Petite anthologie de textes érotiques masculins par Jean Ferguson.
JEAN SIMONEAU
(Québécois, 1943- )
Ce poète journaliste-enseignant québécois s’est fait connaître surtout par son livre Laissez venir à moi les petits gars, livre qui eut beaucoup de succès dans les années soixante dix. Auteur controversé, Simoneau a toujours prôné l’indépendance du Québec par tous les moyens et il a toujours propagé l’idée d’une liberté sexuelle totale et absolue, mais consentie. Il est l’auteur de livres politiques, de romans et de poésie, une poésie intimiste, caractérisée par une sensualité adolescente et par une tendresse émotive assez particulière.
Il a travaillé à la Tribune de Sherbrooke de 1968 à 1972. Ce journaliste, frôlant la marginalité, choque parce qu’il a toujours dénoncé l’hypocrisie idéologique de nos sociétés qui ne recherchent que le contrôle et l’exploitation.
Simoneau n’a jamais nié son goût pour les garçons et il a souvent écrit sur cet amour particulier. Pour cette raison, il a été démis de sa fonction d’enseignant en Abitibi et il a été emprisonné après un procès qui s’est déroulé sur une période de trois ans, jugé beaucoup plus, semble-t-il, pour ses idées politiques extrêmes sur l’indépendance du Québec — allant jusqu’à l’approbation du FLQ des années ’70 —, et l’exploitation des peuples par le capitalisme, que pour ses prétendues liaisons avec un adolescent.
Malgré qu’il s’agisse de pure fiction, sa sentence tint surtout à une page prise hors contexte de son livre l’Homo-vicièr ainsi qu’un texte intitulé Pour en finir avec l’hypocrisie ou Manifeste pour une liberté sexuelle absolue, consentie, dans lequel Simoneau prétend que la pédérastie est moins dangereuse et tue moins de jeunes que la drogue et certains virus, dont la jalousie et la domination.
Ainsi, Simoneau se considère comme un « prisonnier d’opinion ». Par hasard, Simoneau fut emprisonné pendant qu’Ottawa promulguait la loi sur la clarté référendaire. Craignait-on plus sa pédérastie que sa réputation surfaite de felquiste?
JORDAN
Petit Cri
adorable enfant
mi-Chine, mi-Amérique
je t’offre mes larmes
pour te baigner nu
dans mes yeux éblouis.
Parqué dans ta réserve
tu étouffes sous la morale
toute sénile toute blanche
monde qui nie l’essence même
le but ultime de la vie:
JOUIR.
Petit Cri
pour ta beauté
je te rends ta LIBERTÉ.
BEAU GARÇON
Je veux mourir pour toi
mourir d’amour et de volupté
mourir condamné de t’avoir caressé
d’avoir déchiré le voile de la haine
pour entrevoir le ciel toujours bleu
toujours chaud des caresses du soleil
hypnose permanente de beanté
de soif de ton corps de douze ans.
Ange, je serai enfin en toi
la mort est une porte d’entrée
un accès interdit aux hypocrites
une bouche chaude qui t’aspire
dans l’infini qui se révèle
indifférent à la haine des hommes
drogués de pouvoir et d’argent.
Je mourrai
fier de t’avoir fait connaître
la jouissance et la liberté.
PRIÈRE D’UN PÉDÉRASTE
Rien n’est plus beau
qu’un petit gars nu, bandé,
sinon le sourire de Dieu
qui l’observe ainsi magnifique.
Rien ne vaut la jouissance
dans ses yeux allumée
par ma langue sur son corps
par mes lèvres sur son gland
par mes doigts sur sa peau
sinon Dieu qui se réjouit
de m’entendre le remercier
de m’avoir offert l’extase
d’avoir créé tant de vie et de beauté …
J’aimerais mourir d’aimer
ce Dieu qui se mire en moi
que j’adore dans notre jouissance
à travers l’illumination de nos sens,
la passerelle de notre matière
avec l’amour de vivre sans délai
de toi, de toi, beauté infinie …
Dieu est beau
Dieu est extase
Dieu est sourire
Dieu est amour
Tu es le chemin qui m’y conduit …
Pourquoi son accès par ton corps
sa lumière à travers ton regard
sa vie au rythme de notre jouissance
nous seraient-ils interdits?
