Un sourire d’enfer 42
Un sourire d’enfer 42
Si je m’étais écouté, je me serais volontiers rendu en Alaska. On dit que c’est très beau.
De retour à l’école, j’ai appris avoir perdu mon compagnon de chambre. Une décision bien curieuse en si peu de temps.
Le soir, je me suis rendu à la piscine. Burney est venu me rejoindre. Il voulait savoir d’où venait le pot vendu à l’école. Puisque je fumais, j’avais les cheveux en parachute, je devais le savoir. Et, il espérait que je le lui dise.
Au restaurant, trois jeunes mangeaient et buvaient bruyamment. L’un d’eux était le principal « pusher » de l’école. Nous nous sommes assis avec eux et j’ai profité d’une tentative de blague sur la marijuana pour passer le message.
— Je crois qu’au cours de cuisine, les autres ont raison. Ils pensent que Burney travaille pour la police. Depuis que je suis arrivé, il me questionne sans cesse sur la drogue. Ou peut-être notre vieux Burney a-t-il l’intention de commencer à fumer ?
Burney fulminait. Rouge de colère, il me dit laconiquement.
— Ne recommence jamais ça, je te tuerai.
J’ai joué l’imbécile et je suis entré avec lui à l’école.
Tout se déroula presque normalement durant une semaine. Presque, car, depuis mon arrivée le professeur de cuisine du département me tombait sur le dos à la moindre occasion. N’ayant plus de petite Indienne à massacrer, j’étais devenu, le «frog», la cible toute rêvée. Le petit français devait manger de la merde.
Burney ne me réveilla pas un matin pour me punir de ne pas avoir coopéré à son enquête. Le professeur en profita aussitôt pour m’expulser. J’avais le feu au cul.
— Ce n’est pas de ma faute, si je n’ai aucun « fucking » cadran.
Le professeur s’exclama comme si je venais de le tuer. Je venais d’être vulgaire en ayant employé ce mot anglais qui fait mourir toutes les âmes anglaises conservatrices. C’est une expression qu’on entend dans tous les bars ou toutes les tavernes du Canada, à tous les soirs.
J’ai décidé de défier son ordre. Je me suis habillé quand même et je me suis mis à l’ouvrage. Je coupais des légumes quand j’ai été invité au bureau de l’assistant- principal de l’école. Je m’y suis rendu, le couteau à la ceinture. Le professeur du département me regardait avec haine.
L’assistant-principal confirma mon renvoi. Je ne m’intéressais pas assez aux cours et j’avais, disait-il, une mauvaise influence sociale. Je sentais la moutarde me monter au nez.
J’ai regardé mes deux interlocuteurs. Je me suis approché du professeur en charge du département et j’ai sorti l’immense couteau à ma ceinture. J’ai commencé à l’engueuler sur son racisme de façon à ce que les étudiants m’entendent très bien de l’autre côté de la fenêtre. Je pianotais mes syllabes avec le bout du couteau, en direction du professeur.
— Je vais sortir de l’école. C’est vous le boss, mais ça ne veut pas dire que ça finira là. On se reverra. Vous allez apprendre que le racisme, ça se tourne souvent contre nous. Je ne suis peut-être pas fort, mais je ne me laisse pas manger la laine sur le dos.
— Si vous êtes intéressé à nos cours, vous arriveriez à temps.
— Ce n’est tout de même pas de ma faute si je n’ai pas l’argent pour acheter immédiatement un cadran et que Burney ne m’a pas réveillé tel qu’il l’avait promis. Si je n’étais pas intéressé à ces études, je serais demeuré plus longtemps à Vancouver. J’avais la permission. Pourquoi me serais-je fait geler sur le bord de la route, si je ne veux pas suivre cet enseignement ? J’ai besoin de ce métier pour voyager. Pour moi, c’est important.
— Nous ne pouvons pas vous réintégrer au cours. Vous avez été indiscipliné et vous avez employé un langage vulgaire
— Si vous étiez mis à la porte pour des raisons aussi stupides n’emploieriez-vous pas le même langage ? À part cet incident, vous n’avez aucun dossier de discipline contre moi. La réalité, c’est que vous n’êtes qu’un maudit fasciste. Même si nous sommes des adultes, vous nous traitez comme des enfants. L’école a une politique du moyen âge. Même en prison, si vous ne faites pas votre lit le matin, on ne vous enlève pas vos couvertures durant deux jours comme ici. Qu’est-ce que ça donne votre socialisme, si ça fait de nous des robots, des soldats. La discipline excessive, ça rend bête. Tout ce qui est militaire, je l’ai de travers dans le c.
— Il ne peut pas être fasciste, de dire le principal adjoint, il a fait la guerre aux Allemands.
— Il aurait été mieux de ne pas y aller, cela en a fait un maudit raciste.
— Il faut respecter les règlements.
