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Simoneau. Théâtre 15

janvier 18, 2021

Théâtre 15

Les puces 8

29— Intérieur — Maison — Cuisine — 29

Philippe est au téléphone. Il parle à voix basse.


                             PHILIPPE


C’est Philippe. Y a un petit problème ici. Gaston a fait une crise d’épilepsie. Je sais que ce n’est pas la première fois et que l’on m’en avait informé. Là, n’est pas le problème. On s’est battu.

                              AGENT DE LIAISON

 Battu?   Pourquoi?


                                 PHILIPPE


Pourquoi? Quoi? On s’est battu parce qu’il voulait prendre toutes les couvertures et tout le lit tant qu’à y être. 

                                 AGENT DE LIAISON


T’as voulu en profiter, mon cochon. C’est ce qui arrive quand on veut violer quelqu’un et que l’autre n’est pas d’accord…


                                     PHILIPPE


Mais non, tabarnak! Je n’ai pas essayé de le violer. Je sais qu’il n’a que seize ans, qu’il est beau comme un cœur, mais…

 
                              AGENT DE LIAISON


T’aurais pas pu te retenir.

 
                                   PHILIPPE

T’es bien un hétéro. Tu ne peux pas concevoir que d’autres peuvent penser et voir la vie autrement que toi.   Vas-tu me laisser parler pour que je puisse enfin t’expliquer ce qui arrive pendant qu’il dort.
 
                                  AGENT DE LIAISON


Vas-y, mais la vérité.


                                  PHILIPPE


Enfin! Ce n’est pas trop tôt… Ma vie privée, ça ne regarde que moi. On s’est entendu là-dessus…

 
                              AGENT DE LIAISON (ricanant)


Il baise bien ou tu as dû lui donner des leçons ?


                               PHILIPPE


S’il baise bien? C’est divin, mais on en est encore qu’à la soupe; ce n’est pas le problème. L’avenir du pays passe bien avant les joies de l’alcôve… 

Quand Gaston a fait sa crise, j’ai essayé de lui enfiler ses sous-vêtements, il avait mis son pantalon sur le bord de la chaise dans sa chambre. 

Quand je suis allé pour chercher du linge pour le vêtir avant de faire venir de l’aide, son portefeuille est tombé ainsi qu’un badge.


                              AGENT DE LIAISON

Un badge?   Un badge de police ?


                                PHILIPPE


 Un badge de la GRC. C’est peut-être pour ça qu’il m’a attaqué dans le lit…. Je n’aime pas coucher avec un flic quel que soit son âge et sa beauté… J’ai pourtant encore de la difficulté à le concevoir comme un infiltré. C’est impossible, pourtant, le maudit badge est là? Y a peut-être une autre explication. Je ne pouvais pas partir au cœur de la nuit en bobettes…

  
                              AGENT DE LIAISON


T’essaies de m’en passer une bonne. Les affaires de cul ce n’est pas ce qu’il y a de plus important, mais ça ne peut pas compromettre nos objectifs. Si vous ne vous faites pas confiance, il faut changer l’équipe.


                                 PHILIPPE


Tu penses que je te mens? L’alcôve n’a rien à faire là-dedans. Il a l’air régulier, d’être un petit anarchiste, mais…


Philippe est de plus en plus anxieux. Il regarde parfois le corridor, situé près de la cuisine, pour s’assurer que Gaston n’arrive pas à l’improviste ou l’entende…


                                  AGENT DE LIAISON


Que proposes-tu ?


Philippe hésite. Il ne voudrait pas se séparer de Gaston, mais dans les circonstances, le devoir l’exige presque…


                            PHILIPPE


Trouve- moi une autre piaule. Ça urge! Je vais me préparer en attendant. J’apporterai que mon linge et de menues affaires. On verra comment réagir plus tard, quand on comprendra ce qui s’est passé. Je te rappelle dès que je suis prêt à partir.


                               AGENT DE LIAISON


On fera une enquête. Si le jeune est un infiltré, tu connais la règle.

                                PHILIPPE (se sent mal)


Assurez-vous bien que c’est le cas, avant de le buter. Il ne faut pas se tromper. Des choses comme ça, ça peut jeter toute l’organisation à terre. 
                              


                                 AGENT DE LIAISON


Tu l’aimes ?

                                  PHILIPPE (les larmes à l’œil)

De plus en plus…


Philippe se hâte de préparer ses affaires dans la cuisine et le salon avant de se rendre dans sa chambre. Il a beau se faire discret, un livre tombe d’une caisse.

Gaston se réveille et se rend aussitôt au miroir situé sur le bureau pour constater l’état de ses lèvres enflées et son œil au beurre noir. Il se rend près de Philippe.


