Un sourire d’enfer 41
Un sourire d’enfer 41
À Vancouver, la bière coulait toujours à flot. J’ai su où il me serait possible de trouver le repaire des copains de Jimmy. Ce n’était pas facile d’y accéder puisqu’il s’agissait d’une espèce de petite pègre de la marijuana. Je ne pouvais me rendre les rencontrer que le lendemain soir. J’y serais attendu.
À la fin de la soirée, je suis entré à la maison avec un jeune d’une vingtaine d’années. Il connaissait ma pédérastie, car il nous avait écoutés en discuter. Nancy, quant à elle, était partie avec un des gars.
Nous avions abandonné notre discussion pour nous amuser davantage. Cela a permis à Nancy d’apprendre que même un amourajeux peut-être très agréable à rencontrer, même pour une fille.
En s’acceptant mutuellement pour ce que l’on est vraiment, les frustrations disparaissent et les rapports humains prennent une toute autre dimension. L’amitié est toujours au rendez-vous quand on rit ensemble.
Le lendemain matin, le jeune homme est venu me trouver dans mon lit. C’était sa première expérience. Il en avait rêvé toute la nuit. J’ai dû deviner ce qu’il voulait parce qu’il n’osait pas me le dire. À force de vivre avec les jeunes, tu viens que tu as des antennes. Il a tourné autour du pot jusqu’à ce que je lui dise qu’il me plaisait et que j’aborde la question de front. C’est étonnant comme ces jeunes ont du pouvoir quand il s’agit de sexe.
Le lendemain comme convenu, je suis entré en contact avec l’autre groupe de Québécois. J’étais déjà presqu’une légende : c’est rare qu’un pédéraste ou amourajeux le dise ouvertement. La répression est telle que l’on a honte d’avouer ce penchant sexuel.
Un des jeunes me plaisait particulièrement, mais il ne voulait rien savoir. Il avait pourtant le tour d’agacer quelqu’un. Il me confia aller souvent boire chez son concierge, car celui-ci lui tournait après plus assidûment qu’un inspecteur de police en filature.
Pour tuer le temps, nous avons fumé et regardé la BD, Les échos de la savane, dont le sens de l’humour nous plaisait énormément.
— Voilà des mois que j’aimerais voir quelqu’un mourir de peur. Nous allons refumer et nous rendre à la représentation du film L’exorcisme.
— D’accord, mais pour ne pas nous ennuyer, nous essaierons d’imaginer une situation plus épeurante.
Nous voilà tous les deux au cinéma, crampés de rire, grâce à la marijuana, tandis que les gens autour de nous vive dans l’épouvante totale. Certains s’enragent même de notre absence de peur et de nous entendre rire. C’est ainsi que j’ai songé à la même position d’un bonhomme gelé qui aurait lui une once de pot sur lui et qui ne peut s’empêcher de rire en écoutant un film d’horreur alors qu’il se sent traqué par trois flics des narcotiques qui essaient de le repérer dans le cinéma. Il ne peut pas s’empêcher de rire, malgré sa peur.
Nous sommes retournés à l’appartement plus joyeux que jamais. Nous avons à nouveau fumé. Je m’amusais comme un fou. Nous sommes allés prendre une bière chez le concierge qui me manifesta aussitôt une antipathie qui ne laissait aucun doute. Il était déjà jaloux de moi. Les aventures pédérastes sont tellement rares que la jalousie est encore plus présente chez eux que chez les hétéros ou les gais.
Le soir, je me suis enfin rendu dans le groupe des nouveaux amis de Jimmy. Eux, ne me connaissaient pas.
À la maison, la table était garnie de pot. On travaillait à le mettre en sacs après l’avoir haché. Évidemment, on ne pouvait pas me faire confiance plus qu’il ne faut. J’étais nouveau, même si on me savait invité. C’était déjà un miracle que je sois là.
