Radioactif 391
Radioactif 391
Texte de 2008
Le sexe et le rire.
La personne la plus libre d’esprit que j’ai rencontrée dans ma vie fut certainement Raymond Paquin. Je ne suis plus certain du prénom, car on l’appelait toujours Paquin.
Je l’ai rencontré, un soir, alors que j’étais au restaurant avec l’écrivain Raoul Roy. Quand je montais à Montréal, j’habitais chez M. Roy. Raoul Roy était, disait-on, le père spirituel du premier FLQ.
J’ai lu depuis qu’on appelait alors les terroristes des effelquois. Ce nom fut changé pour felquiste pour que ça rime mieux avec péquiste. Une transformation opérée par les fédérastes et les libéraux (même chose) qui fut très payante pour Ottawa.
On associait ainsi par les sons péquistes et felquistes. On reprochait au parti de René Lévesque, qui ne pouvait pas tolérer la moindre violence, de s’être sali les mains en tuant le ministre Pierre Laporte. Des milliers de personnes ont cessé d’être membres du PQ pour échapper à cette mystification et ne pas être associés à la violence. Une aberration de croire que le PQ puisse être le moindrement violent, mais on mélangeait tout et ça faisait bien l’affaire d’Ottawa.
Paquin était gai. Il nous arrivait de Rouyn Noranda, les poches bourrées d’argent. Il nous payait la bière et le joint tant qu’on apportait le rire et la gaieté. Notre farce favorite, c’était de se rendre dans un lieu très conservateur, le plus conservateur possible et de commencer à chanter, après s’être levé avec des grands airs de dignité, la main sur le cœur. « C’est la lutte finale. Aimons-nous et demain, l’Internationale sera le genre humain ». L’Internationale communiste. Et, on se rasseyait aussi vite, en ayant l’air le plus placide possible. On pouvait recommencer ça à l’improviste deux à trois fois dans la soirée, dans les moments les moins indiqués et correspondant le mieux à un irrespect du protocole. On allait aussi carrément boire dans des tavernes gaies. C’est là où j’ai pris le goût d’être désiré par un homme.
Avec Paquin, plus on était fou, plus on avait de plaisir, plus on était ami. Je ne l’attirais pas physiquement, mais on riait comme des fous quand nous étions ensemble. Rien ne nous arrêtait. C’était le party automatique. Si quelqu’un que l’on avait invité devenait trop sérieux, il était renvoyé du groupe.
Pas étonnant qu’il fut candidat Rhinocéros à Rouyn. Je m’y suis rendu là-bas, mais mes provocations n’eurent pas le même effet : on demanda à Paquin de m’indiquer le chemin de Montréal avant d’être massacré.
À l’époque, j’aimais me dire St-Jean, l’apôtre bien-aimé de Jésus et affirmer que tout le monde est gai, même les hypocrites. Je faisais des compliments aux hommes sur la rondeur de leurs fesses. Ce n’était pas très apprécié. Je repartis sur le pouce et quand je suis passé à Val-d’Or, j’eus le sentiment que cette ville jouerait un rôle immense dans ma vie. Puis, j’ai filé par le Lac St-Jean.
Paquin était très fier d’être candidat rhino, pour lui, c’était le summum de l’ironie. Quand j’étais avec Raymond, nous adorions provoquer.
On s’était rendu un soir dans un club à Montréal que l’on savait « très straight». Nous avons commencé par danser un rock ensemble, puis, nous avons enchaîné avec la musique même si c’était un slow. Plus on se collait, plus les autres réagissaient .On a même voulu nous agripper. En sautant sur une table, elle s’est renversée et je me suis foulé un pied. J’ai marché croche durant de nombreux jours, mais on avait eu bien du fun.
Échange avec Haïti.
Il y a quelques semaines, un poète haïtien me proposait d’organiser un atelier d’écriture d’un mois, à Port-au-Prince, pour une vingtaine d’étudiants en première année d’université. Il ne me connaissait pas, mais il avait probablement lu mes poèmes sur Envol poétique, un site français, dont j’ai déjà parlé.
