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Un sourire venu d’enfer 16

novembre 2, 2020

Un sourire venu d’enfer 16

Autobiographie approximative

Page 120 à 126

La Commission scolaire avait décidé de forcer les jeunes du primaire à voyager à Bury, même si leur nombre était plus grand que celui de l’école où il devait se rendre. C’était là une injustice évidente. Aussi, les parents m’ont-ils demandé de les diriger dans leurs actions afin d’obtenir justice, et ce même si pour eux j’étais trop radical, car je préconisais l’occupation de l’école de Scotstown. Dès les débuts, j’ai aussi établi pour les mères que je rencontrais souvent et qui avaient des petits gars mon statut d’amourajeux.

Elles ont commencé par une manifestation. Rien ne bougea. Les femmes durent admettre qu’il n’y avait qu’un moyen efficace : occuper l’école. Cette occupation fut d’un genre très spécial. Puisque les enfants privés d’école gelaient à l’extérieur, ils furent intégrés aux autres qui n’étaient pas touchés par la déportation. C’était de toute beauté. Malgré qu’elles soient les victimes, ces femmes se montraient plus humaines que jamais. J’étais tout à fait en accord avec leur façon de contester.

Comme l’injustice a toujours prévalu sur la justice, une injonction a été produite contre les femmes qui occupaient l’école. Celles-ci devaient cesser leur geste où se ramasser en cour.

J’étais petit dans mes souliers, j’en avais de la difficulté à dormir, car je me sentais coupable d’avoir entraîné de bonnes mères de famille dans une aventure alors qu’elles ont déjà de la difficulté à subvenir à leurs besoins. À cause de mes conseils, elles risquaient l’amende ou la prison. Je me sentais coupable de leur avoir nui plutôt que de les aider.

J’étais d’autant plus révolté que j’avais appris que la seule vraie raison justifiant cette injustice était que le directeur du secteur détestait les assistés sociaux, donc, la majorité des gens de Scotstown. Ce dernier l’avait même admis devant mes patrons à la Tribune. Au lieu d’en prendre note, la Tribune m’a retiré du dossier.

Les femmes furent condamnées ayant refusé d’abandonner cette lutte, malgré une injonction. Je paniquais. J’avais peur de les avoir conduites à la ruine. Heureusement, le peintre Frédéric les sauva en faisait tirer au sort une de ses peintures.

Saoul, j’avais proféré des menaces dans un hôtel à Scotstown, ce qui amena la police à enquêter à nouveau sur moi; mais ce n’étaient que des paroles d’un gars saoul. L’enquête s’est éteinte d’elle-même.

Le système ne savait jamais quoi inventer pour m’écœurer, car je prenais les choses d’une façon un peu trop personnelle… paranoïde…

Ainsi, alors que je venais de faire mettre sur pied un front commun devant se battre pour la construction de la Transquébécoise et un autre sur le français au travail, un spécialiste en tourisme, Réjean Beaudoin, a voulu faire un coup de maître en faisant aménager un troisième monument à la mémoire de Sir Alexander Galt, un des Pères de la Confédération. Ce dernier avait déjà une rue de Sherbrooke et une polyvalente à Lennoxville en son nom. Cela ne tenait pas tant des 58,000 $ qu’on pouvait en tirer du fédéral, mais aux tendances nettement fédérastes de la Société d’histoire de Sherbrooke qui visait à faire valoir les retombées du système fédéral sur notre région.

Une telle action ne pouvait, dans l’état d’esprit dans lequel on vivait dans les Vaucouleurs  qu’amener                          des                affrontements             violents.   J’en   ai   fait   part    au responsable du projet, Réjean Beaudoin, en lui disant:

  • Ton maudit monument, si tu le fais construire, on va le dynamiter.
  • Nous le ferons dans un métal que les bombes ne détruisent pas.
  • Il faut être fou en maudit pour être prêt à se faire sauter la tête pour le fédéral.

Réjean, avec qui j’avais souvent travaillé auparavant, car il disait que le français est essentiel au tourisme dans notre région, fit part de mes menaces aux autorités municipales de Sherbrooke. Puisque selon eux j’étais un felquiste, la peur les a gagnés, ils ont décidé d’abandonner le projet.

