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Radioactif 463

août 12, 2022

Radioactif 463

Texte de 2008, p. 844

La peur de la violence.    

En fait, très jeune, j’ai commencé à avoir peur de la violence.  La violence, c’est l’échec des mots, l’échec des relations, l’échec des explications.             

La violence, ça fait mal, c’est désagréable.  Je n’avais rien d’un sadomasochiste, une forme de relation qui ne peut être que maladive.  C’est un déséquilibre automatique.  J’avais peur d’être dominé par une passion que je ne contrôlerais pas et qui s’exprimerait sans égard à ce que les autres pensaient.  

Je me suis fait un devoir de ne partager mes gestes sexuels qu’avec ceux qui les acceptaient.   Ma patience tenait à la peur d’entraîner quelqu’un dans le vice.  C’est ce qui en était surtout ressorti quand j’ai rencontré Daniel.  Ce moment pivot dans ma vie.            

Par contre, je croyais de moins en moins en ce qu’on nous enseignait : la sexualité est le pire «mal » humain.   Jouer aux fesses, c’était pire que de voler ou de tuer ; du moins, notre société réagissait ainsi.  Pour moi, c’était le contraire, désirer quelqu’un c’était déjà l’aimer.  Je trouvais ça de plus en plus ridicule de voir du mal à se caresser.  Pourquoi faire un tel drame avec une chose aussi peu importante, aussi naturelle et si agréable ?   

Il existe une race de monde, les soumis à la religion, qui automatiquement s’imagine que le sexe est le mal.  Je n’arrivais même pas à percevoir comment ces arriérés pourront un jour modifier leur point de vue.  Le degré de tolérance est dicté par la culture du milieu. Faire l’amour n’a aucune importance ou responsabilité particulière si ça ne débouche pas sur la procréation.  L’importance de ce geste tient strictement à la responsabilité envers l’enfant à naître.  Et, avec un petit gars, le danger de mettre un enfant au monde était inexistant.  Pourquoi ce plaisir, s’Il est partagé, serait-il mal ? Rien, ne justifie une telle condamnation.              

Si tu veux faire un enfant, t’as une relation avec une femme, il faut que tu aies le sens du devoir envers l’enfant qui peut naître de cette relation.  Ce qui compte c’est que tu sois en amour. Si cet amour se concrétise en faisant un enfant, il t’engage jusqu’à ce que cet enfant puisse être autonome.  Pourquoi se masturber à deux est-il mal?  C’est plutôt agréable.  Toucher quelqu’un avec tendresse, n’est-ce pas une manifestation de l’amour que tu ressens pour lui?        

Je n’avais aucune confiance dans la possibilité d’échapper à ces désirs.  Ma jouissance a toujours été de voir jouir l’autre.  Même les sacrifices étaient des échecs.  Et les miracles, je n’y croyais pas tellement.   Mon expérience de la vie me prouvait de plus en plus que l’enseignement religieux est faux. 

Quand Freud est apparu dans le décor, j’ai pu commencer à comprendre le mensonge des religions concernant la sexualité.  J’ai vite saisi que le rang que la religion accorde aux femmes explique leur aliénation affreusement profonde et leur discours anti-sexe.   On voulait que le moins de gens possible s’intéresse à l’argent, j’imagine.                 

Le capitalisme est une sublimation sexuelle.  Je me suis mis à détester la religion.  Toutes mes réflexions me forçaient à remettre en question ce que l’on disait ; mais j’avais peur que la peur provoque une peur encore plus grande.   Ne peut-on pas devenir complètement fou si on a trop peur?  Cette peur était encore pire après ma première incarcération, car cette fois je pouvais avoir peur d’être dénoncé. J’avais peur d’avoir peur.       

Est-ce que la peur de retourner en-dedans pourrait changer mon comportement?  Est-ce que mes scrupules qui revenaient sporadiquement pourraient surgir après une relation?  Est-ce que la peur d’être dénoncé l’emporterait sur l’amour que j’ai pour le jeune?  Pourrais-je dans ce cas devenir violent? C’est ce que je ne voulais pas.   

