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Le temps des cauchemars.

mai 22, 2020

Le chantage

Au docteur Gay-Lemaître

La distraction, Paul connaissait ça. Pour lui, c’était une deuxième nature.  

Une fois, par exemple, il s’était rendu, en voiture, avec son épouse, au Château Frontenac, assister à un congrès sur les nouvelles méthodes de reproduction des plantes de toutes sortes. Il revint chez lui en autobus, oubliant à Québec, son épouse et sa voiture.    

Il était pratiquement devenu une légende du parfait distrait auprès de ses amis, au bureau d’agronomie où il travaillait.   

Ainsi, un samedi matin, alors qu’il se concentrait à son travail, Paul reçut un coup de téléphone étrange. Un homme dont il ne connaissait pas la voix demandait à parler à Pauline, son épouse, en visite chez sa mère depuis une semaine.

“Qui cela peut-il bien être?”, se demanda Paul, qui ne reconnaissait pas la voix. Tout le monde sait qu’elle est chez Irène et qu’elle revient… »     

Paul était traumatisé de ne pas déjà être à la gare pour y recevoir Pauline. Il avait promis d’aller la chercher au terminus, ce midi. Il en avait été convenu ainsi, se rappela-t-il. Il bénissait cet étranger, ce hasard qui venait lui rappeler l’existence de sa femme qu’il adorait pourtant…

Paul fonça au terminus de la petite localité pour y cueillir son épouse. Évidemment, elle n’y était pas puisqu’elle revenait bien jeudi midi, mais jeudi de la semaine prochaine.      

Paul serpenta la gare, s’acheta un journal, le lut au complet. Toujours pas d’épouse.   Il décida de l’appeler chez sa belle-mère pour connaître la raison de cet étrange retard, car Pauline avait la réputation d’avoir la précision d’une horloge.

Le téléphone était sans cesse occupé. Paul piaffait d’impatience, car il venait tout juste de se rappeler qu’il avait laissé le plat d’eau qu’il faisait bouillir sur la cuisinière chez lui. La peur d’un incendie le tenaillait.     

Il s’empressa de recomposer le numéro de téléphone, quand un garçon d’une douzaine d’années lui demanda un dollar.  

— S’il te plaît, monsieur, je n’ai pas mangé depuis deux jours.        

Paul sortit un dollar et le donna au garçon qui lui semblait plutôt mal pris. Il lui tendit aussi le fromage qu’il s’était apporté. Il réussit enfin à avoir la communication et apprit sa méprise. Habitué à ses bévues, il se mit à rire.

Il riait comme un fou quand il aperçut à nouveau le petit bonhomme, près des téléphones.

— Où est le morceau de fromage que je t’ai donné? Tu l’as déjà mangé ? 

— Non, j’ai pensé que vous voudriez bien venir avec moi au restaurant. Je suis seul. Et, c’est « plate » en maudit.      

Paul remarqua alors que cet enfant portait des vêtements trempés et un pantalon tout déchiré sur une cuisse.

— Tu n’as pas de parents ?     

— Bien sûr que j’en ai. Mon père devait venir me chercher hier soir et il ne s’est pas présenté. Il doit être encore saoul. Quand il se met à boire, ça peut durer des jours et s’il me voit, il ne cherche qu’à me battre.     

— Oui, mais ta mère?   

L’enfant hésita avant de lui dire qu’elle était morte.       

Pris de pitié, Paul amena l’enfant au restaurant. Profitant de sa présence, le petit Sylvain se gava jusqu’à en être malade.  

— Que feras-tu maintenant? Tu ne peux tout de même pas passer la journée ici. Veux-tu que je t’amène chez ton père?  

— Oh non! Je t’en supplie, ne fais pas ça. Amène-moi avec toi. T’as l’air gentil. Je ferai tout ce que tu voudras. Amène-moi. Je te jure, tu ne le regretteras pas. Allez! Juste deux ou trois jours. Le temps que mon père se dessaoule. Je suis certain que s’il me voit maintenant, il va me battre au sang. 

L’idée d’amener ce jeune chez lui, durant quelques jours, alors qu’il avait énormément de travail à compléter, ne lui souriait pas du tout, mais pas du tout. Par contre, Sylvain était tellement attachant… pourquoi courir le risque de le laisser entre les mains d’un monstre, même si c’est son père? C’est de la misère assurée…

« Il pourrait sans doute m’aider », pensa le bon samaritain. Paul avait trop de respect pour les enfants pour ne pas intervenir afin d’empêcher cette injustice.