Après beaucoup d’hésitation, car un tel projet, pour moi, représente trois dangers de mort : le sida, la violence en Haïti et la Gendarmerie royale du Canada (chacun sa paranoïa).
Puisque je ne vis plus ma pédérastie depuis plus de dix ans (manque d’occasions) et que les esprits étroits du Québec essaient de m’empêcher de respirer, il aurait été possible que je tombe amoureux d’un petit Haïtien. Pourquoi pas ?
Malheureusement, il demeura chaste, mais il crèvera peut-être de faim ou de sida. C’est beaucoup mieux ainsi. Il faut protéger le sexe des jeunes, c’est une denrée périssable. C’est notre inconscience internationale.
Il y a aussi la violence en Haïti qui m’a fait hésiter. C’est quand même une réalité puisqu’un ami d’un de mes frères qui a travaillé à Haïti me disait que même si on lui paierait un million, jamais il ne retournera là-bas.
Puis, notre très sainte GRC est la seule police qui est en contact avec Haïti. C’est peut-être paranoïaque, mais à mon sens, j’ai assez de raisons pour craindre que la GRC opère à l’extérieur du pays comme les services secrets… une disparition, c’est si vite arrivée, et plus de contestation du même coup.
Cependant, j’aurais aimé voir, apprendre, qu’est-ce qu’on peut faire pour aider des pays aussi pauvres. Que notre système rend encore plus pauvre. J’aurais trouvé intéressant que l’indépendance du Québec puisse faire contrepoids au Canada dans l’estime des gens de ce pays. Les Haïtiens sont sûrement des êtres extraordinaires à connaître … mais voilà c’est terminé. Je publie les deux derniers textes de notre correspondance. C’est dommage, car j’avais déjà trois personnes qui étaient intéressées. J’ai fourni les renseignements au jeune poète d’Haïti et je lui souhaite bonne chance. Mon expérience sera encore lessivée par l’imbécilité.
Message d’Haïti
«Ce matin, j’ai reçu des mails d’amis qui m’ont écrit concernant mon projet avec toi ; ils voulaient me donner une mise en garde, mais je n’ai pas paniqué. Ils m’ont aussi dit que la pédérastie est pour toi un sacerdoce, un combat, mais je leur ai dit que pour toi et moi, il est question de littérature. Ils m’ont référé à d’autres écrivains qui n’ont pas ces barrières parce que moi aussi, je risque ma réputation dans mon milieu. Maintenant, je suis sur le point de réfléchir à ce que je dois faire. Je te laisse, espérant te lire bientôt».
Réponse appréhendée.
«Je suis désolé d’abandonner le projet d’atelier d’écriture en Haïti à cause des esprits étroits et des langues sales. Effectivement, je me bats pour faire reconnaître que tout individu est le seul maître de son corps et de son esprit, et par ricochet, que tous les jeunes de 10 ans et plus, selon leur développement psychologique, ont le droit fondamental de vivre leur sexualité, selon leur orientation et leurs principes. C’est un droit fondamental individuel que les adultes ne respectent pas sous prétexte que les jeunes sont trop cons pour pouvoir se créer leur propre morale.
Le droit à l’orientation sexuelle ainsi que celui à la vie privée sont des droits fondamentaux pour chaque individu quel que soit son sexe et son âge.
De plus, je crois, que les jeunes ont le droit absolu d’être convenablement informés, sans fausse pudeur, sur la sexualité. Nous retournons à une société d’arriérés dans laquelle la sexualité des jeunes est un sujet tabou, une omerta responsable de multiples suicides chez les jeunes. Je ne déteste pas encore assez les jeunes pour souscrire à une telle démocratie d’hypocrites.
Qu’on se réveille ! La loi C-10 que le Canada tente de nous imposer est en réalité une arme pour combattre l’indépendance du Québec. On passera vite de la censure du cul à la censure politique. Ou les deux en même temps, comme on le fait pour moi.
Privilégier l’approche religieuse de la sexualité comme morale d’une société n’a pas comme seul effet de nous castrer mentalement ; mais de maintenir la misogynie, le racisme et l’intégrisme. Une démocrassie. Un monde auquel je refuse d’adhérer».