La peur est un drôle de phénomène.  Dans mon cas, ça se traduit par l’étourdissement, puis la sensation d’engourdissement du cerveau.  Tu files tellement mal que tu n’oses plus bouger non seulement en geste, mais même en pensées.  Tu figes complètement.  Tu te sens très mal.   Le temps ne file plus, il est un engourdissement total, global.        
 
J’avais cette peur quand les journaux parlaient des monstres qui tuaient des enfants pour des raisons sexuelles.  Je m’inquiétais pour ces jeunes et j’avoue que je détestais la personne qui pouvait être assez infecte pour violenter d’aussi beaux enfants.  J’avais peur de devenir un de ces malades, car, pour frapper un enfant ou une femme, il faut que tu sois déséquilibré. Tous ces meurtres me reviraient à l’envers parce que je me demandais si je ne deviendrais pas aussi malade.  C’est ce qui m’a amené à consulter très souvent, mais j’ai arrêté pour deux raisons.   
 
Dans un cas, je trouvais que seulement parler, c’était inefficace, une perte de temps.  Aujourd’hui, je sais que le moment où tu peux verbaliser un problème tu as déjà presque la solution.  Dans un autre cas, j’ai arrêté, car je n’étais plus le problème, mais la victime.  On me disait que j’étais normal et qu’au contraire j’ai fait preuve de grande force en combattant la mésestime de moi que la vie s’était efforcée de me faire ressentir en étant une faiblesse, avec un gros nombril et deux couleurs de peau.  Un nègre blanc d’Amérique.   On blâmait mes parents.  On les trouvait insensibles.         

Je n’étais pas d’accord avec ces spécialistes de la maladie mentale, car, personne ne m’a forcé ou ne m’a enseigné à être pédéraste.  Mes parents avaient peut-être des défauts, mais j’avais de maudits bons parents et j’étais insulté qu’on essaie de les blâmer pour mes problèmes.  Ils m’avaient tout donné. Je ne me sentais pas une victime.  J’étais quelqu’un qui s’est lui-même senti humilié d’être ce qu’il était et non ce qu’il aurait voulu être.  J’avais le vouloir être plus grand que l’être.

La seule chose dans leur discours qui me semblait vrai : ce n’est pas toi qui choisis d’être pédéraste et tu dois apprendre à faire avec.  Ce n’est pas toi qui se croit inférieur, mais les situations qui te font te sentir différent.  C’est la faute de personne si t’as un gros nombril et une petite queue, c’est la vie qui te place dans cette situation (et dans le fonds, avec le temps, j’ai appris que j’étais juste dans la moyenne en longueur de queue).  Ce n’est pas brailler qui change la forme de ton nombril, mais en apprenant que ça n’a aucune importance. 

Tu peux toujours trouver quelqu’un qui tombera en amour avec toi et te trouvera beau, même si tu es laid comme un pichou.  Par contre, quand j’ai rencontré les trois médecins de la clinique Roy-Rousseau qui m’ont affirmé que je ne serais jamais un danger pour un petit gars, mais que la société sera toujours un danger pour moi ; j’étais ravi d’entendre leur verdict.  C’est tout ce que je voulais : m’assurer que je ne pouvais pas devenir méchant.  Par contre, je ne croyais pas à leur solution : devenir homosexuel.  Ce n’est pas toi qui choisis ce qui t’attire.  Tu es, ce que tu es : point.  Tu n’as pas à devenir ce que les autres veulent penser de toi, mais être fondamentalement ce que tu es, sauf si tu es violent.