— C’est d’accord. Tu m’aideras à replanter mes fleurs et je te paierai. Disons le salaire minimum. Quand le temps viendra, que tu seras certain que ton père ne sera plus ivre, je te ramènerai au terminus pour qu’il puisse venir te chercher…     

Sylvain était fou de joie. Juste voir sa figure rayonnante valait bien quelques petits sacrifices. « De plus, je serai moins seul durant l’absence de Pauline… », pensa Paul.        

  

Dès leur arrivée à la maison, Paul se précipita vers la cuisinière. Heureusement, dans sa distraction, il avait oublié d’allumer le rond du poêle.
— Paul, est-ce que je peux me reposer, avant de t’aider? Je suis tellement fatigué, demanda le jeune garçon.       

Paul se sentit un peu niaiseux et coupable de ne pas y avoir pensé plus vite. Il jeta un oeil sur le gamin et s’aperçut que non seulement son pantalon était déchiré, mais Sylvain était affreusement sale.  

— C’est une très bonne idée. Mais, tu dois prendre un bain auparavant.   

Paul se rendit à la salle de bains et fit couler l’eau.        

Le bain n’était pas encore rempli que Sylvain s’amena. Sans forme de scrupule, plutôt même en posant un peu, il se dévêtit devant Paul, surtout préoccupé à vérifier la chaleur de l’eau. Paul fut étonné. On aurait dit que Sylvain voulait attirer l’attention. Paul pensa qu’il était trop scrupuleux… comme son éducation l’avait si bien modelé.    

— Qu’as-tu à la cuisse? demanda Paul, ahuri de voir une si longue cicatrice et le sang séché tout autour.       

— Ce n’est rien. Je me suis blessé en sautant une clôture.       

Paul ne le crut pas et Sylvain s’en aperçut. 

—… En me sauvant pour échapper aux coups de mon père. 

Paul était fier de secourir une si jeune victime.    

Paul prit des médicaments et commença à soigner la cuisse de Sylvain essayant de ne pas trop montrer qu’il voyait bien que le garçon bandait. Paul eut l’impression que le petit non seulement aimait se faire soigner. Il s’empressa de chasser cette idée, se disant que de telles cochonneries ne peuvent germer que dans la tête des adultes.        

— N’empêche que de toute évidence, Sylvain adore ça, pensa Paul. Il était surpris des tentatives de Sylvain pour lui faire dévier les mains ailleurs que sur la cuisse. 

« Ce sont des idées que je me fais. Il ne s’en aperçoit même pas. C’est probablement parce que ça chauffe trop qu’il me pousse ainsi la main », crut Paul. 

Paul n’était pas sitôt sorti de la salle de bains, pour permettre au petit de se laver, que Sylvain trouva une nouvelle excuse afin de le ramener près de lui.

— Je ne peux pas me laver seul. Ma blessure me fait trop mal et si je m’assois dans l’eau, il n’y aura plus d’onguent.      

Paul comprit sa méprise. Il aurait dû nettoyer, puis attendre que le garçon ait pris son bain, avant de fixer les pansements.

Impatient de commencer à travailler, Paul se rendit près de Sylvain qui lui saisit la main et la déposa sur son sexe qui s’amusait à faire sursauter sur son ventre, à travers des éclats de rire. 

Cette fois, il était impossible de nier l’évidence. Paul comprenait mal ce désir sexuel, d’autant plus qu’il avait toujours cru les enfants « innocents». 

— Crosse-moi ou mange-moi, ce serait même encore mieux! 

Paul enleva la main, ne pouvant plus douter des intentions de son jeune protégé. Il s’éloigna, un peu en colère.      

— Ne t’en va pas. C’était une farce. Tu n’aimes pas ça rire? Il n’y a rien de mal là. Je ne recommencerai plus. Souris!, répliqua Sylvain, devant la réaction de Paul.  

Paul céda à nouveau. Même s’il ne voulait pas se l’avouer, Paul était hypnotisé par la beauté de Sylvain, par la douceur de sa peau, la senteur de ses cheveux et l’envoûtement de son rire. Il était peut-être diabolique, mais quel beau démon?

Il lui lava le dos, et prétextant avoir oublié de l’eau sur le feu pour retourner à la cuisine, Paul s’éloigna.    

— Le reste, tu peux très bien le faire tout seul.    

