Petite anthologie de textes érotiques masculins par Jean Ferguson.
PAUL-JEAN TOULET
(Français, 1867-1920)
Né aux Iles Maurice, il fit un bref séjour en Algérie, puis se fixa à Paris où il collabora à la Vie Parisienne pour terminer sa vie au Pays basque. Surtout connu comme romancier et conteur, son chef-d’œuvre est un bref recueil de poésie publié après sa mort en 1921, Contrerimes. Le Grand Larousse dit de lui « qu’il fut un auteur gracieux, amer, désespéré, précieux, ami des acrobaties de versification et de style. Tolet, par son esprit, a exercé sur une élite d’écrivains une influence profonde »,
LEGARNO
L’hiver bat la vitre et le toit.
Il fait si bon dans la chambre,
À part cette sale odeur d’ambre
Et de plaisir. Mais toi,
Les roses naissent sur ta face
Quand tu ris près du feu …
Ce soir tu me diras adieu
Ombre, que l’ombre efface.
PUISQUE TES JOURS NE T’ONT LAISSÉ …
Puisque tes jours ne t’ont laissé
Qu’un peu de cendre dans la bouche,
Avant qu’on ne tende la couche
Où ton coeur dorme, enfin glacé,
Retourne, comme au temps passé,
Cueillir, près de la dune instable,
Le lys qu’y courbe un souffle amer,
Et grave ces mots dans le sable:
Le rêve de l’homme est semblable
Aux illusions de la mer.
DANS ARLES •..
Dans Arles, où sont les Aliscams,
Quand l’ombre est rouge, sous les roses,
Et clair le temps,
Prends garde à la douceur des choses,
Lorsque tu sens battre sans cause
Ton coeur trop lourd,
Et que se taisent les colombes:
Parle tout bas, si c’est d’amour,
Au bord des tombes.
ÉMILE VERHAEREN
(Belge, 1855-1916)
Né à St-Amant, en Belgique, ce flamand devenu avocat se consacre assez tôt à la littérature et son œuvre est marquante. Poète généreux, tendre et lyrique, Verhaeren a exalté la beauté des corps d’hommes dans ses poèmes.
Il a su unir la puissance et la douceur pour chanter avec tendresse les travailleurs, ses camarades et leurs promenades estivales dans la vallée de l’Escaut. Ce n’est pas sans raison que Seghers le compare à Walt Withman. Il est mort accidentellement, écrasé par un train, en gare de Rouen, en1916.
L’EFFORT
Groupe de travailleurs, fiévreux et haletants,
Qui vous dressez et qui passez au long des temps
Avec le rêve au front des utiles victoires,
Torses carrés et durs, gestes précis et forts,
Marches, courses, arrêts, violences, efforts,
Quelles lignes fières de vaillance et de gloire
Vous inscrivez tragiquement dans ma mémoire!
Je vous aime, gars des pays blonds, beaux conducteurs
De hennissants et clairs et pesants attelages,
Et vous, bûcherons roux des bois pleins de senteurs,
Et toi, paysan fruste et vieux des blancs villages,
Qui n’aimes que les champs et leurs humbles chemins
Et qui jettes la semence d’une ample main
D’abord en l’air, droit devant toi, vers la lumière,
Pour qu’elle en vive un peu avant de choir en terre;
Et vous aussi, marins, qui partez sur la mer
Avec un simple chant, la nuit, sous les étoiles,
Quand se gonflent, aux vents atlantiques, les voiles
Et que vibrent les mâts et les cordages clairs;
Et vous, lourds débardeurs dont les larges épaules
Chargent ou déchargent, au long des quais vermeils,
Les navires qui vont et vont sous les soleils
S’assujettir les flots jusqu’aux confins des pôles;
Et vous encor, chercheurs d’hallucinants métaux,
En des plaines de gel, sur des grèves de neige,
Au fond des pays blancs où le froid vous assiège
Et brusquement vous serre en son immense étau;
Et vous encore, mineurs qui cheminez sous terre,
Le corps rampant, avec la lampe entre vos dents
Jusqu’à la veine étroite où le charbon branlant
Cède sous votre effort obscur et solitaire;
Et vous enfin, batteurs de fer, forgeurs d’airain,
Visages d’encre et d’or trouant l’ombre et la brume,
Dos musculeux tendus ou ramassés, soudain,
Autour de grands brasiers et d’énormes enclumes,
Lamineurs noirs bâtis pour un œuvre éternel
Qui s’étend de siècle en siècle toujours plus vaste,
Sur des villes d’effroi, de misère et de faste,
Je vous sens en mon cœur, puissants et fraternels !