Si Dieu est amour
t’aimer comme je t’aime
est la plus belle des prières …
Et, le mal: argent égoïste
Père de la violence …
PASSION
Quand ton corps sous mes yeux
chante la gamme des sourires
Tout ce que je hais du monde
je le bannis avec tes lèvres
Je ranime le vert de ta salive
de ta voix, je chante le printemps
Avec toi
Au-delà du bien tout est noir
au-delà de la folie tout est musique.
BEL INCONNU
Ton sourire m’a envoûté
malgré les distances, les paysages
je trouve en toi les couleurs de la vie
L’hiver nous enivre
sans soleil de Floride
la neige nous enveloppe
nous grise de se revoir
De boire à tes douze ans
de gamin exalté
ta puissance naissante.
UN AMOUR DU VIETNAM
À l’aube de ton oeil
juste sous la paupière
je dansais au vertige
d’un temps tué de désir.
Tu étais là toi
toi que ma voix avait rejoint
à l’autre bout du monde
à travers les obus, triste à mourir
un cri de désespoir et de révolte
un cri de pas éclatés
qui t’ont fait marcher jusqu’à moi.
Le creux de tes mains portait
nos vies, nos espoirs, nos hantises
ces mains si petites, si frêles
sous le poids de vivre.
Tu nageais sur la mort
oublié sur une plage entre les cadavres
et l’écho de ton nom, crié sans te connaître
t’as fait naître ici dans le plaisir
et nous avons bien ri d’avoir déjoué
enfin, malgré nous, un destin
qui se prenait pour un autre.
Que ferons-nous maintenant
de tes 14 ans?
À pas feutrés sans l’ombre d’un doute
nous plongerons nos doigts dans la vie
nous jouerons sur la plage jonchée de cadavres
à rire de la folie et à boire l’ivresse
d’un autre temps
d’un autre pays
d’une autre main.
Une caresse tendre …
Sans frontière à nos rires
sans murs entre nous
nous installerons dans la vie
la semence d’un âge d’or.
MON VRAI PAYS
Mon pays n’a pas de nom
je suis de race pédéraste
je contemple la vie
rivé à l’extase sourire
des premières éjaculations
d’un petit bonhomme qui me plaît.
Mon pays n’a pas de nom
je suis de race pédéraste
Je bois l’amour et le bonheur
au bout de petits pénis
qui apprennent en soubresauts
le chemin de la jouissance.
Mon pays n’a pas de nom
je suis de race pédéraste
De ceux prêts à mourir
pour un regard
pour un toucher
pour juste un peu d’amour.
Mon pays n’a pas de nom
je suis de face pédéraste
Et c’est pour ça
que l’on m’exclue
que l’on me chasse
que l’on m’accable
qu’on me condamne.
Je n’aurai jamais de pays
sinon le corps d’un gamin
que je découvre
avec ma langue …
SOLON
(640-558 av. J.-C.)
Solon, premier des poètes athéniens, commerçant et politicien, passe pour avoir ramené la paix religieuse et sociale dans sa patrie; il donna une constitution à son pays et pour tout cela, il ne fut pas payé en retour quoiqu’à la fin, il fut considéré comme l’un des sept sages de la Grèce. Son écriture, sensible et enjouée, reste un modèle du genre.
Tu aimeras les garçons
dans la charmante fleur de leur âge
désirant leurs cuisses et leur douce bouche.
Ils me sont bien précieux
Ils me sont bien précieux,
Les Muses, Bacchus et Cypris;
Leur art réjouit le coeur humain.
Grâce à eux,
li n’y a pas un homme
Qui, dans son bel âge,
Ne cherche un doux garçon
Aux flancs souples,
Au baiser plein de tendresse.
ACHILLE TATIUS ou AKHILLEUS TATIOS
(Grec, IVe siècle)
Auteur en huit tomes d’un roman d’amour: Aventures de Leucippe et de Clitophon dont, curieusement, le Moyen âge fit la renommée. Il renia son œuvre en se convertissant sur le tard au christianisme. On comprendra qu’il ne serait pas heureux de l’extrait de son roman que nous reproduisons ici.
