Petite anthologie de textes érotiques masculins par Jean Ferguson.
MARC DE PAPILLON DE LASPHRISE
(Français, 1555-1599)
Poète et militaire puisqu’il fut capitaine, ses poèmes révèlent une personnalité attachante. C’est après une vie remplie d’aventures et de voyages qu’il va se consacrer à la poésie. Les Amours de Théophile et de Noémie font de lui un poète attachant et personnel. Il sait aussi à l’occasion être satyrique. Il est étonnant qu’il ne soit pas mieux connu. Ses amours tumultueuses pour les jeunes soldats de sa troupe y sont peut-être pour quelque chose.
STANCES DE LA DÉLICE D’AMOUR
Je veux qu’en plusieurs lieux, mon ami soit ombré
D’un beau poil crépelu, poil que je tiens sacré,
Comme l’advant-courant le doux fruit que je cueille,
Et principalement je veux que son menton
Aye un petit duvet d’un blondoyant coton.
L’arbre est bien mal plaisant quand il n’a pas de feuille.
Oserais-je oublier ce que je veux surtout ?
Le fregon de mon four, bâton qui n’a qu’un bout,
Mon mignon boute-feu de ma flamme amiable,
L’ithyphalle gaillard qu’il ne faut amorcer,
Qui sans caresse peut un monde caresser,
De grandeur naturelle et de grosseur semblable.
Toujours prompt, vif, ardent, ayant un sang altier,
Et deux braves témoins, pour me certifier,
Qu’il est prêt, bien en point, gonflé d’ardeur féconde,
Encore que sa forme enseigne sa valeur,
Son chef, son front, son nez, n’est-ce pas un beau coeur
Qui sans cesse combat la plus grand’part du monde ?
JE VOUDROY BIEN, POUR M’ÔTER DE MISAIRE …
Je voudroy bien, pour m’oster de misaire,
Baiser ton oeil — bel Astre flamboyant.
Je voudroy bien de ton poil ondoyant
Nouer un nœud qui ne se peust deffaire,
Je voudroy bien ta bonne grace attraire,
Pour me jouer un jour à bon esciant,
Je voudroy manier ce friant :
Aux appetis de mon desir contraire.
Je voudroy bien faire encore plus,
Defendre nud le beau flux et reflux
De ta mer douce où l’Amour est Pilotte.
Je voudroy bien y estre bien ancré,
Et puis apres ayant le vent à gré,
Je voudroy bien perir en ceste flotte.
JOHN-ALLEN PATEUSHAM
(Gaspésie, métis d’origine Mi’ qmaq, 1940-)
John-Allen Pateuscham est un pseudonyme. Il s’agit d’un Métis né à Listigug, en Gaspésie. Il est associé aux enseignements chamaniques. Ses recherches sur les berdaches, qui ont été publiées dans diverses revues anglophones et francophones, font actuellement autorité. Il a notamment dévoilé l’aspect mal connu de cette pratique masculine dans le monde indien qui était fort répandue, selon cet auteur, dans les temps passés.
Pateusham est très connu pour ses prises de position en faveur des amours entre adultes et adolescents. Pour cette raison, il n’a pas évité le scandale dans sa propre communauté et il a fait plusieurs séjours en prison au Canada parce qu’on l’a accusé d’avoir entraîné des garçons à la pratique de ses théories. Il est en exil aux États-Unis où il a trouvé des communautés discrètement plus ouvertes et favorables à ses thèses. Ses poèmes n’ont pas encore été publiés en leur entier quoiqu’ils soient très connus dans le milieu gay français et américain. Il passe facilement d’une langue à l’autre, voyageant beaucoup entre les continents. Pour cette raison, peut-être, c’est un poète d’une grande versatilité — dont l’œuvre est inégale à cause des influences qu’il doit assimiler —, il oscille entre la tendresse sans retenue, presque précieuse, et la confession amicale. Il a renouvelé le genre dans une version plus moderne des poètes aux accents verlainiens.
MON JEUNE AMOUR
J’ai conscience de ton regard posé sur moi
oiseaux tendres lumineux sillages
arc-en-ciel sur la tenture du temps
ô ma tendresse
ô mon désir de fabuleux rivage.
J’ai prescience d’un bonheur
qui me vient de ta présence
mon esprit s’agite en volutes
je reste coi au pays de ton être
ton regard me surprend en plein délire de toi
puissantes effluves de ton esprit
j’ai l’habit neuf de tes yeux qui m’enchantent.
Passe la fleur de ma passion
passe passe mon amour aux herbes du désir
nu sous ta chemise
pour la route couverte de soleil
mon coeur mon ardeur au pays de toi
plus désirable que mille millions de bonheurs.
Mon amour sur ton riche rivage
mon coeur cette île sauvage
où s’amusent tes baisers
j’ai une suprême envie de toi
je rappelle l’âme délicate de nos extases à venir
mais c’est l’écho de la jeune lune qui me poursuit
en code stellaire et j’ai beau courir avec le vent
pour qu’il rende au jour ton image
ta chère image ta belle image
mangée par ma bouche ô douceur
il me reste des mirages brouillés qui me font tant t’aimer.
