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Un sourire venu d’enfer 24

novembre 10, 2020

Un sourire venu d’enfer 24

Autobiographie approximative

Mes relations avec Gérald avaient empiré. Non seulement il exigeait mon exclusivité comme une femme, mais il me menaçait. Il était assez gros pour me faire labourer le plancher sur une bonne distance. Cela ne m’empêchait pas de me moquer de lui; car, non seulement, je devais être son petit serin soumis, mais je devais, comme lui, me convertir. J’ai le fanatisme religieux en horreur. Il voulait faire un saint avec le diable.

Gérald laissa son emploi et se mit à lire la vie du petit Dominique Savio. Un petit saint d’une très grande beauté que j’aurais bien aimé soigner. Il avait décidé de me sauver beau gré, mal gré. Il voulait me mettre au pas.

Gérald est arrivé un soir dans le dortoir rouge de colère. Après un long sermon, c’est à coups de taloches qu’il a voulu me faire comprendre le sens de la charité chrétienne. Cela n’a pas tellement réussi, j’ai décidé que je quitterais Edmonton, seul, s’il le fallait, mais sans lui. Finie la pensée de couple. Encore plus la pensée religieuse rétrograde.

Je n’ai jamais regretté ma décision, mais je me suis inquiété. Était-il dans la misère? M’en voulait-il? Dans le fond, je l’aimais bien, mais j’avais peur de lui. Ce serait quoi après les gifles?

Jimmy quant à lui attendait fiévreusement son admission et son affectation dans l’armée.

Son rêve s’est estompé le jour où on lui demanda s’il accepterait, connaissant la langue française, d’être affecté à l’escouade spéciale. Qu’est cette affaire-là? Après quelques recherches, nous avons appris que l’armée se livrait à des manœuvres d’entraînement dans le but d’envahir le Québec si jamais l’indépendance devenait vraiment possible. Les bras nous sont tombés… l’armée préparait l’occupation militaire du Québec.

Ma dépolitisation venait d’en prendre une claque. Jimmy, n’ayant rien d’un traitre, décida que nous allions poursuivre notre route ensemble.

Gérald devait se rendre à l’évidence. C’était fini entre nous. Il nous a annoncé son désir de nous quitter, car ayant reçu une lettre de sa mère, il devait se rendre à New York. Gérald voulait être du grand pèlerinage à Bayside, New York, où prétendait-on la Vierge Marie apparaissait et devait venir nous livrer un dernier message avant la fin du monde.

Selon ces dernières révélations, la fin du monde devait être l’écrasement de la comète  Kouhoutek,  comète  qui  devait  bientôt  apparaître  dans  le firmament.

Est-ce que la terreur annoncée ne serait pas un essai en haute altitude d’unenouvelle bombe atomique? Pourquoi la Vierge Marie voulait-elle se rapprocher de Wall Street ?

Gérald avait vraiment peur des foudres du Seigneur. Sa violence était un geste de frustré qui voulait absolument mon salut. Aussi fou que ce soit, c’était une violence d’amour. Il m’aimait trop pour me voir crever entre les mains du diable. C’est ainsi que naît le fanatisme.

J’ai constaté plus que jamais que la force de l’Église est la peur de la mort. C’est sa force sur les individus. Personne ne veut admettre le non-sens de la vie.

Freud a-t-il raison d’affirmer que la foi est une forme plus ou moins avancée de schizophrénie? La réponse est évidente.

Je comprenais mieux qu’en 1963, après plusieurs années de révolte religieuse, pourquoi je m’étais si totalement converti durant mes trois premiers mois de prison. Je reprenais ma révolte, là, où je l’avais laissée avant d’être enfermé, donc pour me détruire intérieurement. La foi devant une peur qui nous  submerge apparaît comme un acte régressif et salutaire. Nous nous cramponnons à ce qui constituait notre sécurité quand nous étions enfants. Voilà pourquoi l’Église tient si ardemment à l’enseignement de la religion aux enfants. Celui-ci devient une empreinte primaire, un guide inconscient pour le reste de notre vie, plus l’enseignement aura frappé notre imaginaire et notre sensibilité plus nous en serons esclaves. C’est une espèce de lavage de cerveau par l’émotif ou la peur. La chasteté est contre nature : l’annihilation d’un besoin, d’un instinct inscrit à l’intérieur même de tout être humain pour assurer la survie de l’espèce humaine.