Paul s’était mis à la lecture d’un journal quand Sylvain fit son apparition dans la cuisine, toujours nu comme un ver.         

Paul fut surpris que Sylvain soit encore bandé. Un exploit qu’il ne pouvait plus réussir depuis des années.         

« Ce doit être le pouvoir de la jeunesse. », se dit-il.      
— Prends-moi dans tes bras pour m’apporter dans mon lit. J’aurais tellement aimé que mon père m’amène dans ses bras. 

— Quel caprice!, s’exclama Paul. T’es vraiment un vrai bébé pourri gâté. 

Mais il s’y plia, sans trop comprendre pourquoi. Il se sentait incapable de refuser quoique ce soit à cet enfant.  

Paul fut troublé par le contact de la chair nue dans ses bras. Ce devait être son éternel désir d’avoir un enfant qui lui procurait cette jouissance.

« Ça coûte vraiment si peu cher de rendre un enfant heureux », se dit-il, pendant que Sylvain le prenait par le cou et l’embrassait.      

Paul en avait le cœur à l’envers. « Ce jeune manque affreusement d’affection», pensa-t-il.

« Pourquoi des parents mettent-ils au monde des enfants, s’ils ne peuvent pas leur manifester de l’amour? Serait-ce que le monde est rendu assez fou pour qu’un baiser et une caresse soient interprétés comme des gestes sexuels, voire incestueux? »

Il se rappela tous les efforts que lui et Pauline avaient faits pour engendrer un de ces petits êtres qui font aussi bien votre bonheur que votre enfer. Toutes les démarches infructueuses pour adopter un enfant… les coûts exorbitants pour créer le bonheur d’un enfant qui autrement ne connaîtra que la misère. 

Paul portait Sylvain, non seulement avec fierté, mais comme si c’eut été le plus précieux cadeau de la nature. Même si Sylvain était agaçant avec ses désirs sexuels, Paul adorait déjà, cet enfant.        

Sylvain s’étendit sur le lit. Tout sourire, il porta la main à son sexe. Frondeur, il avait étendu la main sur sa bourse, pendant qu’avec le bout des doigts, il massait le bas de son petit sexe, toujours raide comme de l’acier. Même si Paul était profondément bouleversé par la beauté angélique de Sylvain, sa morale n’approuvait nullement cette masturbation. Pourquoi? Comme tout le monde, il ne le savait pas, mais il acceptait sans réfléchir cet interdit. « C’est mal, voilà tout, même si c’est stupide, c’est mal. Ç’a toujours été ainsi. »  La religion probablement…

« Il doit bien avoir un défaut… », pensa-t-il.                 

Il se hâta de quitter la chambre, mais il n’avait pas commencé à travailler que Sylvain était revenu le retrouver en bobettes, comme si rien ne s’était passé. Il s’assied et regarda Paul s’affairer dans ses livres. Puis, il embrassa Paul et s’en retourna dans sa chambre. On aurait dit qu’il avait perdu une bataille.      

Les trois jours en présence de Sylvain furent trois jours de paradis. Sylvain avait mis ses tentatives de séduction de côté et jamais Paul n’avait autant ri, autant joué, autant raconté d’histoires. Paul n’avait jamais été aussi heureux parce que, grâce à ce petit gars, il revivait, à travers lui, sa propre enfance. Paul était fasciné par la possibilité de retrouver sa «réalité profonde de gamin», à travers le besoin de faire plaisir à Sylvain. Il s’est même livré à des jeux de cache-cache, se rappelant la première fois qu’il avait embrassé Nicole, dans une garde-robe et toute la fierté qu’il en avait ressentie.    

Peu de travail était accompli, mais la vie avait enfin un sens. Paul finit par adorer Sylvain autant que Sylvain l’adorait. C’était l’amour fougueux, sans le lit. Une relation bien différente de celle qu’il entretenait avec Pauline. Sa vie de couple avec Pauline était tout ce qu’il y a de plus convenable, mais qui ne procurait définitivement pas le piquant, la joie de vivre qu’il ressentait présentement avec Sylvain. Une amitié presque une adoration.        

— Une telle relation est-elle éphémère? Serais-je devenu gai? se demanda-t-il.  