Je marche vers toi dans la nuit jour fou
et mes pas sont des étoiles
aux plages silencieuses du temps
et j’ai tant de rires dans mes bagages de gais souvenirs
qui ne mélangent pas les rayons du ciel
avec ta grâce de lumière indomptée.
Je suis une référence
pour la doucereuse ferveur des nuits
je reçois la générosité de tes lèvres
la rivière de tes ardeurs
la merveille exquise de nos amoureuses tendresses
aux jours heureux
aux avenirs indécis
aux aurores métalliques
aux carrousels de ta présence.
Nous sommes le monde en soi
et personne ne peut l’oublier
au ciel sur la terre
notre esprit est majuscule
sur l’écrin de ton visage
coeur de poésie mon tendre amant
l’aube est douce et chaude est la nuit.
Je suis un délire vivant
qui cherche ton pays intime
nous refaisons sans cesse le monde
dans la jubilation de nos chairs.
J’ai tellement goût de toi
que je distingue mal le champ du rêve
chargé de tes yeux
les gestes appris dans tes bras
les vagues d’ondes au créneau lourd de tes baisers
plus je les écoute
plus je reviens au royaume de nos amours.
Les bulles de la joie éclatent devant tes pas
dans le sentier écarlate et moi je te suis
fou d’amour fou de désir
je cherche du doigt ton dernier miel
la chaleur de tes cheveux la nuit
et l’odeur de ta peau embaume mes frémissements.
Il y a plus d’oasis au fol pays d’eau
elles naissent dans l’empreinte de tes caresses
Sous la splendeur de ton regard
renaissent les sables les herbes et les fleurs
ma peau couverte de ces empreintes
je demeure dans les fils de ta tendresse
sous l’effleurement de tes mains je deviens beau.
J’ai longue mémoire de nos jeux
j’ai longue mémoire de notre idylle
notre harmonie en fine pâture
de nos extrêmes convoitises.
Mes rires sont des dieux marins
qui cherchent l’océan de tes attachements.
E PRÉFÈRE …
Au vent étourdissant des vastes espaces,
je préfère la caresse simple de ton haleine.
Aux mille odeurs enivrantes de la campagne,
je préfère le délicieux parfum de ton jeune corps.
À la tempête qui dévaste tout sur son passage,
je préfère tes colères soudaines qui me laissent pantois.
À la rumeur inquiète d’une probable guerre,
je préfère tes murmures et tes cris angoissés.
À l’humaine misère, aux difficultés,
je préfère tes douleurs d’ange ébouriffé.
Aux voyages les plus extatiques,
je préfère ta géographie intime.
À la lune romantique,
je préfère tes yeux lunatiques.
Oui, vraiment, je te préfère,
et ce qui n’est pas toi m’indiffère.
NOUS BAISONS DES GARÇONS …
Nous baisons des garçons bien nés
dans cette ville nordique.
Ils causent motos 49 cc, 100 cc
ou mieux, jolis étalons, 1050 cc ou encore
bien bandés, les rutilants 1200 cc.
Ils savent tenir un guidon,
les garçons que l’on aime;
ils savent que l’on doit museler
les canaux déférents:
l’extrême frontière du Plaisir.
Et sur de beaux motards aux cuisses évasées,
Sentant le cuir et les chromes,
je m’excite avec des gestes osés,
Mais je sais que pendant ce temps,
ils regardent ailleurs …
ANDRÉ
Dans la maison du temps pleine
de soupirs des bouches blanches,
tu brûles mon âme
et j’ai le souvenir d’une jeune queue de pie.
Je l’ai connue en lumineuses saccades
et j’ai bu à son oeil unique
la liqueur des jeunes bulles.
J’étais alors heureux
et mon haleine avait le parfum
de ta charmante toison douce.
Et toi, Splendeur de mon amour,
tu étais mon grenier charnel
plein de subtiles douceurs
où ma main par jeu passait sans relâche.
De balises amoureuses,
Qu’es-tu devenu, bel adolescent
Au regard, aux yeux francs,
qu’es-tu devenu?
Ma peine est immense
et pleure mon coeur
comme sur une plaine de gadoue bleue,
dans les lumières mortes
de la maison du temps.
Je ne boirai donc plus
ta liqueur blanche,
le lait du silence?
Je vais mourir encagé dans un arbre.
Du jeune peuplier blanc
dont la tête touchait le ciel,
dont je caressais la tendre écorce;
sa peau jeunesse, pelure entière,
tiède de tant de douceur.
Mon âme s’effrite en vague successives:
je vais mourir sur une peau d’ours blanc
volé sur l’étoile naine du céleste sourire.
BELLE TOISON
Belle toison du temps jadis
que j’ai tant cherchée!
L’odeur m’en sublime encore les narines.
Ah! Que j’aimais en ce temps-là!