— Vous devriez comprendre qu’on ne traite pas des adultes comme des enfants. Vous devriez connaître les principes de Summerhill, cela fait partie de la culture. Puis, vos règlements, faites-en ce que vous voudrez. Je ne suis ici pour diriger une rébellion. Ce que je veux, c’est poursuivre mes cours sans problème.
Le directeur du département et mon professeur blanchissaient à chaque coup de couteau donné sur le bureau alors que je les regardais intensément. Plus le temps passait, plus je gueulais, plus je frappais fort avec le couteau, plus il était pointé en direction de la poitrine de celui que je dénonçais.
— Pourquoi t’accepterions-nous ? Tu n’apportes rien à la communauté.
— C’est votre point de vue. Je suis déjà socialement impliqué. J’ai déjà effectué des démarches pour réorganiser une émission de radio pour les francophones. Un programme pour améliorer la compréhension du milieu francophone par les autres. Ce n’est pas assez ?
Rien ne pourrait être fait pour changer la conclusion de ce débat.
À la demande de l’adjoint au principal, je suis retourné dans ma chambre. Il prenait mon cas en délibéré.
Les étudiants en cuisine me manifestaient beaucoup de sympathie puisque non seulement j’avais revendiqué mes droits, mais j’avais aussi dénoncé l’état répressif qui prévalait dans cette école.
À ma surprise, le principal m’a fait demandé, insistant pour que je me rende à son bureau sans couteau.
— C’est la première fois qu’un de mes chefs de département est menacé par un élève avec un couteau, me dit-il dès mon arrivée.
Nous avons rediscuté calmement de ma situation. Il a admis qu’à bien des égards, j’avais dû subir depuis mon arrivée des humiliations qui n’étaient sûrement pas étrangères à mon statut de francophone. Il reconnut la parenté de ce traitement avec celui infligé à la petite Indienne.
À la fin, celui-ci me fit part de sa décision de me ré accepter aux cours, à condition qu’il n’y ait jamais plus de plaintes contre moi. Il me prêta un cadran en badinant sur les règlements.
J’ai bien aimé ce directeur parce qu’il était objectif. Il a su reconnaître les manquements de part et d’autre et s’en tenir à un degré de discussion fort intéressant et civilisé. Plutôt que de chercher à me casser, il m’a appris que cette école servait aussi en grande partie à la réhabilitation des prisonniers juvéniles d’où il ne pouvait pas me laisser faire tout ce que je voulais. Il a fait appel à mon sens de responsabilité, car il avait senti que j’avais beaucoup d’impact sur les autres étudiants. Je ne savais pas que cette école en était une de réhabilitation.
Le soir, je suis retourné à la piscine. J’étais heureux. Je tenais vraiment à ces cours et j’adorais Dawson Creek à cause de ses petits Indiens.
C’était une situation affreuse, car j’avais dû menacer quelqu’un, même si je ne l’aurais jamais touché, pour enfin être écouté, pour obtenir un minimum de respect et de justice. Ce n’était pas moi qui l’avais cherché, je défendais mes droits et ma peau.
J’apprenais que devant le racisme, il n’y a qu’un moyen : être le plus fort. Je songeai à la situation politique du Québec. C’est exactement la même chose.
Ce n’est pas pour rien que le Canada prépare l’occupation armée du Québec. Le fédéral espère en refusant de négocier la souveraineté-association pousser le Québec à un affrontement militaire. Il est persuadé qu’il écrasera facilement, avec son armée, toute forme de rébellion. Voilà pourquoi le Québec doit organiser maintenant sa propre armée. Il ne faut pas que se répète l’histoire de Louis Riel et de 1837. Il faut prévenir pour être certain que tout se déroulera pacifiquement.
Pour le fédéral, il sera bientôt, et plus que jamais, dans son intérêt que le FLQ, renaisse. Si ça devait être le cas et que ce ne soit pas organisé par les fédérastes, le FLQ devrait être assez fort pour que les États-Unis et la Russie forcent le Canada à négocier pour éviter que le conflit dégénère chez eux. Il faut forcer le Canada à essayer de trouver une solution pacifique.
Le danger de la violence vient du Canada et non du Québec. Le Canada doit comprendre que la souveraineté-association est le seul compromis acceptable entre la séparation et le statut quo ou ses équivalents. Un Québec indépendant pourrait être son meilleur allié, car il serait dans leur intérêt commun d’améliorer la vie de leurs citoyens.
La question est fondamentale et claire : les Québécois sont-ils disposés à vivre dans un pays qui ne les respecte pas ? Les Anglophones du Québec veulent-ils vivre avec les francophones d’égal à égal dans un Québec francophone, mais respectueux de ses minorités ?
Durant la nuit, j’en vins à une toute autre conclusion : la direction avait décidé de gagner du temps, car sur le plan public, l’école avait plus tort que moi. C’était un congédiement différé pour mieux l’excuser.