                           GASTON


Kâliss! Tu ne m’as pas manqué! La complicité, on en reparlera.


                           PHILIPPE


Je ne pensais pas qu’un jour on se taperait dessus, surtout qu’on risque notre vie en se retrouvant ensemble. 

 

                         GASTON


Tu paranoïes. T’es pas assez important pour qu’on nous recherche. C’est quoi ton affaire? Essaie d’arrêter d’avoir aussi peur. Pourquoi m’as-tu fait ça?


                         PHILIPPE


Tu m’agressais. Je ne pouvais rien faire d’autre que me défendre. De toute façon, c’est fini. Je change de cellule.


                          GASTON

Tu quoi ? 


                           PHILIPPE

Je déménage (presque en gueulant). J’ai assez d’ennemis, sans avoir un camarade qui me buche dessus.
         

Philippe sort avec une autre caisse qu’il va porter dans la cuisine.

Gaston le suit, même s’il est nu, qu’il n’y a pas de rideaux et c’est le jour.


                             GASTON


C’est ça! Mets-moi tout sur le dos. Ce doit être moi qui t’ai arrangé la face de même. Tu ne l’emporteras pas comme ça. Tu ne partiras pas d’ici. J’ai besoin de toi. Tu es mon mentor. J’ai besoin de toi pour avancer dans mes connaissances littéraires. C’est ça la solidarité. Tu l’as toujours dit : la cause passe avant tout.


Gaston comprend soudain.  


                          GASTON


Où as-tu pris les médicaments quand j’ai fait ma crise ?


                                PHILIPPE


Ça n’a pas d’importance. Sur ton bureau, pourquoi ?


                               GASTON


C’est de la drogue très forte. On m’a donné ces cachets hier et je les ai mis sur le bureau pour ne pas oublier de les jeter à la toilette. Tu m’as drogué au bout en voulant me soigner. Voilà pourquoi je ne me rappelle de rien.

                                   PHILIPPE

Tout s’explique… ou presque.


                              GASTON (décontenancé)

 
Qu’est-ce qui te prend? Je croyais vivre le paradis avec toi. Je travaillais avec celui qui fut toujours mon modèle, le seul que je croyais capable de m’aider à évoluer dans ma littérature et il veut me quitter. On se tape sur la gueule. Maudite drogue! Je n’aurais pas dû apporter ces pilules ici pour les jeter. Pardonne-moi !


                              PHILIPPE

 C’est dommage, en effet! Je ne faisais que commencer à t’aimer. Mais la vie est remplie d’imprévus. Je t’assure que celui-là, je ne l’ai pas vu venir.
     

On entend aux mêmes instants le carillon de la porte avant de l’appartement retentir. Philippe se rend répondre, mais invective d’abord Gaston.



                          PHILIPPE (autoritaire, puis très sarcastique)


Rentre au moins dans ta chambre… va te cacher le cul.

As-tu idée de qui peut bien venir sonner à notre porte à cette heure-là? Peut-être tes amis flics.
          

Philippe ouvre la porte, il blanchit. Ce sont effectivement deux policiers. Ils lui tendent une photo et lui demandent s’il connaît ce visage. 


Philippe reconnaît Gaston. Une rumeur de vengeance lui monte à la tête.


                                            PHILIPPE

Moins que vous, messieurs…

Gaston vient voir, t’as une visite de famille.
     

Gaston arrive en enfilant son pantalon. Il blêmit. Il ne sait plus comment réagir. Ce n’est pas le temps d’avoir des problèmes avec la police… surtout pas la journée de l’attentat programmé…


                                                           GASTON

C’est quoi la farce ?



                            LE POLICIER (regardant son coéquipier)


C’est bien celui qu’on a vu sur le vidéo.   T’étais bien au Chien qui rit, hier soir ?

                            GASTON (incertain, regard interrogatif)

Ouais !   Ouais !   Pourquoi ?


Gaston ahuri secoue les épaules. Il regarde les policiers, en essayant de dissimuler le visage pour ne pas devoir expliquer ses blessures. Il fait signe à Philippe qu’il ne comprend pas.


                               DEUXIÈME POLICIER

 
Peut-on visiter l’appartement ?
       


                         GASTON


Qu’est-ce qui vous prend ?   Vous avez un mandat ?


                         DEUXIÈME POLICIER


Ne te fatigue pas. On sait que la loi, ce n’est pas votre fort. Tous les jeunes font semblant de la connaître…


                         PREMIER POLICIER (plus baveux)


Ne fais pas le malin! C’est ton père, ce gars-là ?

 
                        GASTON


C’est mon amant, voyons, c’est évident !


                        DEUXIÈME POLICIER


Vos histoires de tapettes, on n’en veut rien savoir. On est normal, nous autres. 


