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La fin d’un État 15

février 16, 2021

La fin d’un État  15

Éric assistait souvent à d’interminables discussions où le Parti québécois et les syndicats devenaient les cibles favorites des fédérastes, en engueulant les jeunes qui ne voulaient pas partager leurs idées.           

– Qu’est-ce que vous avez à nous reprocher? Vous avez pourtant la mort d’un homme sur la conscience? demandaient les vieux libéraux.

– Comment la mort d’un homme? Vous savez comme nous que Pierre Laporte avait de drôles de relations avec la pègre et menaçait d’autre part de quitter le parti avec un groupe imposant de députés. S’il l’avait fait, le gouvernement Bourassa se serait trouvé dans une situation plus que compliquée. Il serait peut-être même tombé.   

C’est probablement aussi pourquoi j’imagine que les autorités ont refusé d’aller le chercher dans le coffre de l’auto, après qu’il eut été blessé, malgré les deux avertissements des terroristes. Le FLQ le rendait aux autorités pour qu’il soit soigné. C’est pour ça qu’il l’avait laissé là, il y avait un hôpital militaire.   Et, CKAC avait été avertie pour que la police prenne les communiqués au sérieux.   

Laporte avait consenti de rendre publics, en échange de sa libération, plusieurs documents incriminants contre le gouvernement libéral, prouvant les liens entre les libéraux et la pègre… Personne n’a bougé, même si on savait qu’il ne pouvait pas s’agir d’une farce ou d’un piège. C’est ce qui l’a tué.                       

Chrétien, à Ottawa, Bourassa et Choquette, au Québec, espéraient-ils qu’il crève au bout de son sang? Ce qui est arrivé.      

Pourquoi Jérôme Choquette, ministre de la Justice, n’ordonne-t-il pas de reprendre le procès de Paul Rose? Avait-il des ententes avec d’autres, plus puissants que la logique? Avec la pègre, par exemple. Celle-ci aurait-elle menacé d’assassiner tous ceux qui témoigneraient à ce nouveau procès? Une rumeur urbaine?    

– Vous charriez, les jeunes! Avez-vous des preuves de ce que vous dites? Est-ce des divagations comme le Dr Ferron dans ses romans?

– C’est une hypothèse qui se tient. Chose certaine, cette affaire est loin d’être claire. Quant au Dr Ferron, je suis sûr qu’il dit vrai. Les mesures de guerre étaient prêtes en mai et le Québec avait déjà été infiltré par la CIA.   
 
Je suis convaincu que l’establishment a lui-même fait poser ses bombes au nom du FLQ, pour mieux tuer celui-ci dans l’opinion populaire.   

À preuve, il y a eu une bombe placée durant les évènements, à Granby, sous une salle de danse. C’est carrément impossible que ce soit le FLQ, malgré ce que l’on disait alors. Comment un mouvement qui œuvre pour la défense des Québécois peut-il s’attaquer à la population qu’il défend?   On a voulu, la pègre et le gouvernement, tuer le FLQ en le rendant horrible aux yeux des gens, voilà tout. D’ailleurs, ça sert encore à traumatiser la population. Pourquoi le premier ministre s’est-il engagé un franc-tireur qui devait lui tirer dessus et juste le blesser au cours de la dernière élection? Une autre rumeur? On prend les gens pour des poissons? Pourquoi un pseudo kidnapping dans le comté du fou libéral de Lacroix?           
 
– Vous ne savez pas ce que vous voulez! Vous êtes une bande de paresseux qui se laissent enfler la tête par un Lévesque ou les autres. Qu’est-ce que vous connaissez en politique? Quelle est la société nouvelle dont vous parlez?

– Nous en connaissons assez pour vous prouver que le gouvernement Bourassa est pourri. Que les projets qu’ils nous lancent à la face, que ce soit la baie James ou autres, servent davantage d’abord et avant tout les Américains, les Canadiens, puis les rois patroneux francophones, regroupés dans les Chambres de commerce, comme les Simard, Trudeau, Miron, Dessourcy et cie.           