Paul et Sylvain étaient pleinement parfaitement heureux comme quand deux jeunes garçons s’amusent ensemble. « Le jeu crée le bien-être. La fiction d’un couple hors-norme, qui n’a rien à voir avec la réalité hétérosexuelle vécue de nos jours. Les deux quand ils sont mêlés inventent la transcendance, comme si l’imagination dans le réalisme du jeu permettait d’oublier les inconvénients de la vie. Est-ce la même joie qu’un père qui se voit dans le miroir de l’âme de son petit gars? », se demanda Paul.        

Paul décida de proposer à Pauline d’adopter cet enfant, si sa famille l’acceptait, car il n’était pas orphelin de toute évidence. Est-ce que son père accepterait? En échange de boissons peut-être? Les alcooliques vendraient leur mère pour avoir de la boisson…     

Malheureusement, le temps était venu de retourner à la gare chercher Pauline et probablement de se séparer à jamais du petit. Sylvain avait rejoint son père au téléphone et iI avertit Paul que son père avait retrouvé ses sens…

Paul et Sylvain avaient le cœur gros. Il s’était créé un lien tellement riche entre eux qu’ils croyaient que même leur séparation inévitable n’arriverait jamais. Rien ne pourrait, quoiqu’il arrive, leur faire oublier ces trois jours de parfait bonheur. C’est, du moins, ce que pensait Paul.   

Pour bien alimenter ces derniers moments, Paul décida de ramener Sylvain au même restaurant qu’à leur première rencontre. Désir un peu romantique… bien partagé.

Paul donna cent dollars à Sylvain pour les travaux accomplis durant son séjour avec lui, à la maison. C’était sûrement bien au-delà de ce que méritait Sylvain, mais c’était une façon de le récompenser pour la joie qu’il lui avait fait connaître.  

— Avec cela, tu pourras prendre l’autobus pour retourner chez toi, dit-il, en souriant, avant de commander un repas à chacun.        

Ils mangeaient encore quand un policier se présenta à leur table.      

Sans même sembler remarquer la présence de Paul, le policier, une photo à la main, demanda à Sylvain s’il était bien « ce garçon-là ». Sylvain répondit par l’affirmative. C’était évident.      

Paul assistait à la scène, se disant que toute cette affaire finissait bien, car Sylvain, accompagné d’un policier, n’aurait pas à craindre les coups de son père, lors de son retour.    

À la demande du policier, Paul quitta la table et se rendit à l’auto-patrouille où il prit place sur le siège arrière, pendant qu’un autre policier venait chercher Sylvain pour le ramener à la maison.        

L’officier demanda à Sylvain, avant de partir, s’il était en compagnie de Paul. La confirmation n’était pas encore obtenue que le policier demanda à l’enfant depuis quand ils étaient ensemble, depuis quand ils se connaissaient, si Paul l’avait séquestré, touché, agressé.        

Le questionnaire s’adressa immédiatement après à Paul qui était intimidé. Il sentait une forme d’accusation dans le ton de la voix du policier. Il se sentait accusé d’une perversion qu’il n’avait pas. Il ne ferait pas de mal à une mouche, encore moins à un enfant, quoiqu’une relation sexuelle chez les garçons apporte le bonheur et non l’inverse. Paul savait qu’il n’avait rien fait de mal, ce qui le rendait encore plus mal à l’aise. Où voulait-on en venir?
L’officier en conclut qu’il s’agissait bien d’un cas d’enlèvement, de séquestration, ou du moins, d’assistance à une fugue. Il mit Paul en état d’arrestation parce qu’au mieux il avait aidé un délinquant à fuir son foyer… mais il y voyait déjà un cas d’agression sexuelle… un réflexe normal de policier…        

Paul sursauta de surprise et de colère.        

— Mais que dites-vous là? répliqua-t-il, comme s’il n’avait pas compris ce qu’on lui disait ou plutôt comme s’il n’en croyait pas ses oreilles.     

— La ferme! Mon hostie de tapette! 

Paul était vraiment insulté. Il n’avait jamais eu la moindre tendance gaie.  

— Monsieur l’agent, c’est une monstrueuse erreur.       

— Aie toué, mon tabarnak, je ne t’ai pas sonné, kâliss de christ! Quand je voudrai une pipe, hostie, je t’appellerai…   

Paul était décontenancé par la vulgarité du policier. Est-il possible que de tels porcs représentent la loi?   

Le policier le força à l’accompagner au poste de police où il fut interrogé durant des heures.  

