne sait rien. Demeure-t-elle une source de conscience ? Conscience de quoi ? Serait-ce comme les nuages noirs perçus dans ma vision en prison ? Le bonheur serait-il quant à lui une énergie blanche ?
La vie est une force énergétique plus concentrée que l’énergie nucléaire. Une énergie, qui, comme la vie sexuelle, n’a pas encore été mesurée puisque l’on n’a pas encore découvert les moyens d’y parvenir. Une énergie plus concentrée, d’une plus grande qualité. Ce qui permet la conscience et donc la création de ce qu’on considère comme la réalité. Notre vie ne serait qu’un regard sur les énergies qui passent. Sentir ce qui se passe serait notre seule réalité.
Les étudiants les plus âgés me comparaient à Teilhard de Chardin. Je ne l’avais encore jamais lu, aussi, je ne sais pas si ces rapprochements étaient plus ou moins fondés. Sa théorie, que j’ai lue plus tard, est fascinante.
Je faisais des expériences d’hypnose et de télépathie, expériences que j’ai vite mises au service de mon amourajoie. Ce fut une période assez féconde pour trouver un sens à ma vie personnelle : aimer les petits gars. Je me découvrais pédéraste (amourajeux) dans toutes les fibres de mon corps. C’était encore à mes yeux quelque chose de défendu, de mal, d’où bien des tourments et une association Satan-amourajoie dans mes poèmes. Mais je ne savais pas encore (je l’ai appris à 67 ans) que mon ange de naissance était Samaël. Satan.
La poésie m’amena à appliquer la même recherche à la prose. Une rédaction sur mon premier voyage en avion, comparé à un voyage dans le ventre d’un aigle, me fit échouer en français. Mon professeur n’avait pas aimé l’allégorie.
Je détestais les mathématiques et puisque j’aurais voulu enseigner le français, j’ai répondu par un poème au concours du ministère de l’Éducation. Ce poème reprochait à la civilisation occidentale de n’avoir qu’un but : l’argent. Je visais aussi le ministre de l’Éducation, car, à mon sens, il n’avait fait qu’une réforme administrative.
Cette offense me valut l’avertissement de ne plus me représenter à cette école supérieure, car, si j’étais un petit gars de grand talent ; mon éducation familiale était à la source de grandes carences. Pour les autorités, je n’étais rien d’autre qu’un névrosé. Un révolté. Un instable.
Avant la fin de l’année, les libéraux avaient décidé d’en appeler au peuple. J’ai offert mes services à ceux que je connaissais : Émilien Lafrance, qui gardait un bon souvenir de moi, à cause de mes prises de position au temps des Disciples de la Croix ; M. Morissette qui venait de m’aider ; Georges Vaillancourt pour qui j’avais déjà fait deux discours aux élections précédentes, et Carrier Fortin, ministre du Travail, que j’avertissais de mon impopularité à cause des réformes que je préconisais. Seule l’organisation de Carrier Fortin sembla intéressée.
On désirait que je me présente à la télévision afin de rassurer les gens à l’effet que la réforme de l’éducation n’entraînerait pas la sortie des crucifix des écoles. J’ai refusé ce geste de politicaillerie, car je croyais que d’autres idéaux étaient bien plus importants pour le Québec : un changement dans le système électoral, trouver des façons d’éliminer le patronage. Ces réformes avaient même été timidement entreprises par Jean Lesage (sans que j’aie un mot à dire évidemment), mais ces sujets me captivaient davantage que la religion dans les écoles. D’ailleurs, j’étais encore assez religieux pour m’opposer à la laïcisation des écoles. Ce qui prouve que je n’étais pas encore bien éveillé. Tout ça, ça ne me fournissait pas un moyen de gagner ma vie. Et, je le devais. Je n’avais pas le choix…
Ce fut obligatoirement le retour à l’école à Québec.