Un sourire d’enfer 59
Un sourire d’enfer 59
Quelques jours avant mon départ de prison sont arrivés trois syndiqués, emprisonnés pour avoir incité à la violence. Je trouvais ça dégueulasse, mais je n’y pouvais rien.
Un nouveau mot était maintenant utilisé dans les conversations en prison : révolution. Et, ce n’était pas moi qui l’utilisait le plus souvent.
Les gars lisaient mon livre et riaient de me voir engueuler les libéraux. J’ai appris, comme tout le monde en prison, que Jérôme Choquette démissionnerait bientôt. Cela me semblait plus qu’invraisemblable, mais j’ai fait parvenir l’information au Jour. Quand tu as été journaliste, un scoop ça veut toujours dire quelque chose.
Jusqu’à quel point les libéraux étaient-ils liés à la pègre pour qu’on sache en prison plusieurs jours d’avance ce qui se produirait dans la vie politique du Québec ?
Le dernier message que j’ai eu alors n’était pas politique, c’est moi qui rêve j’imagine. C’était à peu près ceci : » Ne refais jamais de politique, sinon t’auras pas besoin d’avoir fait quelque chose pour retourner plus longtemps dedans. «
C’était court, net et clair. Tu fermes ta gueule ou tu passeras ta vie en prison.
J’ai pensé que la prochaine fois on essaiera dans un coup monté de faire croire aux gens que j’ai été violent avec des petits gars ou qu’on fera sauter quelque chose en me le mettant sur le dos.
À ma sortie de prison, je n’ai pas pu récupérer le seul dollar qui me restait pour survivre et que j’avais à la cantine. C’est comique de te faire voler par les gardiens de prison.
Quand je suis retourné à la maison, même si j’aimais encore Suzanne, mes doutes paranoïaques avaient tellement pris d’ampleur qu’au début je n’arrivais même plus à éjaculer. J’étais physiquement atteint.
Je ne voulais pas la laisser, j’en étais incapable ; mais je ne pouvais plus croire de façon absolue qu’elle n’était pas mêlée à ce piège politique.
La politique avait encore une fois brûlé ma vie.
Alors qu’avant je m’en sortais plus baveux et plus brave, cette fois, j’étais grugé par en dedans.
Je n’arrivais pas à rattraper les énergies perdues.
J’étais écartelé entre mes opinions politiques et ma famille artificielle.
Cela ne m’empêcha pas de multiplier les démarches pour obtenir la libération du Cid, ce que nous avons obtenu assez vite.
J’avais perdu mes capacités au lit. Une bonne partie des Américains souffrent d’une maladie qui consiste à avoir peur d’aimer … l’amour étant devenu symbole de souffrance. Je devais en être atteint.
Les Américains, obsédés par le mythe du mâle, trouvent leur bandage plus important que d’aimer la personne qui les accompagne dans leurs relations sexuelles. Cette peur de ne pas venir à temps ou de ne pas pouvoir bander était nouvelle, mais surtout très embarrassante.
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DÉFONCÉ PAR LA FOLIE.
À ma sortie de prison, j’étais heureux, mais brisé. J’ai rencontré un ami avec un petit blond d’une grande beauté. J’en fis presqu’une crise de jalousie. C’était décevant de réagir aussi bêtement, car, cet ami était un excellent poète de la libération et un ami que j’admire.
Entre deux actes de paternité, j’ai travaillé avec Pierre à la rédaction d’un nouveau recueil de poésie.
La littérature jusqu’à ce que le Québec soit indépendant est un moyen, un outil d’information, de prise de conscience pour faire comprendre aux gens le comment et le pourquoi les fédérastes essaient de nous écraser.
Quand l’indépendance sera faite, l’écrit aura perdu son caractère d’urgence, sa carcasse temporelle.Il deviendra rêve, création, recherche.
Ce sera fini les sermons et il faudra vivre la vie par la racine pour toucher davantage l’universel. Il faudra chercher plus en profondeur pour comprendre ce qu’est d’être un humain.
Ce petit livre de poésie L’amourajeux affichait mes convictions et mes peurs.
La vie de franc-tireur a des problèmes qui lui sont propres, surtout, quand tu n’y es pas préparé. Je voulais les exorciser en les nommant. Je n’étais pas encore l’homme libre que je suis devenu. Je souffrais de la morale avec laquelle on nous avait intoxiqués. Je devrais plutôt dire avec le silence que l’on nous imposait sur tout ce qui touchait la sexualité.
On apprenait sur le tas, à partir de nos expériences parce qu’on ne pouvait pas faire confiance aux adultes qui devenaient hystériques juste à dire le mot «cul».
J’aurais aimé que quelqu’un me dise que j’ai tord de me sentir aussi inférieur parce que je suis différent, pédéraste. J’avais besoin d’être rassurer sur mon authenticité comme si un pédéraste ne pouvait pas évoluer et être un individu aussi bien que n’importe quel autre. J’aurais voulu me sentir épaulé, mais ce n’est jamais venu.
Le bouquin fut d’abord refusé aux Herbes rouges avant d’être présenté à l’Hexagone. C’était important, surtout à l’Hexagone. C’était pour moi être reconnu comme poète. J’avais hâte de connaître le verdict.
