Radioactif 348
Radioactif 348
Texte de 2008
Vol de mon livre.
Rouhed, le plus jeune de mes deux fils adoptifs, s’est suicidé le 3 juin 1994, à 21 ans.
C’est alors que tous mes problèmes ont commencé.
Même si je l’aidais du mieux que je pouvais, avec le temps, après sa mort, je me suis mis à avoir des remords. Est-ce que j’aurais vraiment pu travailler à Montréal plutôt qu’à l’extérieur et ainsi être plus près de lui? J’aurais pu faire mieux et être moins mesquin. Je ne lui donnais pas toujours tout l’argent qu’il me demandait.
Par contre, la mère de sa blonde, Sarah, m’a dit que j’avais tort quand je lui ai fait part de mes culpabilités : « Tu as fait mieux que bien des parents naturels ».
J’avais conservé pour Rouhed notre appartement au 2240, rue Quesnel, à Montréal. Je croyais qu’il recevrait davantage d’aide pour fréquenter le CEGEP. Je suis intervenu pour lui auprès du ministère de l’Éducation. J’étais très fier de l’intelligence de Rouhed.
De plus, il travaillait dans une fromagerie et il aimait bien ce travail.
Rouhed était de plus en plus souvent dépressif. Il m’avait indirectement, quelques mois plus tôt, parlé de son désir de quitter ce monde qu’il trouvait injuste envers la majorité des êtres humains, après avoir vu l‘Assommoir, avec Renaud, sa grande vedette. Je ne savais trop quoi penser de sa boutade, car il m’avait simplement dit : Et, si c’est moi qui parlais de suicide, est-ce que t’aurais peur?
Ses menaces m’avaient foutu la trouille, car, je le savais assez déterminé, assez extrémiste, pour faire ce qu’il le disait. D’ailleurs, quelques jours avant que j’apprenne sa mort, je lui avais demandé au téléphone s’il avait perdu ses idées suicidaires. Ça m’inquiétait. J’avais commencé mes démarches pour être transféré de Val d’Or à la Commission scolaire de Montréal comme enseignant. J’avais ma permanence et une maitrise, ce qui ne se perd pas.
Quand je suis descendu de Val-d’Or à Montréal, j’ai tellement demandé à Dieu de partager la souffrance de sa mort que je suis arrivé à Montréal en ressentant un mal de cou, comme si je mettais suicidé avec lui. Ce fut affreux. Affreux. Affreux.
Quand Rouhed s’est suicidé, il y avait plein de nouvelles personnes que je ne connaissais pas qui se présentaient à la maison.
C’est alors qu’on a dérobé mon livre L’Homo -vicièr. Bizarrement, ce livre s’est retrouvé entre les mains de la police de Val-d’Or, deux ans plus tard, comme preuve contre moi. Comment avait-on prévu le coup? Pourquoi tous les papiers d’identité de Rouhed avaient-ils disparus? Pourquoi la police ne les avait-elle pas? Où est passé son portefeuille?
Y avait-il quelqu’un que Rouhed connaissait et de qui je ne me méfais pas qui essayait de me faire payer pour ma participation antérieure à des ateliers sur la pédérastie quelques années plus tôt?
En effet, quelques années plus tôt, j’avais décédé de participer comme conférencier aux ateliers sur les homosexualités, organisées par le psychologue Lucien Bouchard.
Je voulais que l’on dédramatise le fait d’être pédéraste. Dans le temps, on ne parlait pas encore de pédophilie, donc, on faisait encore moins les nuances qui s’imposent entre ces deux formes de vie. J’avais peur qu’un pédéraste pris de peur tue son partenaire. C’était une de mes obsessions parce que j’avais peur que ça m’arrive. Il fallait absolument faire comprendre au monde entier que ces relations sont souvent acceptées par tous les participants et un plaisir plutôt qu’une mauvaise aventure.
Mon médecin, une dame, dit être tombée en-bas de sa chaise quand elle m’entendit, car elle ne l’aurait jamais deviné et qu’elle avait des fils. Je voulais que l’on dise la vérité sur le sujet plutôt que de semer la paranoïa devant tout ce qui est sexuel.
C’est en lien avec ces conférences que j’ai rencontré tous ceux qui deviendront mes amis avec le temps.
