Simoneau. Théâtre 5
Simoneau. Théâtre 5
Fuck la reine 5
Fin de la première partie.
Scène 2
Çase passe dans les locaux des prisonniers. Cependant, ces derniers ne sont pas encore entrés puisque la direction procède à un examen auparavant, en vue de la visite des ministres de la Justice, dont celui du Québec, en visite à Vancouver. La scène présente à gauche un lavabo et une toilette, séparée d’une cloison. À droite, quelques lits. Le centre est inoccupé. Un grand bruit de pas.
Six personnages (policiers) arrivent habillés de façon bouffonne. Ces policiers ont tous des badges qui leur couvrent la moitié de la poitrine. Ils ont à droite un pistolet à l’eau, à la ceinture un masque à gaz et un walkie-talkie. Par -dessus une chaîne, pendue à l’arrière de leur pantalon, un annuaire téléphonique de la ville de : Montréal, avec une photo de Drapeau, Dieu-le-Père. À gauche, un livre avec le titre : » Sur ce que tout bon policier doit frapper ». Ils sont surchargés et peuvent à peine se mouvoir. Les bœufs s’enlignent.
Flic 3
Penses-tu qu’il va accepter de me signer un autographe?
Flic 2
Ce n’est pas une vedette de cinéma, tabarnak, c’est le ministre de la Justice du pays voisin, le Québec..
Flic 3
Ça ne l’empêche pas de jouir quand sa crisse de face passe à la tv. Hin! Hin! Hin! Hin ?
Flic 2
Il doit parler au monde de temps en temps, sinon, les gens croiraient qu’il n’y a pas de justice
Flic 3
Y en a une?
Un bruit sourd.
Policier- officier
Attention! Présentez vos armes! S’il y a des jeunes de moins de seize ans, vous êtes priés de ne pas jouer avec le feu. Jouez aux fesses, c’est plus de votre âge.
Les flics en rangs sont raides comme des statues. Trois officiers arrivent. L’officier supérieur monte sur un banc, tire de sa poche arrière une loupe et une lampe de poche. Il examine un par un les policiers. Au dernier :
Officier
Votre numéro? Vous n’avez pas honte, écœurant! Race de chien! Vous avez un poil de six centimètres.
Le policier est confus.
Ne rouspétez pas… juste là, sur la pomme d’Adam. Deux semaines de suspension !
Le flic est à genoux, les deux mains jointes.
Le flic
Capitaine! Ce n’est pas ma faute. Ma maison est passée au feu et j’attends la prochaine paye pour m’acheter un rasoir. Deux de mes fils ont péri dans l’incendie; mais dès que je le pourrai, je vous le promets, je vais…
Officier
Depuis quand oses-tu contester un ordre? Deux autres semaines de suspension. Dans la police, surtout quand elle s’occupe de politique, il ne faut pas de sentiment.
Le flic braille comme un veau.
L’officier (hystérique)
Du calme, mon ami. À la guerre chacun risque de perdre tout et, de nos jours, chaque membre de l’ordre est à la guerre (il crie presque) à la guerre contre ceux qui veulent détruire l’autorité, à la guerre contre le laisser- aller, à la guerre contre les ennemis de l’état, à la guerre avec Dieu contre le diable lui-même.
Dieu apparaît.
Dieu
Wow! Arrête un peu! Pour quelle sorte de baveux veux-tu me faire passer? Je n’ai jamais voulu tuer personne. Si vous êtes malades, vous n’êtes pas obligés de me le faire passer sur le dos.
Dieu disparaît.
Les officiers se retirent à gauche, examinent les toilettes.
Un officier
Vous êtes sûrs qu’il n’y a pas une bombe là-dedans?
Un des officiers s’y enfonce le bras et le ressort, plutôt brun et puant.
L’officier
Tabarnouche! Vous ferez torcher ça par le Québécois et l’Indien. Ils ne sont pas ici pour leurs beaux yeux.
