Radioactif 81
Radioactif 81
26 Août 2007
Ronald Federated Graphics.
J’arrivais de Vancouver sur le pouce. Comme tout Québécois qui va vivre en français en dehors du Québec, j’ai appris que le Canada ce n’est pas mon pays. Je n’y suis pas chez-moi. On ne respecte aucune de mes valeurs fondamentales dont la tolérance.
Si tu veux qu’un Québécois devienne indépendantiste, envoie-le vivre en français en dehors du Québec.
Je n’avais pas un sou et je ne sais pas pourquoi je déteste vivre aux dépends des autres. Est-ce de l’orgueil ? J’ai donc accepté un emploi de messager chez Ronald Federated Graphics, à Montréal. Tout se passait en anglais.
Dans un excès de zèle patriotique, dira-t-on, j’ai décidé de traduire tous les messages que je devais apporter d’un département à un autre, en français. Bell Canada devint Cloche Canada.
Les patrons n’ont pas particulièrement apprécié. Les journaux se sont saisis de l’affaire.
26 Août 2007
Congédié pour avoir écrit en français.
À cette époque, il y avait un certain Meloche qui venait de tuer ses patrons.
Les patrons m’ont d’abord averti, puis, convoqué au bureau de la direction. En me présentant, j’ai déposé une pomme et un petit couteau sur le bureau du patron.
Il me dit : » Tu veux m’intimider ? — Non, je veux manger une pomme, mais je suis content de vous rappeler qu’il commence à y avoir bien des Meloche au Québec. »
Évidemment, je fus renvoyé, mais on m’avait demandé auparavant ce que je désirais. Ça se résumait au respect de la loi 101.
Le jour même, je suis revenu avec une pancarte à la main : Congédié pour avoir écrit en français, à Montréal. La police arriva pour m’arrêter, mais puisque j’étais seul, je les ai menacés de les poursuivre pour arrestation illégale. Ils ont confirmé que je connaissais la loi et pour la première fois j’ai manifesté sous le regard de la police.
26 août 2007
Loi 22.
Au même moment, le parti libéral de Robert Bourassa sortait sa fameuse loi 22.
Même si elle disait que le Québec est français, ce qui était un pas énorme, à part de son titre, c’était une loi bidon comme celle de la nation de Stephen Harper.
Elle portait un titre extraordinaire, mais dans les faits, elle nous faisait encore un peu plu la peau sur le plan culturel.
La loi 22 faisait du français la langue officielle du Québec, mais dans les faits quand tu la lisais article par article, elle accélérait notre assimilation.
Elle servait à nous endormir comme aujourd’hui quand on essaie de nous faire croire que le français se porte bien.
Fort de mes premières manifestations, j’ai décidé de poursuivre la lutte en me rendant à la fête du Canada, le premier juillet, avec ma pancarte « Congédié pour avoir écrit en français, à Montréal».
Devant ma décision, probablement pour m’aider à avoir moins peur, l’amie de Gilbert Langevin, Mireille Despard a décidé de se joindre à moi.
Heureusement, tout s’est bien déroulé quoique aujourd’hui, je crois que c’était quand même très risqué.
Une seule fois, un anglophone s’est permis de me frapper en passant, mais rien de grave.
Le plus frappant fut à, un moment donné, de sentir que la police n’était pas là pour m’arrêter, mais plutôt pour nous protéger. Ça fait très bizarre de constater que ceux qui furent tes ennemis deviennent bizarrement ceux qui te protègent.
Était-ce parce qu’on savait que les journaux suivaient l’affaire? Seul feu le quotidien le JOUR en parla et présenta une photo. Mais, l’exploit avait été accompli.
26 Août 2007
La 22 sur la 22.
J’ai décidé de pousser l’audace jusqu’à me rendre à l’Assemblée nationale défendre mon point de vue en commission. Il était évident que je ne pourrais pas y entrer avec ma pancarte. Donc, j’ai mis un tas de petits cartons dans mon sac avec des crayons feutres.
Ma présence devant le parlement fut vite remarquée par certains ministres. Jean Cournoyer vint même me parler. Je croyais leur avoir fait comprendre ce qui se passait, mais il s’agissait d’une toute autre chose : j’avais doublé ma pancarte et sur l’autre côté, j’avais écrit : La 22 sur la 22. On y voyait là, un message du FLQ en plein piquetage.