Il a beau jeu puisque le chômage créé lui-même par les grosses corporations est tel qu’il faut absolument travailler elles pour nourrir ses petits. Ces mêmes corporations essaient de nous faire croire qu’elles nous rendent service en s’installant chez nous alors qu’avec nos taxes nous payons plus de 75 % de leurs installations, sans compter les profits que nous leur permettons après. Pourquoi deviennent-elles riches si vite, si leur situation est si mauvaise?  

– On paye pour avoir nos emplois, dit le petit Christian, et nous ne recevons, en échange, que des salaires de famine.   On ne tient pas compte du prix de la vie qui augmente selon ce que ces mêmes patrons décident de nous imposer à partir du prix des logements et de la nourriture. Quand on a une augmentation de 0.25 $, le service de transport en commun augmente de 0.50 $. On est de plus en plus pauvre, même si on gagne de plus en plus.                                      
 
Pourquoi dans le BC et en Alberta, les salaires sont-ils de deux à trois fois plus élevés qu’au Québec? Sinon, parce que les gens d’ici n’ont pas su se syndicaliser et se tenir, parce que les corporations ont assez de main-d’œuvre bon marché et de chômeurs pour avoir tous les briseurs de grève voulus, parce que les syndicats du BC n’ont pas eu peur de s’attaquer au gouvernement quand c’était le temps. 

Ils n’ont pas eu de syndicats capables de trahir les ouvriers; ils n’ont pas eu de syndicats internationaux pour se faire mener par les É.-U.

Bennett, le créditiste, donnait toutes les richesses naturelles à l’oncle Sam. Il n’a jamais été capable à cause du fédéral d’appliquer son supposé crédit social. Il se faisait réélire en faisant peur aux gens avec le socialisme. Il trouvait toujours des routes à faire construire avant les élections. Il protégeait les capitalistes. Il a aussi payé pour apprendre la force des ouvriers et ce n’est qu’après qu’il eut perdu le pouvoir qu’on s’est aperçu combien le BC se ramassait dans une situation précaire, complètement contrôlée par les Américains.      

Le gouvernement Bennett paiera peut-être aussi pour apprendre puisque depuis son ascension au pouvoir, il ignore les jeunes et les ouvriers. C’est un conservateur déguisé. C’est son affaire de se prendre pour un Marx dépassé, d’avoir un socialisme pour qu’une petite clique se fasse du fric, comme au Québec. La bourgeoisie et les religieux se sont emparés pour des profits personnels de certaines coopératives et de la Société Générale de financement, mais c’est quand même malheureux puisque le BC était un nouvel espoir.

— Ce qu’on reproche à Bourassa, c’est qu’il ne gouverne pas pour le peuple, mais selon les intérêts du petit groupe de patroneux, à genoux devant Ottawa, qui chaque fois qu’il ouvre la bouche, écrase la population du Québec.     

— Pire, toute personne consciente sait que le fédéral ne peut que servir l’intérêt des riches. Pourquoi toutes ces guerres entre provinces alors qu’on pourrait vivre plus heureux en bons voisins, si le Québec était indépendant? Même un bon paquet d’Anglais pensent comme ça puisque la Confédération ne rapporte qu’au sud de l’Ontario. Mais il y a les immigrants qui, eux, gâchent tout en appuyant le fédéralisme. Va-t-on leur dire dans leurs ex-pays comment s’organiser? C’est curieux qu’ils puissent voter après cinq ans alors que les Indiens et les Esquimaux ici depuis toujours n’ont pas droit de vote. Le fédéral nous submerge d’immigrants pour noyer le poisson. Ils leur font promettre d’être contre un Québec indépendant pour avoir leur citoyenneté.     

— Il n’est pas question de guerre français-anglais, il s’agit de trouver une solution humaine qui soit juste et acceptable aux deux ethnies, je dirais aux trois puisqu’il y a aussi les Indiens.         

Le moyen, c’est de faire chacun nos affaires, selon nos besoins et nos possibilités, sans gouvernement central, sans Ottawa qui empoche tout.  

Ottawa sert, avec le complexe militaire, aux grandes corporations déjà riches à craquer de trouver le moyen par Ottawa, avec l’argent de tous, d’aller encore soutirer de l’argent chez les plus pauvres. Selon notre étendue, nos richesses et le découpage naturel, il y a cinq pays au Canada, dont le Québec. Et, nous pourrions vivre en bons voisins.  

