Un sourire venu d’enfer 15
Autobiographie approximative
Page 110 à 120
Chapitre 3
En 1972, ennemi no un des libéraux, je devais m’attendre à être sauvagement combattu.
J’ai eu « l’honneur » d’être le seul journaliste à devoir produire par écrit, le matin, une liste de toutes les occupations de la journée et de fournir à la fin de la soirée un rapport écrit de ce que j’avais fait. J’étais le seul journaliste qui devait produire de tels rapports écrits de son emploi du temps et du genre de nouvelles qui seraient touchées. La Tribune m’avait attribué un nouveau patron pour mieux surveiller mes écrits.
Ma tâche consistait à ramasser les nouvelles partout en Estrie où il n’y avait pas de correspondant attitré. Le journal me fournissait une auto, mais on aurait dit qu’on avait peur que mes textes se transforment automatiquement en pamphlet politique. Dès qu’on sentait qu’un texte pouvait se transformer en informations politiques, il était mis de côté pour être étudié et rejeté.
J’étais fanatique, c’est vrai. Je me prenais un peu pour le « surhomme » de la région. J’inventais projet de développement par-dessus projet de développement et je trouvais une personne en autorité pour en faire la promotion. Ceux qui se croient inférieurs se pensent aussitôt supérieurs dès qu’ils attrapent un peu de pouvoir. Le mien était dans ma plume.
Ma première réaction fut de contester ce privilège de devoir tout écrire ce que je faisais, en m’absentant du travail, mais ça ne donnait rien.
Cette lutte avait pris des proportions névrotiques. Je me voyais comme le bon qui se défend de ses mauvais ennemis. La Tribune en défendant aveuglément les intérêts des libéraux plutôt que ceux de la population devenait aussi à mes yeux un ennemi à combattre.
J’allongeais, sur la liste, le temps prévu pour les affectations. Je passais les minutes gagnées dans une taverne ou à courir les urinoirs à la quête d’une aventure. Dans le fond, j’étais devenu un peu malade à cause de la rigidité dans mes valeurs. J’étais loin du gars très équilibré.
Ça ne changeait pas grand-chose et je demeurais malgré ces changements un des journalistes les plus productifs. Ma conception de l’information était non seulement rentable pour la population, mais aussi pour le journal. À long terme, La Tribune aurait été gagnante de mieux défendre les intérêts de la population et moi, de moins juger le journal sévèrement.
J’aurais aimé voir le journal prendre plus au sérieux son rôle social. Par conséquent, je trouvais nécessaire d’impliquer les journalistes dans la recherche d’une meilleure couverture des événements, et, grâce à un comité rédactionnel, de mieux faire ressortir les besoins et les solutions préconisées dans la vie du milieu.
La Tribune ne voulait rien savoir. J’étais à leur avis – c’était peut-être un autre moyen pour m’enfler la tête – dix ans en avant de mon temps en ce qui a trait à l’information.
Quand je dépassais le mot à mot de ce que les gens déclaraient, on disait que je faisais de l’éditorialisme. Je n’avais pas le droit de chercher un lien entre les événements. Tout ce que je faisais, je remettais ce qui était dit dans son contexte, ce qui faisait que certains politiciens se contredisaient dans leurs affirmations. Je n’étais pas capable de vivre sans développer chez moi et les autres un esprit critique. Comme me le disait le président, M. Yvon Dubé, il y a deux versions dans toutes les situations. J’avais peut-être le doute un peu trop développé envers les autorités et pas assez envers ceux qui contestaient.
J’ai dénoncé cette nouvelle obligation au syndicat. Je voyais dans ces tactiques, une nouvelle méthode pour contrôler le contenu de l’information. Le président du syndicat a abondé dans le sens des patrons en affirmant leur droit rédactionnel. Il préférait les avantages d’être dirigeant syndical à se battre pour la liberté de presse.
Au journal, très peu de journalistes m’appuyaient. Tout le monde, sauf quelques journalistes engagés comme moi, me trouvait excessif. J’étais pour eux à la fois fanatique et paranoïaque. Les rédacteurs sportifs me croyaient même tout simplement fou. Pour eux, j’étais un « trouble maker».
