Mario 2
On a tué le cheval blanc, mi-homme et mi- bête, qui nous portait à l’autel où la vie s’offrait à nous dans l’élixir vin-hachisch de Vérité. Sonne le glas de tes années de paix. La liberté nous est dérobée comme nos bourses. Nous sommes pauvres en ce cachot de nos souvenirs d’hier… je m’ennuie de te serrer dans mes bras…
Où es-tu passé? Qu’es-tu devenu? Je t’adore pourtant… La vie a-t-elle le droit de jouer ainsi avec la mort pour tracer en nos âmes une immense cicatrice de feu et de sang? Les armes ont remplacé l’amour, le duel s’est substitué aux baisers. Et nos mains qui cherchaient à s’étonner sur les corps nus de notre solitude sont plus vides que l’ardeur à retrouver ce temps où l’illusion de notre éternité nous berçait de quiétude. Où sont les bras qui guidaient nos mains hors de cette nausée dans laquelle nous sommes plongés?
Je t’ai revu quelque part, près d’un fleuve, en vacances de rire. Mon chéri, ta mère voulait me dire, je ne sais quoi de belliqueux. Et je t’ai bercé dans mes yeux, malgré l’offensive de mes rides. Les flammes de son regard ont consumé ma hantise. Je t’ai vécu quand je te croyais mort. Petit chéri, tu étais plus beau qu’à l’époque. Ton visage avait trouvé la cire des fresques grecques et ta libération s’était opérée à contretemps. Je t’ai revu, près de moi, toujours aussi divin dans l’attente de mes caresses. Réjean, tu m’attendais dans ton corps Mario. Tu te pressais contre moi dans notre paysage. Tu découpais le temps. Tu échappais à la tentative de viol répété d’un peuple de glaive et de papier. Tu m’attendais avec ton sourire provocateur : la vie a retrouvé en toi l’oiseau dans son nid.
Oui. Malgré les fers, nous serons ensemble tous les deux, prisonniers du même rêve. Nous reviendrons d’au-delà de la mort… Elle nous aura unis par le quadrille dans la grande gigue de nos sens… La vie a besoin d’amour pour respirer. La vie, chambre à gaz qu’habitent nos frères. Nous serons de marbre. Et nous vivrons aussi longtemps que volera en nous l’hirondelle de la nouvelle liberté… avant que la pluie dessèche à nouveau nos lèvres gercées d’absence et qu’en nos frères nous semions la vie d’un tendre mouvement de la main sur leur corps nu, endormi.
Nous sculpterons en leur chair le mot : AIMER.
Mais tout cela se passera dans un autre monde, hors de ma cellule, dans le monde qui germe en moi, des grabats de ma cellule, je proclamerai la vie. Moi.
Français. Libre. Québécois.
Moi qui suis né avant mon temps. Dans un cimetière. Plus pisseux que les Anglais, mais un peu moins que la moyenne des nègres blancs du Québec. Juste un peu quétaine. Ce n’est pas un cadeau d’être quétaine en naissant, c’est pire qu’être vampire et se promener avec des bigoudis pour faire croire aux gens que l’on déteste la bourgeoisie. C’est pire que de porter orgueilleusement sous son pantalon des petites culottes de dentelles roses, assorties de pépites d’or pour attirer les chercheurs.
Pourtant… ma peur était un peu spéciale. C’était une peur-citron. J’en détestais la saveur. J’aurais eu plaisir à l’uriner, mais on n’urine pas la peur. Ce vinaigre dans le sang. Elle commence toujours par ravager les reins, tirer les tripes et serrer les couilles. Elle rend plus stérile que le pape et plus dépouillé qu’un chat de gouttière. Avec ma peur, j’avais l’impression d’être plus laid qu’un bonze asiatique pris de constipation ou un saint catholique avec un nœud de douleurs dans le sexe gangreneux à force de ne jamais servir.
Pourtant… j’avais bonne volonté. Je ne voulais pas venir au monde avec une gueule de lèche-fesse et les yeux ferreux de lapins capitalistes qu’on a savamment passés au feu pour les pétrir et les rendre imperméables à la vie. Je ne voulais pas non plus être volaille chez Steinberg, qu’on vend quinze cent de plus pour construire de grands magasins dans les pays qui s’éveillent à la $$$ civilisation $$$.
Je voulais être libre. Je voulais réveiller tous ces morts, jouer aux fesses dans l’herbe avec leurs os et raconter de grandes histoires de fantômes. Il était une fois une fois des enfants de l’innocence. Des enfants de la paix. Les enfants du val. Les fils de la liberté qui jouaient à la rose et s’ouvraient à la vie dans un fleuve de sperme.
Je voulais, hélas, trop… je les ai retrouvés. On m’a assassiné. Je suis depuis un mort-vivant.
Le vent du Québec souffle encore en moi, telle une épée dans mes chairs. Commence le voyage au-delà des murs de l’espoir et l’espace serrée de la Vérité.
La prison, c’est la mort. Un trou formé dans l’espace que l’on occupait chez les autres jusqu’à leur oubli dans la vie quotidienne. J’emprunte le chemin de ma cellule. La Nécessité m’étrangle de rires. La Nécessité, c’est l’enfer qui nous arrache un temps à l’enfance. Un temps qui nous semble si long qu’on croit qu’il ne finira jamais. Heureusement, je t’aime et je veux demeurer ainsi fidèle à ma planète, à mon univers, celui que j’ai quitté pour vivre un poème cosmique.
À cause des hommes, leur outrage à l’amour, j’ai été marqué à même la plaie formée au dos de mon pays. Et mes larmes sur ton corps ont lavé les taches de rousseur de tes épaules. Pauvre chéri, j’ai été pour toi le vent sur la mer. La pénétration des âmes pures qui nous avait brûlés aux yeux.
Je t’adore et je te cherche en ma folie contre ma prison. Tu es ma liberté et ma prison. Trop libre on cesse de rêver.