Pendant ce temps, les flics entourent leur collègue, pour le moins éploré.
Flic 2
Il faut comprendre le capitaine. Le règlement, c’est le règlement.
Flic 4
Y aurait tout de même pu être un peu plus humain.
Flics 4 et 1
Syndicaliste! Communiste ! Révolutionnaire !
Flic 1
Il faut avertir les autorités. Nos rangs sont infiltrés
Les flics 1, 2, 3 et 5 récitent un poème.
Flics 1, 2, 3,5
Que ferons-nous de ces polissons
de ceux qui osent ne pas nous appeler monsieur
comme il se doit selon la politesse
qui ignorent tout du danger de tant de familiarité
De quel droit puis-je appeler mon fils André ou Réginald
un tel laisser-aller peut nous conduire à nous aimer,
nous, hommes, créés pour travailler, peiner, crever.
Ah ! Que ce mal porte le monde, faute de respect, d’obéissance.
Souffrons ! Souffrons ! Souffrons !
Nous voulons souffrir.
Nous avons besoin de souffrir.
Faites une guerre! Faites quelque chose !
Sinon, nous croulerons enchaînés par la tendresse.
Déjà la passion nous appelle
la nature se réveille
Tuons- la! C’est urgent ! Nous risquons de devenir humains.
Chacun récite une des phrases en astiquant son insigne.
Dans les moments de silence, apparaît un père de famille qui mime de manger alors qu’à côté, son enfant, les yeux sortis de la tête, espère avoir une miette de pain. À intermittence, de gros cochons gras, bien riches, viennent voler des morceaux dans l’assiette du père.
Un curé entre en scène avec un fouet, attache les mains de l’enfant nu dans le dos alors que le père demeure indifférent. Le curé force l’enfant à tirer une charrette dans laquelle il s’est installé avec sa servante. Il frappe l’enfant en criant :
Curé
Ainsi, mon petit bonhomme, tu ne te toucheras pas le zizi.
Le curé s’avance devant l’enfant, mime de descendre sa braguette pour ne pas voir sa nudité et lui saisit le pénis.
Curé
C’est quand même agréable, je dirais même délicieux. Viens voir… (en regardant sa servante.) Puis non, je préfère un esclave. Un cerveau drainé par mes fables. Il frappe l’enfant et le force à avancer, tout en caressant sa putain.
Curé. (Il crie à l’enfant)
Tu dois te repentir de m’avoir fait succomber à la tentation. Tu dois travailler pour la société puisque tu as commis une faute envers la société. Tu es beau. Travaille. Travaille. Tu as offensé la société en n’étant pas aussi laid qu’elle. Travaille pour te faire pardonner de Dieu qui voit tout, et des hommes qui aimeraient toucher tout. Il faut travailler pour te déculpabiliser.
Rendu devant le père, qui en est rendu à son dernier morceau de pain, l’enfant s’écrase près de la table.
Le curé s’écrie :
Curé
Il n’a pas salué son père, l’écœurant.
Le curé frappe à nouveau l’enfant en criant :
Curé
Tu dois aimer ton père. Ton père est bon comme Dieu est bon.
L’enfant se relève, saisit un couteau sur la table et frappe à tour de rôle le curé et le père qui s’affaissent, les yeux jouisseurs, en criant :
Il faut aimer la police. C’est notre dieu. Son bras droit. Sa couille droite. Dieu serait-il un eunuque comme ses curés ?
Durant ce temps et pendant qu’on entend la chanson de Gilbert Langevin, chantée par Pauline Julien Le temps des vivants, sur un écran, se déroule un bout de film sur le matraquage durant les émeutes.
À différents moments, le curé, la bonne et le père crient ensemble à tue-tête :
Il faut aimer la police !
Vive l’autorité !
L’enfant se traîne sur le bord de la scène. Il se lève et crie :
L’enfant
Dieu! Dieu! Si tu existes, dis-moi pourquoi toutes ces guerres, toute cette misère.
