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La fin d’un État 3

février 4, 2021

La fin d’un État 3

Dans un grand et bel appartement d’Habitat 67, l’agent américain Lasagne Rampa, tout à côté se faisait lécher le bout de la queue par un de ses sept chats favoris, ayant la langue plus aride que sa servante.  Éric, en visite spirituelle, y rencontra un ministre québécois.   Ne disons pas lequel pour ne pas faire de jaloux, mais il était libéral. Celui-ci lui expliqua avec force et détails, comment passer d’une leçon d’histoire à une leçon d’anatomie, en passant par la géographie.  

Alors que ce ministre tenait vaillamment la reproduction miniature du poteau qui aurait pu servir à pendre Riel, Éric comprit le sens de sa destinée : s’amuser en se faisant le plus grassement payer possible.       

Il venait de saisir le sens sacré de ces deux grands proverbes québécois : « Mieux vaut travailler lentement pour que ça dure longtemps » et « le travail doit toujours être un jeu qui se joue aux dépens du patron. »   

Éric laissa les bérets blancs et s’engagea dans la lutte pour un monde plus que meilleur. Aussi, fonça-t-il en théorie et en pratique dans la libération de la sexualité.

Éric publia un journal gai, l’Omnisto, qui ne s’avéra pas aussi payant qu’il l’avait prévu, quoique l’homosexualité gagne du terrain tous les jours en popularité; d’autant plus que les femmes avaient déjà une prédisposition naturelle avec leurs « dîners de filles », après avoir chassé les hommes de la taverne.        

Il diversifia les parutions en publiant toute une série de revues : Le cul, La plote du coin, Le gros machin, etc.  Avec les profits, il s’ouvrit une commune et un club où l’émancipation se traduisait à entendre des disques anglais en pays francophone, à dévorer tout le monde des yeux et féliciter le fédéral de pouvoir danser queue contre queue.             

Frustré depuis fort longtemps, préférant cette exploitation à l’interdiction, tout le monde était content, même la mafia, avec sa part de profits (malgré les salaires à distribuer à une escouade qui n’a plus que le nom de moralité).           

Pour plus de profits, Éric monta son réseau de vendeurs et s’enrôla en même temps dans la Ligue du Sacré-Cœur (ça fait plus sérieux auprès des plus riches qui ont besoin de faire l’amour avec un crucifix dans le cou).           

Éric s’interdit de se mêler de politique, sachant très bien le caractère bouffon et mafieux de cette science de la manipulation quand les néo-libéraux sont au pouvoir.

– Les riches n’ont pas besoin de moi pour défendre leurs fortunes, ils ont déjà des avocats pour assurer la vitalité des vols, pensait Éric.  

Il ne fréquentait pas moins de 90 pour cent de la législature, ayant atteint un stade que la masse n’a pas encore compris.

La vie sexuelle d’un homme public quel qu’il soit, de la tendance qu’il voudra, n’influence en rien la qualité de son travail et de sa représentation. Il savait que bien des députés se prenaient pour des curés et faisaient en pratique, par la force des choses, vœu de chasteté.           

Éric détestait l’hypocrisie, même commandée par le peuple.           

Il n’y avait aucune interdiction à surveiller en dehors de la violence, tout était dit et montré pourvu qu’il ne s’attaquât pas à la religion, puisqu’alors le journal était immédiatement saisi. Les religions ont besoin de censure pour empêcher les gens de penser et s’apercevoir qu’ils se font charrier. On pouvait toucher à tous les sujets tant qu’ils ne remettaient pas en cause la naïveté nécessaire pour mettre en place les raisons d’entretenir la peur humaine. Prendre conscience qu’on se fait mentir, c’est dangereux pour les fondements mêmes de la société.

Éric trouvait cela raisonnable puisque même les Arabes avaient trouvé profit à foutre la sexualité à l’index.   Le jeu de tout système payant et libre est de fournir l’impression d’être permissif, tout en ayant les règles pour le rendre répressif. 

Une dictature bénévole vaut mieux qu’une armée. Par contre, il savait qu’il faut construire la violence puisque la société repose sur elle. La violence naît de la frustration et rien de mieux que l’interdit sexuel pour l’individualiser. Rien de tel que de brimer un instinct primaire primordial. « L’appétit vient en mangeant… ou en ne pouvant pas manger à sa faim. »       

Fortuné, puissant, Éric venait de réaliser tous les rêves de sa vie. Il se foutait maintenant que plusieurs revivent la guerre ou la révolution. Il mangeait tous les jours, pouvait être malade quand bon lui semblait pour justifier des vacances. Il pouvait aussi se fournir tous les loisirs et toutes les sensations, tout en étant assez intelligent pour éviter de devenir esclave de sa puissance et de sa fortune. Il habitait l’Ile des sœurs de chaque grande ville du monde, à tour de rôle, tout en méprisant la richesse afin de ne pas passer une vie en conseils d’administration, sous l’aile des Desmarais.  