Les curés essaient de protéger leur phobie pour se justifier,  se  faciliter  la  tâche. Voilà pourquoi ils sacralisent leur état, tout en donnant fonction de péché à la chair, pour ne pas être tenté par les femmes. La chair est leur ennemi, car on pense que le corps nous éloigne de Dieu, cet être jaloux qui n’accepte pas qu’on lui préfère quelqu’un d’autre.

L’Église  a  souvent  dirigé  et dicté  sa  morale  à  partir   de   malades   mentaux. Comment associer l’infaillibilité du pape quand on songe aux Borgia?  À l’amour chrétien, durant les croisades et l’Inquisition? Saint-Thomas d’Aquin, le père de la doctrine sociale chrétienne n’enseignait-il pas que les femmes n’ont pas d’âme ?

La religion est-elle en soi une maladie mentale ou un mécanisme de défense si elle était utilisée à bonne dose? Serait-ce un bouclier contre l’hystérie? Quand on écoute les féminounes, on serait porté à croire le contraire.

Les femmes sont généralement plus émotives que les hommes, et forcément plus religieuses. La foi est irrationnelle. Quant à moi, la religion est un beau rêve d’enfant : une terre où tous les humains s’aiment. Rien de plus.

En ce sens, seulement, je crois que le Christ est le sauveur des hommes. Et, à ce titre, qu’il est l’idéal à atteindre. C’est mieux que Mahomet qui était un guerrier. Que Jésus ait couché avec Marie-Madeleine ou Saint-Jean pour faire l’amour, ça n’a pas d’importance. Qui était le petit soldat au Jardin des Oliviers qui dormait nu? Que Jésus ait été le chef pacifique d’un groupe de rebelles contre Rome ce n’est pas ce qui fut le plus important. L’important, c’est son message : aimez-vous les uns, les autres, pour l’amour de Dieu. Les balises pour un paradis terrestre.

Mahomet a marié une petite fille sous prétexte qu’elle était la seule à pouvoir transmettre par sa pureté le message divin? S’il faut imiter le prophète en tout ne devrions-nous pas tous être pédophiles ? Cependant, il faut savoir qu’à cette époque, ça se passait ainsi et que la notion de pédophile n’existait pas encore.  Le nombre de femmes permis dans les harems fut décrété après la mort de Mahomet et lui seul a eu droit à autant.

Tout comme l’admiration est le premier pas vers l’amour, la fascination est la pierre  angulaire  de  l’amourajoie,  pédérastie.  La  religion  est  un   rêve collectif. Aujourd’hui, les Églises et les sectes religieuses sont des moyens d’exploiter les plus naïfs. Il suffit de connaître leur richesse pour en avoir la preuve.

Nous nous sommes installés, Jimmy et moi, à Prince George, Colombie- Britannique, à l’hostel du gouvernement. C’était toujours la même chanson, nous grattions les fonds de l’étagère française de la bibliothèque. Je n’avais jamais autant lu d’auteurs québécois.

Grâce au responsable de l’hostel, j’ai trouvé un emploi à la piste de ski. C’était surtout de la pelle, mais le travail ne m’a jamais fait peur. Nous avons aménagé la piste. Jimmy fut ajouté à l’équipe de travail.

Notre patron immédiat était d’abord un homme charmant avec une moustache blanche comme la neige. Il faisait montre de beaucoup de gentillesse, particulièrement à mon égard. Il aimait me faire raconter le Québec et rêver de voyages.

Grâce à lui, j’ai pu dès que la piste fut prête, recevoir les jeunes et les moins jeunes au haut de la piste pour les aider à débarquer du monte-pente. Je devais arrêter cet appareil dès que je croyais qu’il y avait un danger, maître de la sécurité. J’étais heureux, je chantais, je dansais. Je donnais des croustilles aux enfants en passant. Les jeunes et leurs parents me le rendaient bien.