Je ne croyais pas  encore possible de changer ça.  Le temps m’a donné raison.  J’ai compris qu’on ne peut pas «changer» sa petite nature, mais qu’on peut de mieux en mieux la contrôler.  Cependant, j’ai commencé à chercher ce qui m’éloignait de l’homosexualité.  Ce n’était pas ce que les gens en pensaient. Je n’aimais pas les grosses queues et encore moins la sodomie que l’on identifiait à l’homosexualité.  Malgré tout, j’ai essayé et j’ai pu me confirmer que je n’aime vraiment pas la sodomie. Par contre, j’ai aussi appris que pour la majorité des gais, la sodomie ne les intéresse pas non plus.            

J’ai tenté la solution des médecins.  Je n’avais rien à perdre.  Je me suis aperçu que ce n’est pas parce que tu es plus vieux que t’as une plus grosse queue.  Que ce n’est pas parce que tu aimes le sexe, que tu vas nécessairement déchiqueter celui qui vient dans ton lit.  Bien des jeunes avec qui j’avais des rapports sexuels avaient déjà un zizi bien plus développé que le mien.  Cet aspect était important, car il influençait mon intérêt pour l’autre. Une pure question de narcissisme ?  Peut-être.  On se cherche toujours en l’autre quand on est jeune et que l’on vit une aventure gaie.  
 
Je me suis mis à fréquenter les bars gais.  Je trouvais ça particulier parce que dès que tu mets les pieds dans l’établissement, tu deviens une vraie livre de beurre. On t’examine comme un objet de luxe à acheter.  Par contre, avec les gais, contrairement aux femmes, il n’y a pas de «noui».  Tu veux ou tu ne veux pas. 

Même si j’étais un peureux, je voulais assez connaître la réalité pour qu’à un moment donné je comprenne que mes peurs étaient des folies.  Pourquoi ne pourrait-on pas aimer se faire taponner?  Qu’est-ce qu’on a de si précieux pour croire que c’est un sacrilège que de se faire désirer?  Qu’est-ce que le respect vient faire là-dedans, sinon prouver que t’es un mouton, incapable de réfléchir par toi-même. Tu ne serais pas respecté si tu étais traité comme une ordure, mais pas quand tu es désiré comme le plus précieux des biens.  

M’étant toujours trouvé laid, je savourais le plaisir de voir autant de mâles me courir après et me payer la bière pour essayer de me gagner.  On appelle ça de la prostitution.  Je trouvais ça très valorisant. D’autant plus que les discussions étaient mieux garnies qu’à bien des endroits.  J’ai appris que le sexe est une chose, mais que la beauté de l’esprit est encore plus belle.  J’ai recommencé à m’émerveiller devant l’intelligence et la beauté intérieure.  Et, surtout, pour une fois dans ma vie, étant donné la peur débile que j’avais eue depuis que j’étais jeune des hommes plus vieux que moi, j’ai appris sur le tas que les cas d’agression sont très ou extrêmement rares.  
 
Je pouvais enfin expérimenter ce qu’un jeune ressent quand il est avec moi.  Je me suis fait un plaisir indicible de me mettre dans leur peau et d’essayer de découvrir ce qui pouvait être intéressant ou fâchant pour un jeune qui rencontre un plus vieux.  Car, à cause de l’âge, on considère ça de la prostitution.  Moi, je ne voulais pas seulement jouer aux fesses, je voulais être amoureux.      
 
Ce changement est survenu alors que je m’ouvrais aussi aux femmes.  Je ne sais pas pourquoi mais, dans ma tête à ce moment-là, ça n’avait aucune importance que ce soit un gars ou une fille, tout ce qui comptait c’est d’être bien avec cette personne.  Ce qui comptait c’était de me sentir désiré, d’exploser de joie à rencontrer l’autre.  J’aurais voulu être avec tous les petits gars du monde pour tout découvrir sur l’homme, mais en même temps la présence féminine me rendait fier et joyeux d’arriver à les attirer.  Le problème avec une femme, c’est que le mâle s’imagine qu’il doit être un paon.  Je ne me sentais pas ainsi.  Je ne croyais pas en moi. 