Ô ce travail farouche, âpre, tenace, austère,
Sur les plaines, parmi les mers, au coeur de monts,
Serrant ses nœuds partout et rivant ses chaînons
De l’un à l’autre bout des pays de la terre!
Ô ces gestes hardis, dans l’ombre ou la clarté,
Ces bras toujours ardents et ces mains jamais lasses,
Ces bras, ces mains unis à travers les espaces
Pour imprimer quand même à l’univers dompté
La marque de l’étreinte et de la force humaines
Et recréer les monts et les mers et les plaines
D’après une autre volonté.
LE BAIN
Bonnes heures chaudes et ardemment mûries
Quand on partait en troupe, au loin, par les prairies,
Chercher la crique et l’abri sûr,
Où les herbes hautes, comme un mur,
Nous isolaient des yeux allumés sur les routes.
Le bain était chauffé par l’ample été vermeil
Et la clarté y filtrait toutes,
Si bien que l’eau semblait un morceau de soleil
Tombé du ciel et enfoncé dans les verdures;
De la mousse bronzée et de pâles roseaux
L’entouraient d’une large et vivante bordure,
Tandis que, fins et verts, et tels des ciseaux,
Mille insectes en sillonnaient, avec leurs pattes,
La surface immobile et la lumière plate.
Un plongeon clair!
Et tout à coup, comme un grand cri dans l’air,
Le corps enfonçait droit dans la mare éclatante.
Il s’y dardait comme un faisceau,
Et des bulles rondes et miroitantes
Brillaient, autour de lui, jusques au fond de l’eau.
Il émergeait rapide et souple;
Un flot tumultueux ourlait d’écume et d’or
Subitement les bords;
Et les autres nageurs, main dans la main, par couples
Au loin, là-bas, partaient rejoindre le plongeur (…).
Tels nos jeux s’exaltaient, libres et spontanés. [ … ]
Une à une tombaient les heures nonchalantes,
Et l’on séchait son corps doré
Aux flancs feutrés
Des digues et des prés,
Jusques aux heures coutumières
Où le soleil étend,
Sous les vergers au feuillage chantant,
Ses tabliers de longues et dormantes lumières.
PAUL VERLAINE
(Français, 1844-1896)
Verlaine, le poète français le plus connu et le plus apprécié, se devait de figurer ici, lui qui n’avait pas peur de déclarer que s’il couchait avec les femmes, il aimait bien mieux le faire avec de jeunes garçons et de jeunes hommes.
II se maria à 25 ans à Matilde Mauté en 1869. Mais son premier et véritable amour fut pour un jeune lycéen, Lucien Viotti, demi-frère de Matilde « le frêle et mélancolique jeune homme » qui se fit tuer à la guerre. Verlaine écrira encore de lui « ta voix m’arrive grave et voilée comme la voix d’autrefois. Et tout ton être élégant et fin de vingt ans, ta tête charmante, les exquises proportions de ton corps d’éphèbe sous le costume de gentleman m’apparaît à travers mes larmes lentes à couler ».
En août 1870, c’est la rencontre avec Rimbaud. Verlaine commence d’abord par être charmé par la poésie que lui fait parvenir l’adolescent. Le cher Rimb a dix-sept ans. « C’était une vraie tête d’enfant dodue et fraîche sur un grand corps osseux, comme maladroit, d’adolescent qui grandissait encore et dont la voix très accentuée en ardennais, presque patoisante, avait ces hauts et ces bas de la mue.