Chez la femme tout est fardé, et les paroles et le corps: si quelqu’une paraît belle, c’est l’œuvre longtemps élaborée des onguents et de la peinture. Sa beauté est tout entière dans les parfums, dans la teinture des cheveux, dans l’artifice de ses caresses. Dépouillez-la de ces mille accessoires menteurs, elle ressemblera au geai de la fable, dépouillé de ses plumes. La beauté des garçons, au contraire, n’est pas saturée de toutes ces senteurs, de toutes ces odeurs trompeuses et empruntées; mais la sueur du joli garçon a un plus doux parfum que toutes les huiles et lotions féminines. On peut d’ailleurs, avant les embrassements amoureux, les étreindre à la palestre, les serrer dans ses bras, les caresser au grand jour et sans honte. Les ardeurs de l’amour ne viennent
pas s’éteindre sur une chair molle et sans résistance; les corps se résistent mutuellement et luttent entre eux de volupté. Les baisers n’ont pas l’apprêt de ceux de la femme; leur art menteur ne prépare point sur les lèvres une fade déception: l’enfant embrasse comme il sait; ce sont des baisers sans artifice, mais ce sont ceux de la nature. L’image des embrassements d’un
joli garçon, c’est le nectar devenu solide, se substituant aux lèvres, donnant et recevant ces baisers. Pour l’amant pas de satiété; il a beau puiser à la coupe, toujours il a soif de baiser encore; il ne saurait retirer sa bouche jusqu’à ce que l’excès même de la volupté le force à quitter les lèvres.
THÉOCRITE
(310-250 av. J.-C.)
Poète bucolique dont la vie est très mal connue. Les sensations qu’il exprime spontanément naissent de la nature. Il sait décrire avec justesse les élans et les déceptions amoureuses, de même que les tourments des amours contrariés.
À L’AIMÉ
Je vais te dire ce qu’il y a au fond de ma pensée:
Tu ne veux pas m’aimer de tout ton coeur.
Je m’en aperçois.
Car je vis d’une moitié de vie,
À cause de ta beauté;
Et le reste est perdu.
Quand tu veux, je passe le jour
Tout comme les Immortels;
Quand tu ne le veux pas,
Je suis en pleines ténèbres.
Est-ce chose convenable,
De livrer aux tourments qui vous aime?
Si tu veux bien me croire, toi plus jeune,
Moi qui suis ton aîné,
Tu pourras t’en trouver mieux toi-même
Et m’en remercier.
Fais un seul nid sur un seul arbre,
Où n’atteindra aucun méchant serpent.
Présentement, tu occupes aujourd’hui une branche,
Demain une autre:
Tu cherches à passer de celle-ci à celle-là.
Si quelqu’un te voit et loue ton beau visage,
Te voilà devenu pour lui,
Aussitôt, mieux qu’un ami de trois ans;
Et celui qui t’aimait le premier,
Tu le mets au rang des amis de trois jours.
Tu as l’air animé d’une fierté plus qu’humaine;
Contente-toi, tant que tu aimeras,
D’avoir toujours ton égal.
Si tu agis de la sorte,
Tu entendras parler en bien
De toi par tes concitoyens
Et Éros ne te sera pas cruel,
Éros qui sans peine fléchit
Sous lui l’âme des hommes
Et qui m’a amolli, moi qui étais de fer.
Mais, par ta bouche si douce,
Je t’en supplie, souviens-toi que l’an dernier,
Tu étais plus jeune que tu n’es,
Qu’en moins de temps
Qu’il ne faut pour cracher
Nous sommes vieux et ridés,
Et que ramener à soi la jeunesse est impossible;
Car elle a des ailes aux épaules,
Et nous sommes trop lents pour saisir ce qui vole.
Songe à cela, et montre-toi plus doux;
Je t’aime, aime-moi aussi franchement.
Ainsi, quand tu auras au menton une barbe virile,
Nous serons l’un pour l’autre
Des amis dignes d’Achille.