Pour Jimmy, la vie était moins facile. Son grand patron était une espèce de raciste, un Anglais qui avait quitté le Québec avec octobre 1970. Il lui donnait toujours les pires corvées.

Un après-midi, après une tempête, il fit courir Jimmy devant son Bombardier  pour qu’il écarte les « T » plus vite. Plus Jimmy courait plus le patron faisait grimper la vitesse. Je n’en revenais pas. Je n’avais jamais voulu croire Jimmy quand il me parlait de discrimination. Je le pensais plutôt trop paresseux. Jimmy était à bout de souffle, près du Bombardier. « J’aurais voulu avoir un revolver et le tirer », de dire Jimmy.

Notre amitié m’attira les mêmes ennuis. Plus question de travailler avec mon moustachu que j’avais surnommé Papa. Il le regrettait bien, mais il ne voulait pas perdre son emploi, car il était moins élevé dans la hiérarchie des boss par rapport à celui qui s’occupait de Jimmy. J’ai été muté à la pelle, puis, à laver les toilettes. Je m’en fichais c’était de l’argent pour notre voyage au Mexique.

Le grand patron a doublé d’ardeur. Il cherchait par tous les moyens à m’humilier, même si j’étais moins bien servi que Jimmy quant à ce qu’il fallait endurer. Peut- être était-ce aussi parce que Jimmy en plus d’être francophone ressemblait comme deux gouttes d’eau à un Indien.

Les jeunes manquaient leur Alouette. Après leurs démarches en ma faveur, j’ai été réinstallé dans mes fonctions en haut de la piste. Cette fois le grand patron se mit dans la tête que j’arrête à la main… tous les « T » à leur arrivée. J’ai obéi. Ce n’était pas assez dangereux, il exigea que je les arrête plus loin. J’ai refusé, je risquais à chaque fois d’être blessé. Pour m’assurer que je lui obéisse, il a nommé son petit favori pour m’observer. Peu de temps après, j’avais un nouveau patron. Le jeune riait de nous faire exécuter toutes les sales besognes. À tout moment, il nous lançait des bêtises parce que nous étions francophones.

J’ai écrit une lettre de protestation au conseil municipal de la ville. Le lendemain, le jeune y allait plus fort que jamais. Je me suis emporté et en anglais je  lui ai  dit : « Tu es jeune. T’es très beau. Tu es en bonne santé. Si tu veux le rester, fiche le camp tout de suite, sinon je te casse les deux jambes. »

Le jeune s’est mis à rire de son « frog ». Je n’ai pas perdu une seconde et je suis parti après lui, la pelle dans les airs, prêts à lui faire avaler ses sarcasmes.  Il a eu peur en maudit. Il s’est rendu pleurnicher à son cher grand patron. Ce dernier n’en revenait pas, non seulement je maintenais mes menaces, mais je l’informais d’avoir déposé une plainte au conseil municipal; plainte que j’avais aussi fait parvenir au journal local.

La semaine suivante, j’ai reçu une lettre qui m’a profondément bouleversé. Jeff Brown et son épouse, d’Edmonton, m’annonçaient avoir perdu leur emploi. J’étais consterné. Je me sentais coupable, car si je n’étais pas passé à Edmonton, cela ne serait jamais arrivé.

Mme Brown avait décidé de publier intégralement ma lettre ouverte dénonçant la francophonie de l’Ouest comme artificielle et bénéficiant qu’à une petite bourgeoisie, appuyée principalement sur le clergé.

Même si Mme Brown travaillait depuis neuf mois au Franco-Albertain, qu’elle était bien correcte avant, elle avait accepté de publier ma lettre, ce qui la rendait incompétente. Quelle liberté d’expression! Son mari qui travaillait à la station de radio a démissionné pour appuyer son épouse. Il a lu entièrement sa lettre de démission sur les ondes.