À cette époque, je n’imaginais même pas que je puisse un jour être différent. Je croyais qu’on ne peut pas être autre chose que pédéraste quand on l’est, parce qu’on ne choisit pas ce qui nous attire et un pédéraste est attiré par les jeunes mâles et non ceux de son âge ou plus vieux que lui. Le désir est la base de toutes les relations sexuelles, non?
Quand j’ai commencé à vivre avec Shuhed et Rouhed, le frère aîné de Rouhed, je répondais à ceux qui me demandaient où était mon épouse : j’ai déjà assez de travail à élever deux enfants pour ne pas devoir m’imposer, en plus, de devoir endurer une femme.
Je n’acceptais pas la notion, le devoir, d’être le seul partenaire dans un couple. La fidélité absolue me semblait une fausse préciosité, un geste moral sans fondement. Pourquoi avoir le droit et le devoir de faire l’amour si on est marié et que ce geste devient le péché des péchés, s’il n’est pas accompli avec la même personne? Je croyais dans la fidélité, mais comme forme de responsabilité, vis-à-vis, la famille que l’on a créée.
Quand Rouhed est mort, j’ai connu des femmes qui le connaissaient, semble-t-il, mieux que moi.
Par hasard, j’ai cru comprendre que Marie-Louise avait aidé à l’arrestation d’un infirmier que j’avais déjà connu et qui fut condamné pour attouchement sexuel sur un mineur. Puisque René-Louise se disait une psychologue ou une intervenante pour défendre le droit des adultes à avoir une relation sexuelle avec des mineurs, je n’y avais pas attaché d’importance.
J’ai cru avoir mal compris et je n’ai pas pensé une seconde qu’elle pouvait jouer double jeu. Je n’ai même pas vérifié.
Selon René-Louise, qui disait tout connaître des musulmans, Rouhed ne s’était pas suicidé uniquement parce que Sarah l’avait quittée, mais surtout pour protéger quelqu’un. Qui? Moi?
J’étais politiquement très engagé, mais me croire en danger à cause de mes idées était à mon avis tout à fait farfelu. En principe, on ne tue pas encore nos ennemis politiques au Canada
À sa mort, Rouhed m’a laissé une lettre dans laquelle le message se résumait avec la présentation : « Cher Papa Jean, don’t worry, be happy! » C’était la première fois que Rouhed m’appelait papa. Shuhed a commencé à faire de même, mais il lui il m’appelait « Père ».
Les plus beaux moments, les plus belles années de ma vie furent quand j’étais le père et quand j’ai enseigné. J’avais alors une raison de vivre et une très grande fierté de ce que je faisais.
Marc, pédéraste.
Un jour, j’ai reçu une lettre de Marc Lachance, qui voulait me rencontrer, ayant lu Laissez venir à moi les petits gars. Il m’a raconté ses amours et ses problèmes, car il venait des se faire prendre avec un jeune de ses connaissances. Sa relation avec la mère du petit s’était détériorée et il avait peur. Il cherchait un moyen pour se déculpabiliser, se sortir du trou, tout en reconnaissant qu’il était toujours très profondément amoureux de ce petit.
Il aimait jongler et il émanait de lui une telle douceur, une telle tendresse, que je lui ai recommandé de devenir professeur. Tant qu’il n’y a pas de violence, je n’ai rien contre la pédérastie, bien au contraire. Ça peut paraître bizarre d’enseigner quand tu es pédéraste et pourtant je suis convaincu que les pédérastes font les meilleurs enseignants du monde.
Être pédéraste, c’est être heureux à l’infini d’être en compagnie de petits gars. Puisqu’on se dit, dès les débuts, qu’on se répète quotidiennement « never on the job », les jeunes sont encore plus en sécurité avec nous qu’entre les mains des professeurs qui enseignent juste pour le salaire.
Quand j’ai commencé à enseigner, j’ai été de nombreuses nuits à ne pas dormir tant j’étais excité par les jeunes: leur beauté, leur intelligence, leur spontanéité. Je les adorais et je n’arrivais jamais à en faire assez pour avoir l’impression d’avoir fait mon travail. Le travail comme tel m’importait peu ; je les adorais et j’aurais donné ma vie pour qu’ils réussissent. Je me sentais responsable de leur apprentissage. De l’amour de la beauté des corps, j’étais passé à la contemplation de leur développement intellectuel.