L’Hexagone accepta le manuscrit. Le temps passait sans publication. Elle était retardée, disait-on, pour des raisons financières. Mon éditeur y ajouta ensuite ses préoccupations personnelles pour excuser le retard. Gaston Miron avait toujours une peine d’amour en sursis ou en trop.
Le livre a été scindé. La partie exécutée par mon frère de mots, Pierre Brisson, fut publiée alors que la mienne mourut sur les tablettes. .Avec le PQ au pouvoir, il était, disait-on, dépassé. Comme si le PQ avait réalisé l’indépendance.
J’ai bien mal pris ces refus. Avant j’écrivais parce que on me demandait d’écrire. Je travaillais comme un fou sur mon écriture, d’autant plus qu’au début j’étais plus que pourri en français. Je me sentais comme quelqu’un qu’on a utilisé le temps que ça faisait leur affaire. Ça n’a pas tellement changé depuis.
Janou St-Denis avait-elle raison en disant n’avoir jamais trouvé une goutte de poésie dans mes textes. Par contre, elle avait l’ouverture d’esprit lui permettant de me laisser m’exprimer. Jamais Janou ne m’a refusé le micro. La droite jubilait de rage, mais elle croyait dans ce qu’elle disait.
Janou, c’était une authentique poète, elle. Une grande femme de la littérature qui m’a fait beaucoup réfléchir sur ma position vis-à-vis les femmes. Je n’ai rien contre les féministes, au contraire, elles ont fait évoluer le Québec à une vitesse extraordinaire ; mais les féminounes, elles, essaient, sans même sans rendre compte, de nous faire revivre dans la merde religieuse quant à la sexualité. Une haine et une honte maladive de son corps. Les féminounes sont les récupérées.
Je revivais mes éternels angoisses quant à mon talent littéraire. Une fois de plus je croyais n’être qu’un imbécile qui se leurre quant à son talent. J’avais mal à la plume. L’imagination crevait avec le goût de crier. Un autre espoir venait de s’écraser dans la fenêtre de la réalité.
J’ai pris une décision. Dorénavant, j’écrirai parce que j’adore ça. Je complèterai mes livres pour aller sur les tablettes. Ce sera mieux ainsi. Ce sera moins frustrant. Ça ne donne rien de se casser la tête, de travailler un an et parfois plus pour te faire dire non par tous les éditeurs.
Au Québec pour réussir, il faut être un loup et être dans le bon clan, celui qui est au pouvoir.
La plume a eu très vite raison de mes complexes d’infériorité. Je n’avais pas décidé de tout laisser tomber que déjà j’écrivais un nouveau roman L’État de Grâce. Ce fut refusé par Jean Basile, sous prétexte qu’il faudrait trop travailler pour le rendre académiquement acceptable.
La prison avait tout de même fait son œuvre. Je pouvais maintenant constater sans paniquer que ma vraie prison ce n’était pas Bordeaux Beach, mais la société.
Tout ce que je pense est toujours mal, car, à la base on y retrouve une perception de pédéraste. Tout ce que je fais est toujours mal aux yeux des autres. La peur d’être seul, d’avoir tort, et surtout de mal aimer m’envahissait.
Je me sentais bien solitaire devant mon juge le Québec, le système politico-judiciaire. Je me sentais cuit comme un homard par la vie elle-même. Plus je me révoltais contre cette injustice, plus je me divisais contre moi-même. Je gueulais contre le manque de radicalisme des autres alors que j’avais peur, je paniquais.
Dans les gestes pour me dompter, la société n’y allait pas d’une manière virtuelle. Je me ramassais dedans ; mais j’arrivais encore à échapper à une très profonde culpabilisation.
Quelque chose me disait qu’ils exagéraient et qu’ils étaient incapables de comprendre en dehors de leur petit nombril, de leur petite réalité. Je sentais que ma perception de la vie vraie était de plus en plus exacte. Elle me condamnait de moins en moins, sauf, à la solitude.
Mes croyances l’emportaient sur tout ce que l’on inventait pour m’écraser.
J’avais peur d’irriter Patrick s’il ne connaissait pas mon attirance pour les autres garçons. Serait-il jaloux ? Se sentirait-il abandonné, trahi ? On ne sait jamais ce que les jeunes se mettent dans la tête. Ils sentent les choses différemment et plus facilement que les adultes. C’est d’ailleurs pourquoi il est facile pour eux de nous juger avec une précision chirurgicale.
Pour lui, j’étais un bon gars, je ne voulais pas le décevoir. C’est ainsi que la paternité s’infiltrait tranquillement dans ma peau.
Je suis juste quelqu’un plus lent sur le plan émotif que les autres. J’en suis resté à définir la sexualité comme un plaisir.
J’aurais été au ciel si j’avais vécu dans la Grèce antique, qui soit dit en passant, même si elle acceptait l’esclavage, était plus évoluée que le Québec poigné dans sa peur de la sexualité.
Je n’étais plus sûr de rien. J’étais toujours divisé entre mon nouveau statut de paternel artificiel et ma réalité sexuelle.
Quand tu es pédéraste, tu ne peux pas le changer. Tu nais ainsi et tu meurs ainsi, du moins, quant aux désirs. Tu ne peux qu’apprendre à le vivre comme du monde.
J’avais retrouvé mon insécurité des années 1963, de ma première sortie de prison. Et, si les autres avaient raison ? Je serai né monstre, seulement parce que je préfère le plaisir à la chasteté.