— Ce qu’on veut, de dire un des jeunes intervenants, c’est qu’on nous respecte. Vivre comme doit vivre un homme. Ne pas toujours être poigné dans des dettes, à toujours faire ce que l’on n’aime pas.       

Ce que l’on veut, ce sont des loisirs abordables qui nous permettent de penser et de jouir de notre vie, au lieu de toujours rendre quelques millionnaires plus riches.   C’est que l’argent qu’on trouve si facilement pour faire la guerre soit aussi facile à trouver pour éliminer la pauvreté. Que chacun ait le droit et surtout la possibilité de bien manger, se vêtir, se loger, se soigner, travailler ou s’amuser pour la création d’un monde viable et beau. Qu’on respecte la nature; qu’au lieu de faire des guerres pour éliminer les surplus de populations, on améliore les moyens contraceptifs, le droit des femmes de se faire avorter ainsi que reconnaître la pédérastie comme une orientation sexuelle, tout comme l’homosexualité. Être libre, pourvu qu’il n’y ait pas de violence. On veut qu’au lieu de faire des bombes, les argents octroyés aux recherches servent à améliorer l’espèce humaine et ses conditions de vie.            

Nous voulons que cessent le racisme (né du pouvoir et de la religion, encore une fois) et la violence; que le système judiciaire ne soit pas là pour écraser l’individu, mais pour assurer le respect des droits de l’homme, de la femme et des enfants; non seulement en mots, hypocritement, comme aujourd’hui, mais dans les faits; que la police cesse d’être l’agresseur et devienne protectrice. C’est la justice et la liberté qu’on exige : on ne veut pas être écrasés et forcés d’entrer dans le troupeau.     

Malheureusement, bien des jeunes le font parce qu’ils n’ont pas encore assez vécu pour comprendre comment on s’y prend pour les exploiter. Plus tard, il leur sera impossible de changer, même si alors ils s’en rendent compte. Ils devront admettre qu’ils ont raté leur vie, ce qui est atroce. Ils préféreront croire ce que l’on a bien voulu leur faire croire. Il sera trop tard. Leurs enfants les haïront comme ils auront haï leurs parents, et le cycle de la haine se perpétuera parce que personne ne sera vraiment heureux dans sa peau.       

– Ce que vous voulez, c’est changer l’homme, le rendre parfait. Ça n’a jamais été possible.

– Ce que l’on veut, de répliquer le jeune, c’est facile : extirper la violence sous toutes ses formes, rendre la dignité à l’homme. Cesser de vivre pour la piastre et vivre pour la vie. Si on peut trouver le fric pour aller sur la lune pour des raisons militaires, il y a sûrement moyen d’investir dans des recherches pour trouver une solution humaine au problème de l’homme. Si la technique a pu obtenir le succès qu’on lui connait, il y a sûrement moyen de créer une société dans laquelle chaque individu soit heureux dans sa peau. Il ne s’agit pas d’ajuster l’homme à la société, mais d’ajuster la société à l’homme. Un monde où la beauté est aussi importante que l’est actuellement la piastre ou l’utilité.         

– Et c’est le PQ qui va opérer tous ces changements, qui va abolir le patronage?

– Peut-être pas, de répondre un des jeunes. Il y a déjà trop d’intellectuels et de petits profiteurs. Le PQ est trop peureux. Pour le pouvoir, il serait prêt à se traîner ventre à terre parce qu’il croit que les Québécois sont trop pisseux pour décider de leur avenir. Même s’il a probablement raison, il devrait quand même être plus d’attaques. Chose certaine, il sera impossible pour lui de prendre le pouvoir tant que les listes électorales ne seront plus refaites, qu’il n’y aura pas de cartes d’identité obligatoire pour voter.

– Le PQ, de dire son camarade, est déjà conservateur. Il tient trop aux vieilles structures sociales et politiques, il refuse de s’engager pour garder bonne gueule face à l’électorat, à la libération sexuelle, à la libération intégrale de l’homme.