Je dois avouer que jouer au radical apportait bien des avantages à la vie économique des Vaucouleurs, car le fédéral se sentait forcé d’investir dès qu’on détectait ma présence.

Quand on me disait que chez nous le problème des langues n’existait pas, je ne pouvais que sursauter. Jamais Bishop n’a voulu participer à l’émancipation des Vaucouleurs (Estrie). Dans Lennoxville, le racisme des anglophones contre les francophones était connu de tous. Ce sont pourtant les anglophones qui se plaignent. Bien des exemples d’une fausse paix linguistique existaient. Il en était ainsi dans toute la région. Par exemple, à Scotstown, où la majorité de la population vit sur le bien-être social, la population anglophone exigeait que la banque refuse les prêts à un industriel francophone, sous menace de retirer tout leur argent de cette banque. Le directeur de la banque céda. Quant au ministère de Jean Marchand, il ne favorisait que les riches. C’était révoltant.

Pendant qu’à Scotstown, Jean Marchand refusait de verser une subvention permettant d’agrandir une industrie déjà en bonne marche et créer ainsi de nouveaux emplois, son ministère vantait les subventions à la John’s Manville à Asbestos, une multinationale, pour qu’elle conserve le même nombre d’emplois. Il fallait avoir du front tout le tour de la tête pour y afficher le montant de la subvention en affirmant avoir été versée pour créer de nouveaux emplois.

Quand il était question de cette compagnie, la Tribune a toujours refusé de publier toute la vérité. J’avais été temporairement nommé journaliste à Asbestos.

Aussi pour protéger la bonne image de notre très chère mère l’Église, la Tribune a censuré tous les textes où j’ai voulu établir, lors des éboulements, qu’un facteur important pour empêcher le respect de la zone de sécurité fut l’entêtement de l’archevêché à exiger pour une deuxième fois que la compagnie reconstruise une nouvelle église. Si je ne pardonnais pas à la religion de ne pas respecter la charité qu’elle enseignait, je digérais encore plus mal qu’elle accepte de mettre en danger la vie des gens pour ses besoins financiers.

C’était une époque fort troublée parce qu’on était encore dans une période de guerre avec les fédérastes. Alors que je me promenais en voiture avec des amis, un des nôtres redit une phase que j’avais déjà entendue durant les événements d’octobre, lors de notre premier accident : « Ces maudits fous, ils nous foncent dedans. »

Peu de temps après, notre voiture avait été emboutie par une autre. Heureusement aucun blessé. L’automobile avait encore une fois frappé dans le côté. Était-ce vraiment un accident? Un attentat?

À partir de ce moment, je devins paranoïaque. Les hasards d’accidents se produisaient trop souvent. J’ai commencé à craindre que l’on s’attaque davantage à mes amis ou à mes parents. Qui serait le prochain Gaston Gouin?

25

Le cas de Waterville

Tous les moyens étaient bons pour essayer de me faire perdre la face. Le cas de Waterville a été le plus significatif.

À la suite d’un reportage, j’ai appris que les jeunes d’une maison de redressement n’avaient ni gymnase, ni piscine.

Les travailleurs sociaux étaient ainsi privés d’un instrument indispensable à la rééducation des jeunes.

Si je sautais sur toutes les situations dans lesquelles les enfants pouvaient souffrir pour les défendre, comment pouvais-je demeurer insensible à celle-ci? Ma plume fut vite absorbée par les volutes d’une sainte colère. J’ai pris en main ce dossier, après avoir averti le directeur de l’établissement de mes tendances peu communes.

Mes entrevues avec les petits se firent par personnes interposées afin d’éliminer toutes les possibilités de scandale et s’assurer que je ne nuirais pas à l’Institution plutôt que de l’aider. C’était un minimum d’honnêteté. Si on pouvait parler franchement de notre pédérastie, on ne pouvait pas fonctionner dans le monde sans créer des crises d’hystérie chez les féminounes et tous les scrupuleux de ce genre.