La façon de travailler, la nomination d’un nouveau patron dont la responsabilité première semblait être de m’empêcher de toucher à toutes nouvelles susceptibles de devenir politiques, rendait évidentes les raisons de ce soudain intérêt des patrons à mon endroit. Il fallait m’écarter de tout ce qui pouvait chatouiller les politiciens. C’était la guerre ouverte
Selon ce que l’on m’a dit alors, Robert Bourassa et Jean Marchand exigeaient mon départ. Cette nouvelle a été démentie plusieurs années plus tard par M. Dubé, qui était alors président du journal. J’ai été heureux de reparler avec lui, car je comprends que pour des patrons je n’étais pas une sinécure.
Selon M. Dubé, ce sont les gens de Sherbrooke qui ne cessaient de se plaindre parce que La Tribune parlait trop souvent du projet d’aéroport international à Drummondville. Il m’a affirmé que jamais un politicien ne fit pression pour avoir ma tête. Est-ce vrai ou étais-je plus paranoïaque que je le pensais?
Pour faire contrepoids à cette censure, je suis devenu un fidèle de la bouteille. J’étais devenu une espèce d’alcoolique avec tous les délires que cela suppose. La frustration apporte des écarts de caractère souvent inimaginables. Puisque je jouais toujours au terroriste, je faisais verbalement tout sauter dès que j’étais saoul. Par contre, j’avais peur qu’il y ait du vrai dans mes délires dès que j’étais à jeun. Juste avoir une pensée violente était pour moi un cas de conscience, car un bon chrétien ne peut même pas accepter la violence en pensée. Je buvais pour oublier et ainsi être certain de ne jamais dénoncer qui que ce soit par accident.
Pour moi, un stool, c’est la charogne la plus dégueulasse qui existe.
C’était totalement fou, car je n’avais rien à voir avec le FLQ. C’était débile, je l’admets; mais quand tu te sens combattu de partout, tu ne peux demeurer complètement intact. Et, je n’ai jamais manqué d’imagination. J’avais peur de me raconter des histoires. J’étais devenu définitivement déséquilibré. J’étais en guerre contre tout.
J’avais déjà de tels changements d’humeur et de comportements que certains me croyaient devenu menteur, sinon complètement fou. Pour un gars, prêt à crever pour la Vérité, c’était quand même effrayant. Tout ça me posait tout un problème moral.
Je n’aurais pas voulu, même verbalement préconiser la violence; mais dès que j’étais saoul, je ne faisais qu’exprimer la révolte que je ressentais face à la pourriture politique libérale que je devais combattre tous les jours.
La situation était rendue d’autant plus invivable qu’ayant décidé de faire valoir mon droit à être pédéraste, personne ne pouvait m’appuyer vraiment, même pas mes parents. Je n’étais pas assez imbécile pour ne pas voir la vérité en face et essayer de la comprendre. Qui avait raison? Moi ou le système, la société? Je ne pouvais pas être seul à avoir la vérité. J’étais trop poigné dans mes combats pour pouvoir apaiser ma petite âme demeurée bien chrétienne.
Je ne vivais plus dans le beau nid de l’appartement partagé avec Gaétan Dostie, un prisonnier politique.
Même si rien n’était luxueux, l’atmosphère y était très saine. Tout était axé sur la création et la connaissance du milieu des arts. Sans qu’il y ait de relation sexuelle entre nous, Gaétan tolérait ma pédérastie, car à son avis, j’étais tout simplement demeuré un enfant. Ce qui me comblait d’orgueil et qui répond probablement à une des grandes réalités de la pédérastie.
Dans ma nouvelle demeure, il n’en était plus de même. Je vivais dans une chambre où je n’avais même pas défait mes bagages, une espèce de trou que l’on appelait la vie en commune
Mon amour pour les petits gars radicalisait ma perception de la vie. Je me sentais encore plus rejeté. Plus différent. J’évoluais entre l’extase et la culpabilité. La réalité était bien inférieure à l’idéal que je m’étais fixé. J’avais un surmoi plus grand que la panse. Tout le monde savait que, sauf les aventures racontées dans ce livre, que mes amours étaient plus souvent platoniques que physiques, tout se passait dans ma tête et dans mes poèmes.
Pour la plupart des gens qui me connaissaient vraiment, mon amour pour les petits gars n’était pas dangereux et surtout ça « me » regardait.
