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Petite anthologie des textes exotiques masculins pat Jean Ferguson.

mars 22, 2020

HENRY JAMES

(Anglais d’origine américaine, 1846-1916)

Romancier au style rigoureux et concentré, on a souvent comparé Henry James à Marcel Proust. Il naquit à New York, mais il étudia en Suisse, en France et en Angleterre. En France, il fit fa connaissance de Flaubert. Maupassant et Tourgueniev. Il se fixa finalement en Angleterre, à Rye, dans le Sussex, où parurent ses œuvres les plus marquantes.

En 1903 et 1904 parurent ses deux livres qui sont probablement ses chefs-d’œuvre, Les Ambassadeurs et Coupe d’or. Les héros de ces deux romans sont de beaux jeunes gens qui ont la joie de vivre et qui sont si insouciants que James lui-même les qualifie de tigres mâles et rutilants et de jeunes païens contrairement à lui qui dans sa jeunesse avait été un garçon un peu efféminé.

Un malheureux accident survenu alors qu’il assistait des pompiers lors d’un incendie lui avait atrophié les parties sexuelles, ce qui lui causa des douleurs toute sa vie durant — des douleurs qu’il dit lui-même être extraordinairement intimes.

James avait des manières affectueuses avec ses amis, il les enlaçait, les embrassait sur les deux joues. C’est en 1899 que le romancier fit la connaissance du jeune sculpteur Hendrix Andersen, un très joli jeune homme de 28 ans, plein de charme et d’assurance. James lui acheta dans sa boutique de Rome un petit buste et [‘invita à venir le visiter dans sa propriété de Rye dans le Sussex. Andersen accepta et ils passèrent quelques jours ensemble. Ce qui valut au jeune homme des lettres passionnées et tendres que James lui écrivit de 1899 à1915.

EXTRAITS DE LETTRES À HENDRIX ANDERSEN

C’était absurde à quel point je me sentais navré de te perdre, cet après-midi-là, le mois dernier, quand nous marchions tristement vers l’innocente et brave petite gare et quand notre destin commun gémissait sous l’effet de la dissonance de ton départ intempestif. Depuis lors tu me manques démesurément par rapport aux trois jours maigrelets (il me semble maintenant étrange qu’il n’y en eût que trois) que nous avons partagés. Jamais (et je l’ai fait trois ou quatre fois) je ne passe le petit virage de la colline d’Udimore que nous avions montée en bicyclette, le soir (en venant de Winchelsa) sans penser avec une tendresse infinie au charmant retour dans le crépuscule et sans éprouver de nouveau la

singulière perversité du passage si bref d’un tel moment. Sois tranquille, il yen aura d’autres, beaucoup d’autres, de ces moments-là ! […]

Le fait que je ne puisse pas t’aider, te voir, te parler, te toucher, te serrer longuement dans mes bras ou faire quoi que ce soit pour que tu puisses te reposer contre moi, partager ce que tu ressens, me tourmente, mon cher enfant, et me remplit de peine pour toi et pour moi; je grince des dents et gémis sur l’âpreté des choses.    

Je voudrais aller à Rome poser mes mains (ô combien amoureusement) sur toi. Hélas — c’est odieux — c’est impossible… Je reste en ville pour quelques semaines, sur quoi, je rentre à Rye le 1" avril, et tôt ou tard, l’idée de t’y accueillir, de m’occuper de toi, de t’étreindre, de t’amener à te serrer contre moi comme un frère et amant, de te garder ainsi jour après jour, réconforté peu à peu des premières rigueurs de ta douleur, ou du moins soulagé — cette idée me semble éventuellement possible, concevable et pas tout à fait hors de question. J’y serai, en tous cas, et c’est ma maison et mon jardin et ma table de travail et mon studio — aussi modeste qu’il soit – ta chambre, et mon accueil, et ta place sera partout – et j’insiste avec combien de sincérité, cher enfant, quand l’isolement, le chagrin et les ennuis qui t’accablent deviendront de par trop insupportables… Je t’aiderai à passer ce mauvais moment… Je t’embrasse avec presque une passion de pitié.

