Un sourire d’enfer 61
Un sourire d’enfer 61
Pour adulte seulement.
Malgré toutes nos probabilités, Antoine a été le premier à m’inviter à coucher dans sa chambre. Que fallait-il répondre ? Fallait-il me faire confiance et prendre la chance ? Les jeunes invitent ceux qu’ils aiment bien à coucher dans la même chambre qu’eux. C’est comme partager une amitié. C’est un partage qui officialise qu’il t’aime bien.
À moins d’avoir un jeune à qui on interdit ce genre de rapport, il est difficile d’expliquer pourquoi ce serait indécent. D’ailleurs, pour les jeunes même le mot indécence est difficile à comprendre. Ils ne sont pas encore conditionnés à la pruderie. Un corps c’est un corps, il y a rien de mal là-dedans, même la nudité est naturelle. Ils ont raison, sauf qu’on ne se met pas nu n’importe où, n’importe quand. D’ailleurs, tu peux coucher dans le même lit sans qu’il y ait des ébats sexuels.
Sa mère ne s’y opposa pas, et malgré qu’elle préconise une éducation absolument libre, elle manifesta son mépris pour cette invitation avec beaucoup d’arrogance. Il était cependant entendu que c’étaient les jeunes qui menaient et décidaient de leur vie. Il était évident qu’elle craignait que son fils ait des attraits pour les hommes. Mais, comment justifier qu’elle refuse que je couche dans sa chambre. Ça la forçait à s’interroger, car elle savait très bien que je n’avais rien fait pour valoir cette invitation. J’en étais moi-même très surpris.
Pour elle, l’homosexualité était encore anormale, contre-nature, mais elle avait l’honnêteté de ne pas me juger et décider pour ses enfants.
Elle me reprochait autre chose. Elle ne digérait mal mes reproches à l’effet qu’elle avait l’habitude de trop brailler sur son sort et sur la condition d’infériorité des femmes.
Dans un groupe de féministes rien n’est plus grave que de reprocher aux femmes de brailler sur leur sort plutôt que d’agir en toute égalité. Agir au lieu de se plaindre. Si on se croit inférieure, on n’a pas à blâmer les autres d’agir en mâles envers nous. L’égalité commence par sa propre façon de se voir. Elle avait cependant l’honnêteté d’être franche.
Pour d’autres, j’étais l’insulte suprême parce qu’au lieu de m’intéresser aux femmes, je disais que j’étais intéressé par les garçons. Elles ne pouvaient pas digérer un tel outrage à leur magnétisme supposément invulnérable.
Ma vie me posait beaucoup de questions. Comment un gars peut-il être pédéraste et vivre avec une femme ? Le pire, le sexe n’existait qu’avec elle. Une passe dans le temps où j’étais temporairement strictement hétéro.
Un temps où je me questionnais encore plus profondément sur mon identité sexuelle. Vivre en toute liberté avec les gars, ça soulève d’autres questions.
Est-ce qu’ils perçoivent la sexualité comme moi ? Comment savoir qu’on agit vraiment en égaux ? Peut-être que les féministes avaient raison quand elles prétendaient que juste le fait d’être adultes les influençait. Que sans s’en rendre compte, on attire le jeune vers ce que l’on veut ? Que le jeune ne peut pas penser sexe sans qu’on l’ait amené à le faire. Ce sont des questions très importantes, fondamentales, quand tu crois dans la liberté absolue.
Sans le savoir, pour moi, le consentement était le centre de toutes les relations. Par exemple, Edmond venait me trouver dans le lit sans que je lui demande et même si on couchait ensemble, pas question d’y toucher parce qu’il ne voulait pas. Il se sentait plus en sécurité en étant avec moi. Point à la ligne. Ayant refusé l’invitation d’Antoine, le problème disparut ; mais toutes questions survivaient.
Les féminounes projettent-elles leur propre peur sur les jeunes pour justifier leurs valeurs morales ? C’est aussi très possible.
Les femmes de l’école s’étaient mises d’accord pour prouver que la pédérastie n’est pas normale en formulant que jamais Donald, par exemple, n’accepterait une telle expérience.
Or, à la suite de cette réunion où j’avais fait part de mes amours et de mes scrupules, de ma peur de nuire aux jeunes et au bon déroulement de l’école, j’ai sans que je n’aie eu rien à dire, dût confronter ma réalité à la grande sagesse, basée sur l’ignorance des gens qui se disent normaux.
Je travaillais à la construction de la nouvelle école, gelé comme une balle quand trois jeunes apaches sont apparus nus, courant autour de l’école.
Je ne pouvais pas me cacher mon intérêt visuel, je ne suis pas le curé d’Ars. Les jeunes l’ont sans doute remarqué et ont continué leurs petits jeux en m’apparaissant de plus en plus près. Je les croquais ou les dévorais des yeux. J’étais follement mal à l’aise d’en jouir autant, mais j’étais comme un radiateur surchauffé.