Pourtant, il s’ennuyait toujours. Il était seul et n’avait pas encore trouvé moyen de surmonter sa solitude. Il avait l’esprit trop libre pour se noyer dans les peurs religieuses. Il avait une trop grande fortune pour se promener sans être un peu paranoïaque. Quand tu as de l’argent, tu ne sais pas si l’amitié ne signifie pas seulement ton portefeuille.  

Éric était né pour la fatalité. Il avait beau la fuir, elle l’attrapait toujours, et cette fois, ce fut sous la peau d’un beau petit serin, blond, trois pouces et demi de pipi bien bandé, les fesses rondes résumant à elles seules ce qu’il y avait de plus beau dans la vie, les dents blanches et un grain de beauté au pied droit… une marque céleste. Une belle beauté. Une intelligence surnaturelle qui le rendait accessible, sans jamais se laisser posséder spirituellement et corporellement parlant…. Paul était cet ange apparu dans un local à patates frites.    

Malgré son jeune âge, Paul avait déjà la nausée de l’âge adulte. Il comprenait que le travail et le sérieux forment des hommes riches alors que rien sur terre ne vaut autant le plaisir et l’émerveillement enfantin.           

Éric reprochait aux jeunes d’être aussi lâches que vaches, brûlés par la drogue et les lavages du cerveau, plus théoriques, livresques, tvresques, que pratiques.

À son avis, les jeunes ne cherchent que l’acte sublime pour se cacher leur défaite et leur impuissance. Ses reproches ne pouvaient pas s’appliquer à Paul puisqu’il n’était encore qu’un enfant susceptible de rêver, d’imaginer le paradis dans une vie quotidienne.        

Paul avait encore le sens profond du jeu. Pour lui, tout n’était qu’un jeu avec lui-même et les autres, même la révolution dans laquelle il mettait tous ses espoirs de jeune. Il croyait déjà que le sort de l’humanité se confondait au sien.

Paul avait un sens inné de la liberté, ce qui l’amenait sans cesse à des affrontements avec les tenants de la grande stagnation sociale. En un mot, il croyait encore dans l’homme et voulait son bonheur. Il voulait tout ou rien au rythme de la population, sans violence. Ce n’est pas qu’il avait peur, mais parce qu’il savait déjà qu’il est impossible d’imposer la liberté et la joie, là où il y a la puissance et la violence. Paul était encore assez jeune pour être l’imaginaire pur.     

Éric a rencontré Paul tout à fait par hasard. Affamé, il s’était arrêté dans un petit restaurant question de se remplir une dent avant d’aller dans un endroit plus potable. Lui, toujours soucieux, anxieux, avait d’abord pris plaisir à regarder le petit enfiler un jello, le nez presque plongé dans le plat.         

À chaque trois bouchées, Paul satisfait levait les yeux, scrutait l’horizon, comme un jeune chevreuil apprivoisé qui guette sa nourriture et se replongeait dans le bol. Presque avec autant de rythme, il s’arrêtait parfois pour savourer quelques gorgées de lait au chocolat. Ses yeux brillaient et tous les traits de son visage exprimaient une telle satisfaction qu’Éric ne put s’empêcher de lui sourire et de tenter un clin d’œil, lequel fut accueilli par un large sourire en retour. Éric était déjà fasciné par ce bel enfant, presque en guenilles, les cheveux ébouriffés.

Paul se leva et s’approcha de la caisse, tout près de ce monsieur qui ne cessait de l’examiner et de lui sourire. Au moment de payer, Paul sentit s’aplatir sur ses fesses la main d’Éric. Il prit un air de guerrier, prêt à le décapiter si le danger persistait.  Éric manifesta immédiatement son désir de régler lui-même son addition.

Éric avait fait ce geste presque instinctivement, animé d’un tel sentiment d’affection qu’il n’avait pas mesuré la portée de son acte. Devant ce visage crispé, Éric éclata de rire et Paul, moins craintif, ne tarda pas à se diriger vers la sortie de l’établissement. Il avait un rire franc, saccadé, d’une telle tonalité qu’il fallait être encore nécessairement un enfant pour exprimer une telle vitalité.     

Éric se détendait et pour pousser la farce, il décida de suivre Paul, en imitant ses gestes autant que possible.       


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