MIKHAIL KOUSMINE

(Russe, 1872-1936)

Kousmine était de la petite noblesse russe qui faisait partie de la secte des Vieux Croyants. Il se reconnut homosexuel dès l’adolescence et il tomba amoureux d’un camarade de classe, Chicherin, qui deviendra plus tard un diplomate soviétique très apprécié. Son premier roman Ailes publié en 1906 où l’écrivain démontre son amour pour le monde grec ancien. Il se proclama lui-même Hellène, ce qui suscita un grand scandale. La Russie et son élite ne reconnaissent pas que l’homosexualité puisse exister dans ce pays. Jamais personne avant Kousmine n’avait osé écrire sur le sujet. En 1928, lors d’une lecture publique, l’écrivain fut porté en triomphe à Leningrad et couvert de fleurs. II gagna sa vie en faisant de la traduction. Il publia un livre de poèmes en 1939. II eut la chance de mourir avant les grandes purges staliniennes de 1936. Son dernier amant, le poète Yuri Yurkun, sera fusillé. Ses autres amis allèrent de goulag en goulag et certains se suicidèrent pour échapper à la persécution des communistes russes.        

LES AILES


( … ] Quand on vous dit : « C’est contre nature », regardez l’aveugle qui a dit ces mots et passez votre chemin, sans faire comme ces moineaux qui s’égaillent à la vue d’un épouvantail dans un potager. Les gens marchent comme des aveugles, comme des morts, alors qu’ils pourraient créer la vie la plus enflammée, où le plaisir serait toujours aigu comme serait intense une vie où à peine né l’on mourrait aussitôt. C’est avec cette avidité-là que nous devons tout accueillir. À chacun de nos pas, il y a des miracles autour de nous : dans le corps humain il ya des muscles, des ligaments qu’on ne peut voir sans vibrer ! Et ceux qui lient l’idée de beauté à la seule beauté de la femme telle que le conçoit l’homme ne font montre que d’une concupiscence vulgaire et sont les plus éloignés de la véritable idée de beauté.   Nous sommes des Hellènes, les amants du beau, les Bacchants de la vie qui éclot. Comme les visions de Tannhäuser dans la grotte de Vénus, comme l’illumination de Klinger et de Thomas, elle existe, la patrie ancestrale, inondée de soleil et de liberté, où les êtres sont beaux et hardis et, à travers les mers, dans le brouillard et les ténèbres, c’est là-bas que nous allons, nous les argonautes ! Alors dans la nouveauté la plus inouïe nous connaîtrons de très anciennes racines et au rayonnement irréel de sa lumière, nous sentirons la présence de la patrie !

LAUTRÉAMONT

(Français, 1845-1870)

Lautréamont est un cas. Il a été marqué par l’ange du mystérieux et du bizarre. Il s’appelait en réalité Isidore Ducasse et il prit le nom de Lautréamont dans roman d’Eugène Sue. Né à Montevideo en Uruguay, il eut une enfance assez triste dans un collège de jésuites. En 1860, il a quatorze ans quand son père, chancelier du consulat de France en Uruguay, l’envoie au lycée de Tarbes, puis à celui de Pau, en France. En 1867, il se présente aux examens pour entrer à l’école Polytechnique où il passe ses nuits à se promener dans Paris et il n’entre dans sa chambre d’hôtel que pour écrire. Son œuvre, Les Chants du Maldoror, ne sera pas publiée de son vivant, sauf de rares extraits. Ce sont six poèmes en prose où on trouve de tout, de l’injure à Dieu au sadisme, par exemple au chant IV, un pendu est fouetté avec un knout garni de lames de rasoir par sa mère et sa femme.

Lautréamont vil seul, il s’adonne à la lecture, à ses escapades nocturnes et il écrit. Il ne s’intéresse plus au monde qui l’entoure ; il déménage souvent et finalement on perd sa trace. Il meurt dans la solitude la plus complète à l’âge de vingt-quatre ans, le 23 novembre 1870.