Même si le chef de département a eu peur, cela ne l’empêchera pas, un peu plus tard, de m’embarquer encore sur le dos. Je me sentais déjà un gars fini. Il ne me restait plus qu’à m’en sortir honorablement. Je voulais montrer au petit ami du chef de département ce qu’est un » Funny Looking Queer » et lui faire savoir une fois pour longtemps que le FLQ n’est pas un sigle dont on se moque.
Je me suis préparé un plan à exécuter le lendemain midi, alors que presque tous les étudiants seront à la cafétéria.
J’ai profité de la pause-café pour faire comprendre aux autres étudiants que je ne croyais pas que je puisse rester, même si j’avais gagné la première bataille, grâce à mon jeu de couteau.
À l’heure prévue, je me suis rendu à l’arrière, aux toilettes, pour y laisser mes vêtements de rechange et mettre les vêtements qu’on avait pour cuisiner. Puis, je me suis rendu à la cuisine à l’avant et je suis sorti nu comme un ver de terre.
Je me suis faufilé dans la cafétéria qui était alors pleine à craquer jusqu’à ma case de vestiaire située à l’arrière-cuisine. L’émotion fut plus forte que prévue.
Pour la première fois, «streaker» me servait à contester une situation. Les bonnes femmes criaient comme si elles assistaient à un meurtre. Ce fut tout un spectacle. Pour les Anglais, c’était le sommet de la révolte. Les Anglais sont encore pires que les Québécois dans leur peur du sexe. De vrais bons chrétiens. Je me suis rhabillé avec mon linge ordinaire à mon vestiaire et je me suis dirigé vers ma chambre où mes bagages m’attendaient.
À l’extérieur, un groupe de gardiens du campus me cherchaient. Quand ils m’aperçurent j’étais déjà habillé.
— Have you seen that dem french man ?
— Non je ne l’ai pas vu, et vous ?
— We should blow your fucking head !
Aucun d’eux pourtant ne s’approcha de moi. Je me suis rendu dans ma chambre. J’entendais partout un tapage inusité. Trois gars vinrent en délégation me demander ce que je voulais qu’ils fassent.
— Ordonne et on défait le camp au complet. Certains ont déjà commencé.
Je pouvais prendre la tête d’une révolte qui aurait pu être grave. Les jeunes voulaient tout démolir. Je leur ai expliqué que j’avais posé ce geste en désespoir de cause : il me semblait impossible d’obtenir un traitement juste, mais je n’avais pas l’intention de les diriger.
J’avais plutôt hâte de déguerpir avant que les flics ne reçoivent une plainte. Je suis retourné sur le bord du chemin, là, où est ma vie, car, je ne suis accepté nulle part ailleurs.
J’ai d’abord été embarqué par un cultivateur. Il avait l’air d’un Indien. C’était un bonhomme bizarrement attachant. Il me regardait avec des yeux fascinants à la fois ironiques et sympathiques. Des yeux en sourires comme j’en avais vus qu’une fois, soit quand j’ai rencontré le Dr Jacques Ferron. Il en était le portrait parfait.
Il rigola quand je lui racontai mon aventure, mais il m’a fait réaliser que j’aurais bien pu passer quelques années en prison. Le bonhomme aurait bien pu crever de peur. J’en avais des frissons dans le dos. J’avais été trop niaiseux pour y penser. Ce cultivateur essaya de me faire réaliser que tous les habitants du BC ne sont pas des racistes, bien au contraire.
Le second bon samaritain m’a parlé longuement des possibilités de gagner facilement sa vie au Canada. Je lui ai expliqué que cela était vrai à la condition que tu penses comme tout le monde et que tu acceptes leur maudite discipline dont te couper les cheveux.
Il fut intrigué par la fermeté de mes convictions voulant qu’il n’y a qu’un avenir pour le Québec : la séparation. Selon lui le Canada était un bien trop beau pays pour le briser.
— Bien des gens parlent du beau pays qu’ils n’ont jamais visité.
— Ce n’est pas mon cas. Je l’ai parcouru d’un bout à l’autre.
— Comment avez-vous aimé Montréal ?
— Je ne me suis rendu qu’à Toronto.
— C’est bien ça, vous n’avez vu que le Canada.
Nous nous sommes regardés avant d’éclater de rire. Sans le vouloir, il venait de me donner raison. Il parlait comme les cartes géographiques ou climatiques vendues par les grandes compagnies opposées à la séparation du Québec, cartes sur lesquelles le Québec n’existe déjà plus.
— Le Canada, c’est payant pour les multinationales qui ont ainsi des subventions en double. De la province et du fédéral. Pour les gens, la population, tant de l’Ouest que du Québec, c’est un luxe qui entretient la haine.
Il s’est arrêté en cours de route pour me payer une bière. Mon amour pour le peuple augmentait. Se pourrait-il que le racisme existe que chez les dirigeants? Je souhaitais encore que le sort Québec-Canada se règle sans violence.