Notre éducation ressort bien malgré nous et nous sommes vite des machos.  Que les femmes aiment ça ou pas, c’est la religion qui a créé cette manière de se sentir avec les femmes.  Je voulais tout essayer.   Pas de racisme ou de jugement sur les autres, mais un émerveillement constant à la beauté de l’être humain.    

C’est ainsi, après une aventure d’une année ou deux avec Suzanne et les enfants, que j’ai commencé à vraiment croire que les méchants c’étaient plutôt ceux qui me condamnaient.  De quel droit pouvaient-ils juger de la valeur de mes relations avec les autres?  Depuis quand un besoin aussi essentiel et naturel que le sexe était-il méchant?    

Le sexe chez les jeunes, c’est un jeu.  Depuis quand un jeu fait-il mal ?  Un gars à qui tu poses la main sur la queue ne s’assèche pas.   A-t-il une telle décharge électrique qu’il en devient stérile ?  Conneries par-dessus conneries. Pourquoi le sexe est-il mal, le condamne-t-on, pourquoi en fait-on le crime des crimes alors que toute notre culture valorise la violence?   La violence est bien plus dangereuse comme les drogues, mais on les tolère.              

Je lis présentement sur le bouddhisme, une perception de la vie que je trouve très intéressante. Pourtant, dans deux pages, une à côté de l’autre, j’y retrouve exactement le contraire, ce qui ne m’empêche pas de trouver ce livre extraordinaire : Plaidoyer pour le bonheur, de Mathieu Ricard, p. 284 :  
 
«Selon les chercheurs, les événements de la petite enfance n’ont qu’un effet mineur sur la personnalité adulte ; ils ont de fait un retentissement beaucoup moins important que les gênes.»  Et p. 285 : «Il est indéniable que le degré d’amour et de tendresse que l’on reçoit dans la petite enfance influence profondément notre vision de l’existence.  On sait que les enfants victimes d’abus sexuels ont deux fois plus de risques que les autres de souffrir de dépression une fois adolescents ou adultes».  Pourquoi cette contradiction?  Le sexe n’est pas affaire de violence, au contraire, c’est plutôt affaire de tendresse.

Qui définit chez un enfant (d’un certain âge on s’entend) ce qu’est un abus sexuel?  Sûrement pas lui. Ça ne vous a jamais arrivé quand vous êtes en train de pisser de vous apercevoir qu’un petit s’est avancé pour voir ce que vous avez entre les jambes?  Comment réagissez-vous?  En le repoussant, en gémissant comme si vous veniez d’être poignardé ou en faisant semblant de rien et de précipiter la rentrée du «concombre» dans le pantalon, sans entraîner une dégoulinade le long de la jambe, tout en manifestant par votre geste le besoin d’être seul autant que possible dans une telle situation. Réagir autrement, c’est le punir, l’humilier.  Être scrupuleux est une condamnation et les jeunes n’ont pas besoin d’une gifle pour comprendre votre position face au sexe.   

Avec notre éducation, souvent tu files mal et tu ne sais pas trop comment régler le problème.  Juste le fait qu’il y ait sexe, on devient fou.  C’est normal, les religions nous lavent la cervelle contre la sexualité depuis des millénaires.     

Aujourd’hui, avec la dénonciation, tu ne sais plus que faire : où commence et où finit la tendresse?  Avez-vous déjà senti le plaisir fou de certains jeunes qui en luttant avec vous se font un vilain plaisir de vous la poigner avec ardeur?  Qu’est-ce qui est important : le péché, le dégoût ou le plaisir de les entendre rire plus fort qu’un orage?  Qu’est-ce qu’il y a de mal là-dedans, sinon d’avoir l’esprit assez croche, d’être assez tordu pour y voir du mal.  En tous cas, ce qui devait arriver arriva.  J’ai rencontré un gars plus vieux que moi de qui je me suis senti aimé et qui a décidé de me revoir. 

Ce fut le début d’une belle amitié.  Sans le savoir, je changeais intérieurement.           

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