Ce sentiment de culpabilité m’était presque inconnu. Je me rappelai qu’un attaché de presse de la John’s Manville avait perdu son emploi pour avoir été franc avec moi alors que j’étais journaliste. Il m’avait donné des informations qu’il ne devait pas livrer. La liberté de presse existe seulement pour les patrons. Mon ami Jean en avait profité pour me discréditer à la CSN, comme si j’en avais été responsable.

J’ai protesté dans les journaux tant de l’Ouest que du Québec, contre ce congédiement dégueulasse, mais personne n’en a parlé.

J’ai écrit au Secrétariat d’État et au bureau de M. Spicer, ça n’a rien donné. Je commençais à apprendre pourquoi au Canada les deux peuples fondateurs n’ont jamais su se comprendre. Les francophones bourgeois censurent tout ce qui ne leur convient pas comme le faisait l’Église quand il était question de sexe.

Après discussions, nous avons décidé de quitter l’emploi à Prince George, malgré nos démarches pour nous faire respecter; nous ne voulions pas nous occuper de politique. Notre but était d’avoir des sous pour voyager.

Avant de partir, nous avons appris qu’il y avait eu sabotage à la baie James. La nouvelle a eu l’éclat d’un retour en force du FLQ. Je ne sais pas si la nouvelle a été aussi fracassante quand il a été prouvé que le principal accusé était libéral.

Le sabotage de la baie James a-t-il été pensé dans les officines du parti libéral pour faire croire qu’il s’agissait de l’œuvre de péquistes, seul groupe officiellement opposé au projet, car il préférait le nucléaire?

À Vancouver, nous nous sommes installés dans un nouvel hostel du gouvernement. Au cours de ces journées, j’ai pu constater que le bilinguisme n’existe en fin de compte qu’à l’été.  Ainsi, les jeunes pensent vivre dans un vrai pays bilingue.

Certains travaux temporaires étaient permis sans nous enlever le droit de recevoir le bien-être. Les francophones étaient toujours les derniers servis. Nous avons contesté cette situation, ce qui nous a valu d’être menacés d’expulsion.

Fort heureusement, j’ai passé une journée seul à l’auberge ce qui a permis au dirigeant de mieux me connaître. J’ai appris à mieux tirer mes épingles du jeu en sachant dorénavant qu’il était gai et que je lui étais tombé dans l’œil. Quelques jours plus tard, je travaillais avec Jimmy dans une espèce de marché de fourrures.

Notre patron était un Juif de Montréal. Il parlait français et il était extrêmement gentil avec nous. Il nous expliqua tout ce que nous voulions savoir, ce qui le payait bien d’ailleurs. Nous devancions ainsi les expertises pour lui indiquer les plus belles peaux, ce qui lui permettait de précéder tous les autres acheteurs.

En voyageant sans argent, tu apprends à être moins puritain.

Mes petites tendances à l’alcoolisme avaient trouvé moyen d’être assouvies, sans que nous ayons à travailler ou nous servir de ce que nous avions amassé.

Nous quêtions le premier 0.25 $ nécessaire à payer la première chope de bière et nous nous rendions dans une taverne gaie. Nous nous faisions ensuite payer la traite pour le reste de la journée et de la soirée. Ça ne manquait jamais. Les propositions étaient très nombreuses. Nous étions bien accueillis et bien aimés. Il m’est arrivé deux fois de tomber sur des racistes. Chaque fois, la conclusion était la même. Je m’emportais. Un petit exemple.

J’ai été racolé aux pissotières du terminus par un bonhomme d’une cinquantaine d’années. Il m’amena chez lui dans un magnifique appartement surplombant Vancouver. Le bonhomme me fit boire et nous avons commencé à nous  caresser sur le tapis du salon. Le bonhomme voulait que j’aille avec lui partager un plus petit logement dont j’aurais évidemment payé une partie des dépenses. Nous avons bu et le bonhomme m’a à nouveau sucé. Jeune, tu fais vite le    plein. Nous avons continué de boire.