Le même soir, ils m’ont invité à aller jouer au Monopoly avec eux. Donald était du groupe et très clairement le meneur.
J’étais le seul adulte sur le terrain et je n’avais plus rien d’autre à faire. J’ai aussi accepté avec un plaisir immense. J’espérais en silence, en jouant la sainte âme, qu’ils répéteraient leur exploit de nudité. On est tous plus ou moins hypocrites quand il s’agit de profiter d’une situation qui nous ébloui et qui devrait nous paraître mauvaise. On souhaite que ça recommence en s’en voulant d’être aussi cochon.
Le soir, en jouant, ils ont très vite introduit l’obligation de striptease, à laquelle je ne me suis absolument pas opposé. Pourquoi l’aurais-je fait, sinon pour obéir à une règle morale que je trouve dépravée, car elle repose sur la honte de son corps. Nous nous sommes tous retrouvés à poil.
Donald s’est même permis des attouchements sur moi et je fus invité de lui rendre la pareille. Quel plaisir ! Nous étions en pleine séance de Monopoly quand nous avons entendu, plus prématurément que prévu, comme le bruit d’une auto qui arrivait.
Nous nous sommes rhabillés en vitesse comme des criminels. Pourtant, à l’école libre, la sexualité était libre, si elle était consentie par tous ceux qui étaient impliqués. Je regrettais ma réaction d’aliéné, mais trop tard.
Je suis demeuré très scrupuleux, malgré toute la théorie que je prônais. Comme c’est difficile d’échapper à l’éducation de son enfance. Mais, ce fut une fausse alarme.
Nous avons ensuite discuté au cours de la soirée autant de ma pédérastie que des étoiles. Les petits déambulaient à nouveau nus, se cachant parfois derrière les meubles pour me voir les chercher du regard. L’un d’eux ressemblait comme deux gouttes d’eau à l’acteur principal, dans Mort à Venise, en plus beau et en plus jeune. Ils m’excitaient comme un fou. Il aimait jouer à la danseuse. Il se cachait et me réapparaissait en se dandinant nu.
Quand je me suis couché, j’ai entendu les jeunes dans leur chambre discuter à savoir s’ils devaient venir coucher avec moi. J’aurais bien aimé ça, mais il était entendu que jamais l’incitation devait venir d’un adulte. Finalement, ils ont eu peur. « Ils auraient dû faire la femme », disaient-ils. Ils ne voulaient pas se faire sodomiser. Une chose que je n’aime pas, mais comment pouvait-il le savoir ? Ils pensaient comme les adultes. Où sont-ils allés chercher cette image du pédéraste.
Laisser libres, les jeunes raffolent de ce genre d’expériences, quand ils se sentent en sécurité, mais les adultes le nient, car ils s’imaginent que les jeunes sont encore de petits innocents. Ce pourrait être dangereux, j’en conviens, si le pédéraste est un psychopathe, donc victime d’une maladie mentale qui n’a rien à voir avec la pédérastie. Comme m’avaient dit des policiers : ils ne pensent pas tous comme toi.
Bien des sociétés ne s’offusquent pas de cette tradition qu’ont les jeunes de jouer à des jeux sexuels.
Or, nous, on nous a appris à en avoir honte et à y voir quelque chose de malsain, de sale, de pervers.
La pudeur que l’on croit naturelle est en fait ce que l’on appelle « une marque primaire » en éducation. C’est la certitude intérieure que c’est mauvais parce que l’on constate très jeune, à travers le non-dit des adultes, que la sexualité est le pire des crimes.
En même temps, il arrive que l’on l’expérimente quelque chose de profondément amusant, parfois drôle, d’où cette double manière d’aborder la sexualité. Nous ne sommes pas encore adultes que nous sommes intérieurement divisés entre la réalité humaine et les enseignements religieux.
Au Québec, on vit nos contradictions comme si elles n’existaient pas. C’est un des plus grands plaisirs, et sans que ce soit vraiment justifié, il faut absolument le répudier. C’est tellement grave qu’on doit avoir honte d’en parler. Si on en parle dans les écoles, c’est juste pour te montrer que c’est mal ou éviter les maladies vénériennes.
Si on étudie l’histoire de la répression sexuelle, on se rend compte que la folie tient à ce langage qui place la sexualité au rang des perversions.
Pourtant rien n’est aussi fabuleux que la sexualité. La reproduction est un phénomène qu’aucune machine n’arrivera à reproduire. C’est le miracle le plus grandiose de la nature et pourtant on le place comme étant le plus sale.
Peut-être que les plus fous ne sont pas ceux que l’on pense ; mais les ignorants qui s’imaginent que sans le sexe l’humanité aurait survécu.
Pourquoi avoir honte d’une chose aussi naturelle ? Qu’est-ce qu’il y a de plus beau, de plus magique qu’un spermatozoïde qui rencontre son ovule et crée un enfant ?
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