Un sourire d’enfer 60
Un sourire d’enfer 60 Je suis juste quelqu’un plus lent sur le plan émotif que les autres. J’en suis resté à définir la sexualité comme un plaisir. J’aurais été au ciel si j’avais vécu dans la Grèce antique, qui soit dit en passant, même si elle acceptait l’esclavage, était plus évoluée que le Québec poigné dans sa peur de la sexualité. Je n’étais plus sûr de rien. J’étais toujours divisé entre mon nouveau statut de paternel artificiel et ma réalité sexuelle. Quand tu es pédéraste, tu ne peux pas le changer. Tu nais ainsi et tu meurs ainsi, du moins, quant aux désirs. Tu ne peux qu’apprendre à le vivre comme du monde. J’avais retrouvé mon insécurité des années 1963, de ma première sortie de prison. Cette fois, plutôt que de retourner à la religion, de m’enliser dans leur folie quant à la sexualité, j’assumais mes contradictions comme une guenille qu’on déchire. J’ai travaillé plusieurs mois à la construction de l’école libre et à la rédaction d’une constitution pour la République du Québec. Avec un ami, l’école libre est devenue une obsession quant à ce qu’il fallait faire pour vraiment changer la société et la rendre plus heureuse, plus autonome. Patrick m’accompagnait souvent. Il s’était créé une espèce d’osmose entre nous deux. Je me sentais responsable de lui et Yanie comme si c’eut été mes propres enfants. Une complicité extraordinaire. Je respectais sa volonté, ses désirs et dans la mesure du possible, je réalisais quelques-uns de ses rêves. J’étais fier que Patrick ait moins de difficulté à s’exprimer. Je crois que c’était parce qu’il avait plus confiance en lui. Je me sentais un petit peu responsable de ce changement plus que positif. La pédérastie offre aussi de très grands avantages quant à la communication avec les jeunes. Des adultes qui refusent de devenir adultes, ça comprend plus vite les jeunes. Ce travail manuel difficile, mais sain, de construction me permettait d’oublier la vie politique ; quoique j’en parlais encore. La drogue de la politique est comme l’héroïne. Aucune cure ne t’en détache complètement. À l’école libre, on était trop socialiste pour être péquiste. Ça ne me touchait pas tellement puisque je me suis toujours cru un révolutionnaire. J’étais tout à ma paternité. Tout respectueux de la philosophie de l’école : intervenir le moins possible dans la vie des enfants. N’être là que pour répondre à leurs demandes. J’ai travaillé plusieurs mois à la construction de cette école parce que je me sentais accepté. L’école libre, c’était la » grande révélation », le « grand espoir » de créer un nouveau monde où le respect de la spécificité de l’individu l’emporte sur les tabous. Après avoir travaillé avec acharnement à sa constriction, j’ai commencé à craindre que ma pédérastie ne nuise à sa réalisation et à sa réputation. Les gens du Québec quand il est question de sexe, surtout à l’école, où ce sont très majoritairement des femmes qui s’y retrouvent, sont incapables de se raisonner et de voir qu’on fait tout un plat avec la sexualité. On est malade de scrupules, alors qu’il n’y a rien là, s’il n’y a pas de violence. On ne peut pas se détacher des siècles de répression sexuelle où tout ce qu’on nous montrait reposait sur l’ignorance de notre corps. J’ai tenté de devenir animateur quoique mon incompétence me faisait peur. J’étais encore divisé entre ce que je crois fondamentalement et ce que nous prêche la société. Serais-je un exemple de «culpabilisé» toute ma vie ? Je ne me faisais pas confiance. D’où vient cette mésestime de soi quand on vit sa sexualité différemment des autres ? J’étais moins poison pour les jeunes que ceux qui me faisaient la leçon. Je croyais que l’éducation c’est d’abord et avant tout créer des êtres autonomes et fiers d’eux. Et, aussi fou que ça puisse être, dans ce cas pour moi, il n’y avait aucune différence entre un garçon et une fille. Les deux sont égaux, même si l’un nous attire plus que l’autre. De toute façon, ils étaient trop jeunes pour faire des enfants, même s’ils avaient joué aux fesses toute la journée. Donc pourquoi s’énerver ? Digne de ma naïveté, j’ai décidé d’informer le groupe de ma pédérastie. Je me disais que je ne pourrais jamais être un danger pour un jeune si tout le monde était averti de mes tendances. Question aussi d’honnêteté pour que l’école ne se ramasse pas dans un ouragan à cause de moi, parce que j’étais trop lâche pour dire la Vérité. Je n’ai jamais voulu qu’une personne autour de moi ait à souffrir de cette révélation en apprenant sous forme de dénonciation que je suis pédéraste. D’autant plus qu’ainsi surveillé, je ne pourrais jamais provoquer le goût chez un jeune de me flirter, sans qu’il soit protégé. Je ne pourrais certes pas profiter de mon expérience pour obtenir les faveurs de qui que ce soit. En