Le coup de cochon ne tarda pas. Bientôt, un gros bonnet du gouvernement a fait remarquer au directeur de l’époque qu’il était plutôt bizarre d’admettre qu’un pédéraste se porte à la défense des petits gars.

Que venait faire ma vie sexuelle dans un problème de gymnase et de piscine dans une maison de réhabilitation pour jeunes délinquants? Sauf, qu’ainsi on pensait  m’écarter  d’un  dossier  qui  pouvait  devenir   très   chaud politiquement. Encore une fois, La Tribune refusa de publier  les  deux reportages qui le furent dans L’R du Q.

Le gouvernement pouvait ainsi agir comme si les jeunes délinquants n’ont aucun droit. Les droits commencent à 18 ans, quand tu travailles et tu payes  des  taxes. Avant ça, tu n’existes pas et tu n’as aucun droit. Tu es comme les prisonniers, mais toi, tu n’as pas perdu tes droits, tu ne les as jamais eus. Pourtant, ce sont eux qui ont le plus besoin d’un milieu qui leur permet de ré accepter dans la société. Parfois, les parents sont les vrais coupables. Les délinquants sont souvent des jeunes qui ont manqué d’amour ou ils ont vécu un amour trop inconditionnel. Ils sont des victimes. C’est aussi révoltant d’être trop pourri.

Les institutions de réhabilitation devraient être comme Summerhill : des écoles libres.

Ce cas n’était pas un cas unique. L’information était manipulée. Les patrons pouvaient étudier mes textes une semaine ou deux alors qu’ils traitaient les conflits  en  cours.  C’était  un   moyen   de   prendre   position   pour   le patronat. Souvent, les informations étaient coupées, même s’il était facile d’en prouver la véracité. Les textes d’importance étaient perdus dans un coin. Ils étaient transmis dans un seul secteur régional, car la Tribune avait plusieurs parutions selon les régions de l’Estrie. Ces textes étaient alors confinés à une ville alors qu’ils pouvaient intéresser toute la région.

Malgré mes efforts, il n’y avait pas encore de comité rédactionnel. Ce comité n’aurait pas cherché à éliminer la présence des patrons; mais grâce à plus de coordination, assurer une meilleure information et voir les vrais problèmes sous tous les angles.

Un seul journaliste ne peut pas tout savoir même s’il est le plus compétent du monde. À moins d’être sans conscience, aucun journaliste ne peut être à 100 pour cent impartial, simplement parce que nous avons des sentiments et un inconscient. On n’accordera pas la même importance, selon que l’on est d’accord ou pas avec ce que l’on écrit. C’est juste humain !

Les négociations pour le renouvèlement de la convention collective étaient en cours au journal. Les dirigeants syndicaux, croyant que le journal puisse être imprimé à Granby plutôt qu’à Sherbrooke, ont recommandé l’acceptation d’une entente tellement pourrie qu’elle comportait des baisses de salaires pour les employés d’un département, par hasard, c’était toutes des femmes. Il n’y avait pas un mot sur la liberté de presse, problème qui m’intéressait particulièrement.

Les journalistes ne se souciaient que de leur augmentation de salaires et d’avoir des conférences de presse au cours desquelles ils soient bien traités. Nous n’étions qu’un petit nombre à nous opposer au projet de convention collective recommandée par le syndicat.

À une assemblée suivante, j’ai présenté avec deux confrères un projet comique, ridiculisant toutes les concessions acceptées sous prétexte que Power Corp. est trop pauvre. Certains y virent mon intention de rire des membres, mais d’autres reconnurent que ce texte caricaturait une convention acceptée sous la peur.Un manque de fonds justifiait ces baisses de salaires. Curieusement, le gouvernement fédéral a consenti, peu de temps après, une subvention qui par hasard représentait exactement le montant du déficit prévu par les patrons. Le système se maintient grâce aux interactions entre les différentes institutions. Paul Desmarais avait sûrement de bonnes relations avec le gouvernement fédéral libéral. Les journalistes ne voulaient rien savoir de la qualité de leur travail. Pour eux, c’était un métier comme les autres.

Cela n’a pas tellement changé, aucun journaliste ne semble se soucier du problème de la liberté de presse et d’expression. Le rôle socioculturel d’un média, ils s’en fichent éperdument. 