Verlaine vit avec Rimbaud pendant des mois et ils sont très unis malgré leurs chicanes et leurs divergences de vue sur certains sujets. La poésie les cimente dans leurs espérances communes. Dans l’entourage de Verlaine, on plaisante sur cette union avec« la petite chatte blonde » qu’on va jusqu’à appeler Mademoiselle Rimbaud. Verlaine fera deux ans de prison à cause d’une plainte de Rimbaud, car leur amour est tumultueux; ils vont jusqu’à s’échanger des coups de couteau. Finalement, après deux ans de vie commune, les amants se séparent pour toujours. Verlaine a parlé de son ami comme de son beau péché radieux, mais harcelé par des demandes d’argent de Rimbaud, il finit par rompre définitivement. Verlaine, après cette rupture enseigne deux ans à Londres. Il revient en France pour enseigner l’anglais. Il tombe amoureux d’un élève à qui il avait mis un zéro en anglais, Lucien Létinois, un garçon au nez retroussé. Verlaine trouve qu’il a une démarche agréable et qu’il est absolument adorable même si celui-ci lui confie qu’il a couché avec une femme. Verlaine non seulement lui pardonne, mais il lui achète une ferme. II est même question qu’il l’adopte, mais encore une fois la fatalité le frappe dans ses amours: Lucien meurt de la fièvre typhoïde. « Cela dura six ans, puis l’ange s’envola. «
Sur la fin de sa vie, avec un autre poète de ses amis, il courut les garçons, mais son dernier grand amour, platonique celui-là, fut le peintre François Cazals.
HOMBRES
Monte sur moi comme une femme
Que je baiserais en gamin,
Là, c’est cela, t’es à ta main?
Tandis que mon vit t’entre, lame
Dans du beurre, du moins ainsi,
Je peux te baiser sur la bouche,
Te faire une langue farouche,
Et cochonne, et si douce, aussi!
Je vois tes yeux auxquels je plonge
Les miens, jusqu’au fond de ton coeur;
D’où mon désir revient vainqueur
Dans une luxure de songe;
Je caresse le dos nerveux,
Les flancs ardents et frais, la nuque,
La double mignonne perruque
Des aisselles et les cheveux!
Ton cul à cheval sur mes cuisses
Les pénètre de son doux poids,
Pendant que s’ébat mon loudois
Aux fins que tu te réjouisses.
Et tu te réjouis, petit,
Car voici que ta belle gourde,
Jalouse aussi d’avoir son rôle,
Vite, vite, gonfle, grandit,
Raidit. Ciel! La goutte, la perle
Avant-courrière, vient briller
Au méat rose: l’avaler,
Mais, je le dois, puisque déferle
Le mien de flux. Or, c’est mon lot
De faire tôt d’avoir aux lèvres
Ton gland chéri, tout lourd de fièvres,
Qu’il décharge en un royal flot.
Lait suprême, divin phosphore
Sentant bon la fleur d’amandier
Où vient l’âpre soif mendiée
La soif de toi me dévore.
Mais il va, riche et généreux,
Le don de ton adolescence,
Communiant, de ton essence,
Tout mon être ivre d’être heureux.
Même quant tu ne bandes pas,
Ta queue encor fait mes délices
Qui pend, blanc or, entre tes cuisses,
Sur tes roustons, sombres appas.
Couilles de mon amant, sœurs fières
À la riche peau de chagrin
D’un brun et rose et purpurin,
Couilles farceuses et guerrières,
Et dont la gauche balle un peu
Tout petit peu plus bas que l’autre,
D’un air roublard et bon apôtre,
À quelles donc fins, nom de Dieu?
Elle est dodue ta quéquette,
Et veloutée, du pubis
Au prépuce fermant le pis
Aux trois quarts, d’une rose crête.
Elle se renfle un brin au bout
Et dessine sous la peau douce
Le gland gros comme un demi-pouce
Montrant ses lèvres jusqu’au bout.
Après que je l’aurai baisée
En tout amour reconnaissant,
Laisse ma main la caressant,
La saisir d’une prise osée,
Pour soudain la décalotter;
En sorte que, violet, tendre,
Le gland joyeux, sans plus attendre,
Splendidement vienne éclater;
Et puis elle, en bonne bougresse,
Accélère le mouvement
Et Jean-nu-tête en un moment
De se mettre à la redresse.
Tu bandes! C’est ce que voulaient
Ma bouche et mon cul: choisis, maître,
Une simple douce, peut-être?
C’est ce que mes dis doigts voulaient.
Cependant le vit, mon idole,
Tend pour le rite et pour le culte
à mes mains, ma bouche et mon cul
Sa forme adorable d’idole.