J’ai fumé à n’être plus qu’un nuage. Je me suis couché pour mieux jouir de la musique. Les filles défilèrent dans ma chambre. Elles en étaient fatigantes. Tel qu’entendu, le lendemain matin, je devais rencontrer leur grand patron.
Le matin, c’était presque la panique dans l’appartement. On me regardait de travers. Pour eux, je ne pouvais être qu’un flic puisque dans la nuit, je m’étais intéressé à aucune. Les questions fusaient de plus en plus pressantes, mais on n’osait pas aborder le sujet avec moi.
Nancy est apparue dans la porte d’une des chambres. En m’apercevant, elle n’a pas pu se retenir et s’est mise à rire comme une folle. Je n’y comprenais rien.
— Pépé ! Ce n’est pas un flic, c’est Pépé (elle m’avait ainsi surnommé). C’est pour ça que vous avez toutes mangé de la poussière. Il est aux gars.
Le voile était déchiré. Nous avons ri, bu et fumé ensemble. À l’étranger, tu te tiens avec les tiens, comme une bande de loups.
Nancy m’excitait de plus en plus. Stone, je suis autant hétéro que quiconque. Un petit pervers polymorphe. Mes cauchemars d’adolescent sont bien loin derrière. Gelé, je n’ai pas peur d’être découpé en morceaux comme nous le disait l’Allo Police. Mes peurs de ne pas bander n’existe plus. Le plaisir l’emportait.
Malheureusement, son cavalier arriva. Il était très beau, ce qui compensait pour le désagrément. Il s’est joint à nous. Finalement, j’ai pu rencontrer le grand boss du gang. Rien n’avait été fait pour sortir Jimmy du trou. On craignait que la police repère le groupe si quelqu’un agissait en sa faveur. Quelle bravoure! J’avais le feu. Pauvre Jimmy !
Après quelques démarches téléphoniques auprès de la police, j’ai appris que Jimmy devait être libéré sous peu. Je ne pouvais pas aller le voir. J’étais descendu de Dawson Creek, de l’autre bout du BC, pour rien.
Je me suis rendu au club retrouver mes nouveaux amis, ayant décidé de retourner le plus tôt possible dans le grand nord, à la porte du Yukon. Je ne voulais pas perdre trop de cours. J’aimais étudier la cuisine et je voulais avoir le plus tôt possible un métier qui me permette de travailler partout où je me rendrais. Cela me permettrait de voyager plus facilement, sans danger, car, je pourrais le faire en autobus.
Sur le pouce, le soir, j’ai dû m’arrêter à une auberge de jeunesse.
Il y avait là un bonhomme extrêmement laid. Il me mangeait sans arrêt des yeux. Habituellement, j’aime me sentir reluqué, c’est mon petit côté guidoune. Ça compense pour mes complexes , selon lesquels je suis trop laid pour attirer qui que ce soit. Lui, ça ne me plaisait vraiment pas. Il était encore plus laid que moi.
J’avais beau penser que de se laisser tripoter, c’est parfois rendre service à un individu, en lui permettant de déjouer ses scrupules. Un peu de plaisir lui donne l’occasion de laisser un peu de côté sa nature de martyr ; mais je ne me sentais pas particulièrement attiré par ce sacrifice. Je ne voyais pas en compétition avec La vraie nature de Bernadette, un film de Gilles Carl.
À la fin de la soirée, il m’invita à coucher avec lui dans la tente indienne. On manquait de place dans la maison. J’y voyais déjà nager l’anguille, même s’il n’y avait pas de roche. Par contre, je le trouvais tellement triste que je ne pouvais pas lui refuser ce privilège. En plus, ce n’était peut-être pas pour pouvoir m’enfourcher. Il y avait beaucoup de belles filles et c’était peut-être une façon de tirer d’embarras les responsables de l’auberge qui ne savaient pas comment répartir les endroits pour dormir.
Les filles sont toujours un problème quand il s’agit de se coucher. J’avoue que j’en avais un peu peur.
