Radioactif 464
Texte de 2008, p. 849
Survivre : là est toute la question.
Avant 1980, la vie m’a trimbalé de jour en jour. Il n’y avait aucune possibilité de prévoir ce qui pourrait arriver le lendemain depuis que j’avais abandonné le journalisme. Le hasard a sculpté ma vie.
Journaliste, c’était la seule chose que je savais faire correctement. Je devais maintenant, comme tout le monde, me trouver des «jobines» pour me permettre de survire. J’ai travaillé dans une usine de jouets, j’ai même été concierge dans un sauna gai. Tout était bon en autant que je survive, mais je refusais de me rendre et admettre que le système puisse avoir raison de moi.
Ma pédérastie me permettait de rêver, de voir le monde en rose. Je croyais dans l’amour, c’était l’idéal absolu. Je n’arrivais pas à voir pourquoi cet amour ne pouvait pas se réaliser en dehors de ce que le système a décidé. Ma pédérastie me permettait d’être heureux et d’oublier que j’étais un échec social ambulant parce que je refusais de me plier à leur philosophie du mal.
Comment avais-je pu laisser un métier que j’adorais? Étais-je vraiment trop fanatique, radical ou étais-je trop assis sur mes principes? Aujourd’hui, ça signifie pour moi : étais-je capable d’équilibre? Mes principes n’étaient-ils qu’émotifs? Je croyais vraiment dans l’honnêteté journalistique et le devoir de protéger et améliorer le Québec.
La révolution signifiait combattre la misère des plus démunis, grâce à mon statut de journaliste, et de proclamer la vérité.
Les médias sont extrêmement puissants, surtout politiquement parce qu’ils sculptent la pensée populaire. Ils manipulent.
Quand j’ai été journaliste, ce fut une époque, où même si j’étais tellement peureux, je me battais avec toutes mes griffes pour sortir les Cantons de l’Est de la misère. J’étais prêt à mourir pour le bien public. En d’autres mots, je me prenais pour un autre. J’étais un journaliste engagé, un journaliste de combat. Et j’y croyais. J’étais très sincère et j’y mettais toute l’ardeur qu’il m’était possible.
Par contre, ma lecture de la réalité était utopique. Je croyais vraiment qu’on pouvait changer les choses, améliorer le sort des individus.
Mon problème fut de ne jamais me demander si les gens voulaient vraiment s’en sortir. Mon gouvernement régional, mon aéroport international, la Transquébécoise, puis, la zone spéciale, c’étaient des projets qui pouvaient vraiment changer les choses, des milliards qui auraient pu changer la vie économique de l’Estrie.
Les autorités locales ne pouvaient pas oublier leurs intérêts personnels et je me suis ramassé tout seul.
À la radio, on parlait de cellule d’information du FLQ. J’étais prêt à mourir pour mon idéal et la vérité, mais je n’étais pas un terroriste. J’étais un révolutionnaire. Je voulais changer les choses, rendre la vie plus abordable et plus tolérante.
L’échec de mes solutions venait en grande partie de la politique de Trudeau que j’admirais parce qu’il avait eu assez de couilles pour s’attaquer au droit d’être gai. Je l’admirais trop pour accepter qu’il fût la pire ordure politique qui ait existé au Québec, quoique Harper soit en train de la battre.
J’aurais cru que les gens se seraient tenus debout pour forcer des solutions. Mais le Québec est trop religieux et trop riche maintenant pour vraiment vouloir prendre la chance de changer les choses. On dirait que les valeurs n’ont plus d’importance, tout ce qui compte c’est l’économie. On a en partie raison, mais ce n’est pas seule réalité dans la vie. Ce n’est pas la raison fondamentale d’exister.
Je n’avais pas encore compris que l’argent, c’est la liberté. Avec de l’argent, tu changes ta vie quotidienne. Ce n’est pas une raison pour être fier de sa vie ; mais si tu manques d’argent, tu ne peux plus rien faire. Tu ne fais que chercher des moyens pour survivre. Survivre, ce n’est pas vivre. Si j’avais de l’argent, je n’aurais pas à brailler sur le besoin de la liberté d’expression, je me publierais moi-même.
Je me suis toujours ruiné pour les autres ou pour transmettre mon message. Pour qui est-ce que je me prends ? Qui tient le moindrement compte de mon opinion ? Je ne suis qu’un pédéraste assez fou pour en parler.
Même si j’éliminais la pauvreté et la guerre de notre globe, je ne serais encore pour ceux qui dirigent l’opinion populaire qu’un sale pédéraste qu’il faut mettre à l’index parce que je mets leurs intérêts en danger. Le sexe est moins payant que la drogue, la violence et la peur.
J’étais assez naïf pour croire que les grandes entreprises de presse cherchaient la vérité. Mais, à travers mon expérience du journalisme, j’ai dû constater que la presse est au service des intérêts de partis politiques ou si l’on veut des intérêts financiers qui manipulent les partis politiques.
Je me prenais définitivement trop au sérieux avec cette notion d’honnêteté, de devoir à la vérité. Je me croyais un révolutionnaire. Un révolutionnaire incapable de violence, car la violence est l’instrument par excellence du système pour conserver le pouvoir. La violence justifie la répression.
Après la prison en 1963, après les Disciples de la Croix, je me suis retrouvé à Québec à travailler pour le Limoilou- Nouvelles. Le patron de L’Aiglon considérait que j’étais un très bon journaliste et surtout un gars sur lequel on pouvait se fier quant à l’honnêteté. Ce travail a pris fin quand pour des raisons économiques, on a dû mettre la clé dans la porte. Par la suite, j’ai vendu des livres d’histoire des municipalités commandités, jusque ça ne fonctionne plus. Heureusement, même si ça ne m’a jamais servi par la suite, j’ai appris la photographie.
Par hasard, je suis ensuite devenu journaliste pour Québecor, à Port-Cartier. Même si je produisais des textes à la tonne, Québecor m’a mis à la porte seulement quelques semaines après mon engagement, sous prétexte que j’étais trop à gauche.
J’ai adoré cette ville parce que je suis tombé en amour avec un petit gars. Il venait me chercher au bureau et refusait de partir tant que je n’étais pas revenu si j’étais absent. Les secrétaires n’en croyaient pas leurs yeux et leurs oreilles. Ce jeune m’aimait si profondément qu’elle ne pouvait pas mettre ça en doute une seconde. Et ce fut ainsi que la porte du journalisme me fut complètement fermée, car au Québec il n’y a que Desmarais, libéral, et Québecor, pour l’argent. Quant à Radio-Canada, on exigeait que je suive des cours de diction.
Il me fallait donc trouver un autre métier et le hasard m’ayant fait connaître Suzanne et les enfants, j’aimais l’enseignement. Ma pédérastie m’amenait à ce nouveau métier qui exigeait que j’étouffe ma pédérastie pour exister.
Sans le savoir la vie me conduisait petit à petit à cette réalité. Je deviendrais prof un jour. Je devais sacrifier ce que j’aimais le plus pour vivre mon nouveau désir d’être professeur et père. Pourtant, j’avais maintenant toutes les raisons du monde de croire que la pédérastie est un atout dans la vie, une vraie raison d’exister, si on cesse d’être assez fou pour croire que le sexe est mal en soi. .