À un moment donné quand je bois trop, je pète les plombs. Il s’est mis à parler contre les francophones. Nous étions malpropres, mal élevés, sans élégance. Savait-il que j’en étais un? À cette époque, je parlais anglais sans trop d’accents. Je lui ai fait savoir. Il sembla très surpris, mais trop orgueilleux, il a continué à gueuler contre les miens, tout en me disant bien évidemment très différent. Il comparaît les francophones à des maringouins, sans âme, ni tête.

Je me lève, je me dirige vers lui. Je devais avoir l’air de ce que je ressentais.

  • Qu’est-ce que t’as?

Je savais que je ne ferais rien, car je ne suis pas violent; mais je voulais qu’il réalise, en ayant un peu peur, la stupidité de ce qu’il disait.

  • Je vais te tuer. Je suis aussi bien de le faire tout de suite. Je ne peux pas être accusé, je suis un insecte irresponsable.

Le pauvre s’est mis à blanchir. Il m’a invité à continuer à boire avec lui que nous ferions à nouveau l’amour. Il m’a raconté avoir été danseur, tout en me donnant une démonstration. Puis, il m’a invité au restaurant où il a profité de ne plus être seul avec moi pour filer à l’anglaise. Dommage, il me plaisait vraiment au début. Maudite boisson! Maudit racisme !

Non seulement j’étais moins puritain quant à me laisser payer la bière, mais j’avais l’entrejambe en offre permanente à prix très abordable (je ne demandais jamais un sou, c’est contre ma vision de la sexualité); mais j’acceptais de profiter du bien-être. On poussait même la légalité au pied du mur.

  • Il en coûte 500 millions $ par année au Québec pour être citoyen du Canada, n’est-il pas normal et juste que nous en profitions un peu?

Après avoir reçu le bien-être social, nous prenions, Jimmy et moi, notre billet d’autobus pour la Californie.

Jimmy avait l’intention d’aller vivre dans les tribus primitives. J’en faisais presque dans mes culottes, juste à y penser. Pour moi, le Mexique signifiait encore plus de petits gars, pourvu que le portefeuille s’ouvre facilement et fraternellement. C’était la réputation de ce pays.

San Francisco. Un arrêt d’une heure ou deux. Los Angeles, nous choisissons un hôtel à prix modique. Je suis ravi. Quelques pensionnaires ont tourné de l’œil en m’apercevant. Ce sont tous des vieux. Ma conversion vers ce que j’ai appelé « mon petit côté guidoune » se faisait sans même que j’y réfléchisse.

J’aurais voulu rencontrer un ami californien, tiré de mon enfance et que j’ai toujours appelé mon oncle Rosaire. Il demeurait à Barnston, quand j’étais petit. Il m’a fait don de jumelles parce que jeune j’adorais regarder les étoiles. Je lui vouais encore, malgré les années, une vénération surprenante. Ces jumelles m’avaient permis de regarder la constellation des Pléiades, d’où je croyais être issu. Je me rappellerai toujours de lui comme d’un homme souriant et tendre. Quand j’aurais pu le voir, je n’avais pas son adresse; plus tard, je n’avais plus d’argent pour m’y rendre. Maintenant, c’est trop tard, il est mort. On dirait que la vie a sa petite destinée. On ne rencontre que ceux que l’on doit rencontrer.

À Los Angelès, j’ai appris que mon père était très sérieusement malade. Même si j’avais voulu, je n’aurais pas eu les fonds pour retourner assez vite, si le pire était survenu. J’ai alors regretté d’être parti. Étais-je une des raisons de sa maladie? J’étais responsable de la souffrance de mes parents avec ma maudite manie d’aimer les petits gars.

Je lui ai écrit une lettre dont l’essentiel portait sur le fait qu’un jour, si je parvenais à lui faire honneur, ce serait grâce à ce qui l’avait tant fait souffrir : ma pédérastie. L’inquiétude et les remords m’ont fait comprendre une fois de plus comment il est important d’aimer ses parents quand ils sont toujours vivants. C’est dans l’anxiété la plus complète que j’ai appris qu’il se portait mieux.

San Diego. Tous les journaux étaient  de  vrais  romans  d’espionnage.  Il  y  avait toujours une histoire d’infiltration communiste. C’était une vraie maladie mentale. Une semence de guerre civile. Ces explications justifiaient bien les envies de Nixon d’entrer en guerre avec la Russie, de quoi rendre furieux, car les guerres sèment la mort.