HYMNE À L’AMOUR ADOLESCENT

[ … ] Soyez bénis par ma main gauche, soyez sanctifiés par ma main droite, anges protégés par mon amour universel. Je baise votre visage, je baise votre poitrine, je baise, avec mes lèvres suaves, les diverses parties de votre corps harmonieux et parfumé. Que ne m’aviez-vous dit tout de suite ce que

vous étiez, cristallisation d’une beauté morale supérieure? Il a fallu que je devinasse par moi-même les innombrables trésors de tendresse et de chasteté que recélaient les battements de votre coeur oppressé. Poitrine ornée de guirlandes de roses et de vétiver. Il a fallu que j’entrouvrisse vos jambes pour vous connaître et que ma bouche se suspende aux insignes de votre pudeur.           


Mais (choses importantes à représenter) n’oubliez pas chaque jour de laver la peau de vos parties, avec de l’eau chaude, car, sinon, des chancres vénériens pousseraient infailliblement sur les commissures fendues de mes lèvres inassouvies. Oh ! Si au lieu d’être un enfer, l’univers n’avait été qu’un céleste anus immense, regardez le geste que je fais du côté de mon bas-ventre : oui, j’aurais enfoncé ma verge à travers son sphincter sanglant, fracassant, par mes mouvements impétueux, les propres parois de son bassin ! Le malheur n’aurait pas alors soufflé, sur mes yeux aveuglés, des dunes entières de sable

mouvant ; j’aurais découvert l’endroit souterrain où gît la vérité endormie, et les fleuves de mon sperme visqueux auraient trouvé de la sorte un océan où se précipiter ! Mais, pourquoi me surprends-je à regretter un état de choses imaginaires et qui ne recevra jamais le cachet de son accomplissement

ultérieur? Ne nous donnons pas la peine de construire de fugitives hypothèses. En attendant que celui qui brûle de l’ardeur de partager mon lit vienne me trouver; mais, je mets une condition rigoureuse à mon hospitalité : il faut qu’il n’ait pas plus de quinze ans. Qu’il ne croie pas de son côté que j’en ai trente; qu’est-ce que cela y fait?

L’âge ne diminue pas l’intensité des sentiments, loin de là ; et, quoique mes cheveux soient devenus blancs comme neige, ce n’est pas à cause de la vieillesse : c’est, au contraire, pour le motif que vous savez. Moi, je n’aime pas les femmes ! Ni même les hermaphrodites ! Il me faut des êtres qui me ressemblent, sur le front desquels la noblesse humaine soit marquée en caractères plus tranchés et ineffaçables.

THOMAS-EDWARD LAWRENCE

(Anglais, 1888-1935)

Lawrence était un enfant illégitime et il semble que son implication pour défendre la cause arabe a pu venir de ce fait. II connut une enfance et une adolescence heureuse. Il fut conseiller des chefs arabes pendant la guerre 1914-1918. Après ce conflit, il écrivit son admirable livre Les sept piliers de la Sagesse où il se révéla être un grand écrivain. II continua cependant à faire partie de l’armée. En Arabie, il avait été amoureux d’un jeune ânier de 14 ans, Salim Abmed qu’il avait connu en1911 et qu’il amena à Londres. La mort de Salim en 1918

lors d’une mission militaire lui fut extrêmement pénible. Revenu en Angleterre après la guerre, il s’éprit d’un jeune homme de 19 ans, Bruce, qu’il garda auprès de lui pendant treize ans. Deux mois après sa démission de l’armée, il se tua dans un accident de motocyclette, résultat de son amour pour la vitesse.

Je t’aimais, aussi j’attirais ces flots d’hommes entre mes mains

Et j’écrivais ma volonté à travers le ciel, dans les étoiles

Pour conquérir ta Liberté, la digne maison aux sept piliers

Afin que tes yeux brillent pour moi

Lors de mon arrivée

La mort était ma servante

sur la route jusqu’à ce que nous soyons proches

Et que je t’aperçus; tu m’attendais

Alors tu m’as souri

et la mort dans sa jalousie mesquine

t’emporta dans sa morne tranquillité [ …)

C’est pourquoi le prix de notre amour fut ton corps détendu.