le disant, je devenais la cible de tous les regards. Quelle erreur ! Je n’avais pas compté sur la bêtise de ceux et celles qui prétendent être les étendards des droits des jeunes. Certaines femmes, qui pivotaient autour du projet, n’attendaient que ça pour laisser éclater leur stupidité et bien évidemment essayer de me faire expulser de l’école. Si j’ai été plus tard en quelque sorte écarté de l’école par les féminounes avec la complicité de mâles hétéros, leur victoire était loin d’être définitive. Elle trahissait plutôt leur faiblesse et leur ignorance. Elles provoquaient une curiosité malsaine. Ces femmes me reprochaient mon hypocrisie. L’histoire avait été déclenchée à partir d’un geste anodin. J’avais aidé un jeune garçon à monter d’un étage à l’autre, il n’y avait pas encore d’escalier. L’autre animateur, au deuxième, prenait le jeune par les mains pour le grimper alors que moi je le soulevais pour que ça devienne possible de le tirer. Une nouvelle animatrice y voyait là une raison de scandale. Selon elle, je manifestais dans mon visage une trop grande jouissance pour que ce soit normal, surtout parce que j’avais dû le pousser par les fesses pour le soulever davantage. À son avis, ce geste banal était une forme de sollicitation. Quant à moi, quand elle en parla, je pensais plutôt qu’elle avait un urgent besoin de se faire soigner, car elle était stupidement scrupuleuse et peut-être jalouse. Je n’étais quand même pas à me mettre à pleurer parce que je devais le tenir par les fesses pour être assez haut. Tout le monde agit comme je le faisais sans qu’il n’y ait de problème. Elle capotait parce que j’avais dit que j’aimais les petits gars. Donc, elle extrapolait quant à ce que je ressentais et le jeune aussi… Le jeune, qui soit dit en passant s’en était même pas aperçu, tant tout cela se passa normalement. Non seulement elle s’attachait aux gestes, mais elle me prêtait des intentions que je n’avais même pas. Elle me savait pédéraste, donc, ça devait être ainsi. Comment peut-elle le savoir puisqu’elle ne sera jamais pédéraste. Les féminounes sont trop aliénées pour comprendre qu’il n’y a rien là. Pas de violence, rien de particulièrement indécent ; mais elle avait l’imagination et la critique perverse. Elle se projetait intérieurement sur moi. Pourquoi une personne normale évaluerait-elle mon degré de satisfaction à travers mes yeux ou mes sourires, à moins d’être complètement perverse elle-même ? Les féminounes m’en voulaient d’être populaires auprès des enfants. Dans leurs petites têtes, elles auraient voulu que je réponde complètement au stéréotype véhiculé par les journaux jaunes sur la pédérastie : un pédéraste est un sanguinaire qui écrase les enfants avec sa force ou la fascination. On avait beau me reprocher quoique ce soit, je respectais complètement la décision de l’équipe à l’effet que jamais un adulte ne devait faire les premiers pas pour être en contact avec les jeunes. Il y a des adultes qui plaisent automatiquement à un certain type de jeunes. La confiance, l’amitié, l’affection est automatique. Je n’y pouvais rien, c’est ce qui se produisait. On était bien obligé de s’en rendre compte. Les adultes ne connaissent rien aux plus jeunes parce qu’ils sont tellement imbus de leur vocation de parents qu’ils n’arrivent pas à comprendre le cheminement du développement de leurs jeunes. Ils ont peur pour eux et les étouffent, ils les empêchent de vivre leurs expériences. Ils s’imaginent que tous les jeunes sont pareils à eux, ce qu’il y a de plus faux. Malgré les coups de gueule sale, la majorité décida de laisser les choses se développer normalement. Je m’étais mis complètement à nu et on considérait que jusqu’à preuve du contraire, j’avais un comportement non seulement satisfaisant, mais exemplaire. À cette époque, dans ce milieu, les esprits étaient moins tordus qu’aujourd’hui. On essayait vraiment de comprendre et de changer les choses. Il y avait des féministes en nombre croissant, mais elles ne partageaient pas l’étroitesse d’esprit des féminounes. Elles aussi s’interrogeaient sur la réalité des jeunes, sans vouloir leur imposer leurs valeurs. On décida de ne pas tenir compte des réactions de la mégère. La directrice de l’école conclut en disant que peut-être les jeunes vivent leur sexualité différemment de ce qu’on leur avait appris. La seule chose importante, c’était leur liberté. On souligna aussi que Neil, le fondateur de Summerhill, n’aurait jamais toléré un gai dans son école libre quoiqu’il n’en faisait pas toute une montagne dès qu’un incident sexuel s’y passait. La directrice de l’école termina en disait qu’elle croirait que les jeunes sont plus ouverts sexuellement quand Donald, son garçon le plus âgé, initierait librement un jeu sexuel. Et cela se produisit plus vite que prévu.