Paul répéta inlassablement l’histoire inhabituelle de cette rencontre, mais il ne put expliquer pourquoi il n’avait pas appelé la police. Cela ne lui avait pas paru nécessaire. Point.   Le jeune était en pleine sécurité avec lui, il n’était pas battu par son père… et sans le dire, il pensa : et Sylvain était assez heureux et en sécurité pour justifier cette décision.       

Paul demanda la permission d’appeler son épouse.       

Il tenta, malgré sa nervosité, de se rappeler le numéro de téléphone de sa belle-mère pour la rejoindre. Inutile. Sa mémoire énervée n’arrivait plus à fonctionner.

Les policiers interprétèrent ce fait comme un nouveau moyen de dissimuler son homosexualité. Qui oublie ainsi le numéro de téléphone permettant de rejoindre son conjoint?  

Paul était vraiment excédé par l’obsession des policiers à vouloir lui faire avouer qu’il avait entraîné Sylvain dans une aventure sexuelle.       

« Pourquoi ne s’occupe-t-il pas à soigner leur propre phantasme qui empêche un adulte de fréquenter un jeune sans y imaginer une relation sexuelle, de la violence, de l’abus? Pourquoi défendre une morale aussi malade et répressive? » 

Après quelques nouvelles tentatives de téléphone infructueuses pour joindre Pauline, les policiers conclurent que Paul tentait de leur monter un bateau.   

Paul avait hâte que finisse cette sinistre farce. Mais, plus le temps passait, plus il sentait que les policiers voulaient lui faire admettre à tout prix un crime qu’il n’avait pas commis.      

Paul était consterné. Les policiers mettaient plus d’ardeur à lui faire avouer qu’il avait eu des relations sexuelles avec Sylvain qu’à trouver le côté positif de cette rencontre. Cela n’aurait pas été pire, s’il l’avait tué. C’est comme ça qu’on le remerciait d’avoir empêché un enfant d’être battu par son père. Un peu de sexe, c’est plus traumatisant que de se faire battre? Il faut vraiment être rendu débile pour penser ainsi.         

De plus en plus irrité par l’obsession des policiers, Paul prit conscience pour la première fois de la dimension maladive qu’ont les autorités à protéger la sexualité des enfants. Une paranoïa.     

Il se rappela une conversation avec un ami missionnaire, le Père Conrad, qui l’avait jadis bien scandalisé, car celui-ci, en lui avouant son amour pour les petits gars, prétendait que la morale sexuelle est non seulement une préoccupation bourgeoise, mais encore pire : une bibitte religieuse. Une invention pour profiter de la mauvaise estime de soi pour manipuler les consciences. Un mal qu’on t’enfonce dans la conscience alors même que t’es trop jeune pour porter ton propre jugement. Une peur pire qu’une allergie ou un cancer.  

— « Il est anormal, soutenait le Père Conrad, qu’alors que des enfants meurent de faim dans un pays sous-développé, les organismes d’aide humanitaire ne pensent qu’à combattre la prostitution. Une obsession de religieux frustrés. C’est d’autant plus fou que ce phénomène a pris une telle ampleur qu’avec, et seulement, l’avènement de la prostitution mâle… Pourtant, s’il est une prostitution qui ne porte en soi, outre les maladies vénériennes, aucun danger, c’est bien celle de la prostitution mâle. Un garçon, ça bande, ça jouit, ça éjacule et ça débande. Ce n’est dégradant puisqu’il apprend à admirer la beauté de son corps et à en jouir pour survivre. Tu sais, te faire sucer, ça ne fait pas mal. Bien au contraire, c’est extrêmement jouissant. Se faire admirer autant par un mâle que par une femelle, c’est aussi valorisant. C’est possiblement la seule tendresse que connaissent ces enfants, victimes de la misère économique. Il n’y a que les féminounes qui soient assez folles pour prétendre que se faire “cruiser”, c’est une forme de harcèlement. Avoir l’esprit obtus, ça se cultive. Voir du mal partout, c’est un signe de déséquilibre. C’est une paranoïa.  

— La prostitution, ce n’est pas pire que les femmes qui se cherchent un mari pour se faire vivre par lui toute leur vie par lui. Un modèle est accepté, l’autre pas. C’est simplement un peu moins hypocrite. Qui a sacralisé le mariage? L’important, c’est l’amour.     