Pourtant, des média libres sont la garantie d’une saine démocratie. Il est impossible de connaître une dictature ou un mouvement de violentes contestations tant qu’il y a une presse libre. C’est sa raison fondamentale d’exister. De faire connaître la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Permettre aux gens de faire un choix éclairé, connaissant tous les détails. La presse ne doit pas être qu’un commerce, elle doit nécessairement effectuer son travail de chien de garde de la liberté, de la vérité. 

Je devais me contenter de me taire, d’écrire des banalités ou quitter le journal.  Pour faire valoir mon opinion et m’assurer que le journal ne se servirait pas de mes mémos pour monter un dossier disciplinaire qui camouflerait le dossier politique, j’ai transmis mes notes avec ironie et humour, empruntant mes expressions au langage indien ou d’autres images du genre. 

J’ai d’abord été suspendu trois semaines. Tout  était  fait  pour  m’écœurer. On me reprochait de porter la barbe, d’avoir les cheveux  longs alors que d’autres journalistes le faisaient sans être réprimandés. Je répliquais toujours par de nouvelles luttes. 

Ainsi, un jour, j’ai placé sur mon bureau la photo d’un petit gars que j’adorais en silence et en secret. J’ai immédiatement été sommé de l’enlever. J’ai refusé en disant que tous avaient la photo de leur épouse et de leur famille et qu’ainsi j’avais le même droit qu’eux; même si c’était à leur avis, contraire à leurs mœurs puisqu’en dehors de l’hétérosexualité tu es monstre, un péché ambulant. Leur exigence contrevient à la Charte des droits. Aujourd’hui, on sait que cette discrimination hétérosexuelle est complètement débile, car personne n’est pareil dans son orientation sexuelle et sa façon de la vivre. Tout doit être permis, s’il n’y a pas de violence ou de domination. La sexualité est surtout une question de sentiments, non seulement une question de plaisir. 

Pourquoi n’aurais-je pas le droit d’avoir sur mon bureau la photo de celui que j’aime alors que tout le monde à celle de sa femme ou de ses enfants? Est-ce que parce que je suis pédéraste amourajeux que je n’ai pas le droit d’exprimer ce que je ressens? Ce n’était pas un film pornographique, mais la photo d’une personne que j’adorais. Ça ne regarde que moi.        Le journal défendait son point de vue en affirmant qu’en agissant ainsi, qu’en faisant connaître ouvertement ma pédérastie, je nuisais à sa bonne réputation. Qui pouvait deviner en voyant la photo que c’était un de mes nombreux amants platoniques? Ça aurait pu être un de mes fils. Il fallait le savoir pour créer le lien.

Ma suspension visait à justifier plus tard mon congédiement. Trois semaines pour me forcer à réfléchir, pour me faire comprendre la nécessité d’obéir et de prendre conscience que je n’étais pas très bien accepté dans tous les Vauxcouleurs.

Je crois trop dans la liberté d’esprit pour lâcher prise.

26

Une bonne raclée

Un soir, à Sherbrooke, comme à l’habitude, la bière avait remplacé la poésie.

Quand je bois, je deviens le contraire de ce que je suis à jeun. Je suis aussi baveux saoul que j’essaie d’être gentil quand je ne bois pas. C’est probablement parce que la tension finit par faire sauter les plombs, ce qui se manifeste dès que je n’ai plus le contrôle sur moi. Rien n’est pire que de vivre une vie de frustré sexuel, surtout si en plus tu défends une orientation sexuelle, un tabou qui traumatise tout le monde, car le système le veut ainsi.

En sortant de la taverne, je « zigzaguais » sur le trottoir en criant contre les femmes, quand un policier m’a sommé de le rejoindre. J’ai refusé. Rien ne lui permettait de se mêler de mes affaires. Je gueulais, mais je venais de comprendre qu’il fallait que je me la ferme. Celui-ci me prit par un bras et me tira. J’ai résisté en m’accrochant à un parcomètre. Le policier a commencé à me frapper à coups de poing.