Entre Los Angelès et San Diego, nous avons visité Disneyland, un autre rêve de mon enfance avec ses personnages et ses sciences fiction. J’étais un mordu des émissions scientifiques de Disney.

J’ai eu droit à deux petites prises de bec. J’ai discuté avec un universitaire qui a été insulté d’apprendre qu’il est impossible de voyager en bateau entre le Québec et la Californie.

  • Si vous êtes aussi fort en d’autres sciences qu’en géographie, je comprends que vous vivez dans un monde à l’envers où la haine est plus adulée que l’Amour.

Dans le deuxième cas, il s’agissait d’un soldat. Il affichait ses médailles victorieusement  remportées  dans  des  escarmouches  au  Vietnam.  Il  était  fier comme un gamin de quatre ans. Aussi, a-t-il cru à l’effondrement prochain des États-Unis quand je lui ai dit ce que je pensais :

  • Chez nous, pour avoir des médailles nous n’avons pas besoin d’aller tuer tout le monde. Nous les cueillons dans les boîtes de Crake Jack.

San Diego est une ville splendide à cause de son jardin. Elle fait cependant mieux ressortir le contraste avec Tijuana, la ville frontière du Mexique. Comment peut-on passer d’un tel luxe à une telle misère dans un instant? Nous nous n’étions jamais doutés d’une telle misère, d’une pauvreté aussi grande. On aurait dit qu’à Tijuana, tout était pour tomber en lambeaux. Les hommes nous regardaient comme des ennemis. Ils étaient tous les uns plus gros que les autres ou plutôt plus terrifiants. Jimmy, malgré ses protestations, a dû payer deux fois son repas. Une peur qui lui collera à la peau tout au long de notre voyage au Mexique.

Dans quel enfer nous étions-nous embarqués? Nous regrettions tous les deux  de nous être rendus aussi loin, dans un milieu aussi hostile. Seul un miracle pouvait nous y faire rester.

En me promenant, j’ai remarqué le sourire d’un petit cireur de souliers. J’étais pâmé, conquis. Comme les petits Mexicains sont beaux! Ils sont même plus beaux que les fleurs. Plus attirant que les pentes de la Sierra. Ils éclatent comme des comètes entre les eaux sur les bords de la plage du Pacifique. Je lui ai donné des sous pour mieux ressentir mon effusion de joie à contempler autant de beauté. Quelques minutes plus tard, il est arrivé avec un petit compagnon encore plus beau. Mais, plutôt que de sourire, celui-ci me montra un poignard. Ça annonçait rien de bien.

Nous avons parcouru le pays en autobus à toute vitesse. Ce peuple me fascinait. J’aurais couru dans les montagnes où sans l’image de la Madone, tu respires pour la dernière fois. J’étais aussi étonné de l’aridité du sol. De la pauvreté des petites villes, mais aussi par leur beauté, leur originalité. Hasard? Des dames et leurs petites filles tentaient de nous faire la conversation.

Dans les terminus, alors qu’on nous demandait le double du prix quand on voulait acheter des produits, des gens du pays intervenaient pour les faire descendre. Pour eux, nous n’étions pas des Américains.

À notre arrivée à Mexico, deux jeunes Mexicains nous ont servi de guides. L’un d’eux était de toute beauté. Le plus vieux avait déjà saisi mes attraits, car à un moment donné, il m’a fait remarquer que son petit compagnon avait un très joli derrière. Quoi de plus clair? Nous nous sommes installés dans un hôtel de la rue des Enfants perdus. J’ai été surpris du degré de pollution à Mexico. Je croyais que les pays que l’on disait pauvres avaient au moins échappé au cancer de l’automobile.

Nous nous sommes rendus aux pyramides. Sur la pyramide du Soleil, j’ai fait des incantations. Les pyramides expliquent bien comment la religion a toujours joué un rôle politique. Lorsque les Indiens avaient assez de prisonniers, ils devaient être offerts au Soleil. Le peuple était rassemblé. Il y avait une fête et l’on fumait des drogues légères. Les prisonniers étaient alors montés sur le sommet de la pyramide pour y être sacrifiés. Les Mexicains nient l’existence de ces sacrifices humains.