La gêne est souvent la cause la plus importante de frustrations sexuelles, tout comme l’impression d’être laid, indésiré ou trop vieux pour plaire. À force d’être frustré, tu deviens plus malin, mais aussi potentiellement plus violent.
Dans la tente, celui-ci se coucha dans son sac à quelques pieds de moi. Il fit immédiatement semblant de dormir. Je l’avais mal jugé. Je me suis endormi jusqu’aux petites heures du matin. Je me suis réveillé parce que j’avais froid et je l’entendis sangloter en répétant : » No, I want do it »
» Dis-moi pas qu’il veut me caresser et qu’il n’en a pas le courage « , pensais-je. Il faisait vraiment pitié. Était-il vraiment scrupuleux ou rêvait-il ? Je ne savais plus quoi penser. Une seule chose était certaine, j’avais froid pour dix.
J’avais depuis quelques années une perception quasi missionnaire en ce qui a trait à la sexualité avec les vieux ou les laids. J’ai la certitude que la violence vient plus souvent qu’autrement des frustrations sexuelles. Aussi, je me suis presque créé un devoir de conscience d’être disponible à quiconque exprime une frustration que je peux soulager. Je le fais gratuitement, en me disant que vieux, je serai bien content si un jour un jeune pense ainsi. J’ai souvent choisi le plus laid entre deux personnes qui me faisaient de l’œil, en pensant qu’il doit avoir moins souvent l’occasion de vivre une telle expérience. Un geste qui lui sera profitable.
» Nous avons qu’une vie à vivre pourquoi la vivre dans la souffrance ? C’est ma façon de combattre la violence et la misère. Si je pouvais faire plus je le ferais.
Fort de cet esprit de solidarité humaine et voulant cesser de geler le plus vite possible ; je me suis tassé contre mon compagnon. Je l’entendais avaler sa salive. « Quoiqu’il en pense, aie-je pensé, au moins je n’aurai plus froid ».
J’en étais venu à souhaiter qu’il se décide s’il avait un problème de conscience. Il a fallu peu de temps avant que je sente une main à la recherche d’un endroit par où pénétrer dans mon sac de couchage. J’ai facilité l’opération et devenez le reste.
Ce bonhomme-là était devenu absolument heureux. Jamais je n’avais vu quelqu’un en profiter avec autant d’intensité et de joie. Il devait être affreusement frustré pour en profiter ainsi. Je suis persuadé que personne n’aurait pu lui rendre un plus grand service. Il était rayonnant, même beau dans son sourire. Cela l’avait tellement excité qu’il en pleurait, même s’il avait de la difficulté à éjaculer. J’étais fier de moi, promu dans ma vocation de «soulageur d’âmes en détresse». Pourquoi ceux que les scrupules n’étouffent pas, comme moi, ne se prêteraient-ils pas aux besoins de certains autres plus frustrés ?
Au-delà des tabous ! Le besoin sexuel dans notre société est lié à la répression. Je suis convaincu que les crises diminueraient de 50% si la société acceptait une approche sexuelle, basée sur la liberté, la compréhension de ce besoin naturel. Cependant, il faudrait du même coup être beaucoup plus sévère face à la violence et démythifier la sexualité.
Par expérience personnelle, je sais que si tu as fréquemment des relations sexuelles, tu perds tes obsessions. Celles-ci deviennent de moins en moins importantes, moins nécessaires. La qualité des relations avec les autres s’en trouve améliorer d’autant. L’autre n’est plus qu’un objet de désir, mais de découverte, une merveille à connaître. Je trouvais parfois même que j’avais trop de sexe. Ce n’est pas tout que d’avoir du sexe, il faut que cette relation comble aussi les besoins affectifs.
Le matin, après la vaisselle, j’ai remercié tout le monde sauf mon partenaire de nuit.
— Tu ne me dis pas bonjour comme tout le monde ?
— Non, non. Je voulais te le dire dehors.