C’est une obsession étrange que d’aimer les petits gars. Elle correspond à une vision, une façon de sentir le monde. Quand j’ai appris la culture de la Grèce antique chez les Jésuites, je me suis rendu compte qu’en naissant, je me suis trompé de siècle et de pays. Je dois être une réincarnation d’une âme de cette époque. Qu’est-ce qui fait que tu sois pédéraste? Ce n’est pas un choix. C’est une réalité. Un état de fait indiscutable et inchangeable. La société nous rend affreusement malheureux d’être différents des autres.
Cette passion, cette adoration avait depuis longtemps dépassé l’adoration d’un petit bout de queue quoiqu’elle y ait pris naissance. Qu’est-ce qui m’avait si totalement envoûté quand j’étais encore assez petit, inconscient, pour être envahi par cette extase? Pourquoi cela est-il devenu une forme d’obsession compulsive par la suite? Qu’est-ce qui faisait que j’étais ainsi?
Ça modifiait toute ma vie. C’était une approche, ma conception globale de l’homme qui en était transformée. D’où venaient ce besoin, cette curiosité? Pourquoi le sexe est-il quelque chose de mal pour les jeunes et le trésor recherché pour les adultes?
À mon avis, tous les hommes ne naissent ni bons, ni mauvais. Ils se développent en fonction de leur environnement, mais à partir de ce qu’ils sont fondamentalement. Est-ce que j’étais responsable de ce goût bizarre? D’où venait-il ?
À moins d’être dans une situation de peur, les enfants ne peuvent pas mentir et sont spontanés dans le partage de tous leurs sentiments. Ils sont en mieux comme les chiens : ils sentent ce que tu ressens à leur égard sans que tu aies même le besoin de parler. Ils ne craignent pas l’adulte parce qu’il est physiquement plus gros comme on essaie de nous le faire croire. Je combattait la société parce que la société mentait quant à ce qui se passe entre un amourajeux et un jeune. Le plaisir est réciproque alors que l’on essaie de nous faire croire que le jeune sort traumatisé d’une aventure. Il ne faut en avoir vécues pour croire ça.
L’amourajoie a toujours été le partage d’un jeu sentimental que tous les jeunes ont connu, aimé et pratiqué. Pour le jeune, le sexe n’est ni mal, ni bien, il est strictement une aventure, une curiosité un merveilleux plaisir. Cela ne peut pas les laisser dans une situation négative à moins que d’autres adultes interviennent pour les culpabiliser ou qu’il y ait de la violence, de la domination. La question de différence d’âge est complètement ridicule. Il s’agit plutôt d’un échange de sentiments ressentis au plus profond de soi et qui confèrent une égalité inimaginable entre deux êtres d’âge complètement différent. Un mariage d’âme, malgré la différence corporelle. Une même vibration intérieure.
Non seulement, même en me livrant à ces plaisirs, je respectais les jeunes, mais j’arrivais à mieux les saisir, les comprendre et les aimer comme ils sont. Je crois que ce sont ces jeunes qui m’ont appris le sens du mot liberté et respect.
Dans ma vie, il n’y a que trois choses extrêmement belles : la nature, les petits gars, l’intelligence et la conscience. Je suis facilement fasciné par la beauté qui peut-être aussi psychique que physique.
Je rêve de l’époque où tous les efforts seront axés sur le besoin de créer un monde beau, honnête et juste envers tout le monde. Je me sens d’une générosité sans borne. Pourtant, je suis aux yeux des autres le galée, l’horreur, le monstre. Le pédéraste, car à cette époque, on n’avait pas encore créé le terme pédophile.
Les adultes me sont apparus et m’apparaissent encore avec leur morale comme étant les pires pollueurs de la beauté, de la spontanéité et de l’amour. Pour eux, tout est commerce, tout est partiel, tout est calculé, tout est stéréotypé pour répondre aux seuls besoins pécuniaires. Pour eux, le sexe est souffrance et non un plaisir.
La vie est une toile d’araignée, une prison invisible. Il ne peut pas y avoir d’évasion, sans remettre le fondement même de la vie en question.