Les premières marches se montent facilement. Plus tu montes, plus l’escalier est étroit et plus la pyramide est difficile à escalader. Quand tu redescends, tu dois te tenir pour ne pas piquer du nez. Cela permettait aux prêtres de prouver que près du Soleil, personne ne peut demeurer debout. C’est grâce à ces pyramides que les religieux avaient autant de pouvoir. Les marches étaient telles que, souvent en descendant, des prêtres tombaient en bas et se tuaient.

Lors de notre retour des pyramides à Mexico, nous avons rencontré un blanc qui prétendait venir d’Australie et qui voulait assurer notre protection. Il nous disait trop jeunes pour voyager seul. Ce fut le seul personnage qui, je crois, en a voulu à nos portefeuilles.

Nous parcourions des distances effarantes en autobus. Jimmy ne voulait plus se rendre dans les forêts, il voulait à peine sortir de la chambre d’hôtel. Il expliquait sa peur sous le prétexte de ne pas parler la langue du pays. À cause de cela, je n’ai presque rien vu du Mexique, du moins, à mon goût. J’y ai trouvé des jeunes extrêmement sympathiques. Le Mexique est dix fois plus vivant que l’Ouest canadien.

Un midi, je me suis garroché à l’eau pour suivre un petit gars et j’ai découvert que l’eau du Pacifique est chaude, à Puerto Vallarta.

J’étais tellement heureux, j’ai oublié d’enlever la ceinture dans laquelle je gardais tous mes papiers d’identité et mes chèques de voyage.

J’étais fasciné par les petits qui se baignaient nus et un des leurs qui portaient une belle petite culotte par laquelle je pouvais me rendre témoin à savoir que les petits Mexicains ne sont pas circoncis, ce qui ajoute à leur charme. J’ai suivi ce garçon. Il me regardait, me souriait. Je l’adorais davantage. Il me conduisit directement à sa famille. J’ai pu y boire de la téquila et manger des huîtres que les adultes allaient directement pêcher à la mer. Tout ce que je savais dire en espagnol de manière à me faire comprendre : « Je n’ai plus d’argent. Je ne suis pas Américain. Je suis français du Québec. Vive la révolution ! » Ce fut un après- midi extraordinaire. Je me sentais comme un touriste plus que bienvenu. Pratiquement, un frère en visite.

Le retour obligatoire m’a enlevé la joie de pousser plus loin ma curiosité quant aux usages de ce peuple. Voyager, ce n’est pas toujours aussi simple que ça parait. J’ai dû faire des milliers de milles sans rien voir de particulier. Ce fut presque le cas pour le reste du voyage.

J’ai, dans la mesure où j’ai pu m’en faire une idée, trouvé le peuple mexicain extraordinairement vivant et beau. Il est vrai qu’à cette époque, en voyage, je n’avais d’yeux que pour les petits gars. Chez les Mexicains, je n’étais pas un gros cochon, un monstre, mais un gars très sympathique. Je suis certain que les parents avaient très bien compris mon centre d’intérêt, car, ils invitaient les jeunes à se tenir avec moi. Je me sentais un ami qui essaye de parler espagnol et qui manifestement aime les petits gars. Un voyageur mexicain, m’a ensuite appris qu’au Mexique aimer les enfants, c’est rendre le plus grand hommage possible aux habitants de ce pays, car, les enfants, c’est leur fierté. On est loin de la paranoïa québécoise qui voit des prédateurs sexuels partout… comme si on sautait automatiquement sur tous les jeunes que l’on rencontre.

Une seule chose m’a royalement déplu : la saleté des toilettes publiques. C’était carrément dégueulasse.

Retour à Los Angelès. Nous décidons d’entrer dans les terres pour y dénicher un travail et pouvoir retourner au Mexique et si possible, en Amérique du Sud, dès qu’on aura assez d’argent.

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