– Que veux-tu, de reprendre l’un des jeunes, c’est déjà un parti bourgeois qui condamnera la pédérastie et les autres formes de liberté quand il sera au pouvoir. Il continuera de faire le jeu des gros aux dépens des petits. Il y a trop de faux curés là-dedans. Le PQ au pouvoir, c’est remplacer une bourgeoisie anglaise par une bourgeoisie française. Il n’en demeure pas moins que pour l’instant qu’il faut concentrer ses forces avec le PQ. Tant qu’une meilleure stratégie ne sera pas découverte.   


– Ce n’est pas le PQ que ça nous prend, de dire un autre jeune, mais un vrai parti ouvrier. Plus radical. Un parti qui n’aura pas peur de perdre un électeur en s’attaquant au pouvoir de la religion et à l’hypocrisie morale. Un parti qui n’aura pas peur d’exiger des syndicats qu’ils travaillent pour les ouvriers et non pour les business. Il commence à être temps que l’on arrête de se battre dans les syndicats à savoir qui va faire le plus de fric en ayant le plus de membres, que l’on instruise les ouvriers afin qu’ils puissent se défendre. Un syndicat qui défend le capital ou la religion est un traitre. Un syndicat qui a ses centres de décisions en dehors du pays ne peut pas travailler vraiment pour ses membres. Il doit devenir national ou disparaître. Les syndicats, c’est essentiel. Si on ne les avait pas, on mangerait encore plus de merde, même si souvent ils font des bêtises. Un syndicat ne fonctionne bien que si les ouvriers s’en occupent. Ce n’est pas pour rien que Bourassa veut s’en débarrasser.   

Le monde va changer, dit Paul qui venait de se joindre au groupe, quand les individus cesseront de dire qu’ils ne peuvent rien faire. Quand ils comprendront comment on se fait charrier, mentir par les gouvernements, les curés, et aujourd’hui, les psychiatres ou les professionnels, particulièrement, les avocats. Quand ils sauront comment fonctionne la bébelle, nommée système. Ils sauront comment sont reliés ses rapports et ses différents niveaux de pouvoir. Ils le feront sauter. Nous devons créer un monde dont l’autonomie personnelle est le moteur, le point de départ et le point d’arrivée. Ce sera le jour où l’homme saura qu’il est sur terre pour vivre une expérience.     

Le système est une spirale dans laquelle toutes les énergies s’interpénètrent, mais elles sont ascendantes, plus elles sont denses, plus elles sont rares et plus elles sont puissantes.       

Les gens doivent comprendre qu’il y a deux mondes : les riches qui mènent tout et les esclaves, les pauvres qui les enrichissent. On peut aussi dire ceux qui se servent de la violence, de leur pouvoir et ceux qui sont contre. Bizarrement, ceux qui aiment la violence, ceux qui ont du pouvoir, sont contre la liberté sexuelle. Serait-ce parce qu’ils sont incapables d’aimer en dehors d’eux-mêmes, de leurs avoirs? Ils craignent toujours d’être volés. Ils ne sont pas, ils ont. L’avoir vs l’être.

Il faut que chacun puisse rêver un monde vraiment nouveau, pas juste avec de nouveaux bourgeois, mais avec une nouvelle façon de vivre. De là, tout le reste se fera tout seul. La vie devrait être une joie perpétuelle et la souffrance ne devrait servir qu’à nous aider à saisir l’intensité de son bonheur. Une comparaison qui nous rend les choses supportables.          

Notre civilisation est assez pourrie pour tomber d’elle-même. Les riches essaieront bien de faire une guerre si nécessaire, locale ou régionale, de faire apparaître quelques extra-terrestres, des bactéries, pour nous faire vivre encore dans la peur, mais ils tomberont quand même.      

Viendra un jour où il n’y aura plus de maître que soi-même, même plus de Kissinger qui fait semblant, avec son prix Nobel, de défendre la paix alors qu’il défend en réalité ses intérêts dans le pétrole.   

Éric était fier de Paul, mais il ne le croyait pas.

– Il appartient aux jeunes de rêver d’un monde meilleur, pensait Éric. Les idéalistes d’aujourd’hui sont les fanatiques de demain.           

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