Pourquoi n’aie-je rien à manger? Pourquoi ne suis-je jamais heureux, moi, alors que d’autres tuent, pillent, s’enrichissent et tuent encore en ton nom? Si tu existes, tu n’es qu’un salaud de les laisser agir ainsi.
L’enfant s’écrase lentement en criant :
Dieu, je te cracherai dans l’œil. Je ne veux pas t’endurer dans ton hypocrisie durant toute une éternité. Mon dieu, à moi, ne tue jamais. Mon dieu à moi caresse et console. Il est plus chaud que le soleil et plus beau que l’Infini. Pour lui, la vie d’un être humain est plus importante que le pouvoir et l’argent.
Dieu réapparaît. Il se rend près de l’enfant et l’embrasse.
Dieu
Tu es bien mon fils puisque tu sais que je ne suis pas l’écœurant qu’ils font de moi. Toutes les religions sont des mensonges. Je suis l’AMOUR. L’Amour est beauté et le bonheur. Ils sont la haine, le mensonge, la cupidité… la mafia légale, LUCIFER.
L’enfant se relève. Son visage resplendit de bonheur.
L’enfant
Merci mon Dieu! Merci d’exister !
Les officiers, sauf un, qui arrive en retard, reviennent à l’avant, alors que tout disparaît à l’arrière.
Un officier
Que ferons-nous du lit 37? Nous avons enlevé les couvertures puisque ce matin le lit n’était pas fait proprement ?
Un officier
Qu’on le lui rende, il ne faut pas que la presse juge mal notre service. Vous le lui enlèverez quand les journalistes seront partis.
Un flic
Que ferons-nous du Québécois? C’est un danger…
L’officier
Au trou. Il ne doit y avoir que les prisonniers contents d’être en prison. Mieux que le trou… que ceux qui posent des problèmes soient libérés sous cautionnement si les familles acceptent de payer…
Les officiers repartent. Entrent le ministre anglais et le ministre de Justice du Québec avec les journalistes. Les prisonniers sont gardés par les gardes qui les frappent dans les jambes pour les faire applaudir alors que le ministre déclare :
Le ministre
Je constate que votre service pénitentiaire s’est amélioré. Certes, à vous voir (en s’adressant aux prisonniers) les dix derniers suicides ne sont pas justifiés ainsi que les plaintes selon lesquelles vous êtes maltraités.
Le ministre, après examen, quitte la scène en récitant :
Le ministre
Un loup rebelle n’avait que la peau et les os tant policiers et magistrats faisaient leur devoir. S’évader? C’est impossible! La prison, oui! Je l’affirme, elle est dans la rue. Qu’il y ait des morts, c’est naturel. Les riches ne peuvent pas, c’est vrai, nourrir les pauvres. L’homme est sur terre pour souffrir pour la société. Bien payé, sont ceux qui gagnent deux piastres par jour… il ne faut pas exagérer si l’on veut que les compagnies, le gouvernement, la mafia… une seule et même institution, aient leurs parts de profits… Comme cela est juste et raisonnable. Après tout, ce sont les maîtres…
Le ministre tourne sur lui-même, il revient saluer en bouffon les prisonniers, avec un grand sourire d’imbécile. Les journalistes portent les insignes Tribune, Devoir, Presse, CJMS, Montreal Star.
Les journalistes (en chœur) :
Il est si beau, si grand notre ministre
Cotroni en liberté! Lemieux en prison !
Les moutons bientôt ne pourront plus bêler !
En Chine, en Russie, aux É.-U., au Canada
les prisonniers politiques attendent
que les gens comprennent enfin
que la mafia est internationale
c’est le pouvoir
la dictature
en un mot : la démocrassie.
L’économie.
Les lecteurs ne sauront jamais qu’au même moment deux manifestants de la grève de la faim ont été abattus au cours d’un prétendu soulèvement quelques étages plus bas.
Fin de la scène 2