Un sourire venu d’enfer.
Un sourire venu d’enfer 5
Autobiographie approximative
La crise a pris de l’ampleur. Micheline s’identifiait, sans avoir tort, à Esther, un personnage de L’Homo-vicièr qui présage des luttes des mouvements de libération de la femme. La femme qui, sous prétexte d’égalité, veut dominer dans le couple, non plus en cachant son jeu comme elle l’a toujours fait, mais ouvertement, sans artifice. C’est ce que je croyais à l’image de ce que voyais.
Ce fut une période très riche d’échange de lettres d’amour. Finalement, elle me reprochait d’être trop cochon parce qu’à force de me faire agacer : elle aurait pu me passer à travers un mur pour me sentir bandé en dansant, ce qui arrivait moins souvent que je l’aurais souhaité, mais qui m’amenait à vouloir lui poigner les seins et mettre sa main dans mes culottes. Je ne comprenais pas ce oui qui se transformait soudain en non.
Chaque fois, cela la scandalisait, mais chaque fois j’y décelais un désir qui était bien celui d’une victime qui se cherche un bourreau. Bien agréable le bourreau à petite matraque. Même si on en a parlé, la situation se reproduisait comme si c’était un automatisme. Je croyais qu’elle adorait ces situations, mais les repoussait pour obéir à la morale qu’elle avait apprise.
Plutôt que nous apprendre à contrôler nos désirs sexuels, on préfère ne pas en parler parce qu’on les craint, d’où notre incapacité d’avoir un équilibre émotif…
Mon professeur de sociologie fit la connaissance de Micheline. Une fois, sous prétexte de connaître mes réactions, il lui fit croire que je m’étais suicidé de chagrin par sa faute. La pauvre fille n’en a pas dormi de la nuit.
La rupture était inévitable, j’étais trop cochon, trop chaud, et je ne comprenais pas pourquoi cette invasion des remords de conscience, fruit de notre ignorance de la nature humaine. Pourquoi devenir fou pour des gestes somme tout très agréables? Quel danger y a-t-il à se caresser?
À cette époque, si je l’avais mis enceinte, je l’aurais mariée. Je crois même qu’on se serait beaucoup aimé, car le sexe était tout ce qui nous séparait. Et marié, cela n’aurait plus été un problème. Il devrait y avoir une loi garantissant que tout gars qui met une fille enceinte se doive de l’aider à élever l’enfant, soit en la mariant, soit en lui versant une pension jusqu’à ce que l’enfant ait atteint sa majorité ou la fin de son secondaire. Ainsi, on aurait plus besoin de l’avortement.
Vers la fin de l’année, j’ai publié deux autres textes dans Le Garnier, soit le journal des étudiants des Jésuites.
Le premier affirmait que les enfants ne doivent rien à leurs parents puisque l’Amour est gratuit.
Ce fut au tour des professeurs de morale et de philosophie de faire l’apologie de ma folie dans leurs classes. Dans l’autre texte, je dénonçais la prison, tout en faisant connaître mon amour des garçons.
Les Jésuites n’ont pas tenu le coup. J’eus le choix entre payer tout de suite ou ne pas pouvoir me présenter aux examens de fin d’année. Une façon de me renvoyer, car ils savaient très bien que je n’avais pas d’argent… C’était un noble moyen pour me forcer à débarrasser le plancher. Et, une bonne justification, si je devais tenter une nouvelle action susceptible d’intéresser les journaux.
Mon professeur de sociologie me reprocha d’avoir abandonné la lutte : « un type de ton intelligence n’a pas le droit de laisser tomber. » Le professeur venait de découvrir les événements de mai 1968, en France, et le souffle de la nouvelle révolution sexuelle annoncée en Californie. Puisque j’avais exprimé ces idées quelques mois auparavant, j’étais devenu pour les étudiants un héros ou tout au moins un prophète. C’était trop tard. Ma décision était prise. Je me servirais de ma bourse d’études pour publier mon premier livre.