En réalité, c’était un affreux malentendu. Je n’ai aucun talent en dessin et je n’avais eu assez de place pour suivre le conseil de Gilbert Langevin et écrire : La 22 sur la 22 ou la 222. La 222 est une chanson de Pauline Julien « La croqueuse de de 222 ».
Finalement, je me suis présenté à la Commission parlementaire. Je confectionnais une pancarte, on me mettait dehors.
J’entrais, j’en faisais une autre et on me remettait à la porte.
Le manège a duré ainsi durant un bon bout de temps. Je sentais la commission exaspérée, je suis retourné à Montréal.
Je ne voulais pas faire carrière dans les manifestations, mais c’était mon moyen d’expression, même si parfois je risquais ma vie.
Je croyais dans un Québec français qui respecte ses minorités, mais qui ne s’en laisse pas imposer l’anglais par la peur.
J’y mettais autant de cœur que pour faire comprendre la nécessité d’une liberté sexuelle non violente et consentie dès l’adolescence.
26 Août 2007
Les femmes enchaînées.
Quelques temps plus tard, des femmes dont une madame Derome se sont enchaînées à leur siège dans l’enceinte du parlement pour manifester leur opposition à la loi 22.
J’ai appris depuis que ces femmes audacieuses avaient décidé de s’enchaîner parce qu’elles avaient lu que j’avais été expulsé.
À cause de l’ambiguïté du titre et des articles, j’avais peur de m’être trompé et d’avoir mal lu la loi 22. Par contre, une chose était certaine : j’avais été congédié pour avoir écrit en français dans une entreprise qui faisait entre autres les Pages jaunes. Il fallait que je sois le dernier qui perde son emploi pour avoir osé utiliser le français.
Ainsi quand on a tenu à Québec, les premières fêtes de la francophonie, je me suis présenté seul avec une pancarte. Tous les médias se sont précipités sur moi. Combien y aurait-il de manifestants ? De jeunes manifestants m’ont aidé et je me suis juché sur un monument. Ce n’était pas important qu’on me voie la face, mais que tous les médias du monde proclament : Congédié pour avoir écrit en français, à Montréal.
26 Août 2007
Trudeau et l’agent Samson.
J’ai décidé de rendre manifester à Ottawa. J’étais avec ma pancarte à la sortie de la salle où Pierre Trudeau donnait une conférence de presse.
À sa sortie, Trudeau a refusé d’écouter Marguerite et il a décidé de se rendre à pied au parlement plutôt qu’en auto. J’ai toujours soupçonné Trudeau d’aimer ces situations.
Tout en montant, les agents de la GRC me poussaient afin de tenir ma pancarte à l’écart des caméras. Miracle. Un des photographes trébuche dans les marches et Trudeau lui présente la main pour l’aider à se relever. Les policiers sont déstabilisés.
J’ai pu mettre ma pancarte en évidence. Pour moi, dans tout ce que je faisais, c’était le message qui comptait.
J’étais convaincu que le fédéral voulait mettre le feu aux poudres au Québec pour justifier une intervention militaire en se servant du domaine linguistique.
Un autre miracle, à mon retour, j’ai appris que l’agent Samson, de la GRC, venait de sauter avec sa bombe. Ainsi, la police qui rêvait de faire revivre le FLQ était prise dans son propre jeu.
Quand je suis retourné dans la rue contre la loi 22, il tombait des clous et nous étions environ 100,000 manifestants.
26 Août 2007
Ronald Federated Graphics.
Vous ne le croirez peut-être pas, mais la compagnie a changé de nom. Un nom français : Les imprimeries Ronald.
La meilleure, quelques années plus tard, l’Observateur, de Paris, reprenait ma photo devant le parlement de Québec, sur le monument, pour parler de la nouvelle lutte des jeunes pour un Québec indépendant.
Plusieurs média ont aussi parlé de cet événement aussi loin qu’en Europe et en Afrique. Je n’étais pas important, mais le message reste primordial pour la survie du français au Québec.
Un soir, j’ai assisté à un spectacle de Gilles Vigneault. Il fallait écrire les couplets d’une chanson. J’en ai fait trois, mais un lui causa des problèmes. Il fut vachement critiqué parce que je disais que mon père travaillait de jour d’où nous étions 22 enfants.
On n’a pas des moumounes du sexe que depuis peu temps.