Puisque j’étais contre la violence, mais que je ne suis pas masochiste, j’ai couru dans la rue pour me protéger. J’ai été rattrapé par le policier et un autre groupe de policiers venus le rejoindre.

Les policiers me frappaient de plus belle. J’ai décidé d’assouvir ma colère en frappant sur une automobile devant moi puisque je ne voulais pas frapper un humain. . Le propriétaire de la voiture n’a pas tardé à arriver, demandant aux policiers de m’assommer. J’ai cessé de me débattre, car je reconnus le propriétaire du restaurant devant lequel on se trouvait. Je me suis relevé, je l’ai regardé et je lui demandai:

  • Pourquoi prends-tu pour eux? Ce sont eux qui me frappent, pas moi qui les frappe. Étant donné sa réputation de chef de la mafia locale, j’ai demandé à l’intervenant, depuis quand la pègre appuie-t-elle la police? Il était notoire que c’était le chef de la pègre à Sherbrooke

J’ai recommencé à me débattre. Puis, ce fut le noir total.

Tout ce que je me rappelle, j’étais couché dans le fond d’une cellule, seul, et un pied m’arrivait sur le corps.

Les policiers m’ont abandonné. Ils sont revenus plus tard avec un autre qu’ils ont enfermé dans la cellule voisine. J’avais un témoin, donc, ils ne pouvaient pas recommencer à me frapper. J’ai commencé à gueuler, à exiger la présence de mon avocat, à scander les noms de deux avocats. Rien.

  • Vous devez être comme Saulnier, vous avez des problèmes de téléviseur (Saulnier, chef de police, si je me rappelle, venait de se faire prendre en ayant accepté une télévision en cadeau).

Je me suis foutu à poil et j’ai crié de plus belle.

Soudain, un groupe de flics est arrivé. Je connaissais un des policiers, il demeurait comme moi au Parthénon, avant de devenir policier. Le gros qui m’avait frappé me regardait et fessait à coups de pied dans le bas de la cellule, essayant de me rejoindre alors que je lui criais :

  • Prend ton revolver, mon gros Christ de chien sale, pis tire. Demain, c’est toi qui vas les avoir les problèmes.

J’étais journaliste et j’étais conscient du pouvoir que cela me conférait.

Celui-ci s’est retourné et m’a demandé si je le trouvais beau. Je n’en revenais pas. Où était-il allé chercher ça?

  • On sait que t’as deux serins à Sherbrooke.
  • T’es mieux informé que moi, j’en connais qu’un.
  • Laisse faire, mon Hostie, je vais te dompter. Tu ne toucheras jamais à mon gars.

Un peu plus tard, les policiers m’ont relâché. Il faisait encore nuit. J’ai pensé qu’il s’agissait d’un moyen pour m’amener à l’extérieur et ainsi pouvoir recommencer à me battre. Puisqu’il était impossible de me battre à nouveau en dedans à cause des témoins, je suis resté en prison jusqu’au matin.

En sortant, un des policiers m’a remis mon foulard des patriotes, en disant :

  • Tu peux être chanceux qu’on n’ait pas su avant que tu penses comme ça. T’en aurais mangé une bien meilleure.

Le matin même, je devais passer en cour. Le juge était reconnu comme, par hasard, pour un fervent libéral.

J’ai aussitôt averti le journaliste aux judiciaires, qui était aussi président de notre syndicat, de cette histoire.

Il s’est présenté chez le juge et à la suite d’une conversation, il m’a informé qu’on me rendrait ma liberté à la condition que je ne fasse aucune pression auprès de la Tribune pour publiciser cet incident. J’ai accepté cette condition. En Cour, j’ai révélé au juge avoir été battu et celui-ci se contenta de me dire de porter plainte au chef de police d’alors, reconnu comme un fervent de ces méthodes dures.

La fin de semaine arriva, Québec-Presse relatait les événements. Il n’avait été question que de La Tribune dans notre entente et non des journaux diffusant à l’échelle nationale.

Comment porter plainte? Comment prouver qu’on a été battu? Les policiers, souvent sous peine de perdre leur emploi, témoigneront que c’est faux. Les flics fascistes sont pires que la pègre. Les juges leur sont déjà acquis, comme si leurs paroles venaient de Dieu.