Comment peut-on me traiter de criminel parce que j’arrive à vivre au même niveau qu’un petit gars et chercher les mêmes satisfactions? Est-ce que la contemplation n’est pas une expérience de vie? Que faisons-nous sur cette terre? La pédérastie ou amourajoie est une forme d’amour, donc, de spiritualité.
Comment peut-il être criminel d’adorer les petits gars en voulant créer un monde dans lequel le bonheur le plus absolu serait un droit fondamental? Qui utilisent le plus les jeunes à des fins perverses, moi, en jouant avec eux aux fesses sans contrainte et avec adoration mutuelle ou le système économique qui organise des guerres locales pour maintenir et élever le taux des profits? Un système qui crée des enfants-soldats? Pourquoi devons-nous vivre comme le veulent les féminounes et leur paranoïa sexuelle? Comme des aliénés?
Comment puis-je être plus néfaste pour les enfants que les heures de violence à la télévision, dans tous les médias et leurs jeux? Comment être plus dangereux pour la santé mentale d’un enfant que les parents battent, négligent ou traumatisent à jamais parce qu’il se touche quand il est petit? Pourquoi est-il mal de vouloir éliminer les problèmes de la frigidité, de la névrose et de l’hystérie en combattant l’imbécilité de notre conception de la sexualité créée spécifiquement pour faire de nous des machines de production? Des gens qui ont honte d’être eux-mêmes dans toute leur réalité?
Ces problèmes étaient très aigus.
23
Dieu et le Vietnam
Un soir, à Scotstown, j’ai pris une brosse qui a failli bien mal tourner. Je m’étais tellement saoulé que je m’étais endormi sur un perron. Quand je me suis réveillé, il y avait un bonhomme qui était à me faire les poches. En me voyant ouvrir les yeux, ainsi que la venue d’une autre personne dans notre direction, il s’était contenté de me donner un petit coup de pied, en me traitant de sale ivrogne.
Les expériences se multipliaient au gré des brosses. J’ai aussi vécu une autre expérience très différente.
J’ai voulu regagner une tente où j’avais été invité par les parents à aller coucher; mais les jeunes n’ont trouvé rien d’autre à me dire que d’aller coucher ailleurs, sinon ils me casseraient la gueule, car ils ne voulaient rien savoir d’une tapette.
Je n’avais jamais fait de proposition à aucun d’eux pour la simple et bonne raison que je ne les connaissais pas. Je ne les avais jamais rencontrés. J’étais ébahi d’avoir été invité par les parents à coucher dans la tente. Ils avaient parfaitement confiance en moi ou en leurs garçons, car tous bons catholiques pensent que la sexualité est mauvaise et que le diable s’appelle sexe.
Les jeunes ont prétendu avoir eu peur en se réveillant.et de ne pas m’avoir reconnu dans leur mi sommeil. Les parents étant au courant de ce que je suis étaient probablement affligés par ce geste d’intolérance que j’ai vite oublié. C’était peut-être mieux ainsi.
Je suis parti à pied bien décidé de me rendre ainsi à Sherbrooke sur le pouce. Je me rappelle de ce moment difficile du bout de chemin qui a marqué ma vie.
En marchant, je faisais exactement comme quand je fais du pouce : je priais ou je parlais à Dieu, si on veut. Même si j’écris contre les règles religieuses quant à la sexualité, je crois très profondément en Dieu.
Prier est une habitude que je n’ai jamais perdue, même si je ne pratique plus. C’est une sensation de dialogue intense, comme rencontrer un extraterrestre et se parler par télépathie. Je ressens la présence d’une force quand je m’adresse à Dieu. Quelle est-elle? Je ne sais pas. Est-ce l’inconscient? Une force extérieure? Qui peut répondre? Je la sens, c’est tout.
J’essayais de lui démontrer que les hommes de pouvoir ne méritent pas grand respect avec leur violence. Je lui criais de tous mes poumons ma révolte contre la guerre au Vietnam.
- Comment peux-tu prétendre que tu existes, que tu aimes les humains, quand tu les laisses se déchirer entre eux? Pourquoi laisses-tu des enfants se faire tuer? Pourquoi ne pourrais-je pas en adopter un ou deux, je serais sûrement mieux intentionné à leur égard. Est-ce que leur chasteté est si importante qu’ils doivent vivre dans la misère plutôt qu’être à mes côtés? C’est de la folie pure, criais-je à Dieu.
