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Radioactif 411

juin 20, 2022

Radioactif 411

Texte de 2008, p. 713

Mort de mon père.

Je m’occupais encore de l’école libre quand j’ai obtenu, à la suite d’une entrevue en bonne et due forme, un emploi à la Fédération des familles.  Ça n’avait rien à voir avec l’arrivée du Parti québécois au pouvoir, mais le hasard fait bien les choses. 

Je m’étais rendu à Barnston pour voir ma famille, C’était au début de février, quelques jours avant l’anniversaire de naissance de mon père, Émile.  Celui-ci était très heureux et fier que j’aie ce nouvel emploi :  » Tu vas peut-être arrêter d’en arracher et être plus stable », me dit-il.     

J’étais avec Gilles Laflamme, un ami avec qui je faisais de la radio communautaire à CINQ-FM, à Montréal.  Je voulais le présenter à ma famille parce que c’était un maudit bon gars.  

Je venais de faire un coup d’éclat, car j’avais décidé d’occuper la station CINQ-FM, même si j’avais obtenu la permission de produire une série d’émissions.  En réalité, on nous refusait la liberté de parole, j’ai donc décidé d’occuper et diffuser quand même l’émission préparé, à partir du studio de la radio. 

J’avais une émission où je voulais parler de politique et de liberté sexuelle.  La station refusait pour des raisons politiques.  Je me suis enfermé dans un studio, j’ai accaparé le micro et dénoncé en ondes cette censure.  Gilles paranoïait juste à penser à ce geste.  Nous nous battions aussi pour le fait français dans le domaine de la radio.  Ottawa ne nous avait pas encore volé ce droit d’être maître des ondes chez-nous. 

Gilles était membre des Rose-Croix.  Il lisait l’avenir dans les mains et les cartes du ciel.  Quand ce fut le tour de papa, il a refusé de lui dire ce qu’il voyait.  Quant à moi, il m’avait fait une carte du ciel selon laquelle je finirai ma vie dans la misère la plus noire et la plus complète.         

Mon ange de naissance serait Samaël.  Rien d’autre que Satan lui-même en personne.  Maudit beau début.

Y paraît qu’il y aurait eu un événement à ma naissance qui aurait tout mélangé et ce ne serait que maintenant que ma vie va complètement changer pour le meilleur.  Qu’importe !  Si c’était vrai, je serais millionnaire, selon tous les autres tireurs de cartes.  

Nous avons décidé, Gilles et moi, de prendre une marche.  Devant le cimetière à Barnston,  je me demandais qui pouvait bien être enterré sous le banc de neige, près de la clôture. Je m’y suis rendu de peine et de misère.  

À mon retour, Gilles me dit qu’il ne faut pas aller dans les cimetières, car ça dérange les morts.       

Puis, je ne sais pourquoi, j’ai eu une idée suivante complètement folle : si t’avais à choisir entre ton père et ton chien Kiki, que t’adores, laquelle des morts te ferait le plus souffrir?  Je savais que Kiki était très vieux, je l’adorais, mais je ne voyais pas pourquoi une telle question me montait à la tête d’un coup sec.  J’ai d’abord ressenti la peine que j’aurais en perdant Kiki.  Ça me choqua parce que j’aimais quand même mon père très profondément, même si on n’était pas toujours sur la même longueur d’ondes. Cette comparaison n’avait aucun sens.           

Quel choix idiot !  Papa n’acceptait pas que je sois pédéraste. Quand on en parlait, on en braillait tous les deux, car j’essayais de lui faire comprendre que je n’ai rien choisi de tel, mais que c’est la vie.  C’est tout. 

Maman, elle, se promenait tout énervée, comme si elle aurait eu peur que ça tourne mal.  Au contraire, ces discussions étaient très bénéfiques.  Comment se comprendre, si on ne peut pas s’expliquer? Comment expliquer que tu veux améliorer la vie, le sort des autres, quand t’es pédéraste?  Comme si être pédéraste t’empêchais d’être généreux, d’être sensible au sort des autres.            