J’ai travaillé à la publication d’Hymne à l’amour, le vice et la révolte et tout au long de l’année, j’ai pondu L’Homo-vicièr.
À ce point de vue, ma rencontre avec Micheline a été très profitable. Une fois, par semaine, nous nous rendions danser, mettre notre émotivité en danger. Nous cherchions tous les moyens pour entrer en transe et dès que nous le pouvions, nous nous faisions part de nos découvertes, en vue de nous en servir dans nos écrits. Malgré nos chicanes, ces soirées étaient consacrées au rire et à l’ironie. Elle était très intelligente et mon admiration pour elle me la rendait vraiment très attachante. Pourquoi quand nous sommes jeunes ne nous apprend-on pas qu’il est normal d’avoir la libido forte? On préfère la censure et l’hypocrisie… une société de moutons… On oublie que ceux qui ont créé les règles de la civilisation actuelle vivaient dans un tout autre contexte. Mais, c’est plus facile de ne pas les remettre en cause.
Une année plus tard, je rêvais encore à Daniel. Aussi, avais-je pensé qu’en publiant Hymne à l’amour, le vice et la révolte, la police ferait enquête afin de me condamner. Au moins au procès, je pourrais le voir ne serait-ce que quelques minutes, le temps qu’il témoigne contre moi. J’étais prêt à faire cinq ans de prison pour le revoir une minute. La folie ne porte pas qu’à tuer. L’amour est un besoin tellement essentiel. En être privé peut nous déranger les méninges.
Mon livre de poésie ne connut pas le succès escompté. Les critiques littéraires étaient unanimes « je n’ai pas de talent».
« Plus équivoque et pas très prometteur s’annonce le recueil difficile à nommer et à décrire de Jean Simoneau… Enfin, Jean Simoneau nous promet une œuvre fort abondante et nous prie, sur un feuillet publicitaire, de commander vivement,
car le nombre est restreint. Comme M. Simoneau est étudiant, il s’agit peut-être d’une farce, après tout! » (Suzanne Paradis, Livres et auteurs canadiens 1968, p.114).
Villon faisait aussi des farces d’étudiants et il fut pendu.
Dans le journal Le Devoir, Jean-Éthier Blais affirma que même si je n’ai pas de talent, je devais être un étudiant agréable à rencontrer à la taverne. Je sais maintenant pourquoi il parlait ainsi. Ce n’était pas pour mon talent d’écrivain, mais mon apostrophe entre les deux jambes qui l’intéressait sans doute.
Dans le milieu littéraire de Québec, ce livre m’a valu toutes les foudres possibles. Personne ne voulait plus me parler. Scandalisé par son contenu amourajeux, on digérait encore moins mes dédicaces. On les interprétait tout de travers, comme si j’avais couché avec tous ceux à qui je dédiais un texte. Le Québec niaiseux s’agitait.
Écrire un livre t’immortalise, car, tu laisses une trace après ta mort. Aussi, pour moi, une dédicace c’était la plus grande preuve d’amour, c’était offrir mon cœur et mon âme pour rendre cette personne immortelle à travers moi. Mon livre en était parsemé. Chez moi, on me fit remarquer un oubli terrible. J’avais oublié d’en dédicacer un à mon frère Serge. Cela me peinait beaucoup. Comment peut-on faire un oubli aussi stupide?
De guerre lasse, je suis retourné à Barnston. J’en ai profité pour descendre de la Vieille Capitale avec le député libéral Georges Vaillancourt, car, de toute façon, il se rendait à Coaticook. M. Vaillancourt me conseilla de me présenter à La Tribune de Sherbrooke, où l’on cherchait un bon journaliste. J’ai été réengagé pour une troisième fois, les patrons ayant déjà entrepris des démarches afin de me localiser et m’embaucher.
7
Congrès du parti libéral.