Certains diront que je n’ai jamais eu de réponse. Au contraire, j’ai ressenti soudainement le sentiment que si Dieu existe et respecte vraiment la liberté de l’homme, il ne peut pas intervenir. La conscience humaine est aussi question de mémoire, de liberté dans le sens d’avoir le droit de choisir son destin et son éducation. La vie est un hasard organisé, comme le dit Albert Einstein. Cette fois, c’était différent. Je me sentais plus révolté contre la guerre. Je reprochais à Dieu de ne rien faire. Je ne voulais pas dormir, mais crier ma révolte contre l’homophobie humaine.
J’ai eu ma réponse divine, si on veut, plus de dix ans plus tard.
Je venais de me faire violer par un bonhomme qui m’avait embarqué sur le pouce. Je ne voulais plus coucher dans ma tente de peur que ça recommence. On est toujours traumatisé quand on est violé. Je me suis donc loué une chambre dans une auberge gouvernementale en Ontario. J’ai rencontré à cette occasion un petit Vietnamien, un petit boat people, de qui je suis tombé amoureux. Nous avons joué ensemble. Nous sommes allés nous baigner. Je le portais sans cesse sur mes épaules.
J’ai voulu lui acheter une crème glacée, mais il ne parlait ni français, ni anglais. Je lui disais des « Si. Si. Good ! Good! », en faisant semblant de lécher le cornet pour qu’il comprenne. Et alors, pour aucune raison inconnue, je me suis rappelé exactement les paroles d’injures que j’adressais à Dieu entre Scotstown et Sherbrooke. J’ai ressenti que Dieu venait de répondre à ma colère. Il me donnait le petit gars que je lui avais demandé.
J’étais profondément bouleversé. Dieu répondait à mes invectives en me permettant de rencontrer un petit gars du Vietnam. Un jeune qui avait miraculeusement échappé à la mort. Ce jeune est devenu le premier garçon que j’ai voulu et tenté d’adopter.
J’y voyais une confirmation que je n’étais pas un pourri aux yeux de Dieu parce que je suis pédéraste. Dieu est probablement plus humain que les humains.
24
Le révolutionnaire
Revenons à nos moutons.
Pour les patrons au journal, j’étais devenu fou, pas parlable.
Le président me disait être en avant de mon temps dans ma manière d’être journaliste alors que les autres me demandaient comment un soldat peut être le seul à avoir le bon pas dans un régiment.
J’étais très fier des résultats de mes luttes et de mes interventions pour l’Estrie. Il n’était pas question de m’enfler la tête, mais de reconnaître mon petit grain de sel dans l’amélioration de la situation. J’évaluais les millions que le fédéral ou le provincial investissait dans la région après mes interventions comme journaliste.
Dire qu’au début, le gouvernement fédéral ne savait même pas qu’on existait.
J’étais pour la population ou du moins ceux qui la dirigeaient un malade mental, j’imagine, mais au moins j’étais un fou payant. Quand je prenais un projet, le gouvernement fédéral avait intérêt à s’en occuper.
Sur le plan politique, les actions des libéraux avaient comme but ou du moins comme résultat de faire douter ceux qui étaient aussi fanatiques que moi de mon authenticité.
J’appréhendais le moment où je serai forcé de prouver que je ne suis pas qu’une grande gueule. J’avais beau être fou, pour moi, la violence gratuite est un signe de faiblesse mentale. Tu es violent quand tu te sens écrasé, impuissant, quand tu veux dominer et que tu n’es pas assez intelligent pour être tolérant. Mais, un bonhomme doit avoir le courage de se défendre.
Les jeunes s’informaient de plus en plus sur le FLQ. Rien ne m’empêchait de dire ce qui me semblait être vrai; mais j’étais de plus en plus coincé. En fait, ce fut ma pire erreur. J’aurais dû laisser tomber mon orgueil qui se définissait à partir de ma mission qui en fait n’existait que dans ma tête pour avouer tout bonnement que je ne connaissais rien au FLQ. Ce n’est pas tout que de l’admirer, d’être prêt à y collaborer, il faut aussi en être membre et cela n’est jamais arrivé.