— Leur innocence? Quelle foutaise! Ce sont souvent les jeunes qui provoquent. Quels jeunes ne se crossent pas? C’est le sport favori de l’adolescence. Ils ne perçoivent pas du tout la sexualité comme les adultes.   Pourquoi faut-il non seulement cacher cette réalité, mais exiger que ce soit nécessairement un plaisir solitaire? Ces relations permettent d’assouvir une curiosité très saine, mais les adultes craignent que les jeunes aiment trop ça et que ces expériences les amènent à vivre gais. Si les jeunes ont droit à leur sexualité, pourquoi n’ont-ils pas droit aux expériences sexuelles qui leur permettront de choisir leur orientation sexuelle en toute connaissance de cause? Belle hypocrisie! Morale de Tartuffe!        

Paul, férocement opposé à toute forme de prostitution, s’était efforcé de faire valoir que ce milieu est malsain pour les jeunes, que ces relations ne pouvaient rien leur apporter de bon.             

— “Le sexe, c’est sacré. Ça ne doit servir qu’à la procréation.”, croyait-il vraiment. 

— Qui en a décidé ainsi? Pourquoi? Tout dépend de la manière à savoir comment c’est vécu, lui avait répliqué son meilleur ami. Il peut y avoir beaucoup d’amour. Dans ce dernier cas, c’est un miracle, une merveille pour les deux amants. C’est un crime de les priver d’un tel bonheur. C’est leur choix… l’âge n’a rien à voir là-dedans, sauf s’ils sont trop jeunes pour réagir selon leur désir.   Personne ne peut être d’accord avec la pédophilie. Penses-tu vraiment que je puisse faire du mal à un jeune que j’adore? Penses-tu qu’il ne peut qu’y avoir, dans cette relation où je lui donne le meilleur de moi, qu’un aspect négatif? Penses-tu qu’un jeune y est contraint, s’il revient te voir? Il aime ça… point final! Évidemment, s’il est confronté à cette situation, il dira qu’il a été forcé, car il n’est pas fou, il sait que tout le monde autour de lui croit que c’est un crime honteux. Ne leur demandez pas pourquoi, ils ne le savent pas. Ils l’ont appris ainsi et ne se sont jamais demandé si ça avait une forme de sens ou de logique. La pression sociale lui fera oublier qu’il a aimé ça.     

L’obsession de la prostitution ou de la sexualité juvénile d’aujourd’hui c’est la peur que l’homosexualité se répande, malgré l’opposition de toutes les religions. On a peur que si les jeunes goûtent à ces plaisirs, ils ne sachent pas comment s’en passer et que plus tard, avec les femmes, ils ne soient plus capables de bander parce qu’elles ne les exciteront plus autant que leurs anciens amants. Une peur que les femmes entretiennent non seulement parce qu’elles se sentent menacées, mais surtout par jalousie parce que bon nombre d’homosexuels se recrutent parmi les beaux mâles. La pédérastie, l’amourajoie, particulièrement est d’ordre esthétique. On oublie souvent presque toujours même l’aspect émotif de ces relations au masculin. »      

Et ce vieux missionnaire qui aimait bien les petits gars avait ajouté :

— C’est très frustrant pour un travailleur social de constater que tu peux obtenir un salaire dix fois plus élevé que lui à travers la prostitution individuelle… Pour croire que c’est plus noble de travailler avec ses muscles pour gagner son argent, il ne faut jamais avoir eu faim…     

Paul se rappela combien il avait été choqué par ces propos. Il avait même songé très sérieusement de refuser le droit de visite à son vieil ami. Il avait presque cessé de le fréquenter, espaçant ses visites à un tel point que le Père Conrad lui avait demandé s’il désirait ne plus le revoir, tout en lui soulignant que sa réaction, son étroitesse d’esprit le peinaient.

— « Je t’aurais cru plus humain » s’était-il contenté de laisser tomber.        

Pourtant, Paul n’avait rien à se reprocher. Il avait même ignoré les avances de Sylvain. Pourquoi tout ce scénario?  

Avec la visite de son avocat, Paul ne tarda pas à l’apprendre.

Sylvain avait, au contraire, prétendu que Paul l’avait payé cent dollars pour ses services sexuels. Sa parole suffisait pour envoyer Paul en prison durant des mois. D’ailleurs, le tribunal venait de lui refuser la liberté, en attendant de comparaître.