Sur le plan politique, je n’avais pas évolué, sauf, dans le sens, de l’écœurement total.
D’abord, dans une assemblée libérale, un ex-ministre était venu promettre qu’en reprenant le pouvoir les libéraux créeraient un ministère dont la lutte au patronage serait la fonction véritable. Un autre nous informa de la guerre Lesage-Lévesque, en présentant René Lévesque comme le pire des communistes.
Je n’avais rien compris avant le congrès des jeunesses libérales où j’ai été informé du projet d’Indépendance du Québec de René Lévesque. J’étais plus préoccupé par mon projet visant à nettoyer les mœurs politiques.
J’ai pris position pour une espèce de troisième voie, présentée par M. Paul Gérin-Lajoie (des états associés, si je me rappelle bien) projet qui m’apparaît encore aujourd’hui comme étant très autonomiste, sans en porter le nom.
J’étais délégué au congrès des adultes, mais je n’avais pas les sous nécessaires pour y participer. L’équipe de Jean Lesage m’offrit de payer à la condition de voter contre René Lévesque. J’ai refusé. Je me suis présenté au clan de Lévesque afin d’avoir le financement nécessaire, tout en leur disant que j’avais déjà voté contre le projet de leur chef et que je ne changerais probablement pas d’idée par ce simple soutien financier. Malgré ma franchise, ils acceptèrent.
Le congrès était complètement paqueté. Les libéraux avaient sorti tous les petits vieux des hospices pour venir battre le communiste Lévesque.
Le projet constitutionnel d’états associés fut rejeté. Nous n’avions plus que le choix entre le statu quo et l’option indépendantiste. Quand je me suis présenté au microphone, tout le monde écoutait. J’étais jeune et, venant de Limoilou, je ne pouvais être que du bon bord.
« Entre un statu quo qui ne va pas assez loin dans les réformes souhaitées, qui nous étouffe et une option qui m’apparaît comme allant trop loin, je ne peux que choisir d’aller le plus loin possible, dans l’intérêt du Québec. Pour cette raison, je voterai favorablement au projet de René Lévesque.»
Les protestations fusèrent de partout. Les délégués de comté m’ont aussi vite désigné comme « un traitre ». Ils prétendaient même que j’avais infiltré le parti pour appuyer l’indépendance. Ce qui était absolument faux et débile. J’étais très désappointé du peu de démocratie à l’intérieur de ce congrès. Chose certaine, je n’étais pas genre à appuyer les propositions visant à augmenter le patronage.
Je suis allé manger seul, réfléchissant à ce que je devais faire. Lévesque s’était déjà exclu du parti. Ses partisans avaient quitté la salle.
De retour au congrès, le soir, je suis allé dire à peu près ceci à l’assistance : « Il est évident que j’ai perdu toute crédibilité. Je ne crois plus représenter dorénavant les vœux des membres de mon comté et, par conséquent, je démissionne de la présidence des Jeunes libéraux de Limoilou. Cependant, je considère qu’il est urgent, comme le disait M. Lesage, de s’occuper du pain et du beurre et à ce chapitre, je crois, qu’il me sera possible de mieux servir le Québec en demeurant dans le parti. Il faut s’unir et reprendre le pouvoir.»
Espèce de cave! J’espérais toujours que mon projet de nettoyage des mœurs politiques, référé à un comité d’étude, puisse un jour aboutir à des actions concrètes.
J’ai eu droit à la seule ovation debout de toute ma vie. Les gens me tendaient la main de chaque côté des rangs comme si j’avais été le chef de ce parti. Kierans et Lesage me donnèrent l’accolade.
Je savais pourtant au fond de moi-même qu’il n’était plus question pour moi de continuer dans la politique active : la foi venait de tomber pour très longtemps. La blessure était profonde. Je ne croyais plus dans la démocratie.
