La Thérèsa 8
Théâtre. Simoneau 23
Thérèsa 8
6-
Automne. L’ingénieur Cloutier est à Géraldton. Il a neigé et la chaussée est très glissante. Au moment où il vient pour passer au coin d’une intersection, une automobile lui entre dans le côté. La camionnette de la Thérèsa est un peu endommagée. L’aile gauche est enfoncée et la lumière est brisée.
Cloutier amène le véhicule au garage afin de le faire réparer.
Après le travail, le propriétaire anglais lui présente une facture de 200 dollars, un prix nettement exagéré.
Cloutier est scandalisé et s’informe pourquoi un tel prix. Le propriétaire se contente de lui dire qu’il déteste les « frogs ».
Cloutier lui dit qu’il ne paiera jamais ce prix de fou. L’Anglais s’entête et refuse que l’ingénieur parte avec le véhicule avant d’avoir payé.
Le lendemain, Cloutier arrive au garage.
Cloutier
Puis, que décidez-vous? Je vous offre 100 dollars. C’est déjà beaucoup trop. Même plus que vous auriez de n’importe qui d’autre.
L’Anglais
Pas question. Les « frogs » n’ont pas d’affaire dans notre pays. Vous n’avez qu’à retourner chez vous.
Cloutier
T’as le choix : ou tu acceptes ou je m’occupe de toi.
L’Anglais.
Tu ne me fais pas peur.
Cloutier
Peur de moi, peut-être pas. Mais d’eux probablement. Hey les gars par ici !
Quatre mineurs arrivent avec des barres à clou.
Cloutier
C’est le même prix pour moi que pour les autres ou on défait ta baraque.
Si vous voulez la paix, vous avez besoin de ne pas commencer à agir en racistes avec nous. C’est-y clair ?
L’Anglais accepte 50$ à contrecœur.
Cloutier
Dis-le à tous les autres racistes, red necks de ton espèce. Nous voulons la paix, mais nous ne nous laisserons pas écraser ou exploiter par vous. Vous allez apprendre qu’un Français, on respecte ça.
Cloutier (à ses hommes)
Dommage qu’il faille parfois donner quelques coups de pied au cul pour se faire comprendre !
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On voit dans le bois un mineur suivi d’une traîne sauvage sur laquelle sont placées des caisses de bière. Il se rend près d’un arbre, coupe des branches et dissimule son trésor. Il repart en traçant un chemin. Arrivé au village, il dit à un compagnon que c’est fait. L’autre rétorque.
L’autre
Caouette peut bien se prendre pour un saint, mais on ne le laissera pas nous voler toute notre jeunesse.
Son compagnon lui rappelle que tout cela doit demeurer secret. Seuls, ceux qui sont « sûrs » doivent le savoir et seulement pour les grandes occasions, en petite quantité pour que personne ne puisse vraiment se saouler.
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On est dans le nouveau presbytère du Père Couture. Mgr Charbonneau l’aide à peinturer.
Caouette (au Père Couture)
Y était pas question que vous continuiez à vivre avec vos rats !
Père Couture
Ils me manqueront. À quoi servira mon fusil maintenant, dans cette prison trop élégante? J’ai l’impression de me prendre pour un riche alors que d’autres gèlent dans leur tente.
Caouette
Rien ne vous empêche de vous servir de quelques chambres pour héberger des Indiens. Nous n’avons pas revu, depuis trois semaines, le dernier de ceux que l’on avait engagé. On ne peut pas se fier à eux. Ils préfèrent leur liberté à la sécurité du travail.
Mgr Charbonneau (s’adressant au Père Couture)
Dieu ne vous demande pas de vivre dans d’éternels sacrifices. Ne trouvez-vous que votre ceinture sacrificielle est suffisante? Vous avez tout le bas du corps en sang.
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7-
Marcel Caouette arrive en larmes. Il vient de chez le Père Couture.
Marcel
Il est mort dans mes bras comme un petit oiseau
Son père le console. Madame Caouette propose de dire un chapelet.
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À la petite chapelle, près du lac, Mgr Charbonneau officie aux funérailles. Il rappelle que le Père Couture est un saint homme qui s’est toujours dévoué pour les Indiens.
Ces derniers sont très nombreux à l’arrière de la petite chapelle et à l’extérieur.
Caouette est surpris du nombre incroyable d’actionnaires qui se sont rendus aux funérailles.
Un repas est servi pour les actionnaires à la salle communautaire. Ils se présentent très nombreux pour réinvestir dans la mine, un projet du Père Couture, pensent-ils
Caouette (s’adressant à son fils Marcel)
Le Père Couture nous aide déjà de son ciel. Jamais nous n’avons eu autant d’entrée d’argent.
Deux mineurs discutent :
Le premier
Caouette devrait être moins fier. Il a pratiquement tué le Père Couture. D’abord, il a congédié tous les Indiens de la mine et ensuite il est allé lui construire un château dans lequel le saint homme ne pouvait pas vivre.
Il était habitué dans son « shack ». Il était pauvre, comme il le voulait. Je le revois encore. Il nous parlait, le fusil à la main, puis, tout d’un coup « bang », tu voyais tomber un rat.
Deuxième mineur
Pauvre Père Couture! C’était un humble, lui !
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8-
Deux Indiens, tôt le matin, déposent des cuisses d’orignaux sur le balcon de la maison des Caouette.
Madame Caouette trouve le cadeau en sortant de la maison.