SONNET DU TROU DU CUL
Paru dans l’Album Zutique fondé par le docteur Antoine Gros en 1871. Les quatrains pourraient être de la plume de Verlaine et les tercets de celle de Rimbaud.)
Obscur et froncé comme un œillet violet,
Il respire, humblement tapi parmi les mousses
Humide encor d’amour qui suit la rampe douce
Des fesses blanches jusqu’au bord de son ourlet.
Des filaments pareils à des larmes de lait
Ont pleuré sous l’autan cruel qui les repousse
À travers des petits cailloux de marne rousse,
Pour s’aller perdre où la pente les appelait.
Mon rêve s’aboucha souvent à sa ventouse;
Mon âme, du coït matériel, jalouse,
En fit son larmier fauve et son nid de sanglots.
C’est l’olive pâmée et la flûte câline,
Le tube d’où descend la céleste praline,
Chanaan féminin dans les moiteurs enclos.
LE BON DISCIPLE
Je suis élu, je suis damné!
Un grand souffle inconnu m’entoure.
O terreur! Parce, Domine!
Quel Ange dur ainsi me bourre
Entre les épaules tandis
Que je m’envole aux Paradis?
Fièvre adorablement maligne,
Bon délire, benoît effroi,
Je suis martyr et je suis roi,
Faucon je plane et je meurs cygne!
Toi le Jaloux qui m’as fait signe,
Donc me voici, voici tout moi !
Vers toi je rampe encore indigne!
Monte sur mes reins, et trépigne!
RENDEZ-VOUS
(Poème dont le sujet est Rimbaud puisque celui-ci avait écrit dans un premier jet au début de Ô saisons, ô châteaux :
« Je suis à lui chaque fois
Que chante son coq gaulois»
Ta voix claironne dans mon âme
Et tes yeux flambent dans mon coeur.
Le monde dit que c’est infâme;
Mais que me fait, ô mon vainqueur!
J’ai la tristesse et j’ai la joie,
Et j’ai l’amour encore un coup,
L’amour ricaneur qui larmoie,
Ô toi beau comme un petit loup!
Tu vins à moi, gamin farouche,
C’est toi — joliesse et bagout —
Rusé du corps et de la bouche,
qui me violente dans tout.
[ … ]
Je t’attends comme le Messie,
Arrive, tombe dans mes bras;
Une rare fête choisie
Te guette, arrive, tu verras!
Du phosphore en ses yeux s’allume
Et sa lèvre au souris pervers
S’agace aux barbes de la plume
Qu’il tient pour écrire ces vers …
MILLE ETRE
Mes amants n’appartiennent pas aux classes riches:
Ce sont des ouvriers faubouriens ou ruraux,
Leurs quinze et leurs vingt ans sans apprêts sont mal chiches
De force assez brutale et de procédés gros.
Je les goûte en habits de travail, cotte ou veste;
Ils ne sentent pas l’ambre et fleurent la santé
Pure et simple; leur marche un peu lourde, va, preste
Pourtant, car jeune, et grave en élasticité;
Leurs yeux francs et matois crépitent de malice
Cordiale et des mots naïvement rusés
Partent non sans un gai juron qui les épice
De leur bouche bien fraîche aux solides baisers;
Leur pine vigoureuse et leurs fesses joyeuses
Réjouissent la nuit et ma queue et mon cul
Sous la lampe et le petit jour, leurs chairs joyeuses
Ressuscitent mon désir las, jamais vaincu.
Cuisses, âmes, mains, tout mon être pêle-mêle,
Mémoire, pieds, coeur, dos et l’oreille et le nez
Et la fressure, tout, gueule une ritournelle,
Et trépigne un chahut dans leurs bras forcenés.
Un chahut, une ritournelle, fol et folle,
Et plutôt divins qu’infernals, plus infernals
Que divins, à m’y perdre, et j’y nage et j’y vole,
Dans leur sueur et leur haleine, dans ces bals.
Mes deux Charles: l’un, jeune tigre aux yeux de chatte,
Sorte d’enfant de chœur grandissant en soudard;
L’autre, fier gaillard, bel effronté que n’épate
Que ma pente vertigineuse vers son dard.
