Un sourire d’enfer 39
Un sourire d’enfer 39
Quand un peuple a besoin de deux saints pour dormir, c’est une question inquiétante.
En Colombie britannique, le BC, une bonne partie de la population craignait une invasion américaine si le parti au pouvoir réalisait son programme. Toute personne renseignée le moindrement connaissait la volonté américaine par le biais de la CIA de mettre fin à l’expérience socialiste au Canada.
Cette opération était connue sous le vocable : » Opération Étoile du Nord « . À mon avis, cette peur était non justifiée quoique l’intervention américaine à travers les journaux et les associations patronales fût évidente.
On aurait dit que le NPD avait le tour de se mettre tout le monde à dos en n’étant pas assez radical. Les industries qu’il étatisait étaient toujours en faillite ou presque. Plutôt que de changer la direction, la firme reprenait vie avec les mêmes administrateurs, mais sous un autre nom. Les gens interprétaient cela comme du patronage et une mauvaise capacité de gestion.
Avec le temps, les gauchistes ont fini par trouver le NPD aussi pire que le Crédit Social, de droite. D’ailleurs, souvent le Crédit social avait des politiques plus socialistes que le NPD. Plusieurs ont abandonné la lutte. Pour les travailleurs, un parti ou un autre, ça ne changeait rien. Les grèves étaient recommencées de plus bel.
Les jeunes espéraient une libération de la marijuana et la légalisation des plages de nudistes. Ce fut un rêve vite abandonné. Les autorités ont essayé d’interdire le nudisme pour des motifs hypocrites. À Vancouver, on invoquait le danger des bancs de sable. Sur l’île, on prétendait que le nudisme nuisait au tourisme. Les vieux ont toujours paniqué avec la sexualité partout au Canada.
La jeunesse qui espérait un renouveau n’a pas pardonné un tel recul du gouvernement. Pour les jeunes et les travailleurs, plus il y avait de changements, plus c’était pareil.
Sur le pouce, les plus vieux parlaient souvent de l’inflation, du problème de l’habitation à Vancouver. Pour eux, il s’agissait de la même situation qu’en 1929.
» Nous crevions de faim. Tout était rationné et pourtant un peu partout dans les hangars, la nourriture pourrissait à la tonne. Les grandes compagnies faisaient la pluie et le beau temps, mais aussi de bien meilleurs profits.
Partout, les gens étaient insatisfaits, mais ils ne voyaient pas comment s’en sortir, car, les USA apparaissaient dans le portrait. » Il faudrait aller plus loin », disait-on, mais… La peur les a étouffés.
Le socialisme en Colombie britannique me déplaisait. Tout n’était qu’économique comme si les hommes étaient des robots. Exactement, comme cela se passe dans les syndicats du Québec. Le membre n’est qu’une cotisation.
J’ai écrit une lettre ouverte dénonçant la situation que le journal titra : » Are BC workers money monkeys ? »
Je ne voulais pas m’embarquer davantage dans le débat. Je n’étais pas chez moi au Canada. De plus, je n’ai rien contre le socialisme, bien au contraire. C’est une réponse très intelligente à nos problèmes.
Par contre, comme toutes les idéologies, la réponse communiste considère encore l’homme comme un membre à exploiter par le parti. Entre le capitalisme et le communisme, à cause du manque de respect de l’individu, je préfère le capitalisme, mais un capitalisme profondément modifié, un capitalisme beaucoup plus socialiste.
J’ai été choisi au Centre de la main-d’œuvre pour suivre un cours de cuisine, à Dawson Creek. C’était encore plus au nord, dans le BC, à la porte du Yukon. Cela m’enchantait. Je découvrais ainsi un nouvel aspect des magnifiques montagnes de cette province canadienne.
Malheur de malheur, dans mon dernier voyage à Vancouver, ayant dû coucher dans un terrain de stationnement couvert pour échapper aux pluies, j’avais attrapé des poux. C’est la pire chose qui puisse arriver à quelqu’un avant de se rendre à une nouvelle école. J’étais effrayé à l’idée d’en avoir encore et de les passer à mes compagnons. J’ai travaillé une semaine à les faire disparaître. J’avais de la difficulté à dormir à cause de la peur de ne pas arriver à me départir assez vite des grattements qu’ils provoquent. J’ai plus honte des poux que du sexe.