Mme Caouette (s’adressant à son mari, en entrant)
Ces gens sont formidables. Je n’aurais jamais cru qu’ils aient autant de reconnaissance
Caouette (de l’intérieur)
Je sais. Dommage qu’on ne puisse pas se fier à eux. S’ils abandonnent leur travail sans avertir comme ils le font généralement, ce peut être la vie des autres qui est en danger. On ne peut pas tolérer ça. Le Père Couture avait bien de la misère à comprendre ça.
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9-
C’est la veille de Noël, M. Caouette est au bureau avec Marcel et Gilbert (le mari de sa fille Thérèse). Ils examinent des cartes quand le facteur arrive avec la poste. Il dépose une boîte sur le bureau.
Caouette
Qu’est-ce? Une boîte pour nous? As-tu commandez quelque chose ? (en regardant Marcel)
Facteur
C’est pour Charles Fortin.
M. Caouette fait demander Charles. Quand celui-ci arrive, M. Caouette l’engueule immédiatement.
Caouette
Ouvre-moi cette boîte immédiatement.
Charles Fortin refuse.
Charles Fortin
C’est personnel. Je ne suis pas dans l’armée. J’ai le droit à ma vie privée.
Caouette (furieux)
Si tu n’avais rien à cacher, tu n’hésiterais pas à me montrer ce qu’il y a dans cette boîte.
Ouvre! T’as peur que je découvre ton manège. Tu fais venir de la boisson pour les Fêtes. Je le sais. Tu penses que tu vas te faire des revenus supplémentaires en désobéissant ?
Charles Fortin
Vous vous trompez. Ce n’est pas de la boisson.
Caouette
Prouve-le alors !
Charles ouvre la boîte. Il s’agit de parfums et d’articles de beauté.
Charles Fortin
Vous êtes content ? Vous pourriez essayer au moins de faire confiance à ceux avec qui vous travaillez. Vous voyez un peu trop le diable partout.
Si le «petit vicaire» peut se faire un peu plus d’argent en repassant et en reprisant le linge des célibataires, je ne vois pas pourquoi je n’aurais pas le droit d’essayer de trouver un moyen d’aider ma famille à vivre plus confortablement. J’ai cinq enfants à nourrir, moi.
Vous pouvez vous mettre toutes sortes d’idées dans la tête. Vous ne nous connaissez pas. Si vos petits-enfants jouaient avec les nôtres plutôt que d’aller dans des écoles privées peut-être sauriez-vous que nous sommes aussi de bons catholiques. On n’est probablement pas assez bien pour vous…?
Caouette est furieux. Il quitte les lieux avec précipitation
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Le lendemain, c’est la grande fête à la salle communautaire. Tout le monde y est. À l’avant, Mgr Lambert et quelques prêtres venus du Québec.
Les jeunes font leur entrée en chasubles blanches et avec des ailes d’anges. Certains chantent des cantiques de Noël, sous le regard de l’institutrice qui a organisé le spectacle.
Le petit Maclure est terriblement gêné. Quand il récite la fable connue du renard et du corbeau, on voit une trace s’agrandir sur son pantalon, n’ayant pas pu se retenir.
Caouette se présente devant la foule pour souhaiter de joyeuses fêtes. À la surprise de tous, il y a un cadeau pour tout le monde. Cigarettes pour les hommes, roses pour les femmes et patins pour les petits.
Suzanne Cloutier, quant à elle, reçoit une caméra parce que c’est la plus âgée.
Pendant que l’on célèbre, deux femmes sont dans les toilettes. Une d’elle pleure tandis que l’autre la console.
Suzanne
Cesse de pleurer Melvina. On ne peut pas être au Québec. Faut bien se faire à l’idée. Tu verras bien, Benoît va s’occuper de toi. C’est tellement un bon mari. Mets ta belle rose.
Melvina
Je n’en veux pas des roses de Caouette.
Suzanne
Pourquoi? Elles sont magnifiques.
Melvina
Tu peux bien faire les plus beaux cadeaux du monde quand tu les donnes avec l’argent des autres …
Suzanne
Qu’est-ce que tu veux dire ?
Melvina
C’est pourtant clair. Caouette n’a pas un sou à lui. Ces cadeaux-là ont été achetés avec l’argent des actionnaires, pardi !
Suzanne
Puis? C’est quand même un beau geste de sa part.
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M. Caouette est autour de la table avec Marcel, Gilbert son gendre, et Cloutier, l’ingénieur principal. Ils discutent de la richesse de la nouvelle veine d’or, la St-Joseph, que l’on a découverte dans le tunnel creusé à 300 pieds de profondeur.
Cloutier
Je n’ai jamais vu autant d’or de toute ma vie.
Caouette
On n’y touchera pas. On va garder cette beauté pour les actionnaires. Ils seront époustouflés quand ils verront ça.
Marcel
Il y a beaucoup d’or, mais il y a aussi beaucoup de pérîtes de fer.
Caouette
Les actionnaires ne verront pas la différence. L’important, c’est qu’ils sortent exaltés par la richesse de la mine. Ils doivent vouloir immédiatement réinvestir.
Marcel
Ce n’est pas très catholique.
Caouette
Absolument pas. On n’a rien à leur dire. Ils verront par eux-mêmes. La veine est d’une richesse incroyable, malgré la périte. On n’a pas à mentir. On a juste à taire la différence.
On pourrait même donner de vraies roches pleines d’or aux plus vieux, comme Eugène Gauthier et son épouse Clara. Ce sera une propagande impayable. Tout le monde perd la tête devant l’or.