RAMON LLUL

(Espagnol, 1235-1315)

Poète allégorique, lyrique et intense, Llul naquit en Catalogne. Étonnamment moderne pour l’époque, on lui doit la préfiguration de la littérature religieuse des grands mystiquescomme Jean de la Croix et Thérèse d’Avila. La poésie de Llul est beaucoup plus symbolique que celle des auteurs français de la même époque, plus axée sur les confessions personnelles. C’est pour cette raison peut-être qu’on connait peu de choses sur la vie du poète.

L’AMI ET L’AIMÉ

Les oiseaux chantaient l’aube,

l’ami est l’aube

qui s’éveilla.

Alors l’ami mourut à l’aube pour l’Aimé.

L’ami entreprit une quête pour connaître

si son aimé était favorisé

par les plaines,

mais ce ne fut pas le cas.

Il prit ce prétexte

pour remuer la terre

pour savoir si s’accomplissait l’attachement fervent

puisque la terre est défaillante.

L’ami cognait à la porte de son aimé

un coup d’amour et d’espérance.

L’aimé entendit le coup de son ami

humblement, pieusement, patiemment, charitablement.

La divinité et l’humanité ouvraient les portes

et l’ami entrait pour voir l’aimé.

L’ami avait soif de solitude

et il se retira seul

dans le but d’être seul avec son aimé ;

ils étaient seuls parmi les hommes.

L’oiseau chantait sur la branche

bien remplie de feuilles et de fleurs

et le vent faisait danser feuilles

et emplissant l’air du parfum des fleurs.

L’ami demandait à l’oiseau

ce que signifiait l’agitation des feuilles

et le parfum des fleurs.

La réponse fut « Les feuilles dans leur mouvement

signifie obéissance

et le parfum souffrance et malheur. »

On questionna l’ami sur son appartenance.

Il répondit : « À l’amour.

— De quoi es-tu fait ?

– D’amour.

— Qui t’a fait?

— L’amour.

— De quel endroit es-tu originaire?

— Dans l’amour.

– Qui t’a allaité?

— L’amour.

— Comment te débrouilles-tu?

– Avec l’amour.

— Dis-moi ton nom?

— Amour.

— D’où viens-tu?

— De l’amour.

— Et où vas-tu?

— Dans l’amour.

— Où es-tu?

— Dans l’amour.

— Es-tu quelque chose en dehors de l’amour? »

La réponse arriva aussitôt :

« Oui, les fautes et les torts que j’ai eus envers mon Aimé

— Ton Aimé t’en absout-il? »

L’ami exprima que l’Aimé était miséricorde et justice,

c’est pourquoi sa demeure

était entre l’espérance et la crainte.


C’est à cet instant que la chambre

de l’Aimé illumina la chambre de l’ami

pour en chasser l’ombre et l’emplir de plaisirs, de langueur et de pensées.

Et l’ami sortit tout ce qu’il avait dans sa chambre

pour lui permettre de contenir son Aimé.


L’ami se mit à parcourir les monts et les plaines

et il ne pouvait pas trouver la porte pour quitter

la prison d’amour

qui depuis bien longtemps

emprisonnait son corps et son esprit,

ses désirs et ses plaisirs.


L’ami était étendu sur un lit d’amour.

Les draps étaient confectionnés de plaisirs,

les couvertures de moments de langueur

et l’oreiller de larmes.

La question était de savoir

si la taie de l’oreiller était

de même composition que celle des draps

ou de la couverture.

L’amour, mer agitée de vagues et de vents,

n’a pas de port ou de rivage.

L’ami a péri dans la mer

et avec lui disparurent ses tourments

et naquit son accomplissement.


L’Aimé a créé et l’ami a détruit.

L’Aimé a recréé et il a glorifié l’ami.

L’Aimé termina son œuvre

et l’ami demeure pour toujours

dans la compagnie de son Aimé.

(Traduction : Juan Expédita)

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