À mon arrivée à l’école, j’étais fasciné. Non seulement, j’ai pris une douche avec les plus jeunes et les plus beaux étudiants ; mais je partageais la chambre avec celui qui me plaisait le plus. Un magnifique petit bonhomme de seize ou dix-sept ans. Très intelligent.
Celui-ci trouvait comique et dangereuse les caricatures que je faisais parvenir à notre Boubou national, premier ministre du Québec. Cependant, je n’ai pas écrit la lettre ouverte dénonçant la Société Générale de Financement du Québec, comme le voulait Jimmy. Celui-ci prétendait que la SGF servait à un groupe de libéraux pour créer des industries que le gouvernement rachetait, dès que le déficit devenait trop pesant. Un système de patronage scandaleux ! Mais, je n’avais pas de preuves et j’étais loin de la politique québécoise.
Le premier avant-midi fut sans incident. Le midi, nous nous présentions les uns aux autres. Si mon intérêt porta immédiatement sur une magnifique Indienne, pour la majorité des autres étudiants, j’étais la curiosité parce que je venais du Québec.
Évidemment, les questions ne tardèrent pas à fuser sur mon pays.
— Es-tu en faveur du Parti Québécois ?
— Il n’est pas assez radical, mais il présente un compromis acceptable, en autant qu’il ne finisse pas aussi conservateur que le NPD.
— T’es donc pour le FLQ ?
— Fais attention à ce que tu dis ici, nous pensons que Burney est un indicateur de la police RCMP (GRC).
Il faut dire que la GRC a toujours placé des indicateurs dans les milieux étudiants. Cela avait même été dénoncé à l’université Bishop, à Lennoxville, une université où ni le FLQ, ni la go-gauche n’ont encore mis le gouvernement en danger. Après cela, le Canada fait croire qu’il respecte la liberté de penser.
Quant à Burney, il se prétendait un curé d’une paroisse d’Alberta, le maire d’une petite municipalité. Cette présomption que Burney était de la GRC a augmenté quand celui-ci refusa de répondre à nos questions.
La solidarité entre jeunes dépasse souvent les frontières artificielles des pays, ces espèces de jouets politiques des aînés. À cet âge, tu n’as encore de placement à défendre et tu te sens plus humain.
Tout allait pour le mieux. Je m’entendais à merveille avec tout le monde. Je vivais avec des petits gars charmants et une petite Indienne venait émerveiller mes regards. Elle était vraiment très belle.
À la fin de l’après-midi, le chef du département est venu me trouver.
— Tu ne sais encore comment te raser ?
— Je ne peux pas. Je n’ai pas de rasoir et je n’ai pas encore été payé. Je ne peux pas en acheter un maintenant, je n’ai pas un sou. Je le ferai dès que je le pourrai.
— Si tu ne t’es pas rasé demain, ne reviens pas.
J’étais bien malheureux. Je voulais absolument suivre ce cours et je serais congédié parce que je n’ai pas assez d’argent pour m’acheter un rasoir. Une affaire archi-stupide.
Un des jeunes qui m’appelait « Gros Jambon » m’invita à souper chez lui. Ce jeune me fournit aussi le rasoir tant espéré.
Ce soir-là, nous avons longuement discuté de politique. J’ai essayé tant j’ai pu d’atténuer le mythe du Québécois raciste et violent. J’ai essayé de lui faire comprendre qu’à mon avis le FLQ a toujours été une arme défensive contre les fédérastes. C’est comme le coup de poing que tu donnes à force de te faire écœurer. Pour te défendre.
J’ai poursuivi mes études dans un état de quasi-pauvreté, car j’ai réussi à obtenir une petite avance et m’acheter un rasoir. J’avais une excellente relation avec tous les étudiants, sauf un, qui détestait les francophones et qui inventait toutes sortes de bêtises pour me provoquer. Ainsi, un jour pour m’écœurer, a-t-il traduit le sigle FLQ par Funny looking Queer ou Drôle de tapette. Cet étudiant ne jouissait pas d’une grande popularité auprès des autres, mais cette blague était bien rie.
La ségrégation a commencé à se faire sentir plus fortement sur l’Indienne qui, exaspérée, à quitter les cours.
En dehors des cours, je me rendais à la bibliothèque ou à la piscine où j’avais une foule de petits amis Indiens. Je vivais le parfait bonheur. Personne ne m’emmerdait, je ne pouvais pas demander mieux. Seul, l’argent manquait, c’est l’histoire de ma vie comme bien d’autres.