J’avais la précieuse habitude
de fréquenter mon bel amour
qui répondait au nom très banal
d’André … à qui je faisais découvrir
sa jeunesse, sa voix et son visage,
André du matin, André de l’aurore,
bel amour …
POÈME DÉDIÉ À UN GARÇON QUI S’EST SUICIDÉ
J’ai toujours à l’esprit son visage d’enfant;
oui, bien sûr, c’était à peine un adolescent.
Son regard m’a charmé; ses yeux couleur de menthe
m’ont fait regretter de n’avoir plus vingt ans.
Très gentiment, il m’a pris la main en disant:
« Viens-tu avec moi? Je pense que j’ai envie
de dormir dans tes bras. » Tendrement j’ai souri
À sa jeunesse oubliant le fossé du temps.
Il m’a suivi chez moi; nous nous sommes aimés.
J’étais gêné, je crois, de n’avoir plus son âge,
mais peut-être qu’il était trop sage
pour juger l’amour au nombre des années.
Quand il est reparti, j’ai aussitôt compris
qu’il ne reviendrait plus, ce garçon beau et libre.
Et il m’a chuchoté dans la rue pleine d’ombres:
« C’était bon de t’aimer, de t’avoir comme ami.. »
Je n’oublierai jamais le doux pays de son corps;
je voudrais tant revivre à nouveau cette joie
qu’il m’a procurée quand je n’y avais plus droit.
Non, je ne peux oublier le pays de son corps.
]’ai toujours à l’esprit son visage d’enfant;
oui, bien sûr, c’était à peine un adolescent.
Son regard m’a charmé: ses yeux couleur de menthe
m’ont fait retrouver la splendeur de mes douze ans.
STÉFANE
Sté, garçon-fleur
dont j’aime tant l’odeur,
tu as les yeux de mon plaisir,
tu es ardentes caresses
sur mon corps qui t’espère
dans la douceur et l’abandon.
J’Ai attendu longtemps ta présence tranquille,
ton silence essentiel
et je pense à toi.
Ce soir, j’aurais tout à coup besoin de tes mains,
de ta bouche inquiète et chercheuse.
Garçon-mélodie, ton corps instrument parfait
s’applique à des accords qui m’étonnent
et me comblent.
Tu sombres brusquement dans le plaisir
après t’être promené longuement sur l’arc
de mes désirs et des tiens.
Il jaillit ton pollen dans le jardin de l’été
plus délicieux que mille miels.
Tu en profites pour t’enliser
dans un vertige de soleil,
carrousel d’ombres et de couleurs.
Sté, garçon-plaisir,
je le crois bien,
je vais t’aimer encore et encore
pour te conduire jusqu’à l’aube.
Tu me fais naviguer dans les veines de ton beau corps,
géographie intime
où je me perds rempli de délices.
Sté, garçon gracieux,
garçon curieux,
garçon plein de mélodie,
garçon flûte de berger,
Sté, garçon brave,
tu as gagné,
je vais t’aimer jusqu’à l’extase.
STÉFANE, MON PAYS DE RÊVE.
Tu es l’aube envahie d’herbes de lumière
comme cette tache en moi d’eau où brille ton visage aimé;
étang situé tout au bout de mon âme
dans ce coeur-pays que ravagent les désirs d’amour:
ce paysage de moi qui serait bien moins beau sans toi.
Je t’aime jusqu’à perte d’horizon;
ton corps m’est plus précieux que ma propre vie;
pourquoi faut-il tant t’aimer,
mon doux, mon cher jeune ami?
TRISTAN
Tristan, l’aube va naître
et nos yeux enfin se retrouvent
comme des perles de rosée
qui s’ajoutent l’une à l’autre pour n’en plus former qu’une.
Ton regard, hirondelles aux ailes moirées,
je l’attends ce regard de toi
qui m’ouvrira une porte du paradis perdu,
ce lumineux regard qui est ma force d’espérer
sans lequel je ne peux vivre,
sans lequel mes désirs ne sont qu’errances.
Tristan, mon bel amour,
ta lumineuse clarté a chassé la nuit traîtresse au visage noir.
Ta seule présence est un baume
et les mots que tu me murmures sont la mélodie
du plus beau des cantiques: il n’y a jamais eu pour moi
des sons plus agréables.
Je te retourne, j’écoute le bruit de ton coeur,
je suis pareil à quelqu’un qui a trop de bonheur.
Je frisonne du plaisir de ta main,
je respire de ta bouche.
Tristan, mon sourire,
Tristan, mon désir de chair et d’âme,
Tristan, mon si bel amour!
LETTRE POUR ÉRIC
Tu es parti, Éric,
sans écouter la peine de mon coeur,
toi qui étais plus que moi-même.
Depuis la vie s’écoule de moi
comme le filet du ruisseau oublié sous la fougère.
Au souvenir de tes yeux, j’ai un amertume étrange
qui me scie la gorge,
car, vois-tu, Éric, il n’y rien au monde
de plus cruel
qu’un garçon qui oublie d’aimer …