J’ai écouté les discours. J’ai eu presque mal au cœur d’entendre Pierre Laporte vanter le fédéral. C’était à se demander ce qu’il faisait au Québec. On était loin du Maître chez nous des années 1962.
Aussi, suis-je entré une troisième fois à La Tribune. Je n’avais surtout pas l’intention de m’occuper de politique à nouveau. C’était, à mon avis, bien trop sale !
8
La poésie
Hymne à l’amour, le vice, la révolte produisait lentement ses fruits même si, selon mon patron Alain Guilbert, il faut un très haut taux de folie pour écrire une poésie comme la mienne.
Pour la première fois, j’ai affirmé la nécessité de mes amours illicites pour bien réaliser mon travail. Mes amours sont mon moteur. Je perçois la vie à travers elles.
« Ne vous en faites pas, à chaque fois qu’il y a du jus dans mes reportages, il y a toujours un petit gars qui me fascine derrière l’événement. Plus je suis fasciné, plus les mots viennent facilement ».
Ces amours étaient toujours platoniques, mais ils dirigeaient ma vie émotive. Ma soif de beauté et de liberté.
Cette réponse a très vite clos la discussion.
Rien n’était plus vrai. À chaque ville ou village, j’essayais de rencontrer des petits gars et de découvrir à travers eux, dans leurs yeux, les bonheurs et les malheurs des habitants de l’endroit. Si un jeune me plaisait, j’étais pris d’une espèce d’envoûtement, de frénésie, de fascination pour l’endroit. S’il me souriait, c’était l’extase. Une simple communion de regards, un léger vent dans l’âme; cette localité était gravée dans ma mémoire pour des années. J’y retournais souvent d’instinct dans le but inavoué d’apercevoir à nouveau celui qui m’avait si follement fait tourner la tête. Pourtant, je ne leur parlais jamais. Regarder leur beauté me suffisait.
À cette époque, la beauté était des noms et des visages de garçons. Une obsession sans doute absolument folle, mais non dangereuse.
La vie, c’était la vibration en voyant la beauté d’un petit corps, la sensation de communiquer la poésie vivante qui m’envahissait. La flamme du désir inassouvi qui te brûle de l’intérieur. Ma vie était une perpétuelle tentation et je n’aurais pas péché pour ne pas la perdre. La vie est le plus beau des poèmes.
Le premier poète à me critiquer sans me démolir complètement fut nul autre qu’Alfred Desrochers.
Après avoir lu Hymne à l’amour, le vice et la révolte, Desrochers me fit parvenir une note dans laquelle il disait ni ne me conseiller, ni ne me déconseiller de continuer d’écrire. J’étais fou de joie. L’hommage de cette neutralité venait de haut, mais Guilbert, mon patron immédiat, après avoir lu cette lettre, prétendit que M. Desrochers voulait rire de moi, car il avait ajouté à peu près ceci :
« Dommage que tu ne sois pas venu avant St-Denis-Garneau, t’as beaucoup plus de couilles que lui. »
Selon Guilbert, il s’agissait là d’une plaisanterie quant à mon amourajoie.
« Desrochers a voulu rire de toi. » Me dit-il.
Ce même Hymne à l’amour attira aussi l’attention (je lui avais envoyé) de celui qu’il est bien convenu d’appeler le leader littéraire régional de cette époque : Gaston Gouin.
Gouin, tout en y reconnaissant des faiblesses littéraires, trouvait très courageux d’y révéler mes amours. J’ai rencontré Gouin quelques fois. Il me fit une critique de L’Homo-vicièr et il me fit retirer près de la moitié du contenu. Nos divergences politiques refroidirent nos échanges. Il était trop radical pour moi. Gouin admettait la nécessité de la violence pour obtenir l’indépendance du
Québec alors que je m’y opposais viscéralement. Pourtant, on me raconta, que cela n’a pas empêché Gouin de choisir Hymne à l’amour, le vice, la révolte, comme lecture de chevet.