Odilon, un gamin, mais monté comme un homme,
Ses pieds aiment les miens épris de ses orteils
Mieux encor, mais pas plus que de son reste en somme
Adorable drument, mais ses pieds sans pareils!
Caresseurs, satin frais, délicates phalanges
Sous les plantes, autour des chevilles et sur
La cambrure veineuse et ces baisers étranges
Si doux, de quatre pieds ayant une âme, sûr!
Antoine, encor plus proverbial quant à la queue,
Lui, mon roi triomphal et mon suprême Dieu,
Taraudant tout mon coeur et sa prunelle bleue,
Et tout mon cul et son épouvantable épieu:
Paul, un athlète blond aux pectoraux superbes,
Poitrine blanche aux durs boutons sucés ainsi
Que le bon bout; François, souple comme des gerbes:
Ses jambes de danseur, et beau, son chibre aussi!
Auguste qui se fait de jour en jour plus mâle
(Il était bien joli quand ça nous arriva) ;
Jules, un peu putain avec sa beauté pâle;
Henri, miraculeux conscrit qui, las! s’en va;
Et vous tous, à la file ou confondus, en bande
Ou seuls, vision si nette des jours passés,
Passions du présent, futur qui croît et bande,
Chéris sans nombre qui n’êtes jamais assez!
BALANIDE
Gland, point suprême de l’être
De mon maître,
De mon amant adoré
Qu’accueille avec joie et crainte,
Ton étreinte
Mon heureux cul, perforé
Tant et tant par ce gros membre
Qui se cambre,
Se gonfle et, tout glorieux
De ses hauts faits et prouesses,
Dans les fesses
Fonce en élans furieux,
Nourricier de ma fressure,
Source sûre
où ma bouche aussi suça,
Gland, ma grande friandise,
Quoi qu’en dise
Quelque fausse honte, or ça,
Gland, mes délices, viens dresse
Ta caresse
De chaud satin violet,
Qui dans ma main harnache
En panache
Soudain d’opale et de lait.
Ce n’est que pour une douce
Sur le pouce
Que je t’invoque aujourd’hui.
Mais quoi! Ton ardeur se fâche …
O moi lâche!
Va, tout à toi, tout à lui,
Ton caprice, règle unique,
Je rapplique
Pour la bouche et pour le cul
Les voici tous prêts, en selle,
D’humeur telle
Qu’il te faut, maître invaincu.
Puis, gland, nectar et dictame
De mon âme,
Rentre en ton prépuce, lent
Comme un dieu dans son nuage,
Mon hommage
T’y suit, fidèle — et galant.
SUR UNE STATUE DE GANYMÈDE
Eh quoi! Dans cette ville d’eaux,
Trêve, repos, paix, intermède,
Encore toi de face et de dos,
Beau petit ami Ganymède?
L’aigle t’emporte, on dirait comme
Amoureux, de parmi les fleurs,
Son aile, d’élanséconome~
Semble te vouloir par ailleurs
Que chez ce Jupin tyrannique,
Comme on dirait au Revard
Et son oeil qui nous fait la nique
Te coule un drôle de regard.
Bah! Reste avec nous, bon garçon,
Notre ennui, viens donc le distraire
Un peu de la bonne façon.
N’es-tu pas notre petit frère?
(Verlaine qui décidément mettait toutes les cordes à son arc est aussi l’auteur d’un poème lesbien J’une belle sensibilité nostalgique.)
SUR LE BALCON
Toutes deux regardaient s’enfuir les hirondelles;
L’une pâle aux cheveux de jais, et l’autre blonde
Et rose, et leurs peignoirs légers de vieille blonde
Vaguement serpentaient, nuages autour d’elles.
Et toutes deux, avec des langueurs d’asphodèles,
Tandis qu’au ciel montait la lune molle et ronde,
Savouraient à longs traits d’émotion profonde
Du soir et des cœurs fidèles.
Telles leurs bras pressant, moites, leurs tailles souples;
Couple étrange qui prend pitié des autres couples;
Telles sur le balcon rêvaient les jeunes femmes.
Derrière elles, au fond du retrait riche et sombre,
Emphatique comme un trône de mélodrame,
Et plein d’odeurs, le lit défait s’ouvrait dans l’ombre.