J’étais pourtant considéré comme un felquiste. Ce n’était pas le felquiste qui pose des bombes, mais celui qui est prêt à mourir pour faire sortir la Vérité et défendre d’abord et avant tout les intérêts de la population. Que ça passe par l’amourajoie ou la haine de la pauvreté ne change rien. Je combattais pour la noble cause de la justice sociale. Ainsi, je me sentais pris entre la police et les mouvements révolutionnaires.
C’était une peur quotidienne que j’essayais de surmonter en me rappelant la noblesse des intentions. Que ce fut équilibré ou non ne m’est jamais venu à l’idée. J’ignorais tout de la vraie force de l’un et de l’autre; mais j’étais persuadé que pour leurs intérêts ils n’hésiteraient pas à me faire quitter l’espace-temps.
Ma peur d’être kidnappé et assassiné parce que je refusais de me joindre à la violence et ainsi devenir un traître aux yeux des autres hantait mon inconscient. J’avais peur de nuire au FLQ.
Sur le plan émotif, je faisais des flammèches. Je devais me battre contre une machine drôlement plus puissante que moi.
Souvent les autorités essayaient de m’influencer en parsemant les rumeurs et les insinuations. Pire, un psychiatre me disait être un schizophrène paranoïde. C’était assez facile comme verdict, car amourajeux tu vis en dehors de la réalité sociale et tu t’identifies à un petit garçon dans un corps adulte. Tu sens que tu ne corresponds pas à ce que le système attend de toi. Tes valeurs sont aux antipodes. Je ne sais pas si ce médecin du cerveau était aussi ou plus fou que moi.
De temps en temps, des maires ou autres dirigeants économiques se plaisaient à me dire en farce que j’étais comme le Christ, mort à mon âge. Cela n’avait rien de très rassurant; mais c’était de bonne politique, car je leur faisais peur aussi en étant radical. Comme les bérets blancs plus j’étais écrasé, persécuté, plus je croyais dans ma mission. Plus je devenais fanatique, plus j’avais une peur à surmonter ce qui me radicalisait encore plus.
Parfois l’entêtement de la Tribune à me voir partout et toujours comme un révolutionnaire leur joua des tours.
Je travaillais sur un papier concernant une rumeur de nouvelle taxe entre le Québec et les États-Unis.. Les patrons tremblaient à l’idée que cela puisse se traduire dans la politique québécoise. Ils m’empêchèrent de téléphoner à Washington. Conséquence, dix jours plus tard, Nixon annonçait un nouveau programme presque en tout point conforme à ce que je voulais publier.
La Tribune de Sherbrooke venait de rater un « scoop » international. En journalisme, c’est une faute impardonnable.
À ma connaissance, jamais les patrons n’ont mis ma compétence en doute. Il fallait juste essayer de me calmer un peu les nerfs. Je reconnais aujourd’hui que je n’étais pas un cadeau. Je suis allergique à la censure. Tant qu’on respecte la vie individuelle des autres et que l’on ne prêche pas la violence, on a le droit de tout dire. Ça ne veut pas dire qu’on sera cru.
La censure est le poison de la vérité, une paralysie de la démocratie, un paralysant pour le cerveau. Les gens sont assez intelligents pour savoir choisir dans le lot d’informations qu’ils reçoivent.
Quand Daniel Johnson père s’était rendu à la Manic, la Tribune y avait délégué M. O’Neill pour le récompenser de son travail après avoir hésité quant à m’y envoyer. Les patrons le regrettèrent quand la mort de M. Johnson fut annoncée. Ils prétendaient en farce que je si j’y avais été, les informations seraient arrivées plus vite et plus complètes. « Il aurait annoncé la mort de Johnson avant même que ça arrive », disait-on.
Cela ne les empêcha pas de me refuser un reportage de deux semaines à Cap Kennedy et Houston, même si j’avais déjà obtenu l’autorisation de Washington et reçu ma carte de journaliste visiteur.
C’était une époque fortement troublée. Il y avait même eu un attentat à la Tribune. Je me rappelle avoir entendu un des patrons dire : « Un fou a mis le feu, mais il n’était pas assez fou, il l’a éteint.»
Ma réputation de révolutionnaire a pris des proportions alarmantes. C’est ainsi que la Sûreté du Québec enquêtait à tout moment, là, où j’étais passé. Le cas le plus exemplaire fut celui de Scotstown.