— Je te remercie du fond du coeur. Tu es bien gentil de m’avoir non seulement deviné, mais m’avoir laissé me défrustrer un peu.
Mon bonhomme était au ciel. Pour un mystique, il était impossible de d’espérer mieux. J’étais finalement fier de moi d’avoir rendu un autre gars temporairement heureux.
J’ai fumé et je suis parti à pied sur le bord de la route, gouttant aux merveilleuses Rocheuses, tout en faisant de l’autostop. Comme elles avaient été longues à découvrir leur beauté.
C’était un dimanche, et le dimanche sur le pouce c’est souvent pénible. Je m’en fichais j’avais les deux yeux en pleine prière de remerciements pour une vue aussi belle. Comment ne pas parler avec Dieu devant d’aussi beaux paysages ?
Un bonhomme s’arrêta et me fit embarquer.
— Tu peux rendre hommage au Seigneur que je me sois récemment converti. Si je n’avais pas rencontré Jésus, je ne t’aurais jamais embarqué.
— Curieux ! J’ai toujours cru que Jésus ne veut pas que l’on se vante d’être charitable.
J’étais un peu furieux. Je déteste être embarqué par quelqu’un pour y subir un sermon. J’aime mieux me faire silencieux devant ces monologues stupides. Vivre son christianisme, en se vantant, c’est de l’hypocrisie. J’ai vite trouvé une raison pour débarquer.
J’ai été repêché par une fille qui craignait être violée, tout en le désirant. Elle m’a ainsi entretenu longuement sur les cours de défense qu’elle avait prise au cas où quelqu’un voudrait s’en prendre à sa virginité qu’elle avait certainement perdue il y a bien longtemps.
Me voyant examiner les montagnes, écouter la musique, sans chercher à parler, elle a compris que j’étais bien trop gelé pour être dangereux.
L’atmosphère s’améliora tellement qu’avant de me débarquer elle me proposa que nous prenions une chambre ensemble. Si j’avais eu de l’argent, cela aurait été un plaisir, car elle avait de jolis petits nichons, Valentine !
Bizarre, plus j’avais des petits gars, plus je m’intéressais aux femmes. Le jardin du voisin est toujours plus beau, j’imagine.
Je ne comprenais pas mon attraction pour les garçons et je voulais comprendre pourquoi je suis ainsi.
J’ai été embarqué à nouveau par un groupe de jeunes et comme ça arrive souvent sur le pouce, j’ai refumé avec mes bons samaritains. Ceux-ci se rendaient à Prince George.
Sur le bord de la route, la nuit était tombée, je me suis mis à craindre d’être devenu possédé du diable. Pendant la projection d’Exorciste les apparitions du diable étaient plus vite que l’oeil. D’ailleurs, la Cour les a faites enlever, c’était une façon de nous violer l’esprit. Cela était d’autant plus effrayant qu’elles ressemblaient comme deux gouttes d’eau au bonhomme avec qui j’avais passé la nuit.
Mon obsession était : « Tu as couché avec le diable. Tu ne peux échapper à ton destin qu’en te jetant devant une auto. C’est le pot, pensais-je. Gelé, je suis paranoïaque. Je dois résister. Il faut que je rendre en ville. Je coucherai en prison. Je ne peux pas y aller, les bœufs m’attendent pour me casser les jambes».
À chaque voiture, je n’avais qu’un espoir : résister jusqu’à ce que l’effet se dissipe. Résister. Résister. »
Un camionneur m’a pris à bord de son vaisseau. J’ai voyagé avec lui jusqu’à ce qu’il s’arrête à un hôtel pour la nuit. Je gelais comme un dingue en petite blouse au pied des montagnes aux neiges éternelles.
La Colombie-Britannique (BC) est une province canadienne extraordinaire. Les montagnes au Nord ont un tout autre charme que les Rocheuses près de Vancouver.
Si je m’étais écouté, je me serais volontiers rendu en Alaska. On dit que c’est très beau.