Mais si tu laisses les vents
Emporter mes paroles,
Si tu te dis en toi-même:
« À quoi bon, mon cher, m’importuner? »
— Moi qui maintenant irais pour te complaire
Chercher les pommes d’or et conquérir
Cerbère gardien des trépassés,
— Alors m’appellerais-tu,
Je ne m’avancerais pas même
À la porte de ma maison,
Guéri que je serais de la passion dont je souffre!
L’AMOUR ME TIENT …
Ah! La pénible et triste maladie!
Comme une fièvre quarte,
L’amour d’un garçon me tient
Depuis bientôt deux mois.
I! est beau moyennement;
Mais toute sa personne,
À partir du niveau du sol, est pure grâce;
Et il a aux joues un doux sourire.
Présentement, le mal règne certains jours,
Et d’autres fait relâche; mais bientôt,
Même pour jouir d’un instant de sommeil,
Je n’aurai plus de trêve.
Hier, en passant, il m’a lancé un mince regard
À travers ses sourcils, — car il n’osait
Me regarder en face, — et son visage rougissait.
L’amour m’a étreint le coeur plus fortement;
Je rentrai au logis portant dans les entrailles
Une nouvelle blessure.
J’appelai par-devant moi mon âme
Et je me dis à moi-même bien des choses:
« Que fais-tu là encore?
Quel sera le terme de ta folie?
Ne sais-tu plus que tu portes
Aux tempes des cheveux blancs?
Il est temps d’être sage.
Ne va pas, quand tu n’as rien de l’aspect
D’un homme jeune, agir comme ceux
Qui viennent seulement de goûter à la vie.
Et puis, une autre chose t’échappe:
Mieux vaudrait certainement,
Pour un homme déjà mûr,
Être étranger aux pénibles amours
Qu’inspire un jeune garçon.
De celui-ci la vie passe,
Comme la course d’une biche rapide;
Demain, voguant dans une direction nouvelle,
Il changera ses agrès;
Et il ne garde pas, avec ses compagnons d’âge,
La fleur de l’aimable jeunesse.
Mais l’autre, le regret le dévore
Jusqu’à la moelle des os,
Le regret fait de souvenir:
Il voit, en songe, la nuit, beaucoup d’images;
Une année entière ne suffit pas
Pour mettre un terme à sa cruelle souffrance. »
L’AMI
Trois longues nuits et trois aurores
A duré ton absence.
Ami tendrement désiré,
Tu es de retour.
Mais de t’avoir attendu
M’a fait vieillir
Plus que le nombre des jours.
Comme le printemps est plus doux que l’hiver
La pomme plus appétissante que la prune ou la pêche
Qui n’ont pas mûris,
Comme la brebis, abondante laine,
Plus douce au toucher que celle du délicat agneau,
Ou plus douce que la vierge
En sa précoce innocence
Que la veuve mariée trois fois.
Ainsi, après ta cruelle absence,
Je me sens à ton retour.
Et comme le voyageur qui court et crie
En apercevant de loin
Le chêne de son village
Après un long voyage
Sur des routes difficiles,
Je m’élance vers toi!
De son haleine parfumée,
Éros souffle sur nous.
Proclamez éternellement
Celui qu’on nommait l’amant
Au pays d’Amyclées,
Celui qu’on nommait l’aimé
En Thessalie.
Et que jour après jour,
Nous demeurions vivants
Sur les lèvres de la Jeunesse.
Il faut, gens de Mégare,
Aux mains assurées
Comme des avirons ailés
Qu’un dieu bon témoigne
De quels rites, de quels soins,
De quels dons inépuisables
Vous honorez Dioclès
Tombé sous vos murs
En combattant
Pour sauver un ami.
Au pied du monticule
Où dort cette âme superbe,
Il faut instaurer une compétition de baisers
Et l’enfant qui, sur la lèvre aimée, pose le mieux la sienne
Retourne, heureux, vers sa mère.
Ganymède, le bel adolescent céleste
Pour départager ces jeux possède
Les qualités du peseur d’or,
Le peseur qui sait si bien séparer l’or le plus pur
D’avec les métaux les plus grossiers.