                        PHILIPPE (visiblement vexé et furieux)


La normalité quand elle signifie que la majorité ne déborde pas d’intelligence. Qu’est-ce que vous nous voulez ?


Philippe prend son portefeuille et tend sa carte professionnelle. L’expression des policiers change aussitôt, car cette carte indique qu’il est avocat.


Gaston regarde la scène, étonné, car il sait, lui, que Philippe était enseignant.


                        PREMIER POLICIER (s’adressant à Philippe)

 
Hier soir, votre jeune a volé un manteau. Du moins, on a la preuve sur vidéo que c’est lui qui l’a pris. Ce ne serait pas si grave, si ça n’avait pas été le manteau d’un sergent de la GRC en mission.


                        GASTON


Je n’ai rien volé. J’étais un peu saoul, je l’admets et il faisait très noir, mais je n’ai rien pris qui ne m’appartenait pas.   Une minute, je vais aller voir. Me serais-je trompé ?


                        PHILIPPE (il rit)


Un sergent de la montée… faut le faire !


                       DEUXIÈME POLICIER


Ce n’est pas si drôle que ça…   Si c’est vous qui avez le manteau, on oublie tout. Avez-vous regardé le nom sur les papiers dans les poches ?


                        PHILIPPE


Pourquoi on aurait regardé? On ne s’est même pas aperçu qu’il s’était trompé de manteau.


                        DEUXIÈME POLICIER

Vous ne le saviez pas ?



                         PHILIPPE

Pas du tout,                                      


                          GASTON


Si j’ai bien compris, si c’est le bon manteau,  je vous redonne le badge et le portefeuille intacts et on a la paix.   Mais, comment vais-je récupérer le mien ?

 
                         PREMIER POLICIER


Ça, c’est ton problème…


                          PHILIPPE


Vous ne l’arrêtez pas et vous ne l’amenez pas.


                          PREMIER POLICIER


Pourquoi? Vous coopérez! Le bureau nous a demandé d’être très discret et de ne pas faire de problème, même si ça avait été un vol, tant que le voleur aura oublié le nom qu’il aurait pu lire sur les papiers.


                         PHILIPPE


Assez spécial, merci !


                          LE DEUXIÈME POLICIER


C’est le nom d’un policier qui a infiltré le mouvement terroriste. Personne ne doit…

 


                         LE PREMIER POLICIER (il frappe le premier sur le bras de l’autre.)


Ta gueule! C’est un secret d’État…

                         PHILIPPE

Intéressant.
                  


Il se tourne vers la chambre et crie à Gaston.


                          PHILIPPE


Ne regarde surtout pas le nom du gars. C’est important. (Il tousse) C’est même une condition pour avoir la paix. Fait ça vite, ils attendent après toi.


Gaston revient. Il tend le manteau aux policiers avec un sourire en coin. Les policiers sont radieux et bien contents de voir qu’il s’agit bien du bon manteau. Il s’assure que le badge soit dans une des poches.


                      PHILIPPE


Tu n’as pas regardé, j’espère. Il ne fallait pas…

                       GASTON

Regarder quoi ?


                         DEUXIÈME POLICIER (souriant)

Tout est là. On s’excuse de vous avoir dérangé. Bonne journée !

Philippe prend de l’assurance. La cache n’est pas brûlée. 

 
                     GASTON


Ce sera pour la prochaine fois…


Il se dandine en faisant un bye bye aux policiers. 

Ceux-ci se dirigent vers l’extérieur, heureux que cette récupération fût aussi facile.

Dès que les policiers sont partis, Philippe et Gaston s’effondrent sur le sofa, situé tout près, dans le bord du salon.


                      PHILIPPE


As-tu le nom du gars? C’est important. Ce serait celui du policier qui a infiltré le mouvement.

 
                     GASTON

Oui. C’est un certain Stan Lafortune.


Philippe se précipite au téléphone et raconte l’aventure à l’agent de liaison, faisant bien attention de ne pas faire allusion aux peurs qu’il avait eues auparavant. Il lui spécifie le nom de l’informateur, tout en soulignant qu’on n’aurait jamais pu faire mieux, même si on l’avait prévu.

Le téléphone terminé, Philippe saisit Gaston et l’embrasse passionnément. Il le regarde ensuite les yeux pleins d’eau.


                         PHILIPPE

Petit Christ! T’aurais pu te faire tuer pour ça. Dans le fond, je suis loin de te haïr. Je ne pars plus. Je t’aime trop. Nous avons plein de choses à vivre ensemble. Un nouveau livre à écrire. 


                   GASTON

Nous l’appellerons : MON PAYS : MA LIBERTÉ.

                                            FIN                          

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