Paul était furieux et agacé; c’est le moins que l’on puisse dire, car ce témoignage menaçait son foyer et sa carrière. Pauline pourrait-elle passer par-dessus, le croire? Les femmes ont tendance à tout exagérer dès qu’il est question de sexe. Elles sont jalouses, possessives et envieuses par nature. Ce qui explique les lamentations quotidiennes des féminounes. Heureusement, certaines sont encore capables de faire la part des choses… Pauline était-elle l’une d’elles? Paul le croyait, mais… la pression…      

La nuit fut infernale. Paul était divisé par la haine qu’il ressentait d’avoir été accusé faussement et l’amour qu’il avait très profondément ressenti pour Sylvain. Paul crut fermement que Sylvain avait inventé ces accusations pour se débarrasser des policiers et de la DPEJ. Ils l’avaient certainement harcelé comme lui pour obtenir une accusation coûte que coûte. C’est bon pour les statistiques et justifier que le gouvernement injecte plus d’argent dans la sécurité, la protection des enfants. La police est bien meilleure pour s’en prendre aux simples citoyens fautifs que pour arrêter les vrais criminels. C’est plus payant.                        

La violence est pourtant plus condamnable.        

Paul s’interrogeait sur les motifs qui incitaient Sylvain à mentir. « Il ne m’a pas demandé de rançon. Il n’a jamais parlé de chantage, ce qui aurait pu se faire dès le deuxième jour. L’Église catholique, pour avoir la paix, paie maintenant des millions pour les prétendues victimes. La chasteté est un racket. Qui a déjà passé une nuit sans sommeil pour éjaculer en se faisant tâter le zizi connaît le sens du mot plaisir    À moins d’être follement scrupuleux, ça ne tient pas debout. Mais, c’est payant pour les psychologues de le faire croire. Les prétendues victimes deviennent riches, il leur suffit de faire croire qu’elles ont des séquelles permanentes. Il faut vraiment être naïf pour gober de telles chansons. Comment un jeune qui se fait toucher au pénis peut-il devenir pour autant invalide dans un lit pour le reste de sa vie? On lui a certainement mis dans la tête. Son père doit-être complice? Le jeune ne peut pas avoir pensé ça à lui seul? C’est une méchanceté d’adulte. Qui abandonnerait un aussi beau et si charmant garçon? Paul n’avait pas d’enfant, mais il était sûr qu’il n’aurait jamais agi contre l’intérêt de son fils. Il ne battrait jamais ou n’essaierait même pas de faire peur à un enfant. Toute cette hystérie autour du sexe lui sautait à la figure.          

— J’aurais peut-être dû le laisser crever de faim? 

Paul songea aussitôt à son ami, le Père Conrad et à la façon dont il l’avait condamné, sans essayer de comprendre. Quel aveuglement!  

Le matin, il se présenta en Cour où Sylvain raconta s’être fait sucer. Il ne voulait pas, mais il avait trop peur pour dire non. Il était seul avec un adulte dans cette maison où l’avait attiré Sylvain en lui faisant croire qu’il avait de beaux animaux. Une invitation qu’il avait acceptée pour voir et flatter les bêtes, sans se soucier ou craindre ce qui arriva. Sylvain était livide. Il était impossible de sembler plus effrayé. On entendit les « On  » de l’assistance dès qu’il affirma que Paul lui avait donné cent dollars pour ne jamais en parler.

Paul était estomaqué. Il s’avançait pour s’adresser au juge quand il s’affaissa.

Un policier accourut.    

Paul vit le visage du policier se pencher sur lui. Même s’il était silencieux, il pouvait entendre les pensées qui lui venaient à l’esprit.              

— Une hostie de tapette de moins. Il est mort, l’écoeurant.     

Le policier confirma au juge la mort de l’accusé. 

Paul se sentit libérer de son corps. Sa connaissance n’avait plus de limite terrestre. Il vit le père de Sylvain s’approcher de son cadavre, puis Sylvain arriva, livide.

Paul pensa que dans le fonds, il ne s’était pas trompé : Sylvain l’aimait bien.  Il regrettait même son témoignage. Ce qui expliquait son teint.       

Sylvain s’approcha de son père et lui dit :  

— Tu m’avais promis cinq cents dollars si j’arrivais à le faire condamner. Quand me payeras-tu? J’ai hâte d’avoir mon trois roues. Tu en es débarrassé, c’est ce que tu voulais ?   

Paul prit peu de temps à comprendre ce qui se passait quand il vit Pauline arriver à son tour au-dessus de son cadavre, toute excitée. Elle prit la main du père de Sylvain et lui chuchota à l’oreille :     

— On peut maintenant se marier, il n’est plus un obstacle!

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