Dans notre monde québécois, juste le fait d’être pédéraste fait de toi le roi des salauds.  Aux yeux des gens, si ceux qui t’entourent ne te dénoncent pas, ils sont aussi pires que toi, car ils n’osent pas te juger.  On est complètement débile au Québec dès qu’il est question de sexe : un héritage religieux. Qui rime mal avec aime ton prochain.          

Nous sommes repartis.  J’étais content d’avoir rencontré mes parents et de les avoir informés que je faisais aussi de la radio. 

Quelques jours plus tard, le mal d’estomac m’a amené à l’hôpital.  Bizarre, mais je me suis mis à penser à mon père, à me reprocher de ne pas avoir réussi à date à lui dire franchement combien je l’aime et toute la reconnaissance que je lui dois de m’avoir  « canalisé » vers la recherche d’une vie meilleure pour les Québécois, car, papa comprenait que je sois politiquement radical.  

Je m’en voulais d’avoir pensé devoir choisir émotivement entre la mort de mon père et de mon chien. Et surtout d’avoir d’abord pensé à mon chien.  Je me trouvais dégueulasse juste d’avoir ressenti que j’aimais plus mon chien que mon père.  Je refusais que ce soit la réalité.  Pourquoi cela m’arrivait-il? C’est honteux et je m’en voulais, mais j’ai rejeté le dilemme en me disant que c’était complètement fou puisque je ne peux rien décidé. 
 
Mon père s’est rendu malade à travailler dans le textile, à remplir plusieurs emplois pour faire vivre un magasin qui traînait la patte parce que le curé s’interposait toujours dans les référendums pour nous empêcher d’avoir le droit de vendre de la bière, ce qui est le plus payant.  Il a sacrifié sa vie pour nous.  Et malgré tout, il faisait du crédit pour aider les plus démunis.  Comment ne pas comprendre mon engagement politique puisque je pensais que c’était en politique que se trouvait la réponse?          

Cette réflexion me fit prendre la décision d’offrir en dédicace mon livre Laissez venir à moi les petits gars à mon père.  Après tout, j’écrivais ce livre pour expliquer ma pédérastie et dénoncer que l’on fasse un drame avec des jeux sexuels qui ne sont absolument pas violents, mais au contraire, bien jouissants pour tous les participants.  J’en voulais et j’en veux encore plus à l’hypocrisie des vertueux qui n’ont aucun respect pour les droits individuels.        

Je suis retourné au travail, mais là, on m’a informé de la mort de père.  J’ai été tellement secoué que tout s’est passé comme dans un rêve.  Durant des mois, je m’en suis voulu de cette idée de fou qui avait surgi en moi comme si j’avais choisi lequel des deux survivraient.  Quelle culpabilité !  Comme j’ai dû le faire souffrir avec ma pédérastie et ma révolution ! C’étaient des tourments affreux.    

Papa fut enterré, là, où ne m’étais rendu dans le cimetière. 

Puis un soir, j’ai rêvé.  Il était à côté de moi et me montrait un dessin sur un mur.  Il me dit que c’était moi.  Je le trouvais tellement merdique. J’en étais écœuré.  Puis, papa me fit avancer et ce tableau si laid devint une magnifique forêt. Nous avons continué et les branches des arbres devenaient comme des diamants créés dans le verglas.  C’était d’une beauté indicible et papa me dit : tu vois chacune des branches que tu vois là, c’est l’amour d’un de tes petits gars.  Puis, je me suis réveillé et je venais de faire la paix avec mon père.  Quel homme !     

Que ce soit mon inconscient ou qu’il y ait une vie après la mort n’a pas d’importance; mais à partir de ce rêve j’ai foncièrement la certitude que mon père venait de me dire qu’il savait maintenant ce que je ressens vraiment dans mes amours défendus.  Il m’annonçait qu’un jour mes amours illicites et défendus deviendraient ce que je trouverais de plus beau dans ma vie. Ce qui se concrétisa.

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