Ce n’était pas d’abord politique, pensais-je, mais parce que j’étais paranoïaque et saoul comme une balle.

Une semaine ou deux plus tard, je recevais un appel téléphonique me demandant si je voulais témoigner dans un accident.

Je ne me rappelais pas d’un tel événement. À force de chercher, de questionner, même auprès de la police, de quel accident il s’agissait; j’ai appris que le propriétaire de la voiture sur laquelle je me défoulais exigeait 55 $ en dommages. Lors de notre conversation, l’inspecteur de police ajouta :

  • Je te conseille fortement de payer, t’auras beaucoup moins de problèmes. J’étais contre ce remboursement.
  • C’est la police qui frappait, j’étais en légitime défense.

Par contre, mes amis rappelèrent que mon créancier était le chef de la petite pègre locale. J’ai pris rendez-vous avec lui. Je ne me rappelais pas exactement comment ça s’était passé. Je lui ai demandé de me le rappeler. Ce fut facile ensuite de replacer le moment, grâce aux brides que je gardais dans la tête. Je lui ai aussi demandé de manière à peine voilée depuis quand la pègre fonctionne avec la police. Quant à lui, ça n’avait rien à voir.

J’étais de plus en plus convaincu que tout était politique, une intuition que j’avais depuis le début. Écœuré, j’ai fait parvenir les 55 $ demandés sous forme de 55 chèques d’un dollar par mois, soit jusqu’en 1978 environ.

Je n’en ai pas réentendu parler avant mon congédiement.

En apprenant mes problèmes financiers, mon créancier m’en a souhaité d’autres pour me faire réaliser la bêtise du choix de mon option politique. Il a fini en  disant :

  • Tu peux être chanceux, des gars comme toi, habituellement, nous leur faisons casser les jambes. Si au moins tu n’étais pas séparatiste, nous serions peut-être plus compréhensifs.

Il m’a raconté avoir bien ri quand il a reçu mes 55 chèques, car, à son avis, ça prenait bien du courage pour réagir ainsi; mais, affirma-t-il, «j’ai vite changé d’idée quand j’ai pensé qu’en agissant ainsi, tu riais de moi.»

Durant mes trois semaines de pénalités à la Tribune, j’ai pratiquement écrit seul le premier numéro de L’R du Q, le journal étudiant du CÉGEP de Sherbrooke. Le titre a été choisi pour continuer le travail de Gaston Gouin qui voulait publier une revue littéraire ayant ce titre.

Je suis retourné au travail plus certain que jamais de l’utilité de mon retour : le journal voulait me congédier à moins que je change radicalement. De ce côté,  les espoirs étaient inexistants. Changer aurait été me trahir et trahir tous les miens.

J’ai mis autant de cœur à l’ouvrage que c’est possible en de telles circonstances. J’adorais être journaliste, mais je n’acceptais aucun compromis.

Des amis m’ont refilé un dossier sur un cas évident de patronage du parti libéral, à East Angus. Celui-ci fut très vite censuré et mis au rancart, même si j’avais toutes les preuves.

J’étais révolté. La Tribune aurait fendu un cheveu en quatre pour dénicher un scandale contre le Parti Québécois ou un syndicat, mais rejetait un fait qui allait à l’encontre  des  intérêts  du  parti  libéral.  C’était  son  impartialité  traditionnelle.

J’ai décidé de régler le problème une fois pour toutes : j’ai écrit au patron que  s’il ne publiait pas ce dossier bien étoffé et véritable, je ne travaillerais plus à la Tribune. Il publiait ou je sortais. En d’autres termes, le journal était honnête ou il me mettait à la porte, en décidant de ne pas se conformer aux normes d’un journalisme authentique.

Il n’y a pas eu d’articles, je suis parti.

Ce fut une décision extrêmement pénible. J’adorais être journaliste. Comment comprendre que des Québécois soient assez sales pour refuser de défendre les intérêts du Québec aux dépens d’une bande de patroneux ?

Je choisissais le chômage pour rester honnête. J’étais encore une fois un imbécile. Qui apprécierait ce geste ?

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