Ce fut des années de masturbations solitaires pour ne pas succomber à leurs charmes. J’ai été très surpris quand j’ai commencé à enseigner d’entendre autant de vieux profs gémir sur leur sort et vouloir compléter leur maîtrise le plus vite possible pour entrer au Ministère de l’Éducation parce qu’ils ne pouvaient plus endurer la turbulence d’un enfant.
Je me suis promis que le jour où je n’aimerais plus les jeunes – et c’est possible : en vieillissant, on a plus autant de patience – je laisserais mon emploi.
Marc a d’abord enseigné dans des écoles privées à Montréal où il était très apprécié. Il se servait de ses connaissances dans la jonglerie pour organiser des spectacles. Il était parfait. Puis, il est parti pour l’Éthiopie où il enseigna à un groupe de jeunes juifs qu’on décida un jour d’amener en Israël, ce qui le blessa énormément parce qu’il s’était attaché à eux.
Il retourna en Éthiopie et décida de créer un cirque pour les jeunes de la rue. En échange, de participer au cirque, les jeunes étaient nourris et devaient aller à l’école. Comment ne pas trouver ça magnifique? Même s’il aurait eu des relations sexuelles avec certains, tant qu’ils étaient d’accord, c’était merveilleux : au moins ils mangeaient, ils avaient un endroit pour rester, ils étaient aimés. Pour se scandaliser de cette situation, il faut vraiment n’avoir jamais eu faim. Une morale de bourgeois incapables d’obliger les gouvernements d’aider les plus démunis.
Quelques années plus tard, à la suite d’une lettre anonyme, Marc fut accusé d’avoir pris part à des rencontres sexuelles avec des jeunes Y paraît que la lettre venait du Québec.
Moi, quand j’avais eu mon procès, le père de Mathieu (le jeune qui m’accusait) m’avait demandé qui était Marc parce que la police avait ramassé chez-moi 52 photos de jeunes. Aucun n’était sans vêtement ou dans une posture sexuelle. Une très grande partie appartenait à Rouhed. C’étaient des membres de ma famille ou des amis et parmi celles-ci, il y en avait une de Marc. Je n’aurais jamais pensé que le père de Mathieu agissait pour la police.
Je ne voulais pas mêler Marc à mes affaires, d’autant plus que tout le monde paniquait avec l’affaire Dutroux. Aussi, avais-je dit en mentant qu’il était en Amérique du Sud plutôt qu’en Éthiopie.
Marc, avant de se suicider, écrivit sur internet que la pédérastie est une orientation sexuelle et qu’il voulait que son suicide soit considéré comme un meurtre.
Sur le coup, j’ai vraiment eu peur qu’il se soit tué parce qu’on l’avait vu sur une photo chez-moi, mais, sa mère me fit parvenir une copie des communications de Marc juste avant sa mort.
Quel choc ce fut quand j’appris qu’il était mort en Amérique du Sud alors que je ne savais même pas qu’il était parti d’Éthiopie ; d’autant plus, que quelques mois auparavant Radio-Canada avait fait une émission sur ses cirques.
Marc se serait tué pour ne pas compromettre son œuvre et s’assurer qu’elle se poursuive. La chasteté est-elle plus importante que la vie? C’est une forme de débilité qu’on a inventé pour créer l’exclusivité de la monogamie.
Personnellement, à mon avis, un Québec qui vit dans les noirceurs idéologiques de mon enfance et le viol de conscience entretenu autour de la sexualité n’est pas mieux qu’un Canada constipé par la religion. Je ne veux rien savoir ni de l’un ; ni de l’autre.
Au Québec, je constate que la sexualité demeure la pire prison émotive et mentale de notre peuple. Je ne serai pas complice de ce refus d’évoluer. Le péché de la chair, ça n’existe pas. Tout ce qui est condamnable est la violence et le non consentement. Je pense que nos députés ont accepté de remplacer l’indépendance du Québec par la dictature féminoune.
Je suis conscient de n’avoir aucun pouvoir et ça ne me dérange plus. Je me suis déjà assez battu inutilement dans la vie pour changer les choses. Maintenant, je m’occupe seulement de ma petite personne.
Shuhed, mon autre fils adoptif, si on peut dire, vit en Ontario. J’arrive de là, car il est entre la vie et la mort, dans un coma. Qu’Allah décide s’il est préférable pour lui de vivre ou d’aller le trouver.
Shuhed et Rouhed seront toujours ce que Dieu m’a donné de plus beau et de plus fantastique dans ma vie.